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Full text of "Oeuvres du Seigneur de Cholières"

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OTTAWA 


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University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/oeuvresduseigneu02chol 


OEUVRES 


DE   CHOLIÈRES 


OE  U  V  R  E  s 


DU     SEIGNEUR 


DE   CHOLIÈRES 

Edition  préparée  par  Ed.   Tricotel 

NOTÉS,    INDEX    ET    GLOSSAIRE    PAR   D.    JOUAUST 

PRÉFACE  PAR  PAUL  LACROIX 


TOME     SECOND 


LES   APRÈS-DINÉES 


PARIS 
LIBRAIRIE  DES  BIBLIOPHILES 

Rue  Saint-Honoré,  338 


M    D  C  C  C    L  X  X  I  X 


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^, 


LES 


APRESDISNEES 

DV    SEIGNEVR 

DE     ChOLIERES. 


A     PARIS, 

Chez  lean  Richer,  rue  saint  lean  de 
-  Latran,  à  l'arbre  Verdoyant. 


*  1687. 

Avec    Privilège    dv    Roy. 


AUX  LISEURS 


E  pensez^  débonnaires  liseurs,  qu'à  tort  ce 
proverbe  roule  parmy  nous,  que  qui  refuse 
après  muse  :  si  vous  en  doutez,  il  ne  vous 
faut  venir  que  vers  rnoy,  je  vous  en  estaleray 
une  preuve  plus  claire  que  le  jour  :  Experte  [dit  le  bon 
homme)  crede  Robeito.  J'ay  passé  par  les  piques,  pour 
n'avoir  bien  branslé  la  pique  lors  qu'il  falloit,  et  n'avoir 
battu  [comme  l'on  dit)  le  fer  lors  qu'il  estoit  chaud;  je  me 
suis  trouvé  de  deux  selles  le  cul  à  terre,.  Ma  muse  avoit 
esclos  le  frère  de  ces  Apres-disnées,  son  nom  ne  peut  estre 
ramenteu;  son  perrain  a  esté  si  vilain  que,  pour  s'exempter 
de  quelques  honnestetez,  il  a  desavoué  son  filleu,  lequel  de 
toutes  parts  j'estoie  prié  de  loger,  et  bien  mieux  qu'il  n'a 
rencontré.  Plusieurs  m'offroient  leurs  logis;  mais  je  me 
faisoie  accroire  que  leur  train  ne  pourroit  compatir  avec 
la  naturelle  habitude  de  mes  gayes  philosophies,  ou  que 
quelques  uns,  n'ayans  les  yeux  bien  dessillez  de  grand 
matin,  prophaneroient  un  si  précieux  joyau,  ou  finalement 
que  d'autres  pourroient  idolâtrer  après  ces  conceptions.  Je 
nestoie  pas  en  petite  peine  pour  sçavoir  bien  choisir.  Du 
premier  coup,  je  ne  pouvoie  honnestcment  esconduire  ceux 
qui  m'honoroient  de  leur  semonct,   que  fais-je?  Je  veux 


4  AUX     LISEURS. 

gouverner  de  mesnies  mon  petit  Escolier  que  vous  voyez 
qu'on  meine  ses  cousins  les  enfançons  des  Muses.  Tous 
ceux  qui  portent  le  titre  de  scolarité^  à  Paris,  nont  pas 
demeuré  dans  des  collèges  :  les  uns  par  faute  de  moyens, 
les  autres  par  faute  de  cognoissance,  les  autres  pour  mi- 
'gnarder  avec  plus  grande  liberté  leurs  Muses.  Pour  les 
moyens,  je  ne  pouvoie  demeurer  en  arrière;  si  j*eusse  bien 
pris,  cncores  en  eussé-jc  eu  d'avantage.  Considérez  Vequip- 
page  qu'il  a,  vous  trouverez  (je  m'asseure)  qu'il  y  avoit 
dequoy,  en  un  besoin,  fonder  une  douzaine  de  beaux  col- 
lèges pour  s'y  retirer  à  rechange  par  chasque  mois  de 
l'année.  De  cognoissance  en  une  matinée,  mon  petit  Esco- 
lier n'en  prenoit  qu'assez.  Il  a  langue  par  tout,  il  est  si 
bien  cogneu  que,  dés  qu'il  marchoit  en  rue,  on  le  reco- 
gnoissoit,  de  mesmes  qu'on  fait  le  jour  à  la  sortie  de 
l'aube  matiniere.  Ce  n'estoit  point  donc  la  diversité  des 
nations  qui  me  fit  perdre  envie  de  le  resigner  en  un  collège  : 
il  s'est  de  tout  temps  accommodé  à  tout.  Mais  je  cognois- 
soie  son  naturel  estre  tel  que,  s'il  eust  esté  resserré  dans  un 
collège,  je  le  metioie  à  l'hazafd  de  crever  ou  peter  (verba 
non  fœtent)^  de  mesmes  que  fait  une  chastaigne  mise  au 
feu  sans  estre  fendue.  Je  prevoioie  qu'il  friperoit  la  porte, 
et  que,  si  un  jour  on  le  menoit  mal,  il  seroit  [peut  estre) 
bien  tel  de  faire  un  trou  en  la  nue.  Toutes  ces  considéra- 
tions, et  autres  irespregnantes,  comme  pouvez  penser, 
firent  que  je  pris  délibération  le  laisser  galocher  en  marti- 
net; je  ne  vouloie  forcer  son  naturel.  Pour  cela  je  ne  fus 
hors  de  soucy.  Avez  vous  jamais  veu  la  caresse  et  suite 
qu'a  un  nouveau  venu  et  fraischement  esclos  qui  apporte 
choses  nouvelles,  non  veuës,  et  qui  n'ont  accousiumées 
d' estre  débitées  parmy  nous?  De  mesmes  des  yeux  de  l'es- 
prit je  prevoyoie  qu'à  peine  mon  Escolier  mettroit  un  matin 
le  nez  à  la  fenestre  qu'il  ne  faudroit,  estant  esvenlé,  se  des 


AUX    LISEURS.  5 

baucher^  ou  que  quelques  uns  se  deplumeroient  plus  viste 
qu'il  neust  esté  besoin.  Tantost  je  luy  voulais  donner  un 
train  de  courtisan,  tantost  l'habit  de  philosophe.  En  pn  je 
pris  resolution  de  ne  plus  délayer,  et,  puis  que  longa  po- 
tatio  évacuât  scyphos,  et  le  trop  pénible  chagrin  me  ron- 
geroit  avec  le  temps  la  scrmonniere,  à  quelque  pris  que  ce 
fut,  de  le  loger  en  une  chambre  laquelle  fût  digne  de  sa 
qualité  et  représentation.  J'en  trouvoyede  nues,  bien  aérées, 
belles,  chaudes  et  claires;  mais  le  coust  m'en  faisoit  perdre 
le  goust.  On  me  fait  cas  d'une  qui  estoit  garnie  et  équipée 
de  tout  ce  qu'il  falloit;  je  fais  le  marché,  je  vous  y  loge 
mon  Escolier.  A  dire  la  vérité,  je  pensoie  avoir  trouvé  la 
fève  au  gasteau,  et  qu'il  n'eilt  esté  possible  mieux  rencon- 
trer que  j'avoie  fait.  Le  logis  estoit  beau,  tout  tapissé. 
Mais  quoy?  le  malheur  fut  tel  que  le  quart  du  mois  ne  fut 
tscoulé  que  mon  Escolier,  de  grand  matin,  me  vint  trouver 
pour  me  faire  sçavoir  qu'il  ne  pouvoit  compatir  avec  le 
maistre  du  logis  duquel  il  tenoit  la  chambre.  Enquis  pour- 
quoy,  me  paya  de  ces  deux  raisons  :  la  première  que, 
dés  qu'il  pensoit  se  lever  de  matin  à  l'accoustumée,  son 
hoste  luy  faisoit  dire  qu'il  eusî  à  se  recoucher,  que,  quant 
à  luy,  jamais  il  ne  permettait  qu'avant  midy  on  fist  régner^ 
la  matinée  chez  luy.  De  sorte  qu'il  luy  eût  esté  force,  s'il 
eût  long  temps  demeuré  là,  d'apprendre  le  mesti^r  de  dor- 
mir, poltroniser  dans  le  lit,  quiter  son  estude,  se  dénaturer 
et  suivre  la  piste  de  son  proche  apparenté  M.  Gaulard, 
duquel  le  seigneur  des  Accords  nous  représente  un  apo- 
phtegme fort  gentil,  lequel  je  suis  contant  coucher  icy, 
parce  que  je  trouve  qu'il  ne  vient  que  fort  à  propos  undi- 
quaque.  Advint  donc,  et  n'y  a  pas  long  temps,  qu'à  ce 
monsieur  escheut  une  bonne,  forte  et  riche  hoyrie  par  le 
moyen  d'un  testament  d'un  sien  oncle,  à  raison  dequoy  le 
sieur  de  Merdois,  son  bon  amy,  le  voulant  gratifier,  disoit  : 


n  AUX     LISEURS. 

«  Or  suSy  Monsieur^  vous  estes  bien  heureux  :  le  bien  vous 
est  venu  en  dormant.  —  Ma  foy,  respondit  il,  je  le  croy, 
et  m'en  doutoie  bien,  il  y  a  long  temps.  Voila  pourquoy 
fay  toujours   dormy  jusques  à  sept   ou   huit  heures   du 
matin,  et  dormiray  encores  à  l'avenir  un  peu  d'avantage 
pour  voir  s'il  m'en  viendra  encores  autant.  »  La  seconde 
estoit  que,  ut  invidia  est  virtuti  cornes,  et  que  plusieurs  se 
ployent  trop  aisément  aux  faux  rapports,  le  sieur  Di  Casa, 
pour  avoir  trop  preste  Vaureilk  à  son  homme  de  chambre 
ou  à  quelque  autre  marran,  avoit  pris  opinion  que  mon 
Escolier  avoit  pissé  contre  le  soleil,  que  l'impression  estoit 
si  forte   quil  luy  avoit  fait  porter  parole  de  desloger  de 
sa  chambre.  Du  premier  coup  je  ne  voulus  croire  entière- 
ment mon  Escolier^  pour  ne  point  flater  le  de,  je  pensoic 
qu'il  y  eut  quelque  nourrice  dépucelée   :  je  prends   m.on 
Escolier  en  main  pour  l'aller  confronter  avec  son  mal  gra- 
tieux  hosie  en  sa  propre  chambre.  D'abordée   il  faisoit 
mine  de  nous  vouloir  servir  de  groin.  Toutesfois,  parce  que 
c'estoit  en  un  vendredi,  oit  il  y  avoit  double  jeune  propter 
festum^  pourtant  on  ne  mangeoit  du  porceau,  il  fut  né- 
cessité nous  faire  un  autre  service,  lequel  fut  lardé  du  mes- 
contantement  qu'il  avoit  contre  notre  Escolier.  Quelques 
traits  furent  jettez,   qui  descouvrirent  et  qu'il  y  avoit  de 
l'ordure  en  la  chambre  et  que  Valliage  estoit  empesché, 
parce  qu'estant  de  bas  or  il  craignoit  la  touche.  Je  le  rele- 
vis  au  moins  mal  que  je  voyoie  que  sa  capacité  pouvoit 
porter,  et,  parce  que  je  recognoissoie  que  quelques  oiseaux 
ne  peuvent  porter  la  lueur  des  rayons  solaires,  je  me  fis 
entendre  qu'il  se  pouvoit  faire  que  ce  monsieur  avoit  aucu- 
nement occasion  de  se  gruser.    Pour  éviter  plus  grandes 
noises  et  moyenner  qu'un  chascun  peut  vivre  en  paix,  et 
afin  qu'il  ne   fut  dit  que  je  vouloie  remettre  la  matinée 
après   midy,   fut  accordé  entre  nous    que  pour   l'advenir 


AUX     LISEURS.  7 

mon  Escoîier  se  pourvoirait  où  il  verrait  affaire,  mais  cela 
ne  fui  sans  luy  payer  ce  qu'on  luy  devait.  Voila  que  c^est 
que  de  s'adresser  en  mauvais  lieux  et  que  de  refuser  de  si 
beaux  partis,  pour  après  esîre  i/  mal  venu.  Si  j'eusse  esté 
tel  que  plusieurs,  lesquels  je  ne  suis  à  cognoistre,  j'avoie 
bien  moyen  de  faire  retenir  à  quelques  uns  leur  eau;  mais 
je  n'ay  eu  jamais  le  nom  de  forcer  personne,  invita  Mi- 
verva.  Si  mon  gros,  gras,  pansart  et  peu  advisé  compère 
se  chatouille  pour  se  faire  rire,  et  qu^il  face  tel  compte  de 
sa  chambre  qu'on  n'y  puisse  prendre  relais  par  quelques 
matinées,    à   son  commandement ,  je   tu  suis  fasché  que 
d'avoir  choisi  d'entrée  une  chambre  si  tresmal  gratieuse  à 
mon  Escalier.  Et,  comme  j'ay  crainte  que  sa  tendre  jeU" 
nessi  ne  luy  face  perdre  cœur,  je  luy  ay  incontinent  dressé 
le  pariy  de  mon  second  Escalier,  afin  que  tous  deux  ils  se 
puissent  tenir  campaignie  et  giunnis  vitiligatorum   obsis- 
tere  :  chien  eschaudé  craint  la  cuisine  :  parce  que  l'un  de 
mes  Escaliers  ne  s'est  bien  trouvé  de  la  chambre  que  je  luy 
avaye  choisi,  je  mt  suis  advisé  [affectionné  liseur)  que  je 
feraie  mieux  de  leur  mettre  la  bride  à  l'abandon  afin  qu'ils 
se  pourchassent.  S'ils  rencontrent  mal,  ils  auront  occasion 
de  s'en  prendre  à  moy  :  s'ils  font  bien,  ils  le  trouveront; 
s'ils  font  mal,  ce  seront  ils  qui  auront  fait  la  folie  qui  la 
boiront.   Toutesfais  je  m'asseure  tant  de  vosîre  bénignité 
que  tant  l'un  que  l'autre  seront  receus  par  vous  amsi  qu'ils 
méritent.  Us  ne  sont  en  conclu,  comme  je  desireraie.   Tels 
qu'ils  sont  je  les  vous  présente,  avec  prière  treshumble  que 
je  vous  fais  de  les  recevoir  avec  aussi  grande  affection  et 
m'^en  sçavoir  autant  de  gré  qu'il  m'a  fallu  avaler  de  gouttes 
de  vin  pendant   que  ces  Apres-disnées    se    bastissoyent. 
Toutes  peines  méritent  salaire.  La  pluspart  de  vous  [cray 
je)  me  feront  bien  ceste  courtoisie  :  neantmoins,  afin  que 
personne  ne  sait  abusé  et  qu'il  ne  soit  dit  que  vous  ayez 


8  AUX    LISEURS. 

fait  emploite  de  chat  en  poche,  je  suis  bien  contant^  tant 
ay-je  Vame  bonne,  honneste  et  généreuse,  vous  descouvrir 
comment,  par  qui,  quand,  à  quelle  intention  et  surquoy 
furent  dressées  ces  Apres-disnf.es;  à  quoy  elles  vous  pour- 
ront servir  à  tous,  tant  en  gênerai  qu'en  particulier.  Il  faut 
(dit-on)  cognoistre  avant  qu'aimer,  depeur  d'estre  surpris  : 
il  est  bien  séant  que  sçachiez  d'où  c'est  que  vous  vient  ce 
qui  tombe  en  vos  mains,  distinguo  par  gluc,  car  c'est  par 
le  pendant  de  vos  bourses  maintesfois. 

Sçachez  donc  [bénévoles  liseurs)  que,  suivant  la  protes- 
tation que  je  vous  ay  fait,  puisnagueres^  par  ma  Neufvaine 
première,  je  ne  suis  jamais  à  mon  aise,  sinon  lors  que  je 
vous  puis  faire  toucher  au  doigt  que  j'estends  mes  os,  mes 
nerfs  et  mes  veines  pour  l'utilité,  nécessité,  honnesteté  et 
resjouissance  commune.  Si  je  vis  encores  quelques  années, 
vous  verrez  que  je  ne  suis  simple  prometteur,  ains  que, 
sans  estre  Gascon,  je  suis  plus  prompt  à  exécuter^  in  ter- 
minis  habilibus,  qu'à  promettre.  Ce  suis  je  qui  vous  fais 
présent  de  quelques  discours  qui  ont  esté  tenus,  débattus  et 
demeslez  entre  quelques  amis  et  moy.  L'occasion  de  nostre 
asseniblée  fut  que,  pour  ramentevoir  la  convalescence  qui 
m'estoit  d'enhaut  escheue  par  le  moyen  de  ma  première 
Neufvaine,  que  je  vous  ay  cy  devant  communiqué,  de  jour 
à  autre,  la  plus-grand  part  de  mes  amis  venoient  me  visi- 
ter pour  me  congratuler  de  Hieureux  recouvrement  que 
j'avoie  fait.  Les  entreveues  n'eurent  pas  duré  deux  jours 
que  l'on  mit  sur  le  bureau  la  question  si  on  pourroit  s'es- 
crimer par  conférence.  Les  uns  y  tendaient  formellement, 
les  autres  reculoient  en  arrière  le  plus  poltronnement  du 
monde;  les  autres  se  portèrent  pour  neutres.  Pour  faire 
l'honneste,  je  n'osoie  ny  rompre  la  partie,  ni  l'échauffer 
autrement.  Je  m'advise  d'un  expédient,  qu'il  seroit  bon 
que  l'affaire  fut  décidée  par  ceux  lesquels  ne  tenaient  ny  de 


AUX    LISEURS.  9 

l'un  ny  de  l'autre.  Après  que  d'un  costé  et  d'autre  l'affaire 
fut  débattue,  par  leur  advis  fut  résolu  que  l'on  rentreroit 
en  conférence,  et  que,  faisant  droit  sur  la  difficulté  et  in- 
commodité proposée,  que  les  Matinées  dévoient  estre  em- 
ploiées  en  affaires  sérieuses,  on  pr endroit  les  Apres-disnées 
pour  y  vaquer. 

Qui  m'eust  donné  cent  mil  escus  autres  que  ceux  de 
Thoulouse  ou  de  Saint-Marcel,  je  ne  sçay  si  je  fusse  esté  plus 
aise,  pour  plusieurs  profondes  considérations  que  je  ne 
laisse  pas  à  penser  à  part  moy,  encores  qu'icy  je  ne  les 
couche  toutes.  Me  suffît  si  je  puis  vous  en  donner  le  plaisir 
de  deux.  La  première,  que  cela  me  remettoit  devant  les 
yeux  la  glorieuse  victoire  que  j'eus  sur  ma  maladie,  puis 
qu'en  commémoration  d'icelle  je  voyoie  que  l'on  faisoit 
renoistre  ces  exercices  philosophiques.  Qu'on  me  prenne 
tous  les  jeux  introduits  par  Vantiquité,  on  trouvera  que  la 
pluspart  n'ont  pris  naissance  que  de  la  mémoire  qu'on 
avoit  envie  entretenir,  dés  qu'on  estoit  venu  a  chef  de  quel- 
que hardie  et  magnifique  entreprise.  L'autre  est  qu'en  ce 
nous  nous  monstrions  vrais  imitateurs  et  enfans  de  nos 
devanciers,  sur  tout  de  ceux  lesquels  ont  eu  l'honneur 
d'avoir  le  mieux  entendu  que  c'estoit  de  se  bien  gouverner, 
régir  et  policer.  Nous  lisons  du  roy  d'Arragon  Alphonse 
qu' incontinant  apres-disner  il  faisoit  venir  devant  luy  l'un 
des  plus  doctes  personnages  qui  fût  en  sa  Cour,  lequel  il 
faisoit  discourir  de  quelque  matière,  disant  que  par  tels 
propos  il  entendoit  faire  prendre  la  réfection  à  son  ame 
tout  ainsi  qu'il  avoit  fait  à  son  corps.  D'autres,  comme 
estoit  l'empereur  Adrien,  vouloient  après  le  repas  estre 
recréez  par  des  comédiens,  liseurs  ou  poètes,  à  celle  fin  que 
par  leur  gasouillis  et  contenance  ils  fussent  regaillardis  et 
recréez.  De  mesmes  que  l'empereur  Néron  se  faisoit  venir 
des  joueurs  d'instrumens  après  le  repas,  lesquels  il  faisoit 


lO  AUX    LISEURS. 

toucher  pour  donner  la  repue  à  Vesprit  des  conviez,  aussi 
bien  qu'il  avoit  fait  à  leurs  corps.  L'empereur  Octavius, 
après    qu'il    avoit   bien    traité   quelcun,    nestimoit  point 
pourtant  luy  avoir  fait  bonne  chère  s'il  ne  luy  eût  fait  voir 
les  rares  et  excellentes  peintures  qu'il  avoit  à  ceste  occasion 
fait  serrer  et  ranger  tout  exprés  en  son  cabinet.  Entre  les 
anciens  [au  rapport  d'Alexandre  ab  Alex.),  après  avoir 
fait  régner  le  bon  temps,  c'est-à-dire  après  avoir  beu  et 
mangé  d'autant,   il  n'estoit  question  que  de  se  mettre  en 
doctes  discours.  Mesmes  entre  les  Grecs  la  coustume  estoit 
qu'après  les  banquets  on  proposoit  des  énigmes  et  diffîcul- 
tez  à  soudre.   Celuy  qui  en  pouvoit  venir  à  bout  avoit  un 
morceau  de  chair,  au  lieu  que  celuy  qui  demeuroit  en  reste 
et  ny  sçavoit  mordre  estoit  condamné  à  boire  un  trait  de 
breuvage    salé.    Delà,  paraventure,  pourroit   bien    estre 
venue    la    coustume^  qui  est  encores  gardée  en  quelques 
lieux,  lors  quon  veut  esprouver  la  suffisance  de  quelcun, 
de  remettre  la  partie  après  disner.  Encores  adjousteray-je 
un  petit  mot  touchant  l'empereur  Tibère,  lequel  se  mons- 
troit  si  bon  mesnager  de  ce  qui  luy  tomboit  devant  les  sens 
que  toute  la  journée  sembloit  ne  luy  estre  que  comme  une 
foire  où  il  auroit  fait  du  trafpcet  emploite;  après  le  repas, 
il  entroit  en  sa  chambre  des  comptes  pour  examiner  ce  qui 
avoit  esté  passé.  De  fait,  les  napes  ne  faisoient  qu'estre 
dressées  qu'il  reprenoit  tout  ce  qu'il  avoit  peu  recueillir  de 
la   lecture  du  jour,    et  proposoit  des  questions  qui  esioient 
débattues  de  toutes  façons,  si  bien  que  rien  n'y  manquait 
que  l'espoussette. 

Si  ainsi  est,  et  que  tant  de  braves  esprits  se  sont  exercez 
à  la  mesme  lice  que  nous  avons,  et  en  un  pareil  temps, 
vous  voyez,  liseurs,  si  nous  avons  eu  occasion  d'y  prendre 
biscaye.  Nous  n'y  avons  pas  seulement  receu  du  plaisir, 
ains  aussi  du  proffit.  ht,  quant  à  vous,   s'il  vous  plaist 


AUX    LISEURS.  II 

ensuivre  T.  Pomponius  Atticus,  lequel  n  employait  l'apres- 
disnée  qu'à  lire,  je  m'asseure  que  nen  jouirez  de  moindre 
contantement.  Ce  n'est  point  l'apres-disnée  qu'il  faut  s'aller 
pourmener,  juxta  illud  :  Post  prandium  sta,  post  cœnam 
déambula;  encores  est-il  plus  séant  de  passer  son  temps  à 
telles  gaillardises j  non  moins  sérieuses  que  philosophiques, 
que  de  baguenauder,  fesser  les  dez,  jouer  au  mat,  aux 
cartes,  etc.,  ou  reposer  son  humanité.  A  ce  propos,  jElian, 
au  second  livre  de  son  Histoire  diverse,  remarque  que  les 
Lacedemoniens  estoient  si  chiches  du  temps  qu'ils  ne  per- 
mettoient  qu'aucun  Vemployast  soit  au  pourmener ,  soit  à 
nigauder.  De  fait,  comme  on  eut  un  jour  rapporté  aux 
Ephores  que  les  Deceliens  se  pourmenoient  Vapres-disnée, 
ils  leur  depescherent  quelques  uns,  qui  tres-expressement 
leur  inhibèrent  ces  pourmenades,  contre  lesquelles  je  ne  suis 
point  si  criminel  qu'à  l'exemple  des  Turcs  je  voulsisse  inter- 
dire le  pourmener  ou  du  tout  en  destourner  nos  François, 
ainsi  que  firent  certains  peuples  alendroit  des  Komains.  Je 
suis  bien  contant  de  laisser  toutes  choses  en  leur  entier,  et 
laisser  couler  l'eau  son  beau  cours  en  bas;  mais  au  chois 
certainement  l'apres-disnée  je  tiendroye  que  les  conférences 
serviraient  beaucoup  mieux  que  se  pourmener,  si  on  ne  les 
voulait  reigler  à  la  peripatetique,  qui  serait  retomber  tous- 
jours  à  notre  cadence.  Puis  donques  que  le  pourmener 
d'aprcs-disner  est  mal  sain  et  défendu  aux  republiques 
bien  policées,  que  suivant  iadvis  des  médecins  il  n'est  pas 
bon  d'estudier  profondement  après  le  past,  nous  ne  pou- 
vions, et  aussi  vous  ne  sçauriez  destiner  les  heures  de  vos 
apres-disnées  à  plus  honneste  et  louable  exercice  qu'à  dis- 
courir, deviser,  ou,  si  vous  ne  voulez  prendre  telle  peine, 
depeur  de  vous  desseicher  le  gosier,  à  entendre  philosopher 
la  troupe  de  mes  philosophes.  Voulez-vous  sçavoir  le  proffit 
que  vous  en  recevrez,  c'est  que  par  raison  vous  verrez  que 


12  AUX    LISEURS. 

j'ay  envie  de  reigler  et  policer  vostre  vie  aussi  bien  que  la 
mienne,  et  vous  former  et  modeler  au  moule  de  philo- 
sophie. Il  me  fascheroit  fort  de  pleiger  aucun,  si  est  ce  que 
je  me  promets  que  bien  peu  s'esbattront  après  mes  Apres- 
DiSNÉES  quincontinant  ils  n'en  retirent  du  plaisir,  de  la 
doctrine  et  de  Vutilite.  A  l'espreuve  vous  trouverez  que  la 
realité  et  l'effet  suivront  ce  que  je  vous  en  dis.  Tenez,  je 
vais  vous  représenter  le  dessein  de  ces  discours,  à  celle  fin 
qu'avec  plus  grande  gayeté  de  cœur  vous  vous  esgayez  en 
ces  gayes  Apres-disnées. 

Premièrement,  pour  resveiller  la  compagnie,  on  a  dis- 
puté asçavoir  s'il  valoit  mieux  dormir  que  veiller  après 
disner.  La  décision  a  esté  que  le  veiller  estoit  plus  gentil, 
mieux  séant,  de  meilleure  et  plus  honneste  grâce.  Après 
j'ay  couché  quelques  questions,  qui  ont  esté  balancées  de 
telle  façon  que  je  m'asseure  que  tout  homme  lequel  sçaura 
que  c'est  de  vivre  aura  dequoy  se  contanter.  Tout  ce  qui 
pourroit  sembler  estrange  est  que  la  suite  des  matières 
n'est  liée  et  enchaînée  comme  il  appartiendroit.  De  moy, 
je  l'eusse  bien  souhaité;  mais  la  qualité  des  personnes  et  la 
circonstance  du  temps  ne  le  permettoient.  Tous  ceux  qui 
demeurent  sous  un  mesmes  toit  ne  hument  qu'un  air,  ne  se 
rapportent  pas  pourtant  en  tout  et  par  tout  pour  leurs 
affections,  juxta  illud  :  Tôt  capita,  tôt  sensus  :  autant  de 
testes,  autant  de  bonnets.  Un  chascun  a  son  tour.  L'un  le 
veut  gris,  l'autre  cherche  le  verd,  et  Vautre  n'aime  que  le 
rouge.  Mariez  ces  diversitez  ou  mettez  toutes  les  testes  des 
hommes  en  un  chaperon,  et  alors  on  passera  que  la  liai- 
son et  connexité  devoit  s'entretenir  icy  d'autre  sorte  qu'elle 
n'a  fait.  En  après,  unus  idemqiie  sol  nobis  oritur  :  pour 
cela  est-il  à  dire  que  tous  les  jours  s' entresuivent  bastis  et 
composez  à  mesmes  evenemens,  qualitez  et  constitutions? 
Les  uns  sont  froids,  les  autres  chauds;  les  uns  beaux  et 


AUX    LISEURS.  l3 

clairs,  les  autres  sombres,  couverts  et  nuageux.  Si  telle 
variété  est  naturellement  emprainte  es  choses  célestes,  qui 
ont  cinq  cens  millions  de  fois  plus  d'arrest,  de  fermeté  et 
d'asseurance  que  la  teste  de  l'homme,  doit-on  trouver 
estrange  que  plusieurs  ne  s'accordent  en  un  ?  Je  m'en  rap- 
porte à  maints  chasteaux  que  nous  faisons  en  Espagne 
pendant  qu'on  parle  avec  nous.  Il  y  a  plus,  que  Nature 
se  plaist  en  la  variété  et  nouveauté,  sur  tout  quant  ce  qui 
est  changé  ne  tient  rien  ou  bien  peu  du  premier,  de  mesmes 
qu'entre  nous  autres  François  la  diversité  des  habits  nous 
plaist  d'autant  plus  que  celuy  que  nous  avons  fait  faire 
tout  neuf  ne  sent  rien  de  l'autre  que  nous  avons  laissé. 
Voila  un  homme  qui  tous  les  jours  changera  d'habits, 
mais  ils  seront  tous  de  mesme  estoffe,  de  mesme  façon  et 
de  mesme  couleur  :  il  ne  fera  pas  telle  piaffe  que  le  pou- 
pin, mignard  et  leurré  courtisan,  lequel  n'aura  qu'un 
habit  à  chasque  quartier,  moyennant  qu'il  soit  tout  diffé- 
rent. Nous  sommes  François,  nos  humeurs  sont  françoises, 
nos  Apres-disnées  ont  esté  basties  à  la  françoise.  On  ne 
doit  donc  s'esbahir  qu'estans  François  nous  avons  donné 
divers  habits  à  nos  Apres-disnées  françoises.  Suffit  que  le 
corps  soit  philosophique ,  et  qu'il  puisse  agréer  et  servir  au 
public.  Jouissez  de  ce  mien  labeur,  attendans  mes  Partis 
Amoureux,  que  je  poursuis  le  plus  diligemment  au'il  m'est 
possible,  et  vous  souvenez  que  veut  la  pratique  de  cest 
axiome  :  Laetari  et  bene  vivere. 

J'entens  la  faire  revivre  tant  qu'il  me  sera  possible.  Vous 
voyez  que  j'y  bande  tous  mes  nerfs;  je  vous  ay  desja  donné 
le  resveil  durant  neuf  matins  :  continuant  mes  coups,  je 
veux  encores  maintenant  vous  bailler  atteinte,  mais  c'est  en 
vray  philosophe.  Si  vous  pensiez  que  ce  fût  autrement, 
vous  vous  abuseriez  de  plus  des  trois  quarts,  de  la  moitié 
et  du  quart  de  l'autre  quart.  Ceux  qui  ont  envie  de  farcir 


14  AUX     LISEURS. 

leur  panse  et  epicuriser  ne  trouveront  icy  dequoy  gâcher, 
je  ne  leur  presche  que  le  jeusne,  la  nappe  n'y  est  point 
mise,  on  ne  sçait  que  c'est  du  service  de  table.  Prenez  donc 
courage,  âmes  généreuses,  resveillez-vous,  et  employez  vos 
apres-disnees  à  visiter  les  desrobées  de  celles  qui  accom- 
pagnent cest  avant-propos  ;  et,  à  mon  exemple,  prenez-moy 
une  bonne  envie  de  faire  de  mesme  que  moy.  Vous  ne  sçau- 
riez,  à  tout  rompre,  vous  e.i  trouver  pis  que  moy  ;  je  n'ay 
point  occasion  de  m'en  mescontanter ,  je  m'en  loue,  je  m'y 
suis  pieu,  j'en  ay  de  la  consolation  :  faites  de  mesmes  que 
moy,  à  celle  fin  que  vous  soyez  comblez  de  pareil  heur  que 
moy.  Lors  que  vous  verrez  une  belle  engeance  que  vous 
aurez  eslevé  sans  y  penser,  le  cœur  vous  surbondira  de 
joye  :  de  ma  part,  Vesperance  que  j'ay  que  me  croirez  le 
méfait  desja  frétiller  sur  le  costé  gauche.  Ah!  que  vous 
serez  aises  !  Voila  un  eguillon  assez  propre,  ce  me  semble, 
pour  vous  faire  prendre  le  marteau  pour  battre  sur  vostre 
enclume  de  telles  Apres-disnées  que  sont  celles  que  je  vous 
communique.  Si  sa  pointe  ne  semble  assez  vive,  et  que 
quelque  lascheté  vienne  à  la  poltroniser  et  faire  rebouscher, 
si  tant  est  que  vous  craignez  de  vous  faire  paroistre  amou- 
reux de  vostre  immortalité,  pour  la  crainte  qu'avez  de 
tomber  sous  la  rigueur  de  quelques  brusques,  bigerres  et 
mal-adroits  jugemens,  au  moins  que  l'amour  du  public 
vous  face  franchir  le  saut,  hazardez-vous  et  desrouillez  un 
peu  vos  outils^  vous  pouvez  beaucoup,  mais,  par  faute  de 
vous  exercer,  vous  croupissez  à  demy  engourdis.  Je  sçay 
bien  qu'on  dira  que,  tenant  ce  langage,  on  me  pourra 
rebrouer  par  cest  arrest  :  Ne  sus  Minervam  doceat;  qu'il 
y  a  des  plumes  assez  délicates,  suffisantes  et  isnelles , 
pour  prendre  le  vol  plus  haut  que  je  ne  leur  sçauroie 
monstrer.  Je  le  confesse,  voire  que  je  reputeray  à 
heur    d'apprendre ,    et    si    m'advanceray    bien    de    tant 


AUX    LISEURS.  l5 

qu'il  y  en  a  qui  ont  essayé  à  gaigner  notre  rade,  mais 
ont  trouvé 

Non  omnibus  datum  adiré  Corynthum, 

et  que  quelquesfois  il  faut  descharger  le  vaisseau  avant 
que  Von  ait  outrepassé  la  mer.  Ceux  qui  peuvent  plus  ne 
feront  que  bien,  s'ils  saquittent  de  leur  devoir.  Qui  les 
retarde?  A  quoy  s'amusent-ils?  à  niveler?  Les  autres  qui 
n'ont  les  aisles  si  roides  sont  semons  à  ce  qu'ils  s'éver- 
tuent pour,  se  faisans  valoir,  w.onsîrer  à  la  postérité 
qu'ils  n'ont  esté  en  ce  monde  créatures  inutiles.  De  toutes 
les  façons  qu'on  voudra  le  prendre,  je  demeureray  tous- 
jours  droit  sur  mes  deux  pieds,  puis  que  j'ay  tesmoignage 
en  moy  mesmes  que  la  semonce  que  je  fais  part  d'une 
syncerité,  pureté  et  cordiale  intégrité.  En  un  mot,  l'amour 
et  affection  que  je  porte  à  mon  pays  me  garentira  de  tout 
le  reproche  qu'on  me  pourroit  donner  pour  une  si  hardie 
entreprise  qu'est  celle  à  laquelle  me  lient  nies  Apres-disnées. 
L'intention  est  bonne,  l'ouvrier  ne  vise  qu'à  bien,  les 
moyens  ne  sont  que  bons  :  il  n'est  pas  à  croire  que  les 
effets  ne  participent  à  la  bonté.  Goustez  à  mesmes  si  nos 
fruits  ne  sont  pas  bons. 

AUDENTES    FORTUNA   JUVAT. 


LES 

APRESDINÉES 


DU 


SEIGNEUR  DE  CHOLIERES 


APRESDINÉE  PREMIERE 


DU    VEILLER    ET     DU     DORMIR 


S'il  faut  dormir  rapresdinée, 


ES  nappes  levées,  le  S''  rEveillé, 
pour  faire  l'honneste  et  monstrer 
qu'il  avoit  l'esprit  gaillard  et 
l'œil  tendu  au  bois,  s'addressant 
à  la  compagnie,  va  dire  :  «  Quoy 
que  je  n'aye  pas  mené  grande  poussière  durant  le 
disner,  Messieurs,  peut  estre  ne  treuverez  vous 
mauvais   que  ceste  apresdinée  se  passe  à    vous 


^%^^ 


l8  DU     VEILLER     ET     DU     DORMIR, 

resveiller  par  un  discours  commun  du  veiller  et 
du  dormir.  Je  suis  bien  trompé  si  ce  n'est  tou- 
cher droit  au  poinct  et  entamer  l'affaire  par  le 
costé  qu'il  faut.  Vous  sçavez  que  nostre  delbiera- 
tion  commune  est  desrober  tous  les  plaisirs  que 
nous  pourrons,  et  dresser  une  escole  de  philoso- 
phie. On  a  accoustumé  de  sonner  la  cloche  pour 
resveiller  les  escoliers.  La  leçon  que  nous  devons 
avoir  est  de  bien  haute  liste,  il  faut  avoir  l'esprit 
ouvert  :  voila  pourquoy  je  suis  d'avis  qu'au  préa- 
lable, et  avant  toute  œuvre,  nous  vuidions  cette 
difficulté,  à  sçavoir  s'il  faut  dormir  l'apresdisnée. 
La  décision  nous  rapportera  un  fruit  merveilleux, 
entant  que,  si  le  sommeil  n'est  à  propos  l'apres- 
disnée, on  verra  qu'avec  tresjuste  occasion  nous 
nous  sommes  mis  au  party  des  apresdisnées.  »  Il 
n'y  eut  pas  un  de  la  compaignie  qui  ne  treuva  ce 
dessein  tresbon,  et  encores  mieux  à  propos  : 
pource  un  chascun  se  mit  à  prester  l'oreille,  afin 
d'estre  esveillé  cette  apresdisnée.  Pour  contraire 
et  débutant  se  mit  en  pied  le  S^'  Patelin,  lequel 
promit  de  tenir  le  party  des  dormeurs,  et  mons- 
trer  qu'on  se  treuve  mieux  de  dormir  l'apresdisnée, 
tant  par  raisons  que  par  exemples.  La  matière 
mise  en  délibération,  fut  permis  et  à  l'un  et  à  l'autre 
de  resveiller  la  compaignie  par  ce  discours  :  et  à 
celle  fin  que  par  cy  après  il  n'y  advint  quelque 
desordre,  on  dressa  un  état  de  ceux  qui  devroient 


DU    VEILLER     ET     DU     DORMIR.  IÇ 

prester  le  colet,  bene  siquidem  geruntur  quœ  or- 
dine. 

A  peine  TEveillé  eut  le  loisir  d'attendre  que 
Tappointement  fût  prononcé,  qu'il  va  déployer 
une  batelée  de  raisons  pour  monstrer  que  le  dormir 
ne  vault  rien  après  disner.  Ses  raisons  estoient  :  en 
premier  lieu,  que  la  digestion  ne  se  faisoit  si  com- 
modément du  temps  du  sommeil  qu'alors  que  l'on 
veille  ;  secondement,  que  nous  en  avions  l'esprit 
plus  lourd,  pesant  et  hebeté  lors  qu'après  le  repas 
nous  reposions  nostre  humanité;  en  troisiesme 
lieu,  que  ce  dormir  nous  engendroit  un  monde  de 
maladies  ;  finalement,  que  c'estoit  se  bander  con- 
tre l'ordre  qui  en  a  esté  prescrit  par  Nature.  «  Je 
parle  (dit-il)  en  françois,  et  jette  mon  feu  dehors 
(direz-vous)  ;  mais,  s'il  vousplaistm'accommoder 
un  peu  de  vos  aureilles,  vous  trouverez  que  j'ay 
l'halaine  assez  forte  pour  soustenir  plusieurs  chocs. 
A  cause  de  mon  nom,  et  la  promptitude  de  l'es- 
prit que  je  semble  avoir,  on  pourra  me  jetter  quel- 
que trait  d'ecervelé,  j'estime  que  c'est  le  vray 
moyen  de  bien  discourir,  à  generalioribus  ad  spe- 
dalla  progredi,  de  dresser  et  esbaucher  de  gros 
en  gros  le  dessein,  après  le  rabotter,  polir  et  fa- 
çonner comme  il  appartient.  Et  comme  les  lon- 
gues paroles  n'alongent  les  jours,  ains  les  dis- 
cours, et  nous  ennuyent,  je  m'en  vay  entrer  en 
plus  particulière  preuve  de  ce  que  j'ay  mis  en  avant. 


20  DU    VEILLER    ET    DU     DORMIR. 

Ma  première  raison  ne  semble  mériter  une  preuve 
particulière,  puis  que  chascun  de  nous  en  a  l'ex- 
périence en  soy-mesme.  Quelquesfois  je  me  suis 
treuvé   les    yeux  ensablez   de  sommeil  l'apres- 
disnée,  j'ay  voulu  complaire  à  ma  sensualité,  et 
joiier  à  la  ronfle  ;  mais  je  n'estoye  point  plus  tost 
revenu  à  moy-mesmes  pour  me  resveiller,  que  je 
trouvoye  que  mon  pauvre  estomac,  à  cause  de  la 
trop  grande  abondance  d'humeurs,  m'avoit  laissé 
toutes  les  viandes  indigerées,  criies  ;  je  sentoye 
une  charge  si  importune  que  j'eusse  voulu  estre 
encores  à  recommencer  :  quantos  dolores  habebam  ! 
Par  la  grâce  de  Dieu  j'estoye  assez  bien  repeu, 
ma  cuisine  estoit  assez  bien  fournie,  le  principal 
estoit  qu'elle  estoit  mal  cuisinée  :  le  feu  n'y  avoit 
force  ;  le  sommeil  l'humectoit  de  telle  sorte  qu'il 
ne  pouvoit  opérer.  Me  voila  viande  de  viandes 
crues  :  je  ne  suis  beste  brute  pour  prendre  curée 
crue. 

—  Alte  icy,  seigneur  Esveillé,  mon  amy,  va 
dire  le  S""  Patelin,  vous  vous  eschauffez  un  petit 
beaucoup  en  vostre  harnois  ;  par  bieu,  si  on  ne 
prend  garde  à  vos  affaires,  vous  estes  en  danger 
d'avoir  du  mal.  Avez-vous  point  promis  à  quel- 
ques marchans  de  leur  faire  emploite  de  fols  ?  Pour 
en  former  en  haute  game  vous  n'avez  moyen  plus 
propre  que  de  prescrire  perpétua  insomnis  vigilise 
votum.  Tantost  vous  verrez  que  je  ne  vous  dy 


DU     VEILLER     ET    DU     DORMIR.  21 

chose  qui  ne  soit  trop  plus  que  véritable,  et  la- 
quelle n'ait  esté  avérée  par  la  pratique.  Or,  puis 
que  vous  estes  celuy  qui  avez  commancé  à  cracher 
vos  preuves  du  resveil,  il  faut  que  je  les  vous  face 
ramascher,  et  par  ce  moyen  vous  faire  prendre 
l'envie  de  prendre  vostre  repos. 

Vous  trouvez  (dites-vous)  le  dormir  mauvais 
l'apres-disnée,  parce  que  vous  sentez  que  vous  ne 
digérez  la  viande.  Premièrement,  vous  n'estes 
médecin  pour  en  sçavoir  juger,  et  estimez  que  les 
cruditez  stomacales  que  vous  avez  proviennent 
du  dormir.  Consule  peritos  artis,  ils  vous  chante- 
ront bien  autre  leçon  :  peutestre  vous  apprendront 
ils  que  c'est  une  indisposition  naturelle  qui  fait 
avorter  la  digestion  de  vostre  repeuë  ;  ou  bien 
qu'il  y  a  quelque  cacochymie  en  vous  qui  vous 
rend  contraire  et  pernicieux  ce  qui  de  soy  est 
proffitable  aux  autres.  De  mesmes  que  vous  en 
voyez  aucuns  qui,  quoy  qu'ils  ne  soient  des  canes, 
boi-l'eau  et  ahstemïi,  dés  qu'ils  se  treuvent  abba- 
tus  n'oseroient  taster  d'une  goutte  de  vin.  D'autres 
qui,  au  fort  d'une  fièvre  ardente,  se  sont  mis  à 
humeur  du  piot,  encores  qu'auparavant  ils  en 
eussent  fait  une  fort  estroite  et  scrupuleuse  absti- 
nence. Je  m'en  rapporte  au  voisin  de  la  Made- 
laine.  Si  ainsi  est  que  le  vin  proffite  aux  uns  et 
nuise  aux  autres,  il  se  pourra  bien  faire  que  le 
dormir  vous  aura  esté  contraire,  encores  qu'il  soit 


22  DU     VEILLER     ET     DU     DORMIR. 

sain  et  nécessaire  à  plusieurs.  Si  vous  me  vouliez 
croire,  je  vous  conseilleroye  de  vous  servir  des 
moyens  qui  furent  gardez  à  la  guerison  panta- 
gruélique. Paradventure  pourroit  y  avoir  dans 
vostre  corps  quelque  humeur  qui  vous  causeroit 
cette  saugreneuse  indigestion. 

Ce  qui  me  fait  tenir  ce  langage  est  que  je 
treuve  que  les  médecins  tiennent  que  le  dormir 
sert  grandement  à  la  concoction  des  viandes,  et 
se  fondent  sur  deux  principales  raisons  :  la  pre- 
mière est  que  la  composition  de  Thomme,  durant 
qu'il  dort,  est  toute  telle  qu'en  hyver.  On  sçait 
qu'en  hyver  toutes  nos  parties  intérieures  et  du 
milieu  sont  plus  chaudes  qu'en  esté,  ad  centrum 
calor  frigore  ambiente  profligatur.  De  mesmes, 
lorsque  nous  sommeillons,  le  sang  se  retire  au 
dedans,  et  par  conséquent  la  chaleur  naturelle,  si 
bien  qu'alors  la  cuisson  et  digestion  se  fait  mieux 
en  nostre  cuisine  stomachale.  La  seconde  est 
dépendante  de  la  première,  prise  parleseffets  et  eve- 
nemens,  attenduque  nousvoyons,  sentonset  apper- 
cevons  que  ceux  qui  se  traitent  à  ladormitoire,qui 
n'espargnent  le  dormir  à  leurs  yeux  l'apresdisnée, 
qui  en  un  mot  se  donnent  du  bon  temps,  sont 
gras,  potelez,  replets  et  forts,  au  lieu  que  ces 
âmes  damnées,  qui  dés  le  matin  jusqu'au  soir 
ne  clignent  les  yeux,  sont  hâves,  maigres  et  debif- 
fez  comme  des  pauvres  haires.  Telle  disposition 


DU     VEILLER     ET     DU     DORMIR.  23 

me  fait  croire  que  ceux   qui  jouent  à  la   ronfle 
après  disner  digèrent  leurs  viandes.  C'est  ce  que 
dit  Hippocrate,  liv.  6  Epid.  tom.  5,  Aphor.  lo, 
que  le  travail  et  l'exercice  sert  à  la  roideur  des  nerfs 
et  à  la  chair,  mais  que  la  viande  et  le  sommeil  prof- 
fitent  aux  entrailles.  Galen  mesmes,  au  premier 
livre  des  Causes  des  symptômes,  remarque  fort  à 
propos  que,  pendant  que  nous  dormons,  la  faculté 
animale  se  repose,  mais  que  la  naturelle  est  bien 
plus  vigoureuse.  L'espreuve  nous  en  est  journa- 
lière. De  fait,  il  n'y  a  celuy  d'entre  nous  qui  ne 
recognoisse  en  soy-mesme  que,  lors  qu'il  est  en 
son  sommeil,  nature  ne  laisse  à  exploiter  ses  ope- 
rations  naturelles.   Qui   dort  (dit-on),  il  disne. 
C'est  un  proverbe  qui  est  en  la  bouche  de  plusieurs 
et  paraventure  est  entendu  de  bien  peu.  De  ma 
part,  sans  pantagrueliser  avec  les  fessepintes,  fesses- 
tondues,  etc.,  j'estime  qu'il  prend  pied  sur  ce  que 
le  dormir  nourrit  et  engraisse  fort.  Ce  qui  me 
conferme  en  ceste  opinion  est  que  j'entens  cous- 
tumierement  dire  aux  femmes  que  les  enfans  sont 
plus  nourris  par  le  dormir  que  par  la  viande  qu'ils 
prennent.  Cela  est  bien  loin  de  l'indigestion  que 
vous  alléguez  :  si  le  sommeil  la  causoit,  on  n'en- 
tretiendroitles  enfans  au  dormir,  on  ne  les  y  ber- 
seroit,  les  dormeurs  ne  se  porteroient  pas  si  bien. 
Prenons  vostre  patron,  vous  sçavez  de  quel  bois 
il  se  chauffe,  et  si  vous  ne  pouvez  ignorer  qu'il  ne 


24  DU     VEILLE  RET    DU     DORMIR. 

prenne  trois  ou  quatre  heures  de  repos  dés  le 
disner  jusques  au  soupper.  Je  puis  bien  tesmoi- 
gner  l'avoir  veu  plus  de  cinq  cens  fois  sans  la 
première  couche  entre  des  beaux  draps  tous 
blancs.  Et  quel  homme  est-ce  ?  Dieu  sçait  s'il  se 
porte  bien  ! 

—  Pour  réplique,  S''  Patelin,  va  dire  le  S^  Es- 
veillé,  j'ay  soubre  de  moyens  pour  rabattre  la  di- 
gestion que  vous  accrochez  au  sommeil.  Premiè- 
rement, les  appiehensions  que  vous  avez  de  de- 
venir fol  par  trop  veiller  ne  sont  propres  que  pour 
faire  peur  aux  petits  enfansdenosmesnies.  Asseu- 
rez-vous  qu'il  n'y  a  chose  plus  contraire  à  la  veuë 
qu'un  coup  de  pierre  eslancé  dans  un  œil.  En 
après,  vos  deux  raisons  qu'avez  emploie  pour  le 
renfort  de  la  digestion  sont  si  crues  et  mal  digé- 
rées que  je  m'esbahis  comment  cela  vous  soit 
tombé  en  vostre  aureille  de  nous  les  présenter. 
Pour  vous  monstrer  que  je  ne  suis  guidé  d'un 
esprit  de  contradiction,  je  vous  passe  le  rapport 
que  faites  du  sommeil  et  de  l'hyver,  mais  je  vous 
nie  à  platte  cousture  que  somnus  per  omnia  et  in 
omnibus  exœquatus  sit  hyemi,  cela  à  l'exemple  de 
nos  Rabbi  en  droict  ad  l.  i  de  kg.  primo.  Ma 
négative  est  fondée  sur  ce  que  nous  sçavons  tre- 
tous,  que  la  nourriture  vient  de  ce  qui  est  au  de- 
dans et  non  point  aux  bords.  La  viande  n'a  pas 
garde  de  nourrir,  si  elle  n'est  cuisinée  en  l'esto- 


DU    VEILLER    ET    DU     DORMIR.  25 

mac,  si  bien  qu'il  faut  que  la  chaleur  soit  là  au 
milieu  de  la  cheminée.  On  n'a  pas  accoustumé  de 
mettre  le  pot  cuire  sur  une  fenestre.  Ainsi,  qu'il 
face  froid,  qu'il  face  chaud,  le  feu  ne  se  fait  qu'à 
la  cheminée,  et  neanîmoins  il  semble  que  vous 
vouliez  donner  à  entendre  que  la  chaleur  qui  cuit 
nos  viandes  n'est  en  vigueur,  sinon  lors  que  le 
frimât  du  sommeil  vient  à  donner  sur  nous.  Je 
recognois  véritablement  que  la  chaleur  du  feu  est 
beaucoup  plus  grande  sensiblement  et  pour  mon 
regard  en  hyver,  sur  tout  lorsqu'il  gelé  à  pierre 
fendant, ^  qu'au  mois  d'aoust  ;  mais  pource  aurez 
vous  bien  affaire  à  me  faire  acroire  que  le  mesme 
soit  à  garder  pour  le  dormir  et  le  veiller. 

—  Vous  robinez,  S^  l'Esveillé,  va  dire  le  S^  Pa- 
telin. Et,  encores  que  de  nom  soyez  esveillé,  et 
que  par  effect  ayez  les  yeux  ouverts  comme  un 
chat  qu'on  chastre,  si  dormez  vous  dans  l'ame,  et 
en  ce  ressemblerez  vous  aux  connils,  qui  dorment 
les  yeux  ouverts.  Je  vous  soustiens  que  le  rapport 
du  sommeil  et  de  i'hyver  est  tresmal  à  propos 
débattu  par  vous,  puis  que  vous  ne  pouvez  nier 
que  l'esloignement  du  soleil  est  ce  qui  nous  cause 
ces  froidures,  et,  resserrans  la  chaleur  en  un,  la 
renforcent.  Le  sommeil  nous  est  comme  la  nuict 
ou  I'hyver:  abscessu  solis  tenebrse  accedunt,  l'air  se 
refroidit.  Lors  que  le  sommeil  a  fait  perdre  place 
au  veiller,  les  frimats  et  brouillats  s'eslevent,  le 

4 


20  DU    VEILLER     ET    DU     DORMIR. 

froid  nous  fait  retirer,  ad  interiora  calor  refugit, 
et  alors  en  une  heure  nostre  estomac  expedira 
plus  de  besoigne,  comme  par  despit,  qu'il  ne  fait 
lors  qu'il  n'a  point  de  contre-barre. 

—  Non,  non  (adjousteleSM'Esveillé),  je  [ne]me 
paye  de  ces  raisons,  puis  que  je  voy  que  sur  l'apres- 
dinéeest  la  plus  grande  chaleur  du  jour,  si  bien  que 
nostre  chaleur  naturelle  n'auroit  que  faire  de  se 
resserrer  si  fort  que  vous  criez.  Il  y  a  la  chaleur 
de  l'air  qui  entoure  et  elle  qui  enfermeroient  le 
froid  qui  y  auroit  esté  attiré  par  les  exhalaisons 
dormitoires.  Je  pourroie  enfoncer  d'avantage  ce 
discours,  si  je  ne  craignoie  d'ennuyer  la  compai- 
gnie  par  ma  prolixité  :  je  veux  un  peu  aller  veoir 
vos  gras  dormeurs,  lesquels  vous  prisez  pour  la 
graisse  qu'ils  s'accueillent  en  dormant.  Si  le  pre- 
nez là,  je  le  quitte,  et  vous  lairray  abonder  es 
conceptions  devostre  porchesque  sensualité.  Faut 
que  vous  epicuriez  et  teniez  que  l'homme  ne  vit 
sinon  pour  estre  gras  :  cela  est  user  des  transfor- 
mations de  Circé  sans  estre  charmeur.  Nous  ne 
sommes  pas  voiiez  à  larder,  ainsi  que  les  pourceaux. 
Telle  leçon  doit  estre  preschée  aux  anthropo- 
phages. Vous  cognoissez  un  Principal  voisin  de 
Marmoustier,  le  prisez  vous  d'avantage  pour  sa 
graisse  que  nostre  doré  Pindare  François,  duquel 
à  ce  propos  je  me  souviens  que  le  seigneur  Pas- 
quier  chante  ces  vers  hendecasylabes  : 


DU    VEILLER    ET     DU     DORMIR.  2/ 

Auratus  meus  ille  quem  videtis, 
Macro  corporCj  languido,  pusillo, 
Jejuna  macie  et  cadaverosùj 
Sed  cœlesti  animo  intcgraque  mente, 
Tanto  prx  reliquis  poetis  major 
Quanta  corpore  natus  est  minori  : 
Tarn  scit  scribere  grœcè  ut  ipsx  Athenx 
Non  possint  magis  Atticam  referre  ; 
Tarn  mirus  artifex  Latii  leporis 
Ut  ipsum  sibi  vindicent  Latini. 
Quin  et  protulit  ejus  offîcina 
Konsardumque  gravem,  Belumque  mollem, 
Quales  Gallia  vidit  ante  nullos. 
Quantus  ergo  sit  hinc  licet  videre  : 
Scribunt  carmina  cseteri  poetx, 
Summos  at  facit  hic  unus  poetas. 

Je  VOUS  veux  battre  d'autres  raisons;  l'expé- 
rience nous  apprend  qu'une  personne  grasse  n'est 
point  si  plaisante,  gaillarde  et  à  gré  qu'une  autre 
qui  est  maigre.  C'est  la  chanson  que  disoit  en 
table  la  maistresse  de  l'Œil  d'avis,  prise,  comme 
j'estime,  du  livre  intitulé  les  Controverses  des 
sexes  masculin  et  féminin.  Là,  l'autheur  décon- 
seille ainsi  de  prendre  femme  grasse  en  son 
patois  : 

Pareillement  ne  prenez  femme  grasse, 
Quelque  maintien  qu'elle  ait  et  bonne  grâce  : 
Grand'  puanteur  au  lict  vous  donnera, 
Car  à  l'espaule  de  mouton  sentira 
Au  faguenas  et  puanteurs  susdites, 
Dont  ne  prenez  telles  femmes  maudites. 


28  DU    VEILLER    ET    DU    DORMIR. 

—  Vous  estes  un  fin  homme,  par  men  con- 
science (respond  le  S^  Patelin),  de  me  penser  faire 
peur  par  ces  vers  de  Tennemy  des  femmes  ;  a-il 
traité  plus  doucement  vos  maigres  ?  Escoutez  ce 
qu'il  en  dit  : 

Touchant  des  maigres  n'en  prenez  aussi  point, 

Car  il  est  dit,  et  notez  bien  ce  poinct, 

Que  sont  trois  choses  maigres  tres-que  mauvaises, 

Fastigieuses,  toutes  plus  que  punaises  : 

C'est  à  sçavoir  la  femme,  chèvre  et  l'oye. 

Et  qu'est  bien  pis,  je  veux  que  chacun  l'oye, 

Disant  que  c'est  morceau  si  mal  duisable 

Qu'il  ne  convient  à  manger  qu'au  seul  diable. 

—  Ne  vous  arrestez  point,  Messieurs,  sur  cest 
article,  vay-je  dire,  vous  n'y  ferez  que  le  sang  tout 
clair,  attendu  que  ce  maistre  blasonneur  a  donné 
attache  tant  aux  grasses  qu'aux  maigres,  et  aussi 
qu'en  mes  Partis  amoureux  je  me  suis  esbattu  à 
débattre  ceste  magnifique  question  :  si  le  party 
d'une  grasse  estplustost  à  prendre  que  celuy  d'une 
maigre. 

—  Soit,  respondit  le  S""  Patelin,  je  suis  content 
de  remettre  à  une  autre  fois  la  dispute  touchant 
la  precellence  des  grasses  et  des  maigres,  mais  je 
voudroie  sçavoir  à  quoy  et  comment  vous  con- 
cluez. Vous  pensez  énerver  mon  argument  des 
gras  dormeurs,  parce  que  nous  ne  sommes  pour- 
ceaux :  je  ne  suis  point  rôtisseur  ny  marchand  de 


DU    VEILLER    ET    DU    DORMIR.  29 

lard,  pour  graisser  la  porcherie  de  la  façon  que 
vous  criez.  Mais  vous  changez  b  mol  en  b  carre, 
et  ne  prenez  pas  advis  que  je  puis  vous  battre 
par  vostre  propre  argument.  De  fait,  qu'on  l'exa- 
mine, on  trouvera  qu'il  fait  pour  moy,  en  ce  que 
maintenant  il  n'est  question  de  la  prérogative  qui 
est  escheuë  aux  hommes  pour  l'ame  raisonnable 
dont  ils    sont   douez.  Les  facultez  animales  et 
naturelles  du  pourceau  ne  sont  point  autres  (hors 
l'individu)  que  sont  celles  d'un  chacun  de  nous. 
Que  ainsi  soit,  vous  voyez  que  l'on   est  repeu, 
nourry  et  soustenu  par  les  viandes,  que  si  l'homme 
boit  et  mange,  aussi  fait  le  pourceau,  que  tous  deux 
se  purgent  par  l'huis  du  derrière,  que  le  sommeil 
est  aussi  bien  commun  au  pourceau  qu'à  l'homme, 
bref,  pour  la  nature,  qu'il  y  a  bien  peu  à  redire 
entre  l'homme  et  le  pourceau.  Si  ainsi  est,  et  que 
le  pourceau  s'engraisse  au  dormir,  je  puis  à  très- 
juste  occasion   conclure  que   le  sommeil   n'em- 
pesche    nostre   digestion  ;    au    contraire,    qu'il 
l'ayde  fort,  dont  les  effets  apparaissent  par  le  bien 
porter. 

Voila  donc  ma  digestion  qui  demeure  asseu- 
rée,  quoy  que  vous  luy  ayez  voulu  susciter  le 
sommeil  pour  ennemy.  Pour  retourner  à  nos 
moutons,  il  faut  que  je  drachme  un  peu,  par 
manière  d'antidote,  le  second  moyen  que  vous 
avez  employé  contre  nostre  sommeil  :  vous  dites 


3o  DU    VEILLER    ET    DU     DORMIR. 

qu'il  rend  nos  sens  plus  lourds,  grossiers  et  pe- 
sans.  Si  vous  prenez  cela  secundum  quld  et  non 
ahsolute,  je  le  vous  passeray,  c'est  à  dire  que  le 
restraigniezà  certaines  personnes  que  je  cognois, 
lesquelles  semblent  aux  araignes,  qui  convertissent 
en  poison  ce  qui  est  autrement  destiné  à  bien. 
Vous  hantez  tous  les  jours  avec  des  personnages 
qui  n'oseroient  boire  un  trait,  si  l'eau  ne  sur- 
montoit  le  vin  de  deux  tiers  et  un  quart,  autre- 
ment il  faudroit  jouer  à  la  corbette,  ou  aller  in  re- 
quiem, ou  escorcherà  faute  de  peletierle  regnard. 
Pourtant,  direz  vous  que  l'usage  du  vin  pur  soit 
préjudiciable,  qu'il  hebete  nos  sens  ?  Non  usas,  at 
abusus  nocet.  On  doit  faire  mesme  jugement  du 
sommeil,  lequel  nous  est  fort  nécessaire  et  proffi- 
table,  toutesfois  nuit  à  ceux  qui  ont  leurs  parties 
corporelles  démantibulées.  Pour  un  moyne  on  ne 
laisse  pas  à  faire  un  abbé  :  c'est  un  axiome  mona- 
chal,  cui  con'sentaneum  est,  qu'on  ne  doit  interdire 
le  dormir  après  disner,  parce  qu'aucuns  s'en  treu- 
vent  incornifistibulez. 

Or  que  ce  soit  en  gênerai  tout  le  contraire  de 
ce  que  vous  avez  proposé  contre  le  sommeil,  je 
m'en  vay  le  vous  faire  si  clair  qu'un  asne  y  mor- 
droit.  Et  primo,  je  vous  apprens  que  par  le  dor- 
mir le  cerveau  et  les  nerfs  se  délassent  en  recevant 
lors  une  huileuse  et  douce  vapeur,  qui  est  leur 
propre  nourriture.  En  après,  les  esprits,  se  retirans 


y 


DU    VEILLER    ET    DU    DORMIR.  3l 

vers  le  cœur,  se  reschauffent  et  se  purifient,  tel- 
lement qu'après  que  nous  sommes  esveillez  ils  en 
deviennent  beaucoup  plus  vigoureux  et  forts.  Lors 
que  vous  avez  besoigné  tout  du  long  de  la  jour- 
née, je  vous  voudroie  bien  demander  si  vous  estes 
si  gay,  soupple  et  dispos,  que  quand  tout  frais  vous 
vous  rangez  à  la  tasche.  Ne  faut  pas  que  vous 
estimiez  que  nostre  cerveau  ne  se  lasse,  consumi- 
tur  annulus  usu,  et  l'arc  tousjours  bandé  en  fin  se 
rompt.  Si  vous  en  doutez,  je  m'en  vay  le  vous 
monstrer.  Prenez  donc  que  nos  actions  ne  sont 
qu'une  boutée,  saillie  et  force  de  nos  esprits,  qui, 
naissans  du  feu  de  la  vie,  remuent  non  seulement 
nos  membres,  ains  aussi  se  joignent  à  nostre  ima- 
gination. Or,  pource  que  les  principales  parties 
dont  nous  sommes  composez,  .comme  est  le  cer- 
veau, les  nerfs,  le  foye  et  le  cœur,  sont  d'une 
température  diverse,  il  advient  que  le  chaud  ou 
le  froid,  s'estant  trop  longuement  ou  trop  vive- 
ment  attaché  à  quelque  partie  de  tempérament 
contraire,  elle  en  demeure  offensée,  comme  pour 
avoir  eu  trop  long  temps  à  combattre  son  ennemy, 
jusques  à  ce  que  l'homme  y  soit  toutaccoustumé  : 
ce  qui  se  void  en  ceux  qui,  pour  n'estre  coustu  - 
miersde  s'ahanner  en  quelque  chose,  se  trouvent 
après  comme  tous  rompus  et  brisez.  La  cause  de 
cela  est  que  les  nerfs,  les  os  et  la  moelle,  qui  sont 
froids,  après  avoir  esté  eschauffez  par  l'agitation, 


32  DU    VEILLER    ET    DU    DORMIR. 

venans  à  se  refroidir,  tesmoignent  assez  qu'ils  sont 
grevez,  et,  fleschissans  à  leur  pois  mesme,  cer- 
chent  l'appuy  et  se  roidissent  avec  peine.  Le  pa- 
reil advient  au  cerveau,  encor'  qu'il  ne  soit  si  sen- 
sible, car,  estant  de  sa  nature  humide  et  froid, 
après  qu'une  forte  et  longue  imagination  y  a  attiré 
la  chaleur  des  esprits,  il  se  ressent  d'une  telle 
émotion;  et  lors,  quelques  fois  aydé  des  vapeurs 
qui  sont  montées  après  le  repas,  quelques  fois 
par  le  moyen  de  la  bile  froide,  laquelle  y  est  atti- 
rée, comme  il  advient  aux  hommes  melancoliez, 
ou  bien  affessy  de  soymesmes,  il  vient  à  rechasser 
les  esprits  contre  bas  vers  le  cœur,  et,  en  repre- 
nant sa  qualité,  reçoit  volontiers  ce  qui  est  hu- 
mide et  froid,  le  respandant,  après  s'en  estre  raf- 
fraischi,  sur  tous  les  nerfs,  tellement  que  les  filets 
qui  tendent  les  paupières  se  laschent  et  les  laissent 
tomber  sur  les  yeux;  les  gros  tendons  aussi  du 
col  s'amollissent  et  ployent  au  fais  de  la  teste.  Ce 
sont  les  causes  de  la  lassitude,  et  la  manière  par 
laquelle  le  sommeil  nous  saisit.  Si  vous  prenez 
bien  ce  que  j'entens,  vous  trouverez  que  le  dor- 
mir, tant  s'en  faut  qu'il  nous  appesantisse,  qu'au 
contraire  il  nous  raffraischit  et  renouvelle  pour 
nous  remettre  à  la   besoigne  mieux  qu'aupara- 
vant. 

Ce  qui  m^ancre  d'avantage  en  ceste  opinion, 
que  nostre  jugement  est  subtilisé  d'avantage  par 


DU    VEILLER     ET     DU     DORMIR.  33 

le  sommeil,  c'est  que  je  treuve  que  les  plus  nota- 
bles apparitions  qui  nous  sont  ramenteuës  par  les 
Escritures  sacrées  sont  advenues  pendant  le  dormir. 
Sainct  Paul  n'avoit  point  les  yeux  ouverts  durant 
l'extase  de  son  ravissement;  voire  mesmes,  ainsi 
que  l'Histoire  Ecclésiastique  remarque,  il  semble 
que  Dieu  ait  expressément  choisi  le  sommeil,  à 
celle  fin  que  durant  iceluy  il  fit  de  choses  admi- 
rables. La  production  de  la  femme  fut  lors 
qu'Adam  dormoit.  Le  texte  de  Moyse  y  est  for- 
mel :  Immisit  Dominus  Deus  soporem  in  Adam^ 
cumque  obdormissei,  tidit  unam  de  costisejus  et  re- 
plevit  carnem  pro  ea,  c'est  à  dire  :  «  Le  Seigneur 
Dieu  fit  tomber  un  somme  sur  Adam,  et,  quand  il 
fut  endormy,  il  prit  une  des  costes  d'iceluy,  et 
resserra  la  chair  au  lieu  d'icelle.  »  Et,  parce  que  le 
docte  du  Bartas,  au  sixiesme  jour  de  sa  Semaine, 
a  tres-doctement  descrit  ceste  endormie  produc- 
tion, je  suis  bien  contant  icy  vous  donner  le  plaisir 
de  ses  vers  : 

Comme  le  médecin  qui  désire  trancher 
Quelque  membre  incurable,  avant  que  d'approcher 
Les  glaives  impiteux  de  la  part  offensée, 
Endort  le  patient  d'une  boisson  glacée, 
Puis  sans  nulle  douleur,  guidé  d'usage  et  d'art. 
Pour  sauver  l'homme  entier,  il  en  coupe  une  part  : 
Le  tout-puissant  ternit  de  nostre  ayeul  la  face, 
Verse  dedans  ses  os  une  mortelle  glace, 
Sille  ses  yeux  ardans  d'un  froid  bandeau  de  fer, 

5 


34  DU    VEILLER     ET    DU    DORMIR. 

Guide  presque  ses  pieds  jusqu'au  seuil  de  l'enfer, 
Bref^  si  bien  engourdit  et  son  corps  et  son  ame- 
Que  sa  chair  sans  douleur  par  ses  flancs  il  entame, 
Qu'il  en  tire  une  coste,  et  va  d'elle  formant 
La  mère  des  humains,  gravant  si  dextrement 
Tous  les  beaux  traits  d'Adam  en  la  coste  animée 
Qu'on  ne  peut  discerner  l'amant  d'avec  l'aimée. 

Je  ne  suis  pas  grand  théologien,  il  ne  m'ap- 
partient pas  mettre  le  nés  si  avant  es  Escritures 
divines,  je  veux  rapprocher  mes  preuves  et  les 
vous  faire  toucher  au  doigt.  Prenez  moy  Fulgose  : 
il  vous  fera  veoir  de  beaux  et  segnalez  exemples 
propres  à  justifier  que  Dieu  a  opéré  en  plusieurs 
personnages  de  choses  nompareilles  durant  qu'ils 
estoient  allictez   au  dortoir.  Il  fait  mention  de 
Gennadius,  médecin  carthageois,  lequel  ne  peut 
recevoir  l'impression  touchant  l'immortalité  des 
esprits  que  lors  qu'il  dormoit.  Sainct  Augustin 
conferme  le  mesmes  en  sa  missive  à  Eradius.  Il 
tesmoigne  le  mesmes  du  martyr  Noël,  de  l'her- 
mîte  d'Egypte  Egyption,  et  de  quelques  autres. 
Preuve  indubitable,  ou  je  ne  voy  rien,  pour  jus- 
tifier que,  lors  que  nous  dormons,  nostre  esprit 
est  plus  à  délivre  et  prest  à  exploiter  quelque  chose 
de  bien. 

—  Certainement,  va  dire  le  S^  Esveillé,  vous 
estes  un  grand  clerc,  et  estes  sçavant  jusqu'aux 
dents  ;  mais  je  voudrois  bien  sçavoir  de  vous  si 


DU     VEILLER    ET     DU     DORMIR.  35 

VOUS  estes  devenu  ainsi  docte,  jouant  à  la  ronfle. 
Vous  avez  bien  affaire  à  me  le  faire  croire,  attendu 
que  vous  sçavez  que 

Non  jacet  in  molli  veneranda  scientia  lecto. 

Et,  quant  aux  changemens  que  vous  avez  cotté 
de  Fulgose,  merveilles  que  ne  prenez  garde  que 
ce  sont  cas  extraordinaires,  qui  ne  peuvent  estre 
estendus  plus  outre  que  la  personne  qui  a  esté  ho- 
norée et  advantagée  de  tels  passedroits,  si  bien 
qu'encores  que  j'aime  mieux  ne  le  decroire  que 
l'aller  voir  pour  le  croire,  si  est  ce  que  casibusspe- 
cialibus  générales  non  eluduntur. 

—  Vous  en  cassez  de  belles  !  réplique  le  S""  Pa- 
telin. Que  direz  vous  des  songes  et  prognostics 
que  nous  avons  durant  le  sommeil?  Socrates  ne 
prévit  il  pas  lors  de  son  repos  qu'il  seroit  maistre 
du  divin  Platon  ?  Je  m'en  rapporte  à  ce  qui  nous 
en  est  appris  par  les  vies  des  philosophes,  où  on 
nous  fait  entendre  que  Socrates,  trois  jours  aupa- 
ravant que  Platon  luy  fût  amené,  vit  en  vision  un 
petit  cygne  qui  se  remplumoit  en  son  sein  et, 
après  avoir  acquis  des  aisles,  s'en-vola  incontinent, 
fredonnant  fort  mélodieusement,  dont  le  bon 
homme  de  Socrates  estoit  en  grande  peine,  ne 
pouvant  penser  que  signifioit  telle  vision  :  il  de- 
meura en  cette  perplexité  jusques  à  ce  que  Platon 
luy  fut  amené  pour  estre  son  disciple,  lequel  il 


36  DU     VEILLER    ET     DU     DORMIR. 

n'eut  plustost  veu  qu'il  declaire  au  Patrice  Ariston 
que  son  fils  Platon  estoit  celuy  duquel  il  avoit 
songé,  qui  estoit  le  cygne,  lequel  devoit  estre  paré 
des  plumes  qu'il  prendroit  dans  son  sain,  à  sça- 
voir  de  la  philosophie  qu'il  luy  enseigna  par  l'es- 
pace de  vingt  ans.  Expressément  j'ay  choisi  cest 
exemple,  parce  qu'il  est  segnalé  et  contre  lequel 
vous  ne  pouvez  emploier  reproche  aucune. 

En  voulez-vous  une  preuve  plus  évidente,  je 
la  vous  vay  prendre  de  vostre  main,  pour  la  vous 
remettre  devant  les  yeux.  Vous  avez  cogneu  ce 
grand  chancelier  de  France,  Antoine  du  Prat,  du- 
quel on  raconte  que  tousjours  il  dormoit,  et  si 
pour  cela  ne  laissoit  d'avoir  l'esprit  tendu  à  Faite 
et  prompt  :  dormant,  il  ne  perdoitpas  un  mot  de 
ce  qui  luy  estoit  dit.  Les  estrangers  sont  tesmoins 
de  la  vérité  que  je  dis,  et  sur  tout  ceux  qui,  ayans 
par  leurs  ambassadeurs  fait  leur  remontrance  au 
Roy,  par  la  bouche  et  organe  de  ce  chancelier, 
eurent  sur  le  champ  et  de  poinct  en  poinct  la  re- 
solution de  ce  qu'ils  demandoient,  outre  leur  es- 
pérance. L'autre  estoit  ce  digne  procureur  du  Roy, 
Gilles  Bourdin,  lequel,  avoit  il  disné,  se  tenoit 
dans  une  chaire,  appuyé  sur  ses  coudes,  et  vous 
reposoit  assez  proprement  son  humanité.  Pour- 
tant n'estimez  pas  que  l'audience  fut  déniée  aux 
parties,  lesquelles  il  vous  escoutoit  patiemment, 
puis  leur  donnoit  fort  bonne  response  sur  le  fait 


DU     VEILLER     ET     DU     DORMIR.  Sy 

qu'elles  luy  avoient  proposé,  sans  broncher  ny 
leur  faire  tort  d'une  seule  syllabe  qui  eust  esté 
prononcée.  Le  sieur  Pasquier  luy  a,  à  ceste  occa- 
sion, dressé  cest  epitaphe  : 

Seu  suhscribere  supplici  Ubello, 
Seu  defendere  Kegis  acta  vellet, 
Volvendisque  libris  domi  vacare, 
Librorum  helluo,  regius  patronus, 
Kegno  et  munere  nobilis  forensi, 
Stertebat  média  patrum  corona, 
Stertebatque  domi,  palamque  clamque, 
Nec  tempus  vacuum,  locus  vel  uUus, 
Quo  non  sterteret  ille,  tamque  dormiit 
Ut  mors  hune  inopina  dormientem 
Interceperitj  omnium  bonorum 
Magno  cum  gemitu,  altiore  damno. 
Mortuum  tamen,  ô  viator,  illum 
Tu  ne  credideris  :  quid  ergo  ?  verè 
Somno  perpetuo  quiescet  ille. 

—  Ce  ne  sont  point  contes,  Messieurs,  vay  je 
dire.  J'ay  familiarité  avec  un  personnage,  lequel  a 
demeuré  fort  long  temps  avec  ce  M.  Bourdin  ;  il 
m'en  a  asseuré  de  choses  plus  estranges,  mesmes 
que,  lorsqu'il  vouloitchevir  à  poinct  d'une  bonne 
affaire,  falloit  qu'il  prist  tout  bellement  son  repos. 
Vous  sçavez  que  je  suis  grand  rechercheur  et  qu'il 
n'est  pas  aisé  de  m'en  prester  une,  que  je  veux 
estre  payé  sur  tout  de  raison;  pource  j'ay  pris 
plaisir  à  sonder  l'occasion  pourquoy,  lors  que  ces 


38  DU    VEILLER    ET     DU     DORMIR. 

Messieurs  dormoient,  neantmoins  leur  esprit  ne 
laissoit  d'estre  en  action  perpétuelle.  En  fin  j'ay 
trouvé  que  c'estoit  pour  autant  que  leur  esprit  ne 
se  lassoit  au  gré,  branle,  et  à  la  cadence  du  corps. 
De  fait,  c'est  une  folie  de  croire  que  le  cerveau 
soit  sensible.  C'est  une  négative  tenue  par  tous 
les  philosophes,  lesquels  sont  les  mieux  habillez 
d'entendement.  Ce  n'est  pas  que  je  veuille  tenir 
le  cerveau  tousjours  bandé,  je  sçay  qu'il  y  a  du 
relais,  duquel  le  seigneur  Bretonnayau  en  son 
Temple  de  VAme  a  tresbien  poétisé,  parlant  de  la 
fantasîe.  Pource  je  vous  donneray,  s'il  vous  plaist, 
le  plaisir  de  quelques  vers  qu'il  a,  à  ce  propos, 
composé  : 

Quand  le  commun  repose,  et  l'objet  empesché 

N'entre  plus  par  le  sens,  de  la  vapeur  bousché, 

Il  ressemble  un  enfant  :  ell'  a  une  nourrisse, 

Qui,  chantant  son  do-do,  l'endort,  afin  qu'ell'  puisse 

S'aller  esbattre  seule  :  ainsi  ceste  cy  sort 

Du  corps  emmaillotté  du  frère  de  la  mort. 

Dont,  s'escartant  de  luy,  solitaire  repense 

En  ce  qui  s'est  passé  depuis  sa  cognoissance, 

En  ce  qu'elle  a  ouy,  de  ce  qui  luy  souvient 

Et  dedans  le  miroir  que  devant  elle  tient 

Où  de  jour  et  de  nuict  son  image  remire, 

Des  ombres  qu'elle  y  voit  les  phantosmes  retire, 

Qui  si  confusément  s'offrent  tous  à  la  fois 

Que  ranger  ne  les  peut,  ny  en  faire  le  chois. 

Et,commeeir  en  commence,quelqu'autre  vient  se  mettre 

Au  devant,  l'autre  après  sur  le  champ  demande  estre 


DU    VEILLER     ET    DU    DORMIR.  3g 

Premier  expédié;  le  voulant  depescher, 

Une  foule  en  voicy,  qui  la  vient  empescher. 

Pour  ce  imparfaits  sont  tous,  l'un  n'aura  que  la  teste 

Et  cest  autre  les  pieds,  luy  manquant  tout  le  reste. 

L'un  du  corps  la  moitié  aura  tant  seulement 

Qui  point  n'aura  de  bout  ny  de  commancement,  etc. 

Ainsi  vous  voyez  que  Tassoupissement  du 
corps  n'engourdit  pas  le  cerveau,  qu'il  est  tous- 
jours  aux  champs,  qu'il  chasse;  s'il  n'e  prend  à 
tous  coups,  c'est  que  la  foule  est  trop  grande. 
Car,  quant  à  moy,  comme  je  disois,  je  ne  croy 
pas  que  le .  cerveau  soit  sensible  et  se  lasse  de 
mesme  que  le  corps;  cela  est  plus  clair  que  le. 
jour,  que,  quant  à  luy,  per  se  est  omnis  sensus 
expers;  si  donques  il  est  sensible,  faut  que  ce  soit 
par  le  moyen  des  membranes  qui  le  recouvrent  et 
envelopent.  Or  elles  ne  peuvent  recevoir  coup 
par  la  lassitude  que  où  toute  la  masse  du  cerveau 
se  lasche  et  affaisse  après  avoir  perdu  tous  ses 
esprits,  ou  pour  avoir  esté  desseiché  par  une  forte 
et  longue  imagination.  Icy  on  ne  parle  point  de 
l'otTuscation  des  humeurs,  qui,  quand  tout  est  dit, 
n'est  pas  contraire  à  la  composition  du  cerveau  : 
car,  estant  de  sa  nature  humide  et  froid,  il  est  de 
tant  plus  aidé  qu'il  y  a  plus  d'abondance  de  va- 
peurs humides,  grosses  et  espesses.  Voire  mais, 
que  fay-je?  Au  lieu  que  je  devroie  abréger  vos 
discours,  il  semble  que  je  veuille  plustost  partiser 


40  DU    VEILLER    ET    DU     DORMIR. 

pour  l'un  que  pour  l'autre,  et  in  utramque  aurem 
dormire.  Je  vous  prie,  seigneur  Patelin,  pour- 
suivez. 

—  C'est  bien  dit  (va  il  respondre),  je  suivray 
par  ordre,  et  examineray  le  troisiesme  moyen; 
mais  ce  sera,  s'il  vous  plaist,  après  que  vous,  sei- 
gneur Esveillé,  vous  serez  un  peu  exprimé 
d'avantage  que  n'avez  fait.  Ce  n'est  pas  tout 
d'improperer  un  monde  de  maladies  au  dormir. 
Asserenti  probatlonis  onus  incumbit. 

—  Je  le  veux  bien  (dit  l'Esveillé),  et,  afin  que 
je  ne  marchande  point  long  temps,  je  prendray 
l'expérience  qui  m'apprend,  et  à  vous  aussi,  que 
les  apoplexies,  pesanteurs,  catarres,  et  autres  ma- 
ladies sont  alambiquées  au  rosaire  du  sommeil. 
Vous  hantez  vostre  grand  voiageur,  comment 
est  ce  qu'il  se  porte?  Vous  sçavez  que  toutes  les 
apresdisnées  il  se  jette  sur  son  bahu  emmitoufflé 
de  toutes  façons,  et  là  il  vous  fait  gaillardement 
pose  de  quelques  quatre  ou  cinq  heures.  A  tous 
coups  il  est  menacé  de  suffocations,  deffaux  de 
respirer,  courte  haleine ,  et  tant  d'imperfections 
que,  quand  au  monde  il  n'y  auroit  que  ce  dor- 
meur si  mal  salarié  de  son  dormir,  encores  est  il 
assez  martyrisé. 

—  Una  hirundo  non  facit  ver  (réplique  le  S*" 
Patelin),  non  plus  que  pour  un  moyne  on  ne 
laisse  à  faire  un  abbé.  Tous  ceux  qui  s'escriment 


DU     VEILLER     ET     DU     DORMIR.  41 

du  dormir  l'apresdisnée  ne  sont  point  si  mal  ap- 
pointez que  celuy  dont  vous  entendez  parler.  A 
sçavoir  si  le  Gespide  Jason,  pour  estre  dormeur, 
ne  surprend  point  le  dragon?  Il  n'est  ny  gout- 
teux, ny  apoplectique,  il  fait  la  figue  à  tout  tant 
de  friquets  et  eratez,  qui  ne  sçavent  pas  à  moitié 
que  c'est  qu'ils  font.  Vous  imputez  quelques  ma- 
ladies au  dormir  par  fausse  présomption.  Les  mé- 
decins,  direz  vous,  le  tiennent  et  l'ont  si  bien 
sondé  :  Qiisestio  facti  est  unde  jus  oritur.  Ils  pren- 
nent le  plus  souvent  le  blanc  pour  le  noir;  voire 
ce  qui  est  salutaire,  ils  dient  qu'il  est  maladif  et 
nuisible  à  la  santé.  Ne  vous  souvient  il  point  de 
nostre  voisin  de  Touraine,  du  conte  qu'il  nous  fît 
à  Agen,  que,  comme  il  avoit  sa  femme  allictée 
d'une  forte  et  violente  fièvre,  les  médecins  luy 
défendirent  tresexpressement  de  donner  du  vin  à 
ceste  pauvre  fiévreuse  :  luy,  qui  avoit  plus  d'envie 
de  la  voir  en  terre  qu'en  pré,  afin  d'en  estre  bien 
tost  detrapé,  luy  fit  apporter  une  grande  bouteille 
du  plus  fort  et  puissant  vin  qu'il  peut  recouvrer, 
et  ce  sous  prétexte  que,  comme  bon  mary,  il  ne 
vouloit  esconduire  sa   chaire  espouse  de  la  re- 
queste  qu'elle  lui  faisoit  de  pouvoir  un  peu  choc- 
quailler.  Il  faisoit  son  conte  d'estre  vefve  inconti- 
nent; au  rebours  se  trouva  que  ce  vin  lui  remit  la 
vie  au  corps.  De  cela  je  veux  inférer  que  vos  mé- 
decins s'en  peuvent  faire  accroire  lors  qu'ils  char- 

6 


42  DU    VEILLER    ET    DU     DORMIR. 

gent  le  dormir  de  quelques  maladies  qu'il  n'en- 
gendre point.  Vous  parlez  des  catarrhes,  ce  sont 
les  veilleurs  qui  en  sont  héritiers  :  pituita  siqui- 
dem  est  scholasticorum  morhus  peculiaris.  Ce  ne 
sont  point  dormeurs  que  les  courtisans  des  Muses. 
Recommencez  donc  si  vous  voulez  dire  vray,  et 
apprenez  à  parler. 

Pour  respondre  tout  d'un  coup,  je  voudroye 
bien  que  me  fissiez  ceste  amitié  que  me  dire  si 
on  se  treuve  plus  mal  de  trop  dormir  que  de  trop 
veiller;  vous  ne  pouvez  tenir  contre  le  dormir  : 
qui  dort,  il  disne.  Si  doncques  le  trop  veiller  est 
plus  nuisible  que  le  trop  dormir,  je  puis  con- 
clurre  in  modo  et  figura  que  le  dormir  ne  preju- 
dicie  point  tant  que  le  veiller.  Or,  que  les  trop 
grandes  veilles  nous  extasent  nostre  santé,  cela  se 
justifie  par  infinité  de  tesmoignages.  Elles  nous 
amaigrissent,  elles  alangourissent  nos  forces,  elles 
offensent  mesmes  notre  entendement.  Je  ne  parle 
point  de  ceux  qui  sont   devenus  fols  par  trop 
estudier.  Le  plus  propre  moyen  pour  faire  perdre 
le  sens  à  un  homme  et  le  faire  sortir  hors  des 
gonds  de  la  raison,  c'est  l'empescher  de  dormir. 
Quand  vous  voyez  un  malade  qui  pert  son  repos, 
aussi  tost  vous  inferez  qu'il  a  le  cerveau  vuide, 
que  son  estomac  n'a  point  pris  repeuë  suffisante; 
si  le  dormir  d'après  disné  estoit  si  contraire  à  la 
santé,  presseroit  on  le  malade  de  manger  afin  de 


DU     VEILLER     ET    DU     DORMIR.  48 

pouvoir  prendre  repos,  et  par  ce  moyen  recou- 
vrer sa  santé?  Vous  faites  mine  de  parler  contre 
les  dormeurs,  et  si  palpablement  on  cognoist  que 
vous  resvez  quand  vous  nous  faites  le  chevet  de 
nostre  lit  si  mal  à  propos  que  le  dormir  nous 
malade. 

Or,  que  les  veilles  soient  grandement  dom- 
mageables, il  n'y  a  qu'un  mot  qui  serve  et  puis  la 
fin,  je  pourroie  emmonceler  un  grand  tas  de 
preuves.  Entre  les  plus  communes  est  ceste  cy 
que  les  Histoires  nous  apprennent,  que  la  plus 
grande  rigueur  qu'on  a  peu  garder  alencontre 
d'un  ennemy,  c'a  esté  de  luy  pouvoir  empescher 
son  dormir.  A  ce  propos,  Polybe  recite  que  les 
Carthageois,  ayans  pris  M.  Attilius  Regulus,  luy 
coupperent  les  paupières,  et  le  veillèrent  si  fort 
que  par  trop  veiller  ils  l'entomberent  au  cercueil 
du  dormir  mortel.  De  mesmes  Persée,  roy  de 
Macedone,  estant  tombé  entre  les  mains  du  con- 
sul ^mil  Paul,  ne  finit  autrement  ses  jours  pré- 
cipitamment que  pour  avoir  esté  empesché  de 
prendre  son  repos. 

Je  semble  à  ceux  qui  descouvrent  de  leur 
veuë  le  bord,  et  me  resjoûis  de  ce  que  j'ay  passé 
par  dessus  le  ventre  de  trois  de  vos  moyens  qu'a- 
vez dressé  contre  le  dormir  d'après  disné;  je 
m'asseure  que  le  quatriesme  ne  me  fera  pas  peur. 
Afin  que  je  ne  vous  soye  double,  comme  un  asne 


44  DU    VEILLER    ET     DU     DORMIR. 

rouge,  je  veux  bien  que  vous  sçachiez  que  je  ne 
puis  comprendre  pourquoy  vous  contrenaturez 
le  sommeil  d'après  disné,  vous  ne  sçauriez  pré- 
tendre aucune  chose,  sinon  parce  que  la  nuict, 
estant  sombre,  nous  bousche  la  veuë,  et  que  la 
clarté  du  soleil  nous  semond  à  la  contempler  et 
nous  en  servir.  Mais  j'ay  la  response  toute  preste. 
Premièrement,  l'argument  que  vous  prenez  n'a 
que  la  peau,  encores  tressimplette.  Si  les  ténèbres 
de  la  nuict  nous  licentient  au  dormir,  faudroit 
dire  qu'il  ne  faudroit  se  lever  du  lict  en  hyver  que 
lors  qu'il  est  jour.  Tenant  ce  langage,  vous  voila 
l'advocat  d'un  mien  compère  du  seigneur  Gau- 
lard  et  de  maints  galebontemps,  qui  prennent  un 
singulier  plaisir  de  dormir  la  grasse  matinée,  et 
d'ailleurs  ennemy  de  la  santé  de  plusieurs,  les- 
quels, s'ils  croyent  vostre  conseil,  dans  peu  de 
temps  serviroient  de  graisse  aux  fosses  S.  Inno- 
cent. Pour  suppléer  le  deffaut  de  la  lumière  du 
soleil,  ils  ne  prendroient  que  du  feu  :  Dat  requiem 
somnus;  et  après  me  recommande.  Peutestre  esti- 
mez vous  que  le  dormir  d'après  disné  soit  artifi- 
ciel, ou  bien  qu'il  ne  soit  naturel  :  je  m'en  vay 
vous  mettre  en  butte  les  vignerons  et  les  villa- 
geois de  vostre  pays,  lesquels  mideronnent  l'apres- 
disnée;  voulez  vous  sçavoir  que  c'est?  Ils  se 
jettent  bien  et  beau  sur  la  terre  ou  ailleurs,  et  là 
dant  fessis  requiem  artubus  :  Nature  le   leur  ap- 


DU    VEILLER     ET     DU     DORMIR.  45 

prend.  Ce  ne  sont  point  douillets  qui  se  patinent 
et  drelottent,  ils  y  vont  à  la  bonne  foy,  le  grand 
chemin  des  vaches.  Les  autres  animaux  mesmes 
pratiquent  le  repos  sur  le  midi,  après  qu'ils  ont 
fourré  leur  panse.  Et  après  vous  direz  que  le  dor- 
mir d'après  disner  est  contre-naturel?  Baye,  et 
autant  pour  le  brodeur,  aut  bourdeur. 

—  Per  fîdem,  Messiou,  va  dire  nostre  bon 
homme  de  Gavot  en  son  patois  assez  proprement 
lourd,  je  cray  que  vo  avi  envie  de  me  faire  faire 
dodo  to  le  jor!  Per  san  Pirou,  je  dormo  et  dan  le 
corp  et  dan  l'arma,  resveilli  may  un  pou  :  vey,  se 
vo  me  groussi  plu  guère,  je  dremeray  tôt  à  fay. 
Resveilli  may,  genti  garson  avoe  ceste  mottete. 
Quay,  dites  quaque  ran,  etc.   » 

Ce  maistre  pitautvousgaschoit  si  gorrierement 
ses  mottets  savoyars  qu'il  y  en  eut  bien  peu  de  la 
compaignie  qui  ne  pissa  dans  ses  chausses,  je 
parle  des  plus  sobres  et  retenus  :  car  les  autres,  à 
fine  force  de  rire,  les  vous  conchierent  de  belle 
fine  forte  que  je  n'ose  dire.  En  fin,  quand  le  hola 
du  ris  fut  donné,  je  voulu  renouer  la  dispute,  et^ 
pour  coudre  le  bec  à  ce  maistre  Claudin,  je  tendis 
à  ce  qu'on  quitta  le  dormir  et  que  l'on  se  resveilla. 
Le  S^  l'Eveillé  n'en  eut  pas  voulu  tenir  deux 
œufs  à  Pasques  rouges,  et  pource,  se  servant  de 
ceste  opportunité,  faisoit  mine  de  vouloir  donner 
un   resveille-matin  :  «  Bien,  Messieurs,  je  vois 


46  DU    VEILLER    ET    DU     DORMIR. 

que  maintenant,  par  la  grâce  de  Dieu,  vous  avez 
tous  les  paupières  deprises  et  dechassiées,  il  faut 
qu'à  mon  tour  je  vous  monstre  que  les  veilles 
nous  rendent  et  entretiennent  plus  lestes,  dehait 
et  dispos  que  lors  que  nous  sommes  brommars, 
assommez  de  sommeil  et  engourdis  du  dormir, 
duquel  je  ne  sçay  pourquoy  quelques  uns  ont 
jugé  si  mal  à  propos  qu'ils  l'ont  voulu  représen- 
ter comme  celuy  qui  nous  mettoit  à  recoy,  à  l'aise 
et  en  repos. 

—  Je  vous  prie  (va  dire  le  S^'  Patelin),  ne  vous 
enfournez  point  en  ces  animadversions,  vous  n'y 
feriez  que  le  sang  tout  clair,  et  trouveriez  bien  à 
qui  parler.  Et,  afin  que  tout  d'un  coup  je  vous 
ferme  la  bouche,  je  m'en  vay  vous  envoyer  en 
l'escole  du  docte  du  Bartas,  lequel,  au  premier 
de  sa  Semaine,  vous  apprendra,  sous  la  louange 
de  la  nuict,  que  c'est  que  vous  devez  estimer,  et 
nous  aussi  :  il  est  bien  fol  qui  s'oublie,  touchant 
le  sommeil  : 

La  nuict  est  celle  là  qui  charme  nos  travaux, 
Ensevelit  nos  soins,  donne  trefve  à  nos  maux, 
La  nuict  est  celle  là  qui,  de  ses  ailes  sombres, 
Sur  le  monde  muet  fait  avecques  les  ombres 
Dégoutter  le  silence,  et  couler  dans  les  os 
Des  recrus  animaux  un  sommeilleux  repos. 
O  douce  nuict!  sans  toy,  sans  toy  l'humaine  vie 
Ne  seroit  qu'un  enfer,  où  le  chagrin,  l'envie^ 
La  peine,  Pavarice  et  cent  façons  de  morts 


DU    VEILLER     ET    DU     DORMÎR.  47 

Sans  fin  bouireleroient  et  nos  cœurs  et  nos  corps. 
O  nuict!  tu  vas  ostant  le  masque  et  la  feintise, 
Dont  sur  l'humain  théâtre  en  vain  on  se  desguise 
Tandis  que  le  jour  luit.  O  nuict  aime!  par  toy 
Sont  faits  du  tout  égaux  le  bouvier  et  le  roy, 
Le  pauvre  et  l'opulent,  le  Grec  et  le  Barbare, 
Le  juge  et  l'accusé,  le  sçavant  et  l'ignare, 
Le  maistre  et  le  valet,  le  difforme  et  le  beau  : 
Car,  nuict,  tu  couvres  tout  de  ton  obscur  manteau. 
Celuy  qui,  condamné  pour  quelque  énorme  vice, 
Recerche  sous  les  monts  l'amorce  d'avarice. 
Et  qui,  dans  les  fourneaux  noircy,  cuit  et  recuit 
Le  soulphre  de  nos  cœurs,  se  repose  la  nuict. 
Celuy  qui,  tout  courbé  le  long  des  rives,  tire 
Contre  le  fîl  du  fleuve  un  trafiqueur  navire. 
Et,  fondant  tout  en  eau,  remplit  les  bords  de  bruit, 
Sur  la  paille  estendu,  se  repose  la  nuict; 
Celuy  qui,  d'une  faux  maintesfois  esmoulue, 
Tond  l'honneur  bigarré  de  la  plaine  velue, 
Se  repose  la  nuict,  et  dans  les  bras  lassez 
De  sa  compaigne  perd  tous  les  travaux  passez. 

—  Je  croy,  quant  à  moy,  S^  Patelin,  répliqua 
rEsveillé,  que  vous  estimiez  que  nous  ne  sça- 
chions  bien  que  deux  et  trois  font  cinq.  Vous 
vous  faites  tort  et  au  seigneur  du  Bartas,  lequel 
j'honore  et  respecte  sur  tous  les  poètes  de  nostre 
nation.  Faites  du  fin  tant  que  vous  voudrez,  si 
avez  vous  affaire  à  un  homme  qui  n'est  un  brin 
endormy.  J'ay  l'œil  au  bois.  Doncques  ce  docte 
poète,  après  qu'il  a  discouru  de  la  façon  que  vous 
avez  dit,  voicy  qu'il  couche  consécutivement  : 


48  DU    VEILLER    ET    DU     DORMIR. 

Seuls,  seuls  les  nourrissons  des  neuf  doctes  pucelles 
Cependant  que  la  nuict,  de  ses  humides  ailes, 
Embrasse  l'univers,  d'un  travail  gracieux 
Se  tracent  un  chemin  pour  s'envoler  aux  cieux, 
Et  plus  haut  que  le  ciel,  d'un  vol  docte,  conduisent 
Sur  l'aile  de  leurs  vers  les  humains  qui  les  lisent. 

Voila  vostre  dormir  équipé  de  toutes  ses  fa- 
çons, vous  y  deviez  bien  venir  pour  tordre  le  nés 
à  l'intention  d'un  si  sage  escrivain  :  vous  voyez 
quMl  seraphise  ceux  qui  ne  s'assujettissent  à  vostre 
beau  dormir;  si  ne  faut  il  pas  que  je  vous  laisse 
en  si  beau  chemin,  je  vous  veux  donner  carrière 
entière,  et  vous  mettre  en  butte  le  seigneur  de 
l'Escale,  dans  les  Poésies  duquel  vous  trouverez 
qu'il  a  autresfois  donné  atteinte  à  vostre  som- 
meil :  de  fait,  après  s'estre  bersé  pour  s'y  accaser, 
en  fin  il  a  trouvé  qu'il  s'y  gastoit  les  reins,  et 
qu^il  n'y  avoit  rien  tel  que  d'avoir  les  yeux  ten- 
dus ,    ouverts   et   esveillez.    Pource   voicy  qu'il 

chante  : 

« 

Mutanda  vox  est,  Somne,  carnifex  rerum, 
Kubiginosx  inertie  penu  putre. 
Proies  paterque  crroris  atque  terroris, 
Qui  somniorum  turbulenta  dirorum 
Momenta  das  et  ante  momtra  non  visa, 
Maie  procax  everritor  honx  famse, 
Imago  mortis,  morte  tetrior  dira. 
Namque  illa  ssevis  liberabit  à  caris, 
Tu,  pos\  labores  semimortux  vitœ, 


DU    VEILLER    ET    DU     DORMIR.  49 

Es  harum  acerba  vena  parricidarum. 
Tibi  quid  imprecemurj  impotens  lurco, 
Sentina  stuprorum,  hospes  ebriosorum, 
Exul  beau  cursibus  procul  cœli? 
Nunquam  ut  quiescas  lassus,  et  tui  oblitus. 

Cela  est  gratter  votre  sommeil  de  la  façon  qu'il 
faut,  et  ne  se  chatouiller  point  pour  se  faire  rire. 
Je  passe  par  dessus  les  pollutions  nocturnes  qui 
se  font  lors  que  nous  nous  ramentevons  la  jonc- 
tion ou  l'attouchement  des  pièces  du  sac,  manus, 
femora,  subucula  aut  lintea  hymeneum  plerumque 
excipiunt.  Combien  de  pauvrettes  se  treuvent  sur- 
prises et  engagées  lors  qu'elles  sont  saisies  du 
sommeil?  Vous  sçavez  si  je  dis  vray,  et  comment 
s'en  trouva  la  damoiselle  qui,  sans  estre  nommée, 
n'est   que   trop   connue.   Je  passeray  bien  plus 
outre,  et  diray  que  les  masles   mesmement  s'y 
trouvent  enlassez.  Le  divin  Platon,  sur  le  com- 
mencement du  9.  de  sa  Republique ,  s^en  ouvre 
assez.  D'ailleurs  je  vous  apprens  que  pendant  le 
sommeil  nous  sommes  visitez  de  ces  sales  cupi- 
ditez  lors  que  nostre  partie  raisonnable  est  as- 
soupie, affaissée  et  endormie,  car  alors  la  sensi- 
tive  brutale  et  animale  fait  ses  choux  gras,  elle 
monte  sur  ses  grans  chevaux,  quia  fœnum  habet 
in  cornu  :  elle  regimbe,  elle  gambade,  elle  fait  ses 
jeux,  elle  frétille  nostre  chair,  elle  la  roidit,  elle 
l'eschauffe,  elle  l'enflamme,  elle  attise  si  fort  le 

7 


5o  DU    VEILLER    ET    DU    DORMIR. 

fourneau  de  l'appétit  qu'elle  fait  fondre  la  graisse 
de  concupiscence.  De  fait,  c'est  alors  qu'il  n'y  a 
chose  à  quoy  elle  ne  se  hazarde,  en  ce  ressem- 
blant à  la  perdrix,  qui,  ayant  la  teste  couverte, 
pense  qu'on  ne  la  sçauroit  descouvrir.  De  mesmes, 
parce  qu'elle  a  les  yeux  ensablez  de  sommeil,  il 
luy  semble  advis  que  le  reste  du  corps  ne  luy 
paroist,  qu'on  ne  l'apperçoit,  qu'elle  peut  rafîer 
à  couvert,  qu'il  n'y  a  aucun  qui  l'esclaire.  De  là 
vient  qu'elle  pera  toute  honte  et  vergoigne. 

Ce  sont  discours  philosophiques,  et  qui  peu- 
vent estre  vérifiez  assez  aisément  par  l'espreuve 
trop  ordinaire.  Je  ne  vous  veux  point  mener  es 
landes  et  guerets  du  paganisme  :  visitez  le  bon 
père  Loth,  et  vous  verrez  si  nos  affections  dor- 
ment lorsque  le  corps  sommeille.  Moyse  raconte 
au  XIX.  chap.  de  Genèse  qu'après  la  retraite  que 
Loth  fît  lors  de  la  destruction  de  Sodome  et  Go- 
morrhe,  il  monta  de  Segor,  et  habita  en  la  mon- 
taigne  et  ses  deux  filles  avec  luy  dans  une  ca- 
verne. Là,  l'aisnée  dit  à  la  plus  jeune  :  «  Nostre 
père  est  ancien,  et  s'il  n'y  a  aucun  en  la  terre 
pour  entrer  à  nous  selon  la  coustume  de  toute  la 
terre.  Vien,  et  baillons  du  vin  à  boire  à  nostre 
père  et  couchons  avec  luy,  afin  que  nous  conser- 
vions semence  de  luy.  »  Ce  qui  fut  fait,  et  l'aisnée 
vint  et  coucha  avec  son  père  sans  que  le  bon 
homme   l'apperceut   ou  la  sentit  quand  elle  se 


DU    VEILLER     ET    DU     DORMIR.  5l 

coucha  ny  quand  elle  se  leva.  Le  lendemain,  la 
puisnée  passa  par  telle  espreuve  avec  les  mesmes 
circonstances;  ainsi  elles  conceurent  toutes  deux, 
et  l'aisnée  enfanta  un  fils,  qui  eut  à  nom  Moab, 
et  la  plus  jeune  aussi  un  fils,  qui  fut  appelle  Ben- 
ami. 

Histoire  tres-veritable,  et  qui  ne  peut  estre 
contrerolée,  laquelle  monstre  à  l'œil  que  l'opéra- 
tion generative  ne  sommeille  point  en  nous  du- 
rant nostre  dormir.  Par  ainsi  vous  avez  beau 
phantasier  tous  les  repos  qu'il  vous  plaira  atta- 
cher au  sommeil,  c'est  une  monnoye  qui  ne  se 
prend  par  deçà,  et  pourroit,  paraventure,  ^ervir 
aux  gens  delà  l'eau,  et  à  laquelle  je  treuve  autant 
de  nez  comme  à  ces  rencontreurs  qui  veulent  re- 
présenter le  sommeil  en  façon  d'un  garson  qui 
endort  un  lyon;  vous  voyez  que  sa  furie  n'est 
point  abbatue,  qu'il  rugit,  qu'il  fait  de  terribles 
mesnages. 

—  Par  le  sang  d'une  petite  puce  (va  dire  le 
S^  Patelin),  c'est  dommage  que  vous  n'avez  nom 
Jocrisse;  je  croy  qu'il  vous  feroit  fort  bon  veoir 
mener  les  poules  pisser;  donnez  luy  une  serviette 
pour  se  torcher;  il  a  manié  de  l'empois,  ses 
doigts  en  sont  engluez.  Aga,  frare  Piarre,  hé  Jo- 
belin  bridé,  il  craint  de  dormir  de  peur  de  pisser 
au  lict.  Tel  le  mouille  qui  n'y  pisse  pas  :  quelquess 
fois  les  petits  enfans  y  suent  aussi  bien  que  le- 


52  DU     VEILLER     ET     DU     DORMIR. 

grands,  et  puis  hazard  sur  les  balais.  Mais,  quand 
j'y  pense,  vous  estes  grand  clerc  jusqu'aux  dents  : 
vous  philosophez  à  la  martingale,  avec  vos  distil- 
lations et  fontes  de  graisse  alambiquées.  Me  vou- 
lez vous  croire,  ne  resveillez  le  chat  qui  dort,  il 
a  des  ongles  et  des  griffes.  Et,  quant  à  Loth,  je 
suis  bien  d'advis  que  vous  le  laissiez  là  où  il  est, 
car  où  voudriez  insister  d'avantage,  en  un  besoin 
je  vous  payeroie  de  la  mesme  response,  qui  est 
donnée  par  le  seigneur  Theodate  en  la  neufiesme 
Matinée,  et  vous  remettroie  entre  les  mains  de 
ceux  qui  ont  à  vuider  de  telles  diffîcultez  théolo- 
gales. 

—  Permettez  moy,  va  dire  l'Esveillé,  faisant 
une  pirouette  à  demie  gambette  pour  se  desen- 
dormir le  pied,  que  je  débande  un  peu  au  resveil 
de  l'Aurore,  et  que  je  spécifie  les  commoditez 
que  nous  apporte  le  réveil.  D'une  mesme  fron- 
delée  je  feray  deux  coups  :  je  donneray  sur  le  cap 
des  dormans,  endormis  ou  endormies,  et  feray 
renaistre  l'aube  dorée  du  veiller. 

Tous  ceux  qui  ont  les  yeux  en  la  teste  (je  n'es- 
time pas  qu'il  y  ait  aucun  qui  les  porte  aux  pieds) 
demeurent  d'accord  avec  moy  que  la  veille  est  la 
vraye  marque  de  la  vie.  Si  bien  que,  quand  il  n'y 
auroit  que  ce  seul  article  en  gênerai,  voila  le 
veiller  en  règne,  mon  procès  est  gaigné  :  senten- 
ciez,  juge;    il  me   semble  que  j'ay  soubre   de 


DU     VEILLER     ET     DU     DORMIR.  53 

droict.  Partant  je  conclus  qu'il  ne  faut  dormir 
l'apresdisnée. 

Pour  parvenir  à  ces  fins,  j'ay  sur  tout  à  prouver 
deux  articles  :  le  premier  est  que  la  veille  est  h 
marque  de  nostre  vie;  l'autre,  que,  s'il  y  a  temps 
auquel  nous  devions  nous  remuer,  c'est  l'apres- 
disnée, besoigner,  travailler  et  m  swmma  monstrer 
par  les  opérations  que  nostre  teste  n'est  pas  cuite, 
que  nos  mains  ne  sont  ternies,  que  nos  pieds  ne 
sont  engourdis,  et  finalement  que  nous  vivons. 
A  la  besoigne  on  recognoist  l'ouvrier;  ça,  que  je 
m'escrime. 

Entre  ceux  qui  ont  le  los  d'avoir  le  mieux  ren- 
contré pour  la  philosophie  et  théologie  scolas- 
tique  lors  qu'il  a  esté  question  de  tomber  sur  le 
commencement  de  l'estre  qu'eutl'homme,  unavoce 
dicentes,  ont  tenu  qu'il  est  plus  vray  semblable 
que  le  premier  homme   ne  commença   point  à 
vivre  par  le  dormir.  Ce  qu'ils  preuvent  par  des 
considérations   fort  charnues  et   qui   ont  autre 
chose  que  la  peau.  En  voicy  quelques  unes  :  la 
première,  que  d'autant  que  la  femme  est  plus  à 
rabaisser  que  n'est  l'homme,  de  tant  l'auteur  de 
Nature  a  voulu  que  l'estre  de  l'une  et  de  l'autre 
prist  source  toute  différente.  La  femme  fut  tirée 
de  la  coste  d'Adam  pendant  qu'il  dormoit  :  aliud 
in  Adam.  La  seconde,  que  les  naturalistes  ont 
observé  que  le  change  continuel  qui  se  fait  de  la 


54  DU    VEILLER     ET     DU     DORMIR. 

substance  plus  grossière  au  suc,  et  du  suc  au  sang, 
et  encor  de  luy  en  esprits,  lesquels  animent  tous 
nos  sens,  est  la  vraye  et  première  action  de  la  vie. 
Et,  comme  il  ne  se  peut  faire  que  le  feu  n'agisse 
sur  l'humide,  aussi  est  il  impossible  que  la  vie 
soit  sans  mouvement  :  car  aussi  ces  trois  mots  : 
vie,  mouvement  et  action,  sont  presqu'une  mesme 
chose. 

—  Quand  je  vous  entens  ruer  si  gaîîamment 
sur  la  subtilité  (respond  le  S'"  Patelin,  refroignant 
et  haussant  ses  sourcils),  je  me  mescrois  de  l'opi- 
nion que  j'ay  de  vous  en  moymesme,  et  me  semble 
que,  si  estiez  un  peu  plus  grand  seigneur  que 
vous  n'estes,  vous  estes  taillé  pour  vous  faire  en- 
tendre que  Salomon  ne  mérita  point  plus  estre 
visité  par  la  royne  de  Saba  pour  sa  grande  sa- 
pience  que  vous  pour  vos  perfections  philoso- 
phiques. Gardez  de  revenir  au  reconte,  et  que, 
contant  sans  vostre  hoste,  ne  faille  que  contiez 
deux  fois.  Vous  voulez  trancher  si  fort  du  doc- 
teur subtil  que  vous  y  perdez  vostre  latin  :  vos 
subtilitez  sont  si  minses  qu'elles  se  subtilisent  en 
chose  de  moindre  existence  que  n'est  le  vent. 
Sur  quoy  est  ce  que  vous  fondez  la  diversité  de 
la  forme  dormie  ou  esveillée  en  la  création  de 
l'homme  et  de  la  femme  :  la  Terre,  de  laquelle 
l'homme  fut  patronné,  veilloit.  Pauvre  homme, 
vous  n'entendez  les  Escritures,  aussi  ce  n'est  ma- 


DU    VEILLER    ET    DU     DORMIR  55 

tiere  de  vostre  cabale.  Venons  à  Tautre,  qui  tend 
à  monstrer  que  la  vie  est  en  perpétuelle  action, 
qui  le  vous  nie?  Cela  a  este  vuidé  cy  dessus. 
Toutesfois,  afin  que  je  vous  face  sentir  que  j'en 
parle  comme  il  faut,  je  veux  bien  m'en  ouvrir 
d'avantage  et  recognoistre  que  ce  qui  se  meut  en 
nous  est  maintefois  tout  divers,  et,  en  un  mot, 
qu'il  y  a  deux  sortes  de  veilles,  l'une  quand  tout 
est  en  action,  et  l'autre  lors  que  l'une  des  deux 
parties  seulement  se  meut;  de  sorte  que  l'action, 
que  vous  phantasiez  en  la  vie,  ne  fait  aucun  tort 
au  sommeil,  puis  que,  durant  le  dormir,  nos  ope- 
rations  vivent.  Immo  dor miens  etiam  septem  con- 
gios  Pyrenœos  agit.  Jamais  nous  ne  sommes  en 
repos,  sinon  lors  que  l'ame  ne  nous  bat  plus  au 
corps.   Ce  n'est  point  le   discours  que  je  veux 
mettre  en  jeu,  je  quitte  les  functions  de  nostre 
ame  raisonnable,  les  bestes  mesmes  dormans  sont 
en  action,  quœ  plus  minusve  recepit.  Je  le  con- 
fesse; mais  aussi,  si  la  quantité  ou  la  qualité  fai- 
soit  tort  à  la  substance,  ce  seroit  à  dire  que  l'ac- 
cident destruiroit  celle  qui  luy  donne  estre.  Je 
crois  qu'il  vous  sembloit  que  nous  n'avions  mangé 
de  la  philosophie,  j'en  cracheray  gros,  si  je  veux, 
comme  tous  les  reaffles  de  l'an.  Advisez  à  esclair- 
cir  l'autre  chef  de  vostre  preuve. 

—  Çà,  çà,  j'en  suis  content  (va  dire  le  seigneur 
l'Esveillé);  vous  ne  pouvez  me  mettre  en  ny  que 


56  DU    VEILLER    ET    DU     DORMIR. 

la  vie,  laquelle  est  bien  reiglée,  doit  tenir  cest 
ordre,  que  le  matin  soit  consacré  sur  tout  à 
prières  et  oraisons  :  alors  l'esprit  est  plus  libre, 
moins  esbloûy  et  captivé.  C'est  au  matin  qu'il 
faut  vaquer  aux  choses  sainctes  :  sacra  jejune  per- 
aguntur.  Si  vous  pouvez  nous  persuader  que 
l'homme  peut  vivre  sans  faire  aucune  chose,  ah! 
saincte  Dame!  je  seroie  au  bout  de  mon  rolet; 
mais  aussi  par  mesmes  moyen  faudroit  que  vous 
nous  fissiez  prenùre  à  tretous  la  qualité  de  moynes  : 
desecularisez  nous,  vous  le  ferez?  vous  ne  pou- 
vez. Pourquoy  donc  empescherez  vous  que  nous 
ne  veillions  après  disner?  Ou  il  nous  faut  travail- 
ler, ou  mourir  de  faim,  ou  estre  moynes,  choi- 
sissez l'un  de  ces  trois.  Et  que  me  direz  vous  là 
dessus? 

—  Plus  que  vous  ne  pensez,  respond  le  S'"  Pa- 
tehn.  Quel  homme  estes  vous?  Je  dis  qu'il  ne 
sera  point  besoin  de  despouiller  nostre  semlante, 
et  si  ne  lairrons  à  jouer  bragardement  à  la  ronfle 
l'apresdisnée.  Combien  de  centaines  de  millions 
de  personnes  se  contentent  de  s'acquitter  de  gros 
en  gros  du  service  qui  est  deu  à  Dieu,  qui  pensent 
faire  beaucoup  et  tenir  Dieu  en  reste,  s'ils  se 
mettent  à  solemniser  le  dimanche.  Soit,  je  veux 
que  tous  les  jours  nous  soyons  tendus  à  nostre 
devoir,  pour  cela  sera  il  question  d'employer 
toute  la  matinée  à  prières?  Brevis  oratio  pénétrât 


DU     VEILLER     ET     DU     DORMIR.  Sy 

cœlos  :  il  n'y  a  dévotion  qui  ne  se  perde  à  la 
longue.  On  peut  bien  servir  Dieu  et  travailler  en- 
cores  cinq  et  six  heures  devant  disner.  Pourquoy 
donc  nous  menassez  vous  de  nous  rendre  moynes  ? 
Mais,  je  vous  prie,  qu'on  examine  un  peu  quel 
fonds  il  y  a  en  vostre  illation  :  vous  nous  voulez 
deseculariser,  parce  que  vous  entendez  que  ceux 
qui  sont  vouez  au  service  sacré  ne  font  autre 
chose  que  prier  Dieu.  En  ce  vous  vous  abusez 
bien  lourdement,  tesmoin  les  prestres  de  vostre 
pays,  qui  vous  labourent  bragardementles  champs. 
Plusieurs  moynes  qui  le  matin  font  bien  autre 
chose  que  prier  Dieu  :  ceux  qui  composent  des 
livres  vaquent  ils  aux  prières  tousjours.?  Direz 
vous  que  Baptiste  Mantouan  n'ait  esté  habile 
homme,  qu'il  n'ait  fait  aucune  chose?  Ses  œuvres 
le  nous  tesmoignent  treslaborieux,  etneantmoins 
il  estoit  carme.  Jugez  ainsi  d'une  infinité  d'autres, 
qui  ont  tresbien  recogneu  que  Testât  d'un  reli- 
gieux s'estendoit  bien  d'avantage  et  plus  loin 
qu'à  fueilleter  son  bréviaire  et  dire  son  olfice  seu- 
lement. Et  ainsi,  de  toutes  les  façons  que  vous 
voudrez  le  prendre,  tousjours  nous  pourrons  tra- 
vailler le  matin,  avec  l'exercice  du  devoir  de 
pieté  que  tout  fidèle  chrestien  doit  rendre  à  la 
majesté  divine. 

Si  ne  vous  veux  je  laisser  en  si  beau  chemin  : 
car  je  veux  passer  bien  plus  outre,  et  vous  mons- 

8 


58  DU    VEILLER    ET    DU    DORMIR. 

trer  qu'ayans  besoigné  le  matin,  nostre  journée 
est  faite,  de  sorte  qu'il  nous  est  loisible  de  dor- 
mir l'apresdisnée,  principalement  es  endroits  où 
elle  se  reigle  au  my  jour.  Ne  pensez  point  que 
ce  soit  une  coustume  mise  en  pratique  par  quel- 
ques sots  qui  soient  mariez  au  village,  le  droict 
nous  y  fait  voye.  Vous  avez  ce  beau  et  segnalé 
texte  en  la  loy  :  Medicus  26,  ff.  de  operis  liberto- 
rum.  Là,  le  jurisconsulte  Alphenus  nous  propose 
un  fait  de  fort  gcntile  grâce,  c'est  d'un  médecin, 
lequel,   estant  frappé   au  coin  de  ses  compai- 
gnons,  ne  prenoit  plaisir  qu'à  gaigner  et  faire 
valoir  ses  drogueries.  Ce  monsieur  le  médecin 
avoit  quelques  affranchis,  lesquels  s'entremenoient 
de  regarder  ses  recipé  et  secourir  les  malades  par 
quelque  façon  qui  ne  sentoit  gueres  bon  à  ce 
maistre  patron,  lequel  s'imagina  une  caprice  mu- 
lesque,  que  sachalandise  pourroit  decroistre,  si  le 
monde  voyoit  que  ces  affranchis  pouvoient  aussi 
bien  penser  les  malades  que  leur  patron,  ou  qu'on 
diroit  que,  puis  que  c'estoit  une  médecine  de 
valet,  qu'il  ne  falloit  que  testonner  à  demy  :  qui 
eut  esté  une  dysenterie  tresdangereuse.  Que  fait 
ce  grippe-gain?  Pour  abbaisser  les  cornes  à  ses 
affranchis,  il  tend  à  ce  que,  pour  le  service  qu'ils 
luy  dévoient,  ils  eussent  à  le  suivre  lors  qu'il  iroit 
en  pratique  :  de  mesmes  que  vous  voyez  à  Paris 
et  ailleurs  suivre  les  mules  et  les  mulets,  à  qui, 


/ 


DU    VEILLER    ET    DU     DORMIR.  5() 

devinez.  Il  fut  question  de  sçavoir  si  c'estoit  la 
raison.  Voicy  que  respond  Alphenus,  que  ce 
messer  le  pouvoit,  dummodo  libérales  opéras  ah 
eis  exigerety  hoc  est  ut  adquiescere  eos  meridiano 
tempore  et  valetudinis  et  honestatis  sux  rationem 
hahere  sineret  :  qui  est  à  dire  que  monsieur  le  pa- 
tron pouvoit  avoir  ceste  queue  de  ses  affranchis, 
moyennant  qu'il  leur  permît  de  reposer  sur  le 
midy;  si  bien  qu'encores  que  l'avarice  du  méde- 
cin fust  telle  que,  pour  attraper  l'escu,  il  ne  se 
soucia  de  perdre  le  repos  du  midy,  ses  affranchis 
ne  dévoient  porter  la  peine  de  l'avarice  qui  brus- 
loit  cest  insatiable. 

Conformément  à  cecy,  le  jurisconsulte  Pom- 
ponius,  /.  2,  ff,  de  annuis  kg,,  nous  apprend  que 
celuy  qui  estoit  tenu  et  astraint  à  donner  à  un 
autre  la  corvée  ou  la  besoigne  que  son  esclave 
eût  peu  faire  par  un  jour,  s'il  ne  l'a  envoyé  à  la 
tasche  du  grand  matin,  ains  à  la  sixiesme  heure 
du  jour,  qui  est  nostre  midy  (juxta  illud  Evange- 
lii  :  nonne  sunt  duodecim  horœ  diei?)^  pourtant  il 
n'est  acquitté  et  deschargé  de  son  obligation;  et, 
pource,  voicy  le  département  du  jour  que  fait 
Marcial  au  8  epigramme  de  son  quatriesme  livre  : 

Prima  salutantes  atque  altéra  continet  hora  ; 

Exercet  raucos  teriia  causidicos; 
In  quinta  varias  exercet  Koma  labores; 

Sexta  quies  (assis,  septima  finis  erit. 


6o  DU    VEILLER     ET    DU     DORMIR. 

Comme  s'il  nous  eût  voulu  apprendre  que  les 
Romains  employoient  la  matinée  de  ceste  façon  : 
c'est  que  de  sept  jusques  à  neuf  ils  s'entresaluoient 
et  se  donnoient  (ce  dit  ly  contes)  le  bondi, 
signor;  de  neuf  jusqu'à  dix,  on  plaidoit  à  l'au- 
dience; de  dix  jusqu'à  onze,  les  uns  prenoient  la 
pourmenade,  les  autres  achetoient  de  l'appétit  au 
jeu,  les  autres  s'exerçoient  en  autres  façons;  de- 
puis onze  heures,  on  se  retiroit  pour  disner; 
après,  on  vous  reposoit  bravement  son  humanité. 
Et  de  hait,  garson. 

—  Et  quoy!  Messieurs,  vay  je  dire,  ne  sera  ce 
jamais  fait?  Je  croy  que  qui  ne  vous  diroit  hola, 
ne  vous  deparceleriez  de  toute  ceste  relevée. 
Voulez  vous  que  je  vous  accorde?  Vous  dites 
tous  deux  vray,  mais  c'est  avec  distinction.  Il  y  a 
des  naturels  d'hommes  qui  se  treuvent  bien  de 
dormir  l'apresdisner,  la  complexion  des  autres  ne 
le  peut  porter.  Ce  que  vous  avez  proposé,  sei- 
gneur Patelin,  servira  aux  supposts  du  seigneur 
Gaulard,  encores  qu'il  ne  daigne  se  resveiller  aux 
fraisches  matinées.  Et  vous,  mon  Esveillé,  vous 
avez  plaidé  pour  moy  et  tous  ceux  qui  se  treuvent 
indisposez  du  dormir  l'apresdisner.  Je  ne  suis 
point  de  ceux  qui  voudroient  tirer  ceste  dispute 
plus  en  longueur,  ny  d'ailleurs  asseoir  un  juge- 
ment pour  en  faire  et  bastir  une  determinaison 
en  forme  d'arrest  :  si  est  ce  que,  si  mon  advis  est 


DU    VEILLER    ET    DU     DORMIR.  6l 

suivy  pour  le  coup,  seigneur  l'Esveillé,  vous 
l'emporterez.  Pour  le  présent,  je  ne  veux  em- 
ployer des  raisons  et  argumens,  mais  je  vous 
diray,  mon  bon  maistre  monsieur  Patelin,  que 
vous  estes  fort  mal  fondé,  je  ne  dy  point  pour 
raison  de  la  subtilité  persuasive,  sed  ratione  loci 
et  temporis.  Vous  sçavez  que  l'entrée  de  ces  con- 
férences n'a  esté  que  sous  le  commun  accord  de 
toute  la  compaignie,  qui  unanimement  a  consenty, 
décrété  et  ordonné  qu'on  emploieroit  des  apres- 
disnées  à  ces  passetemps  philosophiques.  S'il  fal- 
loit  dormir,  il  n'y  auroit  que  de  la  ronfle.  Du 
commencement  je  vous  en  eusse  adverty,  mais  je 
me  suis  pensé  que,  veu  la  qualité  et  rang  que  je 
tiens  à  présent  en  ceste  assemblée,  cela  eût  esté 
trouvé  d'un  peu  mauvaise  grâce  et  assez  difficile 
digestion;  mesmement  qu'à  la  première  ouver- 
ture je  tendois  au  resserrement. 


APRESDISNÊE  IL 


DU   MARIAGE. 


S'il  vaut  mieux  nestre  marié  que  de  l'estre. 


u  lieu  que  les  champions  de  nostre 
première  apresdisnée  disputoient  des 
privilèges,  droits  et  prérogatives  des 
vénérables  dormans,  ceste  seconde 
apresdisnée  resveilla  toute  nostre  compaignie 
d'une  bien  autre  façon.  Le  S^  Rodolphe  com- 
mence à  ouvrir  le  jeu  sans  y  penser  :  le  bon 
homme  y  alloit  mieux  à  la  bonne  foy  qu'un  cou- 
peur de  bourse.  Il  vous  accoste  leS^  Panthaleon, 
qui  estoit  Pun  des  fins  marchans  de  la  bande,  et 
qui,  avant  que  quitter  la  partie,  nous  en  donna 
de  bien  vertes.  Dés  qu'ils  ont  esventé  que  le 
pauvre  S"^  Rodolphe  parloit  de  prendre  party 
avec  une  fille  : 

«  Messieurs,  dit-il,  gaigne  sa  vie  qui  pourra; 
voicy  ce  bon  seigneur  qui  se  va  au  premier  jour 


64  DU    MARIAGE. 

passer  maistre  potier;  il  va  faire  emploite  d'une 
bonne  bague  qui  luy  donnera  bien  tost  langue  et 
crédit  en  Cornoûailles.  Et,  afin  que  vous  co- 
gnoissiez  que  je  ne  vous  chante  que  la  vérité,  je 
vous  prie,  que  luymesmes  face  le  discours  de  ses 
desseins  à  l'assemblée.  A  peine  de  l'amende, 
vous  me  direz  que  j'ay  bon  nez,  et  que  c'est 
dommage  que  je  ne  suis  fleuron  ou  chien  de 
chasse,  de  loin  je  sentiroye  bien  où  seroit  le 
gibier.  » 

Si  ce  bon  marchand  de  Panthaleon  avoit  bonne 
envie  que  Rodolphe  estalast  dequoy  pour  nous 
employer  à  rire  ceste  apresdisnée,  la  queue,  au 
moins  la  langue  fretilloit  à  Rodolphe,  qui  bele- 
toit  d'aise  qu'il  avoit  en  soymesmes  de  s'estre  peu 
imprimer  dans  son  imaginative  l'idée  nociere.  Et 
pource,  si  tost  qu'il  vit  que  l'on  ne  disoit  mot  : 

((  Messieurs,  va  il  dire,  ce  me  seroit  folie  et 
mescognoissance,  mais  encores  plus  mal  séant,  si 
je  vous  tenoie  couvert  et  caché  le  grand  heur  qui 
resjouit  l'intérieur  de  mon  ame  de  ce  que  j'ay 
peu  donner  jusques  au  parc  de  mariage,  au  moins 
j'y  guigne  fort.  On  me  dit  que  ce  n'est  marché 
de  chevaux,  et  qu'assez  viste  j'auray  loisir  de 
bander  au  repentir.  Je  vous  cognois,  mes  amis, 
je  vous  fais  voir  dans  le  cabinet  de  mon  ame. 
Voyez,  n'y  ay  je  pas  une  perle  nociere.?  Si  elle 
m'est  proffitable,  vous  me  congratulerez;  si  elle 


DU     MARIAGE.  65 

m'est  contraire,  faudra  que  vous  m'aidiez  à  m'en 
dessaisir.  Je  vous  prie,  qu'on  ne  me  rue  des  pan- 
tagruelismes  panurgiques  à  la  Rabelesque,  cela 
ne  serviroit  qu'à  empirer  ma  douleur,  et,  en  tout 
cas,  on  diroit  de  nous  que  nous  pratiquerions  le 
proverbe,  qu'après  bon  vin  bon  roussin;  qu'après 
estre  bien  saouls  et  avoir  la  panse  bien  pleine, 
nous  cracherions  de  gros  mots  de  gueule  à  tuer 
chien. 

—  Vous  avez  raison,  lui  vay  je  respondre,  Sei- 
gneur Rodolphe,  et  ne  pouvons  que  vostre  re- 
queste  ne  vous  soit  entérinée  ;  vous  estes  un  hon- 
neste  homme,  et  qui  aimez  vostre  honneur.  Si- 
j'estoie  grand  docteur,  je  m'offriroie  à  vous  don- 
ner quelque  bon  conseil  sur  ceste  vostre  entre- 
prise, mais  deux  occasions  m'en  empeschent 
principalement  :  la  première  est  que  je  ne  suis 
légiste,  je  suis  jeune,  mal  rompu  aux  affaires,  et 
si  je  ne  cognois  celle  à  laquelle  voudriez  don- 
ner; l'autre  que,  quoy  que  je  soie  nouveau  au 
monde,  je  me  souviens  avoir  ouy  dire  à  l'oncle 
de  monsieur  le  Prévost  que,  pour  s'estre  trouvé 
durant  sa  vie  en  plus  de  dix  mil  traictez  et  festins 
nociers,  il  ne  pourra  estre  dit  que  jamais  il  ait 
conseillé  ou  dissuadé  à  aucun  de  se  marier.  La 
raison,  disoit  il,  estoit  que,  si  ceux  qui  eussent 
pris  son  advis  s'en  fussent  trouvé  mal,  il  n'y  a 
point  tant  de  minutes  d'heures  en  un  an  qu'il  eut 


66  DU     MARIAGE. 

receu  de  maudissons  par  jour;  que,  si  quelques 
fois  il  eut  bien  rencontré,  on  l'eut  voulu  faire  ma- 
quignon à  tous  propos;  et  quelquesfois,  ou  il 
eut  servy  de  quelque  mauvaise  monture  rosse  et 
de  pauvre  affaire,  ou  le  piqueur  qu'il  eut  baillé, 
parce  qu'il  n'eut  esté  entendu  au  mestier,  il  eut 
foulé  son  traquenart,  et,  qui  pis  est,  il  se  fut 
gasté  luy  mesmes.  «  Pource,  me  disoit  il,  mon 
amy,  lors  qu'on  me  demandoit  mon  opinion  d'un 
mariage,  jamais  je  ne  disoie  mot,  ains  ne  faisoie 
que  bransler  la  teste.  Que  si  le  mariage  ne  ve- 
noit  à  point  :  «  Je  te  l'avoie  bien  prédit,  respon- 
doie  je;  s'il  estoit  heureux:  ))  «  Un  tel  (disoit  on) 
ne  l'a  aussi  empesché.  »  J'aime  mieux  pécher  en 
omission  qu'en  commission;  mais  je  vous  diray  : 
voila  Le  seigneur  Panthaleon,  qui  est  docteur  de 
quandoque,  allas  in  utroque,  hardy  au  possible, 
ne  craignez  pas  qu'il  ne  vous  puisse  donner  quel- 
que bon  conseil;  il  le  fera  pour  l'amour  de  la 
compaignie,  quoy  que  ce  soit  contre  sa  coustume 
de  faire  des  consultations  seiches.  Ce  sera  à  faire 
à  luy  remonstrer  que  ce  sera  pour  enfler  ses  tomes 
de  conseils.  » 

Nostre  maistre  Panthaleon  ne  demandoit  pas 
meilleur  pain. 

«  Or  ça,  mon  amy  (parlant  à  Rodolphe),  j'ay 
bien  pris  vostre  fait,  vous  parlez  de  vous  marier; 
nous  avons  icy  messer  Alexandre  ;  il  faut  qu'en 


DU    MARIAGE.  67 

vostre  présence  nous  en  communiquions  par  en- 
semble par  manière  de  devis. 

Et  bien,  Monsieur,  sur  le  champ  va  il  dire  au 
docteur  Alexandre,  voicy  le  seigneur  Rodolphe, 
qui  n'est  pas  en  petite  peine  :  vous  avez  peu  en- 
tendre que  c'est  qu'il  a,  je  vous  le  deduiray  en 
deux  mots  :  Questio  juris  est,  non  facti.  Depuis 
quelque  temps,  il  a  pris  fantaisie  de  se  mettre  en 
mesnage,  uno  verbo,  de  se  marier;  mais,  avant 
qu'entrer  en  tel  train,  il  desireroit  que  nous  luy 
apprissions  s'il  y  fait  seur  pour  luy,  et  s'il  s'en 
treuvera  bien.  Je  cognois  le  seigneur  Rodolphe 
il  y  a  long  temps  :  il  a  la  teste  assez  prés  du  bon- 
net, qui  me  fait  croire  que  malaisément  il  se  com- 
portera avec  une  femme,  de  sorte  que  je  ne  seroie 
point  de  ceux  qui  le  voudroient  pousser  à  se  ma- 
rier. Or,  voicy  les  moyens  que  je  me  donne  par 
la  cervelle  :  le  premier  que,  s'il  y  a  personne  qui 
ait  l'aureille  prime,  la  teste  verte  et  l'œil  au  bois, 
c'est  le  seigneur  Rodolphe;  il  est  frappé  au  coin 
de  ses  père  et  mère.  Contons,  je  vous  prie,  par 
escot,  et  vous  verrez  que  je  ne  me  mesconte  pas. 
Le  seigneur  Rodolphe  mourroit,  ou  il  faudroit 
qu'elle  mourut,  si  elle  le  faisoit  bélier.  La  femme 
est  taquine  et  avaricieuse,  et  il  veut  estre  hon- 
neste  homme  ;  la  femme  ne  demande  que  du  bruit, 
et  il  ne  cherche  que  la  paix.  Le  voila  donc  tombé 
en  desespoir,  s'il  n'y  a  que  vous  qui  l'advisiez, 


68  DU    MARIAGE. 

OU  bien  il  pourra  gentiment  et  beau  se  confiner 
en  un  bel  hermitage.  » 

Va  respondre  messer  Alexandre  :  «  Ne  préci- 
pitons pas  les  affaires,  vous  chargez  fort  les 
pauvres  femmes.  Allez  hardiment  à  pied  :  si  vous 
faites  si  pauvre  chère  aux  montures,  ne  pensez 
pas  que  par  après  en  trouviez.  Et  bien,  s'il  y  a  eu 
quelques  femmes  mal  advisées,  vous  inférerez 
que  toutes  les  autres  femmes  ne  vallent  rien.  C'est 
syllogiser  in  barbara  celarent,  à  la  coquarde.  Une 
harondelle  ne  fait  pas,  dit  on,  l'esté,  et  neant- 
moins,  parce  qu'il  y  en  a  eu  (à  ce  que  tenez)  qui 
n'ont  pas  tousjours  dormy,  vous  tascherez  à  nous 
faire  entendre  que  la  meilleure  du  reste  n'a  valu 
un  niquet.  Demeurez  là  et  ne  vous  bougez,  et 
vous  verrez  que  n'estes  si  avant  de  la  partie  que 
vous  présumez. 

—  Ne  pensez  point  que  ma  proposition  géné- 
rale (réplique,  à  demy  refrongné,  le  seigneur 
Panthaleon)  soit  si  crue  et  maigre  que  vous  la 
fantastiquez;  je  tiens  que  c'est  grandissime  mer- 
veille s'il  se  treuve  une  seule  femme  honneste,  et 
vous  tenez  qu'elles  sont  toutes  plus  qu'elles  ne 
sont.  Escoutez  ce  que  nostre  bon  père  Accurse 
nous  apprend.  En  la  loy  Exhis,  ff.  de  legib.,  quel 
exemple  est  ce  qu'il  produit  pour  monstrer  que 
l'on  ne  bastit  des  loix  pour  les  choses  qui  sont 
rares,  ne  prend  il  pas  les  bonnes  femmes,  «  des- 


DU    MARIAGE.  69 

quelles,  dit  il,  n'est  ja  besoin  que  l'on  ordonne 
quelque  sanction,  c'est  une  chose  rare  et  contre 
leur  naturel.  »  Ce  que  luy  mesmes  a  tresbien 
recogneu  sur  la  loy  2.  C.  De  lis  qui  ven.  et  imp,, 
lors  qu'il  baille  ceste  raison,  pourquoy  les  femmes 
sont  plustost  receuës  au  bénéfice  de  l'aage  que 
les  masles,  que  c'est  pourautant  que  la  mauvaise 
herbe  croist  soudainement.  Il  y  a  eu  d'autres  de 
nos  docteurs  lesquels  ont  bien  passé  plus  outre, 
lors  qu'ils  ont  escrit  que  la  femme  n'avoit  natu- 
rellement aucune  bonté  et  probité,  que,  si  elle 
luy  survenoit,  c'estoit  un  surcroist  outre-naturel 
et  miraculeux.  Si  ainsi  est,  vous  n'avez  occasion 
de  dire  que  mon  illation  est  trop  prompte  et  gé- 
nérale d'un  particulier.  Au  contraire,  c'est  miracle 
si  toutes  ne  sont  vicieuses  et  pires  que  je  ne  les 
vous  ay  depeinct.  Nous  pouvons  argumenter  des 
choses  qui  sont  coustumieres,  et  qui  le  plus  sou- 
vent sont  pratiquées.  Vous  ne  pouvez  sine  nefario 
scelere  retrancher  quelque  point  de  l'autorité 
qu'Accurse  a  entre  ceux  de  nostre  robe;  moins 
pourriez  vous  alléguer  que  le  bon  homme  fut 
mal  mené  de  sa  femme  :  cela  seroit  jouer  au  de- 
viner contre  ce  qui  nous  est  tesmoigné  par  nos 
mémoires,  et  si  encores  ne  gaigneriez  vous  rien, 
puis  que,  quand  il  auroit  esté  mal  en  femme,  si 
n'estoit  il  si  indiscret  que,  pour  marteler  la  mau- 
vaise teste  de  la  sienne,  il  se  mit  à  mesdire  et 


7Ô  DU    MARIAGE. 

detracter  de  tout  le  reste  du  sexe.  Il  estoit  trop 
bien  appris.  Vous  luy  feriez  à  ce  compte  moins 
d'honneur  qu'à  Socrates,  lequel,  pour  avoir  esté 
endosé  de  la  plus  despite  femme  que  la  terre 
porta  onques,  ne  prit  fantasie  de  mesparler  de  sa 
mauvaise  Xantippe. 

—  Voire  mais,  à  vostre  advis,  respond  messer 
Alexandre,  combien  trouve  on  de  Socrates  à  la 
douzaine?  Comme  Xantippe  estoit  la  plus  mau- 
vaise femme  qu'on  eut  sceu  voir  de  deux  yeux, 
Socrates  estoit  si  froid  et  patient  que  ses  amis  se 
cheuretoient  plustost  de  voir  les  indignitez  de 
ceste  diablesse  que  ce  pauvre  philosophe  donna 
mine  qu^il  sentit  avoir  receu  quelque  coup.  Et, 
parce  que  Socrates  avoit  la  chair  dure,  qu'il  avoit 
bon  dos,  qu'il  portoit  tout,  vous  nous  voudrez, 
ne  ferez  pas.?  faire  croire  que  tous  les  maris  sont 
de  mesmes.  Je  ne  veux  point  aller  en  Italie, 
Espaigne  ou  Alemaigne;  sans  bouger  de  vostre 
Cartier,  vous  cognoissez  nostre  capitaine  du  logis  : 
sans  aller  à  la  Morée,  on  le  trouvera  assez;  con- 
tremirez  le  avec  Socrates,  vous  trouverez  qu'il  y 
a  bien  à  redire.  Sa  femme,  je  le  recognois,  luy  a 
joué  de  tresmauvais  tours,  n'a  pas  esté  à  sa  vie 
qu'elle  ne  luy  ait  tendu  des  embusches;  mais  de 
s'en-aigrir  de  la  façon  qu'il  fait  contre  les  femmes, 
les  tenir  ainsi  sur  les  rangs,  qu'en  voudriez  vous 
dire  ?  Vous  sçavez  les  exécrations  qu'il  marmonne 


DU    MARIAGE.  7I 

tous  les  jours  contre  elles,  les  belles  injures  dont 
il  les  vous  coiffe,  et  que  pour  ceste  occasion  il  a 
perdu  la  grâce  de  nostre  bonne  dame.  Il  a  pour 
le  moins  soixante  dix  ans  sur  la  teste  :  c'est  à 
ceste  heure  que,  si  jamais  il  a  peu  l'estre,  qu'il 
doit  estre  sage,  et  neantmoins  vous  voyez  que  le 
tort  qu'il  a  receu  de  sa  Perigourdine  l'a  mis  en 
telle  altère  qu'il  ne  vous  sçauroit  dire  deux  mots 
d'une  femme  qu'il  ne  la  vous  représente  comme 
une  vilaine,  meschante,  malheureuse,  caron- 
gne,  etc. 

—  Mais  pourquoy  (répliqua  le  seigneur  Pan- 
thaleon)  mettrons  nous  plustost  Accurse  de  la 
compaignie  de  ce  mauvais  homme  de  capitaine 
que  du  rang  de  Socrates?  Tous  deux  ils  estoient 
gens  lettrez  et  philosophes,  et  vous  voulez  faire 
sympathiser  l'humeur  d'un  guerrier  avec  celle 
d'un  docteur  juriste:  je  seroie  d'avis  que  vous  fis- 
siez monter  ce  capitaine  en  chaire;  mais  ils  sont 
tous  trois  cassez  et  hors  de  cartier,  mesmes  notre 
capitaine  ne  pose  plus  de  sentinelles,  si  ce  n'est 
au  coin  d'une  cuisine  et  auprès  d'une  bouteille. 
Je  ne  diray  pas  qu'il  radotte;  mais  vous  sçavez 
que  le  malheur  de  la  guerre  est  tel  que  ceux  qui 
l'ont  hanté,  et  qui  sur  tout  y  ont  eu  commande- 
ment, estiment  que  ceux  ausquels  ils  ont  affaire 
soient  leurs  gouges,  goujats  et  telle  fretaille.  Les 
femmes  ne  veulent  perdre  leur  rang  :  si  ce  capi- 


72  DU     MARIAGE. 

taine  a  la  cervelle  faite  à  l'estuvée,  sa  femme  Ta 
à  la  composte.  Or,  pour  vous  oster  d'opinion 
qu'Accurse  ait  esté  poussé  par  quelque  sinistre 
affection  à  coucher  par  escrit  ce  que  je  vous  ay 
allégué  touchant  la  mauvaistié  des  femmes,  je 
suis  bien  contant,  moyennant  que  la  compaignie 
ne  le  trouve  pas  mauvais,  de  seconder  son  dire 
de  l'autorité  de  plusieurs  autres  grans  person- 
nages. Le  divin  Homère,  au  deuxiesme  de  son 
Odyssée,  introduit  Agamemnon,  lequel,  parlant 
de  la  femme,  dit  que  l'on  ne  sçauroit  imaginer 
chose  plus  ennuieuse  et  meschante  que  la  femme, 
suivant  le  proverbe  tiré  du  poète  Menandre,  que 
la  mauvaise  femme  est  le  trésor  de  tous  les  maux, 
et  que  là  où  sont  les  femmes,  les  maux  ne  les 
abandonnent  non  plus  que  les  puces  font  les 
chiens.  Euripide  en  sa  Medée,  et  le  tragique  Se- 
neque  en  son  HippoUte,  nous  apprennent  que  les 
femmes  ne  sçavent  que  c'est  de  faire  bien;  mais 
de  brasser  quelque  meschant  tour,  elles  y  sont 
tres-experimentées. 

—  Faites  moy  une  amitié,  seigneur  Pantha- 
leon,  va  dire  messer  Alexandre,  de  ne  me  ramen- 
tevoir  les  tesmoignages  de  ces  poètes,  car,  afin 
que  je  ne  vous  cache  point  ce  qui  en  est,  je  n'en 
tiens  point  grand  conte.  Ils  ont  leur  langue  trop 
satyrisée.  Sur  tout  vous  me  faites  icy  parade  d'un 
fort  brave    homme  qu'Euripide,  je  dy   pour  le 


DU     MARIAGE.  78 

fait  de  question,  comme  si  vous  estiez  à  sçavoir 
que  Aule  Gelie,  au  quinziesme  livre  de  ses  Nuicts 
attiques^  chap.  20,  escrit  qu'il  a  esté  de  tout 
temps  fort  enverré  contre  les  femmes,  soit  que 
son  farrouche  naturel  l'estrangea  de  la  compai- 
gnie  des  femmes,  soit  que  de  despit  qu'il  eut 
d'avoir  espousé  deux  femmes,  suivant  l'ordon- 
nance du  Sénat  d'Athènes,  ausquelles  il  ne  pou- 
voit  fournir,  il  se  soit  mis  à  hayr  les  femmes  si 
fort  qu'il  n'a  peu  qu'il  ne  se  soit  contredit  à  soy- 
mesmes.  En  son  Andromache,  il  tient  que  ce 
n'est  chose  honneste  qu'un  homme  ait  la  charge 
et  gouvernement  de  deux  femmes;  et  neantmoins, 
au  rapport  de  Stobée,  il  se  plaind  des  loix  no- 
cieres,  de  ce  qu'elles  ne  sont  bien  establies,  parce 
que,  pour  bien-heurer  un  homme,  il  faudroit 
qu'il  eut  plusieurs  femmes,  moyennant  qu'il  eut 
moyen  de  les  nourrir  et  entretenir. 

—  Vous  seriez  bien  aise,  messer  Alexandre, 
pour  cet  incident  estourdir  la  matière  (répliqua  le 
seigneur  Panthaleon),  et,  sous  prétexte  d'entrer 
en  reproches  et  debatre  le  tesmoignage  d'Euri- 
pides,  m'empescher  de  donner  l'atteinte  vive  que 
j'ay  desja  commencé  sur  la  mauvaise  corne  des 
femmes:  vous  verrez  que  vous  ne  ferez  pas  ce  que 
pensez.  Puis  que  n'en  voulez  qu'à  Euripide,  je 
vay  sauver  son  tesmoignage,  après  je  vous  re- 
trouveray  bien.  La  contradiction  que  présupposez 


74  DU    MARIAGE. 

n'est  pas  mal-aisée  à  rabattre.  De  fait,  Euripide 
tenoit   que  c'estoit  un   bien  grand  mal   qu'un 
mary  eut  deux  couches,  deux  femmes  et  deux 
atteliers.  C'estoit  bien  assez  qu'il  fut  tendu  à  une 
besoigne;  mais,  puis  que  le  décret  du  Sénat  fai- 
soit  voie  à  ceste  double  charge,  il  croyoit  qu'il 
falloit  plier  le   col.   Toutesfois,   pour  soulager 
l'ennuy,  la  fatigue  et  l'oppresse,  qui  sucçoit  la 
moelle  du  corps  des  plus  avigouris,  il  donne  un 
remède  qui  n'est  point  impertinent  :  c'est  que 
l'on  ait  deux  femmes,  afin  que  l'on  choisisse  celle 
qui  sera  la  moins  mauvaise  pour  se  jouer  avec 
elle,  et  qu'on  laisse  là  l'autre  :  si  bien  qu'encores 
que,  si  ses  souhaits  avoient  lieu  et  que  son  opi- 
nion tint  le  rang  de  loy,  chasque  homme  ne  deut 
avoir  que  sa  chascune,   toutesfois,  puis  que  le 
décret  public  introduisoit  le  couple  de  l'accouple 
féminine  pour  le  masle,  il  estimoit  le  mary  heu- 
reux qui,  obéissant  à  la  loy,  forçoit  mesmes  sa 
nature,  mesprisoit  ses  aises,  et  fouloit  aux  pieds 
le  soin  qu'il  devoit  avoir  de  sa  famille,  laquelle 
ne   pouvoit  estre  qu'en   garbuges,   quereles  et 
noises.  Vous  tenez  qu'il  a  espousé  deux  femmes 
ensemblemeni,  je  vous  advertis  qu'il  a  bien  esté 
mary  de  deux  femmes,  mais  c'a  esté  l'une  après 
l'autre  (ainsi  que  le  remarque  le  scholiaste  Mos- 
chopule),  de  mesmes  que  le  fut  nostre  Socrates, 
lequel  en  premières  noces  eut  à  femme  Myrtone, 


DU     MARIAGE.  j5 

fille  d*Aristides,  surnommé  le  Juste,  laquelle  ne 
luy  apporta  aucun  douaire  et  de  laquelle  il  eut 
deux  fils,  à  sçavoir  Sophronisque  et  Menexene. 
En  secondes  noces,  il  frappa  à  ceste  fausse  pièce 
de  Xantippe.  Pour  Tinimitié  que  vous  imposez  à 
Euripide  contre  le  sexe  femenin,  je  la  pourroie 
vous  mettre  en  ny  tout  à  plat,  attendu  que  je 
treuve  qu'Athénée  nous  le  rend  fenin  et  fort 
affoulé  de  l'amour  des  femmes;  mais  je  feroie 
entrebattre  Athénée  avec  Suidas  et  Aule  Celle  : 
j'aime  mieux  emploier  la  response  que  fit  So- 
phocles  à  un  certain  personnage,  qui  luy  propo- 
soit  le  mesmes  d'Euripide  que  vous  m'avez  fait, 
qu'il  hayoit  à  mort  les  femmes,  (c  En  ses  tragé- 
dies, respondit  il,  il  leur  porte  véritablement 
quelque  dent,  pource  que  les  femmes  ne  sont 
tousjours  de  mesmes  qu'au  lict,  »  qui  estoit  au- 
tant que  si,  en  bon  françois,  il  eut  dit  qu'Euri- 
pide estoit  fort  mal  édifié  des  mauvaistiez  et  hu- 
meurs dépravées  de  la  femme,  encores  qu'il  prit 
plaisir  à  les  hanter  et  familiariser  ;  ou  bien  nous 
pourrons  icy  emploier  la  response  que  fit  le  poète 
Philoxene  à  ceux  qui  trouvoient  mauvais  que 
Sophocles  eut  prisé  les  femmes,  et  que  luy  les 
délava  d'une  terrible  façon.  «  Sophocles,  dit-il, 
a  représenté  les  femmes  telles  qu'elles  devroient 
apparoir,  et  je  les  fais  voir  selon  qu'elles  se  com- 
portent. »  Voila  Euripide  qui  est  à  couvert;  re- 


76  DU     MARIAGE. 

venons  à  nos  moutons.  Vous  vous  plaignez  de 
ce  que  je  vous  mets  en  butte  les  poètes  ;  puis 
qu'ils  ne  vous  agréent,  il  faut  que  je  vous  serve 
d'autres  mets.  Entre  les  Epistres  de  S.  Hierosme, 
il  y  en  a  une  de  Valeriùs  à  Ruffin,  où  il  met  que 
la  bonne  femme  est  aussi  rare  que  le  Phœnix,  et 
que  les  essaims  des  mauvaises  sont  si  pleins  et 
fertiles  que  tout  le  monde  est  brouté  et  essourdé 
du  bourdon  de  ces  guespes.  A  ce  doit  estre  rap- 
portée la  response  qui  fut  faite  à  un  qui  estoit 
sur  les  termes  de  faire  le  sot  (je  veux  dire  saut), 
ainsi  que  le  seigneur  Rodolphe,  mais  ilnesçavoit 
qui  luy  seroit  plus  propre,  ou  une  pucelle,  ou 
une  vefve.  On  luy  dit  :  E  malis  multis  quod  mi- 
nimum est,  id  minimum  malum  est.  Qui  potest 
mulieres  vitare  vitet,  ut  quotidie  pridie  caveat  ne 
faciat  quod  pigeât  postridie.  Diogenes  le  cynique, 
ayant  veu  deux  femmes  qui  se  saccottoient  aux 
aureilles,  «  voila,  dit-il,  un  aspic  qui  emprunte 
du  venin  de  la  vipère.  »  Le  Sage,  en  VEcclesias- 
tique,  chap.  25,  tient  que  la  malice  de  la  femme 
est  plus  dangereuse  que  la  poison  de  la  couleuvre 
et  du  dragon.  Salomon,  en  VEcclesiaste,  ch.  7, 
escrit  qu'il  a  trouvé  entre  mil  un  homme  de  bien, 
mais  n'a  sceu  en  trouver  une  bonne  entre  toutes 
les  femmes.  Et  sainct  Hierosme  escrit  que  la 
femme  est  le  chef  de  tous  maux,  qu'en  la  saincte 
Escriture  le  diable  et  la  pluspart  de  ses  allèche- 


DU     MARIAGE. 


77 


mens  nous  sont  représentez  et  remarquez  par  la 
femme.  Partant  Aristippe  n'avoit  pas  mauvaise 
raison  de  dire,  lors  qu'on  luy  reprochoit  de  ce 
qu'il  avoit  donné  pour  femme  sa  fille  à  son  en- 
nemy  :  «  Que  pouvoie  je  lui  donner  de  pis  pour 
bien  le  tourmenter  et  le  mettre  en  affaires?  »  Icy 
je  ne  vous  veux  ramentevoir  les  plaintes  qui  sont 
dressées  par  Tertuliien,  Origene  et  quelques 
autres  docteurs,  sur  ce  que  la  femme  provoqua 
le  père  des  humains  à  la  transgression  du  com- 
mandement sacré,  vous  me  renvoieriez  aux  feuilles 
de  figuier;  mais  voyez  de  quelles  couleurs  S.  Jean 
à  la  Bouche  d'or  la  vous  descrit  :  a  La  femme, 
qu'est  ce  autre  chose  que  l'ennemie  d'amitié,  une 
peine  inévitable,  un  m.al  nécessaire,  une  tentation 
et  espreuve  naturelle,  une  calamité  désirable,  un 
danger  domestique,  une  perte  délectable  ou  dé- 
testable, la  nature  du  mal  fardée  des  couleurs  du 
bien?  »  En  voulez  vous  une  autre  description, 
laquelle  aucuns  attribuent  à  Simonides?  «  La 
femme  est  le  naufrage  du  mary,  la  tempeste  de  la 
maison,  le  destourbier  du  repos,  la  captivité  de 
la  vie,  le  dommage  journalier,  la  bataille  volon- 
taire, la  guerre  de  grans  frais,  la  beste  sauvage 
appellée  au  banquet,  un  chagrin  accroupy,  une 
lyonne  embrassant,  une  scylle  parée,  un  animal 
malicieux.  » 

—  Ce  sont  là  d'estranges  qualitez,  seigneur 


78  DU     MARIAGE. 

Panthaleon,  respondit  le  docteur  Alexandre,  les- 
quelles auriez  bien  affaire  à  vérifier,  si  vous  en 
estiez  pressé.  Toutesfois,  puis  que  ne  faites  que 
les  employer  d'autruy,  faut  que  je  les  prenne 
pour  mesmes  prix  que  vous  les  avez.  Je  ne  vous 
demanderay  point  pourquoy  vous  appeliez  les 
femmes  mal  nécessaire,  parce  qu'il  y  en  a  en 
ceste  compaignie  qui  vous  ont  relevé  de  ceste 
peine  en  la  Guerre  des  masles  contre  les  femelles. 
Si  ne  faut  il  pas  que  vous  m'eschappiez  à  si  bon 
marché,  et,  puis  que  je  ne  puis  agir  alencontre 
de  vous  pour  vos  qualitez,  si  faut  il,  ou  que  vous 
quittiez  la  partie,  ou  que  vous  disiez  pourquoy 
vous  avez  avancé  que  le  seigneur  Rodolphe  ne 
pouvoit  tendre  aux  femmes  pour  ces  raisons  : 
la  première,  qu'il  ne  veut  porter  le  bonnet  à 
simple  corne;  la  seconde,  qu'il  veut  tailler  du 
grand  et  magnifique;  la  troisiesme,  qu'il  mour- 
roit  s'il  y  avoit  du  brouillis  en  sa  maison,  et  ainsi 
vous  voulez  dire  que  les  femmes  sont  tresmal 
seures  pour  la  desserre,  qu'elles  sont  avaricieuses, 
et  qu'elles  parsèment  un  mesnage  de  quereles.  Il 
faut  le  prouver,  ou  s'en  desdire,  ou  publier  qu'on 
parle  à  crédit.  Voy!  que  vous  estes  eschauffé, 
avez  vous  point  aujourdhuy  baisé  votre  Lucrèce? 
Ora  pro  devoto  fœmineo  sexu.  Ne  dites  mot  jus- 
ques  à  ce  que  vous  oyez  amen,  et  vous  verrez 
beau  jeu,  si  la  corde  ne  rompt. 


DU     MARIAGE. 


79 


—  Messer  Alexandre,  va  dire  le  seigneur  Pan- 
thaleon,  vous  pensez,  ce  croy  je,  que  je  manque- 
ray  de  preuve,  j'en  ay  à  revendre  plus  que  vous 
n'en  voudrez,  mais  je  veux  que  vous  y  touchiez 
au  doigt,  et,  s'il  est  besoin,  que  mordiez  dedans. 
Je  ne  vous  serviray  que  de  raisons  et  d'exemples, 
en  serez  vous  pas  content? 

J'ay  dit  que  les  femmes  sont  de  tresdangereuse 
garde,  sur  tout  pour  la  serrure;  je  ne  veux  point 
icy  de  tesmoignages  des  anciens  poètes,  orateurs 
et  philosophes;  sondons  les  raisons  de  ceste  infir- 
mité :  trois  me  suffiront  pour  le  présent.  Sainct 
Jean  à  la  Bouche  d'or  nous  donne  la  première, 
parce  que  ceste  convoitise  prend  sa  source  de 
l'oisiveté  :  de  fait,  ceux  qui  sont  incessamment 
bandez  au  travail  ne  prennent  pas  le  loisir  de 
jouer  à  la  beste  à  deux  dos.  Or,  que  la  femme 
soit  oisive,  sédentaire  et  emploiée  à  peu  de  tra- 
vail, cela  n'est  que  par  trop  évident.  La  seconde 
est,  parce  que  par  l'accouple  du  masle  la  femelle 
reçoit  un  naturel  accomplissement,  entant  que 
la  partie  naturelle  qu'elle  a  vuide,  c'est  la  ma- 
trice, est  tousjours  béante  jusques  à  ce  qu'elle 
soit  remplie  :  nature  ne  se  plaist  au  vuide.  La 
troisiesme  raison  est  prise  des  médecins,  qui  nous 
apprennent  que  ceux  lesquels  travaillent  fort  ne 
sont  point  si  enclins  au  mestier  que  ceux  qui  sont 
lents,  posez  et  retenus  :  l'expérience  nous  en  est 


8o  DU     MARIAGE. 

manifeste  en  ces  grosses  mistrouilles  qui  à  leur 
mine  devroient  dévorer  cinquante  charrettes  fer- 
rées; elles  sont  fioettes  à  l'enclume.  Il  y  a  plu- 
sieurs autres  raisons,  mais  elles  sont  si  grasses 
que  je  n'ose  les  faire  voir  à  la  compaignie,  j'au- 
roie  peur  de  luy  faire  souslever  le  cœur.  Avez 
vous  oublié  ce  que  Balde  escrit  In  rubric.  ext. 
de  cohab.  cleric.  et  mulier.y  que  la  femme  désire 
le  masle  tout  ainsi  que  la  matière  se  comporte  à 
l'endroit  de  la  forme,  et  que  le  fer  est  attiré  par 
l'ayman.  A  vostre  advis  d'où  vient  que  les  ordon- 
nances des  empereurs  punissent  par  mort  le  mary 
adultère,  /.  quamvis,  C.  de  adult.,  et  la  femme 
n'est  que  recluse  en  un  monastère  après  avoir  eu 
le  fouet  :  auth.  hodie,  sous  le  mesme  titre  des 
Adidteres?  N'est  ce  pas  à  cause  de  leur  fragilité 
et  naturelle  inclination?  La  propre  passion  de  la 
femme  c'est  la  convoitise. 

—  Ce  sont  brides  à  veaux  que  ce  que  vous 
contez,  seigneur  Panthaleon,  répliqua  messer 
Alexandre,  je  vous  renvoie  à  la  pratique;  mais 
voyons  que  vous  estes  un  subtil  ergoteur,  vous 
voulez  faire  accroire  que  les  femmes  prennent 
plaisir  qu'on  bande  les  estœufs  dans  leur  trou, 
parce  que  les  loix  ne  sont  point  si  rigoureuses 
contre  elles  lors  qu'elles  le  permettent  que  contre 
les  maris.  Mais  je  vous  respons  que  tant  nos  ju- 
risconsultes anciens  que   les  empereurs  se   sont 


DU    MARIAGE.  8l 

fort  rudement  ruez  sur  ces  pauvres  femmes.  Que 
je  die  vray,  il  n'estoit  pas  permis  à  la  femme,  en- 
cores  qu'elle  eut  surpris  son  mary  en  adultère,  de 
l'accuser  ou  de  le  tuer,  voire  de  le  toucher  du  fin 
bout  du  doigt,  ainsi  que  Caton  a  remarqué  en 
son  harangue  du  douaire  dans  A.  Gelle,  livre  lo, 
chap.  2  3,  dont  le  comique  Plaute  fait  plaindre  la 
pauvre  Syra  en  ceste  façon  : 

Les  femmes  pour  le  vray  sont  bien  plus  misérables 

Que  ne  sont  les  maris,  lesquels  peuvent  mener 

Leurs  garses  au  logis  sans  en  estre  punis  : 

Les  femmes  n'oseroient  aller  se  pourmener; 

D'avec  elles  soudain  ils  seroient  des-unis; 

Hé  Dieux  !  que  ne  sont  ils  reiglez  par  loix  semblables  ? 

Pourquoy  est  ce  que  la  dame  qui  se  sera  laissé 
sursaillir  à  son  esclave  sera  grièvement  punie,  et 
le  seigneur  qui  s'accouple  à  celle  qui  luy  est 
esclave,  qu'en  a  il  ^  est  il  recerché  ?  Ses  enfans  sont 
avantagez  de  beaucoup,  appert  par  la  loy  der- 
nière C.  Com.  de  manum.,  et  par  le  4  chap.  de  la 
nov.  78.  Lors  que  l'empereur  Vespasien,  dans 
Suétone,  establit  que  la  dame  qui  s'estoit  accou- 
plée à  son  serf  fût  esclave,  assujetit  il  le  seigneur 
à  une  telle  rigueur?  Des  bayes!  La  raison  de 
ceste  diversité  est  proposée  par  la  glose  au  para- 
graphe :  Si  qua  cum  servo,  12,  q.  2,  parce  que  la 
paillardise  est  plus  sale  en  la  femme  qu'au  mary. 


1 1 


82  DU     MARIAGE. 

Mais,  puis  que  ce  sont  opérations  naturelles  et 
illégitimes,  c'estoit  bien  la  raison  que  la  femme, 
qui  naturellement  est  poussée  à  ceste  naturalité, 
fût  plus  supportée  que  le  mary,  ou  que  le  mary 
y  baçide  plus  fort  par  sa  nature.  Ce  qui  m'entre- 
tient plus  en  ceste  opinion  est  que  n'est  pas  au 
bon  Pétrarque,  qui  n'en  ait  voulu  dire  sa  râtelée 
aussi  bien  que  les  autres.  C'est  sans  doute,  dit-il, 
que  le  sexe  femenin  est  plus  attenu  de  garder  sa 
chasteté  que  ne  sont  les  masles.  En  voila  de 
belles!  Qui  est  plus  à  reprendre,  ou  celle  qui  na- 
turellement, selon  vostre  maxime,  estant  encline 
à  faire  plaisir,  héberge  ceux  qui  pourroient  se 
morfondre  à  l'esgout,  ou  ceux  qui  se  violentent, 
par  manière  de  dire,  pour  tendre  au  larcin  qu'ils 
font.  Les  femmes  portent  la  serrure;  naturelle- 
ment elles  prennent  plaisir  que  leur  nature  soit 
parfaite  par  le  remplissement  des  parties  qu'elles 
ont  vuides.  Les  hommes  portent  la  clef  :  s'ils  cro- 
chètent la  serrure,  ne  sont  ils  pas  plustost  punis- 
sables que  les  femmes?  11  faut  que  vous  me  pas- 
siez cest  article;  autrement,  si  c'estoit  un  autre 
que  vous  qui  voulût  tenir  la  négative,  je  luy 
ferois  entendre  à  deux  pieds  de  son  nez  qu'il  ma- 
quignonneroit  pour  les  enfans  de  la  matthe.  En 
un  mot,  vous  me  pourrez  payer  par  ce  que  j'ay 
leu  dans  la  Forest  nuptiale  et  les  Matinées  de  vous, 
seigneur  de  Cholieres,  sur  la  différence  qui  est 


DU     MARIAGE.  83 

du  crime  de  felonnie  et  des  excès  du  seigneur  au 
respect  de  son  vassal  :  reprenez,  je  vous  prie, 
seigneur  Panthaleon ,  vos  preuves,  le  temps  me 
dure  que  n'ayez  fait,  car,  si  j'ay  le  loisir,  je  vous 
en  donneray  de  bonnes. 

—  Je  m'en  vay,  respond  le  seigneur  Pantha- 
leon, à  ceste  heure  aux  exemples  de  celles  qui 
ont  esté  si  safîres  d'engouler  que  j'ay  horreur  et 
frémis  lors  qu'elles  me  reviennent  devant  les  yeux. 
Combien  d'eau  eut  il  fallu  pour  estaindre  le  bra- 
sier de  l'impudique  Messaline,  femme  de  l'empe- 
reur Claude,  lequel,  comme  il  ne  la  pouvoit  as- 
souvir, estoit  aussi  encorné  d'une  estrange  façon, 
car  elle,  prenant  l'habit,  le  nom  et  la  qualité  de 
la  putain  Lycisca,  presque  toutes  les  nuits  s'en 
alloit  au  Huleu  et  Champ-gaillard  des  bordele- 
ries,  et  là  se  prostituoit  à  tous  allans  et  tous  ve- 
nans.  Voire  estoit  elle  tellement  eshontée  qu'elle 
deffioit  à  ce  choc  impudique  les  plus  fortes  pu- 
tains, qui  toute  leur  vie  n'avoient  fait  que  courir 
l'aiguillette,  lesquelles  à  tout  coup  elle  acculoit  : 
voire  un  jour,  au  rapport  de  Pline,  elle  fît  quitter 
la  partie  à  une  qui  avoit  le  bruit  d'estre  l'une  des 
insatiables  du  pays,  et  à  ceste  fois  là  ne  plia  point 
pour  vingt  cinq  sursaillies  d'estalons.  La  Quar- 
tille  de  Petronius  Arbiter  se  vante  que  Junon 
l'eut  advisée  de  mauvais  œil,  si  elle  eut  peu  se 
souvenir  d'avoir  esté  pucelle,  car,  estant  petite 


84  DU     MARIAGE. 

fillette,  elle  s'accrochoit  avec  des  petits  garson- 
nets,  et  avec  des  plus  grands  à  mesure  qu'elle 
croissoit  en  aage.  Les  deux  Jeannes,  roynes  de 
Naples,  méritent  bien  d'estre  en  ceste  liste,  et 
sur  tout  la  seconde,  qui  ne  laissoit  eschapper  un 
homme  ayant  beau  nés  qu'il  ne  battit  à  la  porte 
de  son  pucelage  perdu.  Il  y  en  a  eu  d'autres  qui 
n'ont  peu  estre  retenues  par  la  saincteté  naturelle 
d'incestuer.  Vous  avez  les  filles  de  Loth,  Myrrha 
ou  Cinyra  (de  laquelle  parle  Stobée  Serm.  62), 
Pelopeia,    qui   aima   impudiquement  son    père 
Thyeste;  Harpalyce,  qui  brusloit  après  Clymene, 
son  père;   Hipodamie,  après  Œnomae;  Procris, 
après  Erychthée;  Nyctimene,  après  Epopée,  et 
Valérie  Tusculanarie,   laquelle,   au   rapport  de 
Plutarque  en  ses  Paralelles,  chap.  45,  fut  telle- 
ment énamourée  de  son  père  Valere  que  par  les 
menées  de  sa  chambrière  elle  trouva  moyen  de  le 
faire  incestuer  avec  elle.  Ce  que  le  bon  homme 
ne  descouvrit  pas  plustost  qu'il  se  fit  mourir. 

Si  les  pères  n'ont  peu  estre  exempts  des  bru- 
tales passions  effectuées  parleurs  filles,  les  propres 
enfans  ont  servi  mesmes  d'estalons  à  leurs  mères. 
Ceste  grande  royne  des  Assyriens  Semiramis  ne 
s'abusa  elle  pas  après  son  propre  fils,  Ninus,  qui 
en  prit  un  tel  desdain  qu'il  luy  fit  en  achapter  la 
réparation  par  la  perte  de  sa  vie?  Parisatis  fut 
bien  plus  hardie  :  car,  pour  couvrir  l'enormité 


DU     MARIAGE. 


85 


exécrable  de  l'inceste  qu'elle  avoit  commis  avec 
son  Darius,  elle  voulut  qu'il  fût  doresen avant 
permis  riere  le  ressort  du  royaume  Persan  que  les 
accouplemens  nociers  fussent  indifferens  entre 
les  pères,  mères  et  enfans.  Peut  on  pallier  l'in- 
ceste d'Agrippine  avec  Néron,  de  Cratea  avec  ce 
Periandre,  qui,  quoy  qu'il  fut  enroolé  entre  les 
sept  sages  de  la  Grèce,  si  ne  peut  il  se  sauver  de 
l'amour  incestueuse  de  sa  mère  Cratea. 

Les  frères  ont  ils  esté  exempts  des  allechemens, 
ou  plustost  incestes  de  leurs  impudiques  sœurs? 
Les  amours  de  Biblis  avec  son  frère  Caunus  sont 
trop  descouvertes  par  Ovide  au  9.  de  sa  Méta- 
morphose. La  Romaine  Camille  ne  peut  espar- 
gner  son  propre  frère  Papyrius  ;  Canace,  son  frère 
Macarée;  et  de  nostre  temps  un  personnage  qui 
n'a  icy  point  de  nom  [mémorise  defuncti  id  datur) 
lequel  a  eu  le  pucelage  de  sa  propre  Margot, 
ainsi  appelloit  il  sa  garse-sœur. 

Les  belles  mères  ont  eu  à  si  peu  de  respect  la 
couche  de  leurs  maris  que  leurs  propres  enfans 
d'autres  licts  leur  ont  servy  de  sursailleurs  :  Arsi- 
noé,  femme  de  Lysimaque,  appella  à  ce  sale 
combat  Agathocles  ;  Demeneta  se  perdoit  de  l'af- 
fection dont  elle  estoit  outrée  alendroit  de  Gne- 
mon,  fils  de  son  mary  Aristippe.  Les  deshon- 
nestes  amours  de  Phedra  à  Hipolite,  de  Gidique 
à  Comminius,  de  Philonome,  femme  de  Cyrnus, 


86  DU    MARIAGE. 

à  Tennes,  et  de  nostre  Limosine,  qui  nous  donna 
le  plaisir  des  Roys,  justifient  assez  de  l'inconti- 
nence des  femmes. 

Je  n'ose  parler  de  celles  qui  se  sont  adressées 
tant  à  leurs  gendres  qu'aux  frères  mesmesde  leurs 
maris  :  il  faudroit  que  je  disse  plus  que  je  n'ay 
envie.  Vous  voyez  le  jardin  où  la  pierre  est  jettée. 
Je  vous  veux  dire  choses  bien  plus  estranges,  et 
qui  vous  feront  dresser  les  cheveux  en  la  teste, 
c'est  que  n'a  pas  esté  aux  bestes  brutes  qu'elles 
n'ayent  esté  sodomisées  par  les  femmes.  Juba, 
Pline  et  Hygin  nous  apprennent  que  Semyramis 
fut  tellement  esprise  de  l'amour  d'un  cheval  que 
sa  frénésie  ne  peut  passer  jusqu'à  ce  qu'il  l'eut 
sursaillie.  Volaterran,  en  sa  Philologie,  liv.  32, 
chap.  5,  remarque  qu'en  la  Toscane,  sous  le  pape 
Pie  troisiesme,  une  fille  fut  tellement  outrée  de 
l'amour  d'un  chien  qu'en  iîn  il  l'engrossa  d'un 
monstre  qui  avoit  les  pattes  et  aureilles  de  chien 
et  le  reste  de  l'homme.  En  l'isle  de  Mendos, 
Strabon  et  Hérodote  certifient  que  les  femmes 
s'accouplent  privément  et  sans  difficulté  avec  les 
boucs.  L'horreur  du  meslange  des  femmes  par 
ensemble  me  ferme  la  bouche,  pour,  quittant 
toutes  les  sortes prœposterse  veneris,  vous  apprendre, 
que,  si  je  vouloye  enfler  la  partie,  je  vous  feroye 
à  vous  mesmes  dresser  les  cheveux  en  la  teste. 

—  Non  non ,  seigneur  Panthaleon,  j'ay  bon 


DU     MARIAGE.  87 

courage  quant  à  moy,  va  respondre  messer 
Alexandre;  mais  tous  ceux  qui  nous  escoutent  ne 
sont  (peut  estre)  de  mesmes.  Je  ne  vous  veux  pas 
contrerooler  vos  exemples,  je  sçay  que  les  avez 
pris  de  bon  lieu;  mais  j'ay  trois  moyens  dont  je 
vous  vay  battre.  Le  premier  est  que,  si  les  femmes 
ont  esté  sales  et  desbordées,  les  hommes  ne  sont 
esté  plus  sobres.  Cela  est  un  article,  lequel  vous 
ne  me  pouvez  nier  ny  mettre  en  conteste  :  la  vé- 
rité des  histoires  vous  donneroit  sur  le  nés  et 
vous  pocheroit  les  yeux.  Le  second  est  que  la 
faute  est  bien  plus  grande  aux  hommes  qu'aux 
femmes,  attendu  qu'ils  sont  establis  pour  les 
régir,  reigler  et  gouverner;  et  ils  ne  sont  plus 
sages  qu'elles,  ils  font  des  fautes  aussi  lourdes 
que  les  femmes.  Le  troisiesme  est  pour  vous  rem- 
barrer, et  prévenir  la  response  que  me  pourriez 
faire,  que  la  bouche  chancreuse  des  masles  ne 
guérit  pas  la  vérole  des  femmes,  car  je  soustiens 
que  les  hommes  sont  bien  plus  hardis,  plus  ar- 
dens  et  plus  violens  au  choc  cupidique  que  les 
femmes  :  ce  ne  sont  pas  elles  qui  prient  et  qui 
forcent. 

—  Vous  le  dites,  réplique  le  seigneur  Pantha- 
leon;  Salluste,  que  dit  il  de  la  docte  Sempronie, 
laquelle  estoit  si  vivement  picquée  de  l'amour  du 
masle  qu'elle  n'attendoit  d'estre  priée  ?  Elle  estoit 
la  suppliante,  et  tant  d'autres  qui  font  le  mesmes. 


88 


DU     MARIAGE. 


Il  est  bien  vray  qu'il  y  en  a  plusieurs  qui  se  font 
requérir  et  courtiser;  mais  est  ce  (à  vostre  opi- 
nion) qu'elles  n'ayent  bien  bonne  envie  de  se  re- 
gaillardir?  Ou  la  honte  leur  fait  tenir  leur  eau, 
crainte  qu'elles  ont  d'estre  renvoyées  esconduites 
avec  autant  de  pieds  de  nez,  ou  bien  c'est  qu'elles 
ont  envie  qu'on  croye  qu'elles  y  sont,  par  ma- 
nière de  dire,  pressées  et  contraintes  ;  mais  celles 
qui  ont  la  bride  abattue  et  un  peu  de  pied  sur  les 
masles,  asseurcz  vous  qu'elles  secouent  bien  le 
pochet.  Je  m'en  rapporte  à  la  plainte  qu'en  faisoit 
le  capitaine  Giulio  des  Clonaris  de  sa  donne  Me- 
gille.  Plustost,  disoit  il,  eut  il  desconfit  cinq  cens 
ennemis  par  la  roideur  de  son  bras  bressan  que 
pouvoir  contanter  cette  goulue,  insatiable.  Dés 
qu'elle  le  pouvoit  tenir,  et  que  la  jonction  des 
pièces  estoit  faite,  il  ne  falloit  pas  penser  qu'elle 
le  quittast  jusques  à  ce  qu'à  force  de  tirer  il  ne 
demeura  une  seule  goutte  d'ancre  au  cornet  : 
elle  vouloit  que  rien  ne  restast  et  que  tout  fut 
mis  dans  son  sac.  Le  pauvre  Agamemnon  de  la 
Cru  en  sçauroit  bien  que  dire;  maintesfois,  lors 
qu'il  eut  voulu  se  reposer  ou  jouer  à  beau  jeu, 
force  luy  estoit  de  bander  droict  au  trou,  c'estoit 
le  coup  de  la  partie  :  il  falloit  obéir  aux  comman- 
demens  de  la  dame  qui  l'avoit  pris  pour  second. 
—  Vous  nous  parlez,  va  dire  le  seigneur 
Alexandre,  des  Messalines  qui  ne  pensent  qu'aux 


DU     MARIAGE.  89 

ramonneurs  de  cheminées,  et  vous  voudrez  dire 
que  toutes  les  femmes  sont  de  mesmes.  Il  y  au- 
roit  autant  d^apparenceque  qui  voudroit  dire  que 
tous  les  hommes  fussent  aussi  vigoureux  que 
Hercules  pour  dépuceler  et  engrossir  quatre 
vingts  tant  de  filles  en  une  nuict,  ou  aussi  chauds 
que  ce  Castillan  qui  fut  limité  à  quatre  fois.   » 

Comme  je  vis  que  ce  discours  s'eschaufîoit,  et 
que  tous  deux,  colerez,  surhaussoient  leurs  voix  : 
((  Messieurs,  commençay-je  à  leur  dire,  ayez  pitié 
et  respect  des  femmes  :  vous  avez  icy  madamoi- 
selle  Euthelie  et  sa  cousine  madamoiselle  Lucrèce  ; 
pensez  vous  qu'au  partir  d'icy  elles  seront  bien 
édifiées  de  vos  discours?  Si  vous  me  croyez  et 
voulez  me  faire  plaisir,  coupez  icy  tout  court  la 
broche  à  Venus,  il  y  a  assez  en  quoy  vous  esbat- 
tre,  aussi  bien  avez  vous  encores  beaucoup  d'arti- 
cles à  dévider.  Si  vous  estendez  autant  sur  chacun 
comme  sur  cestuy,  je  m'en  vay  commander  qu'on 
nous  apporte  icy  à  souper. 

—  Il  n'en  est  de  besoin,  va  dire  le  seigneur 
Panthaleon,je  m'en  vay  esloigner  dutroupunais, 
pour  visiter  le  mesnagement  des  femmes,  et  mon- 
trer que  ce  ne  sont  que  chiches-faces,  taquines, 
chipoteuses  et  avaricieuses,  au  lieu  que  l'homme 
veut  estre  honorable,  magnifique  et  libéral.  Cice- 
ron,  au  premier  livre  de  VInventionj  dit  que  les 
femmes  sont  avaricieuses.   Accurse  adjouste   le 


90  DU    MARIAGE. 

superlatif,  qu'elles  sont  tresavaricieuses.  De  fait, 
on  tient  que  c'est  outre  et  contre  nature,  voire 
miracle,  si  la  femme  donne  quelque  chose,  parce 
que  cela  n'advient  pas  gueres  souvent.  /.  Sed  si 
ego  in  fi.  ff.  ad  Se.  Vell.  l.  Si  a  sponso,  c.  de  don. 
ante  nupt.  Aristote  mesmes  nous  tesmoigne  que, 
privement  et  familièrement,  l'avarice  se  festoyé, 
traite  et  banqueté  dans  l'ame  des  vieillards  et  des 
femmes.  Qu'est  il  besoin  de  s'arrester  en  une 
preuve  qui  est  aussi  claire  que  le  jour? 

—  Seigneur  Panthaleon ,  respondit  messer 
Alexandre,  je  ne  vous  veux  donner  la  peine  d'am- 
plifier ce  qu'avez  proposé,  seulement  je  vous 
prieray  de  me  faire  ce  bien  que  d'adoucir  ce  mot 
d'avaricieuse  :  jamais  je  ne  le  vous  passeray,  cela 
escorche  mes  aureilles;  c'est  une  qualité  odieuse, 
qui  rendroit  les  femmes  plus  misérables  que  Tan- 
tale et  plus  mechaniques  que  le  marchand  de 
Chios  Septice.  Maintenant  on  les  appelle  bonnes 
mesnageres;  et,  si  le  seigneur  Rodolphe  pouvoit 
estre  assorty  d'une  de  ceste  qualité,  je  vous  pro- 
mets qu'il  ne  seroit  pas  mal  party.  En  un  besoin, 
si  vous  ou  luy  vouliez  faire  des  renchéris,  je  vous 
renvoieroye  en  l'escole  de  messer  Alphonsin 
Barbadique,  auquel  le  seigneur  Corneille  Contar- 
dini  un  jour  tenoit  ce  langage,  qu'il  l'avoit  tous- 
jours  cogneu  fort  libéral,  neantmoins  que  sa 
femme  luy  faisoit  perdre,  à  son  bien  grand  regret. 


DU     MARIAGE. 


91 


cest  honneur,  pour  estre  si  escharse  que  tresvo- 
lontiers  elle  voudroit  que  tout  ce  qu'elle  mange, 
vous,  moy  et  tous  ceux  qu'elle  cognoit,  fut  len- 
tilles. «  Je  la  tiens  telle  qu'elle  prendroit  la  peine 
de  le  ramasser  pour  en  faire,  par  plusieurs  fois, 
nouveaux  repas.  Je  me  plains,  direz  vous,  de  ce 
qui  ne  me  touche  pas;  si  seroyeje  bien  aise  que, 
comme  Dieu  vous  a  eslevé  en  dignité,  vostre  mai- 
son reluisit  en  magnificence  pour  empescher  ce 
qu'on  dit  de  vous,  que  vous  n'estes  qu'un  pleure- 
pain  et  vostre  femme  une  chiche-face.  Je  sçay 
bien  qu'on  vous  fait  tort,  attendu  qu'avez  l'ame 
si  bonne  que  détestez  toutes  ces  vieillaqueries; 
par  tout  je  fais  resonner  que  telle  taquinerie  ne 
vient  de  vous,  que  c^est  Madona  Francisquina  ; 
mais  on  me  respond  que  vous  estes  le  maistre; 
que,  s'il  y  a  du  desordre,  c'est  vous  qui  devez  en 
respondre.  —  Cela  est  vray,  seigneur  Corneille, 
mais  vous  ne  dites  pas  que  je  ne  demande  que  la 
paix  en  ma  maison .  Autresfois  j 'ay  voulu  tout  jetter 
par  les  escuelles,  je  m'en  suis  trouvé  si  mal  que 
j'ai  perdu  toute  fantaisie  de  plus  m'en  formaliser. 
En  parle  qui  voudra  ;  s'il  estoit  en  ma  place,  as- 
seurez  vous  qu'il  trouveroit  bien  à  qui  compter. 
Et  voulez  vous  que  je  vous  die?  je  ne  perds  rien 
en  cela,  ma  femme  est  bonne  mesnagere,  elle  serre 
bien  tout  ce  que  j'ay,  elle  fait  tout  servir,  rien  ne 
se  perd.  On  la  fait  escharse,  je  n'en  cognois  pas 


92  DU     MARIAGE. 

beaucoup  qui  jettent  leur  bien  par  la  fenestre; 
que,  s'il  y  a  quelques  uns  qui  veulent  user  de  pro- 
digalité, à  la  fin  on  se  moque  d'eux  :  il  vaut  mieux 
tenir  que  quérir.  Si  ma  femme  fait  mal,  ce  n'est 
qu'à  elle,  je  ne  voudroie  pas  qu'elle  tint  tort  à  au- 
trui, il  n'est  rien  tel  que  d'en  avoir  :  elle  me  traitte 
bien,  j'ay  l'escu  en  bourse,  ou,  pour  le  moins,  je 
sçay  qu'il  est  en  lieu  où  il  me  fait  proffît.  Pensez 
si  j'ay  occasion  de  me  mescontanter  du  bon  mes- 
nage  de  ma  femme.  » 

—  C'est  là  le  langage  d'un  vilain  usurier,  mes- 
ser  Alexandre,  et  qui,  à  ce  que  je  puis  appercevoir 
par  ces  discours,  ne  se  tourmenteroit  pas  beaucoup 
que  sa  femme  le  fît  cornard,  moyennant  qu'elle 
rapportast  des  escus  ou  ducats  en  sa  case.  Pren- 
driez vous  bien  le  seigneur  Rodolphe  pour  un  tel 
homme?  Il  a  le  cœur  assis  en  trop  bon  lieu  :  et 
ne  faut  pas  que  vous  croyez  que  ma  présomption 
.soit  imaginaire;  la  preuve  y  est  ordinaire.  Se- 
neque,  au  deuxiesme  de  ses  Declamaisons,  dit  que 
l'avarice  est  le  fondement  de  toutes  les  démarches 
des  femmes,  la  cornardise  en  est  un  dépendant 
pour  les  maris  qui  ne  sçavent  en  ce  tenir  assez 
bonne  bride  à  leurs  femmes.  La  pratique  nous  en 
est  donnée  tous  les  jours.  En  voulez  vous  un 
exemple,  sans  nommer  personne?  Escoutez  ces 
vers  latins,  que  vous  trouverez,  si  je  ne  suis  gran- 
dement abusé,  dans  VHipponax  du  seigneur  Jules 


DU    MARIAGE.  9$ 

Cesar  de  l'Escale,  poète  et  médecin  Veronois  : 

Dotata  Erynnis,  absque  dote  mendicans, 
Non  te  minus  rogabit  annulum,  arniillam, 
Torquem,  nitelam  sericam,  cicadamque 
Qux  fîbulabat  Athidas  comas  morsu. 
Si  non  dabis,  qux  node,  qux  die  ringens 
Obmurmurabit  !  oblatrabit!  Urgebit, 
Aversa  cernet,  accubabit  aversa^ 
Addet  minas,  minisque,  ni  caves,  facta. 
Cavesve,  non  cavesve,  jam  dabit  factum. 
Paratum  habebit,  qui  daturus  est,  mœchum. 
Si  quxris  unde  comparaverit,  dicet  : 
Avunculus,  te  rusticum  esse  cognoscens 
Et  cimbicem,  suxque  neptis  osorem, 
Tractationis  istius  malx  pœnas 
Te  vult  daturum,  me  tremente,  te  invito. 

—  Vous  employez  tres-mal,  selon  mon  juge- 
ment, ces  vers.  Seigneur  Panthaleon,  répliqua  le 
seigneur  Alexandre,  car  le  poète  ne  veut  pas  là 
donner  une  attache  à  l'avarice  de  la  femme,  mais 
à  celle  du  mary,  qui  n'eut  receu  sur  corne  s'il  eut 
donné  à  sa  femme  ce  qu'elle  luy  demandoit,  et  à 
la  trop  grande  piaffe  que  vouloit  faire  ceste  mi- 
gnonne qui,  pour  s'attiffer  et  parer,  eut  bien  voulu 
despendre  tout  le  bien  du  mary,  voire  n'espargna 
sa  propre  pudicité. 

—  A  la  vérité,  messer  Alexandre,  vous  serez 
certainement  recevable,  respondit  le  seigneur 
Panthaleon,  à  proposer  ce  que  répliquez;  mais, 


94  DU     MARIAGE. 

puis  que  les  femmes  ne  sont  moins  frappées  de 
l'avance  que  de  l'orgueil,  qui  les  pousse  à  se  po- 
piner  de  la  façon,  encores  trouverez  vous  que  je 
ne  m'esloigne  point  tant  du  but  que  vous  criez. 
Et  cependant  j'emploieray  cecy,  afin  de  ne  plus 
le  redire,  que  le  seigneur  Rodolphe,  pour  ne  s'ha- 
bituer en  Cornouailles,  doit  bien  se  garder  de  se 
marier  :  s'il  refuse  les  joyaux,  le  voila  de  la  con- 
frairie  des  béliers.  S'il  fait  pennader  et  courtisanner 
sa  femme,  voila  de  la  proye  qu'il  met  à  l'hazard 
du  premier  Tiercelet  qui  aura  la  griffe  forte  pour 
l'enlever. 

J'ay  le  plus  mal-aisé  en  queue,  non  pas  à 
preuver,  mais  à  faire  digérer  à  ceux  qui  veulent 
prendre  le  party  qui  est  maintenant  cerché  par  le 
seigneur  Rodolphe;  voire,  quand  il  n'y  auroit 
que  ce  seul  point,  j'estime  qu'il  seroit  beaucoup 
-plus  expédient  à  un  homme  de  ne  sçavoir  ou 
n'avoir  sceu  que  c'est  de  femme  que  se  veoir 
ainsi  misérablement  empestré  es  liens  et  cordages 
de  ces  diablesses.  Un  mary  veut  vivre  en  paix,  il 
ne  cerche  que  ce  soûlas,  et  voicy  une  Proserpine, 
une  Megere,  une  Alecto,  qui  revirera  sans  dessus 
dessous  tout  le  mesnage.  Ce  sera  une  criarde, 
unegrongneuse,  une  rechignée,  une  jalouse,  une 
rieuse  ou  une  moqueuse  :  quel  contantement  aura 
le  mary?  Il  lui  faudra  avaler  les  humeurs  de  sa 
femme   doucement,  ou  bien  faire  trotter  martin 


DU     MARIAGE.  çS 

baston  par  la  maison,  au  defîaut  que  les  deux 
poings  ne  suffisent. 

—  N'entrez  pas  en  cest  incident,  vay-je  dire; 
car,  à  ce  que  j'ay  peu  descouvrir,  il  y  en  a  qui 
s'apprestent  pour  pourmener  un  peu  les  batteurs 
de  femmes. 

—  He  bien  !  puis  que  vous  ne  voulez,  va  dire 
le  seigneur  Panthaleon,  qu'on  se  rue  encores  sur 
elles,  n'entrons  pas  à  la  reprimende  et  guerison 
de  la  playe  ;  manifestons  quelle  est  la  maladie,  et 
quel  tintamarre  il  y  a  en  la  maison  lors  que  la 
femme  fait  ses  jeux. 

Que  les  femmes  soient  des  crieuses  et  qui  par 
leur  braillement  essourderoient  cinq  cens  milliers 
d'hommes,  l'expérience  n'en  pourra  que  trop 
rendre  sages  les  incrédules.  La  foudre  et  le  ton- 
nerre ne  font  point  un  tel  tintamarre  que  fait  une 
femme  lors  qu'elle  se  met  sur  ses  ergots  pour  ab- 
bayer.  Ne  vous  souvient  il  point  du  conte  que 
nous  fit  à  ce  propos  dernièrement  le  bon  Padre 
Marcellin  d'un  Cretois  et  d'une  Cretoise  ?  Ce  pau- 
vre insulaire  se  tuoit  à  travailler  pour  faire  quelque 
chose,  afin  de  gaigner  sa  pauvre  vie  et  de  ses  en- 
fans,  si  n'eut  il  osé  demeurer  en  la  maison  :  à  tous 
propos,  il  trouvoit  sa  femme  à  hurler  après  Tun, 
tantost  après  les  autres.  Quand  il  vit  que  ce  train 
dura  trop,  et  qu'il  commença  à  s'ennuier,  il  as- 
sembla ses  parens  et  ceux  de  sa  femme,  leur  re- 


96  DU     MARIAGE. 

monstre  qu'il  luy  estoit  impossible  de  compatir 
au  bruit  que  menoit  continuellement  sa  femme, 
les  prioit  d'aviser  à  y  remédier.  De  sa  part,  s'ils 
le  trouvoient  bon,  il  avoit  délibéré  de  faire  trans- 
porter ses  meubles  en  un  logis  bien  esloigné  de 
sa  demeure  ordinaire,  sans  que  l'on  transmarchast 
ny  son  lict  ny  son  vin,  et  entendoit  que  sa  femme 
se  tint  au  logis  nouveau  tout  du  long  du  jour,  et 
qu^à  mesure  qu'on  auroit  affaire  de  vin  on  en  allast 
quérir  en  l'autre  logis  :  sur  tout  luy  deffendoit 
qu'elle  n'entrast  point  en  ses  vignes.  Qui  furent 
bien  esbahis,  ce  furent  les  parens  tant  d'un  costé 
que  d'autre,  qui  voulurent  sçavoir  de  luy  l'occa- 
sion d'un  si  nouveau  et  estrange  remuemesnage. 
Il  ne  se  fît  pas  gueres  prier  à  la  leur  communiquer. 
«  Mes  bons  amis,  dit  il,  je  ne  veux  permettre  que 
ma  femme  soit  auprès  de  mes  vins,  ny  qu'elle 
mette  le  pied  dans  nos  vignes,  parce  que  je  sçay 
que  le  bruit  du  tonnerre  fait  souvent  tourner  les 
vins.  Le  tonnerre  ne  m'a  onques,  par  la  grâce  de 
Dieu,  encores  fait  de  mal,  voire  ne  m'a  point  esté 
si  ennuyeux  que  sont  les  criailleries  de  ceste  mau- 
vaise créature.  J'estime  avoir  autant  et  plus  de 
force  que  le  vin,  car  il  tourne  au  tonnerre,  ec  je 
ne  m'en  estonne  aucunement.  Si  donques  je  suis 
espouvanté  de  ce  qui  est  plus  grand,  plus  fort  et 
plus  roide  que  le  tonnerre,  ne  fais  je  pas  bien,  at- 
tendu que  je  le  puis,  de  divertir  ce  qui  pourroit 


DU     MARIAGE.  97 

aussi  bien  nuire  à  mon  vin  comme  il  me  nuit  à 
moymesmes?  Pour  faire  verir  les  raisins,  alors  je 
suis  bien  contant  qu'elle  y  vienne,  une  seule 
goulée  deseshurlemens  fera  en  un  moment  tour- 
ner et  verir  toute  ma  vinée.  Au  soir,  j'entens 
qu'elle  et  moy  ne  nous  découchions  pas  de  nostre 
logis  ancien  et  ordinaire  :  je  Tempescheray  bien 
en  ma  présence  de  meffaire  à  mes  vins;  si  je  sens 
qu'elle  veuille  lascher  quelque  coup  de  tonnerre 
préjudiciable  à  mes  vins,  ce  ne  sera  à  faire  qu'à 
boucher  le  trou  de  la  pièce,  et  tout  doucement  en 
syringuant  luy  amortir  sa  ribaude  chaleur.  » 

Voulez  vous  la  description  de  la  femme  lors 
qu'elle  est  en  sa  frenaisie.?  Je  la  vous  bailleray 
telle  que  le  Montferrandois  de  Boissieres  la  nous 
a  patronnée  en  ses  Sizains  des  humeurs  de  la 
femme. 

Par  la  maison  elle  est  pire  que  la  tempeste; 

On  peut  bien  dire  alors  :  Cerbère  est  en  sa  teste; 

L'ennemj  la  gouverne  et  par  tout  la  conduict  : 

Elle  jure,  elle  crie,  elle  est  pis  que  farrouche, 

Elle  jette  brasiers  et  flammes  par  la  bouche. 

Et  plus  que  les  torrens  d'Auvergne  [elle]  a  de  bruict. 

Elle  court,  elle  faict  toute  chose  au  contraire  : 
Père,  mère,  mary,  seur,  voisinage,  frère, 
La  pansans  rapaiser,  ne  la  font  qu'animer; 
Pareille  aux  vents  esmeus  et  au  plus  fier  orage. 
Et  au  feu  ébrandy  par  tout  un  maisonnage, 
Et  au  courroux  des  flots  dangereux  de  la  mer. 

i3 


ç8  DU     MARIAGE. 

Comm'  un  chien  enragé  sa  bouche  elle  s'embave, 
Comm'  un  hors  de  son  sens  l'honneur  elle  déprave; 
Son  courroux  violent  est  du  tout  indompté  : 
Elle  rompt,  elle  brise,  elle  frappe  et  renverse. 
Elle  met  tout  à  bas  et  jette  à  la  traverse, 
Comm'  un  fleuve  courant  d'un  ravage  irrité. 

Tout  est  en  grand  desordre  et  en  pauvre  mesnage 

Quand  la  femme  est  tombée  en  son  ardente  rage; 

Le  lyon  eschaufîé  n'est  pas  si  furieux. 

J'estime  la  terreur  de  l'esclair  et  tonnerre 

Plus  douce  que  n'est  pas  la  féminine  guerre, 

Et  n'est  point  tant  comm'  ell'  en  ses  feus  dangereux. 

Le  courroux  de  la  femme  abbat  tout  et  démarre, 
Et  meine  un  si  grand  bruit  et  si  grand  tintamarre 
Que  le  plus  asseuré  en  est  tout  estonné  : 
On  ne  sçait  si  ce  vient  de  la  troupe  infernale 
Qui  face  (desliés)  leur  terreur  générale, 
Ou  si  c'est  la  furie,  ou  si  Dieu  a  tonné. 

Elles  ont  la  caboche  si  despitement  patronnée 
que,  si  le  mary  l'entend  jaune,  elles  le  veulent 
verd  ;  s'il  le  veut  de  droit  fil,  elles  le  prendront 
de  biais  ;  lors  que  le  mary  le  veut,  elles  ne  le  veu- 
lent pas;  et,  quand  il  ne  le  veut  pas,  elles  le  veu- 
lent; ce  qui  a  tresbien  esté  remarqué  par  Terence 
en  son  Eunuque  : 

Novi  ingenium  muUerum  : 
Ndunt  ubi  velis}  ubi  noliSj  cupiuni  ultro. 

Et  pource  un  sage  philosophe  nous  admonnes- 
toit  qu'il  ne  falloit  prescrire  et  ordonner  de  cer- 


DU    MARIAGE. 


99 


taines  bornes  et  barrières  à  la  femme,  laquelle  n'a 
aucune  tenue,  et  est  glissante  plus  qu'on  ne  sçau- 
roit  estimer.  Par  ainsi,  disoit-il,  si  tu  la  veux 
retenir,  lasche  la;  si  tu  la  presses  pour  la  mettre 
à  l'estroit,  tu  la  perds  tout  de  mesmes  qu'il  ad- 
vient d'une  anguille.  Dés  qu'elles  ont  pris  le 
ply  de  faire  des  bestes,  de  contrarier  et  de  tenir 
bon  contre  leurs  maris,  c'est  du  camelot  :  pour 
mourir  elles  ne  se  changeroient  pas.  Quelques 
uns  ont  voulu  recercher  la  raison  pourquoy  elles 
estoient  ainsi  acariastres  et  opiniastres  au  mal,  et 
qu'à  tous  bouts  de  champs,  lors  qu'il  estoit  ques- 
tion du  bien,  elles  giroûettoient.  Ceux  qui  ont 
frappé  le  plus  prés  au  blanc  ont  dit  que  cela  ave- 
noit  parce  que  de  leur  naturel  elles  estoient 
mauvaises,  ainsi  que  tantost  j'ay  rapporté  d'Ac- 
curse.  Les  autres,  parce  qu'elles  n'avoient  dans 
leur  teste  que  du  vif  argent  qui  leur  corrompoit 
leur  raison.  D'autres  les  nous  représentent  sans 
raison,  partisans  avec  le  philosophe  Platon,  qui 
doute  si  la  femme  doit  estre  couchée  au  rang  des 
animaux  raisonnables  ou  des  bestes  brutes.  Il  y 
en  a  qui  ont  passé  plus  outre  (c'est  l'opinion  des 
Severians  et  Archontiques),  qui  ont  tenu  que  les 
femmes  estoient  la  besoigne  de  Sathan,  ainsi  que 
remarque  S.  Epiphane  au  premier  livre  des  Hère- 
sieSf  tom.  3,  sect.  45,  et  partant  que,  suivant  le 
naturel  et  patron  de  leur  père,  elles  ne  s'addon- 


BIDUOTHECA 
Cftaviensis 


lOO  DU    MARIAGE. 

noient  qu'à  mal  faire  et  contredire.  Prenez  laquelle 
des  raisons  vous  plaira  ;  de  ma  part,  je  sçay  que 
les  femmes  sont  de  tel  arain  que,  si  elles  ont 
chaussé  quelque  foie  impression  dans  leur  cervelle, 
toutes  les  tenailles  de  Vulcan  ne  les  leur  sçau- 
roient  arracher.  Je  vous  en  vay  donner  un  exemple 
qui  ne  sera  point  hors  de  propos.  Faut  donc  que 
vous  sçachiez  qu'il  y  eut  une  femme  qui  une  fois 
appela  son  mary  pouilleux,  lequel  s'en  fascha,  et, 
voyant  que  ses  prières  et  remonstrances  n'avoient 
point  le  crédit  de  tirer  les  pouls  hors  de  la  bouche 
de  sa  femme,  il  se  mit  à  la  vous  espousseter  assez 
proprement,  présumant  que  ces  coups  desniche- 
roient  les  pouls;  mais  de  tant  plus  il  frappoit, 
tant  plus  drus  formiiloient  ils  en  la  bouche  de  sa 
femme;  si  bien  la  dourda  que  ses  bras  furent 
plustost  lassez  que  la  langue  de  sa  femme.  De  la 
faire  appeler  en  jugement  il  n'osoit,  tant  pour  la 
honte  qu'il  eut  receu  et  pour  la  qualité  de  pouil- 
leux, et  de  n'avoir  sceu  domter  sa  femme,  que 
par  ce  qu'il  sçavoit  bien  que  le  magistrat  n'eust 
sceu  donner  une  plus  dure  réprimande  à  ceste 
fausse  teste  qu'estoit  celle  dont  il  l'avoit  desja 
festoyé  de  la  façon  qu'avez  entendu.  Toutesfois 
les  pouls  luy  faisoient  si  mal  au  cœur  qu'il  ne 
pouvoit  se  commander,  attendu  l'opiniastreté  de 
ceste  poûillerie,  qu'il  n'excéda  ceste  acariastre. 
Après  avoir  long  temps  discouru  à  parsoy  des 


DU     MARIAGE.  lOI 

moyens  qu'il  devoit  tenir,  il  s'advisa  que  para- 
venture  l'appréhension  de  la  mort  la  despouille- 
roit  de  ceste  pouilleuse  furie  :  il  la  vous  prend, 
la  lie  et  garrotte,  puis  la  met  sur  la  margelle  du 
puys,  lui  jurant  que,  si  elle  ne  se  desistoit  de  l'in- 
jurier de  ce  nom  de  pouilleux,  qu'il  la  noyeroit 
dans  le  puys.  C'estoit  bien  à  propos,  et  plus 
qu'auparavent  elle  vous  luy  dechiquetoit  ses 
pouilleuses  poûilleries.  Cela  fut  cause  qu'il  la 
vous  descend  avec  la  corde  du  puys  dans  le  puys 
jusques  aux  aisselles,  où,  bien  qu'elle  trampast 
assez  pour  se  rafîraischir,  elle  redoubla  ces  crie- 
ries  pouilleuses.  «  Si  te  garderay-je  bien  de  plus 
me  dire  cela  »  (va  dire  le  mary),et  luy  plongea  la 
teste  dans  l'eau.  Quand  la  femme  se  vid  le  bec 
bouché,  ne  pensez  pas  qu'elle  quittast  sa  pouil- 
leuse poursuite;  elle  fait  tant  qu'elle  fait  passer 
ses  mains  en  haut,  et  avec  les  ongles  faisoit  comme 
si  elle  eust  tué  des  pouls  :  tellement  que  vous  voyez 
que  la  mort  mesmes  ne  peut  faire  changer  de  pro- 
pos à  ceste  mauvaise  femme. 

—  Estes  vous  saoul  de  parler  contre  les  pau- 
vres femmes,  S^Panthaleon?  va  dire  messer  Alexan- 
dre. Vous  avez  eu  tout  le  loisir  qu'il  vous  a  pieu, 
je  ne  vous  ay  sonné  mot  pour  vous  interrompre, 
vous  avez  dit  tant  de  poûilles  qu'avez  peu  contre 
ce  pauvre  sexe.  Je  pourroie  vous  y  respondre; 
mais  je  vous  veux  monstrer  que  ce  n'est  pas  des 


102  DU     MARIAGE. 

femmes  ce  que  vous  criez ,  car  vous  et  tous  ceux 
qui  partisez  contre  elles  avez  tousjours  ce  mot  à 
la  bouche,  qu'elles  ne  faillent  jamais  par  le  bec, 
que  tousjours  elles  veulent  avoir  le  dernier  [dis- 
tinguo secundum  subjectam  materiam) .  Je  passe 
sur  toutes  vos  mesdisances,  comme  si  cela  n'at- 
touchoit  les  femmes  ;  mais,  je  vous  prie,  dequoy 
vous  servira  toute  ceste  longue  estendue  de  dis- 
cours? Le  S^  Rodolphe  est  encores  aussi  irrésolu 
maintenant  qu'avant  que  nous  fussions  entrez  en 
dispute. 

—  Dictes  vous,  messer  Alexandre,  répliqua  le 
S''  Panthaleon,  j'ay  plus  fait  que  ne  pensez;  et 
qu'ainsi  soit,  si  le  S^  Rodolphe  ne  veut  estrepar- 
roissien  de  S.  Pierre  aux  Bœufs,  s'il  veut  vivre 
en  paix,  s'il  veut  tailler  de  l'honneste  homme, 
que  sa  femme  luy  escorne  sa  miche,  qu'elle  preste 
(quoy,  devinez  le)  sans  l'en  advertir,  qu'elle  mette 
son  mesnage  en  confusion,  qu'elle  le  veuille  faire 
monstrer  au  doigt  comme  un  pleure-pain,  un 
vieillaque  et  un  taquin,  ne  dois-je  pas  conclurre 
qu'il  ne  se  doit  marier?  Le  principal  cartier  contre 
lequel  il  doit  braquer,  c'est  le  canton  de  sa  femme  ; 
je  luy  descouvre  le  danger,  les  advenues  qu'il  y  a, 
à  fin  qu'il  ne  s'y  jette  à  l'improviste  :  de  sorte 
que,  si  mon  advis  avoit  lieu  pour  voix  en  chapitre, 
le  S^'  Rodolphe  ne  se  marieroit  point. 

— Oh  !  S"^  Panthaleon  (va  dire  messer  Alexandre) , 


DU     MARIAGE.  I  o3 

que  VOUS  estes  un  pauvre  juge!  Vous  aulnez  toutes 
les  femmes  à  une  aulne.  Tous  trous  sont  trous; 
mais  il  y  a  de  plus  grans,  de  plus  larges,  de  plus 
profonds  et  de  plus  estroits  que  ne  sont  les  au- 
tres :  toutes  les  femmes  ne  sont  basties  sur  une 
enclume.  Voila  Madamoiselle,  à  laquelle  quelcun 
de  ceste  troupe  a,  fort  à  mon  gré,  donné  pour  ana- 
gramme :  VŒU  (Tadvis,  voudriez  vous  dire  qu'elle 
n'observe  le  jeusne,  ou  qu'elle  fît  les  nigauderies 
qu'avez  proposé?  Vous  l'avez  en  trop  bonne  ré- 
putation ;  elle  est  de  la  partie,  un  chascun  de  nous 
la  cognoit.  Biffez  donc  de  vos  mémoires  et  dis- 
cours ce  qu'avez  proposé  en  gênerai,  si  le  vouliez 
approprier  à  chascune  des  femmes  en  particulier; 
si  toutes  les  honnestes  vous  avoient  donné  sur  le 
meurre,  vous  seriez  bien  camus,  au  moins  vous 
auriez  le  nés  bien  applaty. 

Au  reste,  voulez  vous  souhaiter  plus  grand 
souhait  qu'est  celuy  que  les  maris  ont  conjuga- 
lement, je  vous  renvoie  à  ce  qui  nous  en  est  pro- 
posé au  premier  dialogue  de  la  Guerre  des  Fem- 
mes avec  les  Masles.  En  après,  qui  a  il  de  plus 
misérable  qu'un  homme  seul.?  Yx  homini  solil 
Finalement,  la  lignée  qui  est  produite  ravive  de 
nouveau  le  père  jettant  le  dernier  souspir  de  la 
mort.  Il  y  a  un  médecin  angevin  qui,  en  sa  Con- 
ception de  l'homme,  a  descrit  les  malheurs  de  ceux 
qui  meurent  sans  enfans  par  ces  vers  : 


104  DU    MARIAGE. 

O  malheureux  vieillard  qui,  courbe  et  tout  tremblant, 
N'as  point  qui  te  soustienne,  et  qui,  te  ressemblant, 
T'ayme,  serve  et  honore,  et,  comme  la  cicogne, 
Te  rende  en  ta  vieillesse  une  pareille  soigne, 
Qui  travaille  pour  toy  et  te  nourrisse  lors 
Que  les  nerfs  sont  usez  de  ton  impuissant  corps. 
He!  quel  grief  creve-cœur,  quand  en  l'ame  volante 
Le  mourable  vieillard  pense,  et  se  représente 
Que  ceux  qui,  héritiers,  doivent  ses  biens  avoir 
Voudroient  ja  prest  à  mort  en  la  terre  le  voir? 
Quel  creve-cœur  encor,  quand  le  bon  homme  pense. 
S'il  ne  se  hastc  assez,  qu'on  cerche  qui  l'avance.? 
Mais  les  enfans  bien  nais,  bien  nourris,  généreux, 
De  voir  leurs  géniteurs  se  reputent  heureux, 
Vesquissent  ilz  autant  que  de  Lamech  le  père. 

Si  j'estoie  grand  théologien,  je  pourrois  subti- 
liser sur  ce  que  le  mariage  a  esté  pratiqué  entre 
Adam  et  Eve  avant  qu'il  fust  aucun  bruit  du 
péché. 

—  Vous  en  avez  assez  dit,  messer  Alexandre^ 
respondit  le  S'"  Panthaleon^  et  plus  que  je  ne  pen- 
soie;  mais  j'ay  dequoy  vous  respondre.  Je  ne  suis 
de  ceux  qui  détestent  le  mariage,  je  recognois 
son  institution  saincte,  louable  et  à  priser,  mais 
les  inconveniens  et  le  coust  m'en  font  perdre  le 
goust.  A  la  traduction  du  S*"  de  S.  Marthe  j'op- 
poseray  ce  qui  a  esté  fait  contre  le  mariage  ;  à  vos- 
tre  belle  solitude  de  neiges,  l'authorité  de  Pétrar- 
que en  ses  Méditations  et  Discours  pour  le 
solitaire.  Quant  aux  enfans,  c'est  une  grande 


DU     MARIAGE.  I05 

bénédiction  de  Dieu;  mais  ils  sont  si  difficiles  à 
eslever,  à  nourrir,  à  instruire,  à  enseigner  et  à 
reigler.  S'ils  sont  de  bonne  espérance,  et  qu'ils 
facent  proffit,  c'est  un  grand  contentement  au 
père  et  à  la  mère  ;  mais  ils  n'ont  heure  de  repos 
pour  observer  et  guetter  que  mal  aucun  n'ad- 
vienne à  ce  beau  rejetton.  Viennent  ils  à  se  mes- 
cognoistre  et  ne  valoir  rien,  cinq  cens  fois  le  jour 
ils  font  pleurer  leurs  pères  et  mères  sur  leurs 
genoux.  La  mort  les  vient  elle  happer,  voila  le 
deuil  qui  vient  saisir  les  pauvres  père  et  mère  : 
et  pource  celuy  ne  se  mesprenoit,  lequel  disoit 
que  n'avoir  point  d'enfans  est  un  bien  incogneu. 

Heureux  celuy,  dit-il,  qui  ne  doit  nulle  chose, 
Plus  heureux  est  encor'  qui  femme  point  n'espose; 
Plus  que  ces  deux  heureux  est  qui  n'a  point  d'enfans. 
Mais  cil  qui  se  marie  hors  de  son  meilleur  sens 
Est  plus  heureux  que  tous,  si  sa  femme  au  suaire 
Il  voit,  ayant  receu  d'elle  un  riche  douaire. 

Pour  le  reste  des  charges  du  mariage,  pour  ne 
vous  sembler  que  je  veuille  enfler  la  partie,  je 
n'emploie  que  ce  que  les  Ténèbres  de  Mariage 
ont  peu  vous  en  apprendre;  vous  les  avez  leu 
avec  moy  :  il  y  a  du  lourd  et  du  gauffe,  si  peut 
on  en  tirer  quelque  chose  à  propos  pour  ce 
que  je  vous  propose.  Si  bien  que  je  conclus 
par  mon  advis  que  le  S''  Rodolphe  peut  se 
marier. 

14 


I06  DU     MARIAGE. 

—  Messieurs,  va  dire  le  capitaine  Gaspard  du 
Soucy,  de  peur  de  vous  interrompre,  je  n'ay  en- 
cores  osé  ouvrir  la  bouche  :  j'ay  entendu  tous  vos 
amples  discours,  et,  puis  que  je  voy  que  vous 
estes  en  termes  differens  pour  la  resolution,  de 
mesmes  qu'est  le  S^  Des  Portes  et  Y.  R.,  poète 
xaintongeois,  pour  le  mesme  fait  que  vous  re- 
muez, j'ay  estimé  que  la  compaignie  ne  treuvera 
mauvais  que  je  mette  au  dessous  de  vos  opinions 
celle  qui  est  du  philosophe  Socrates,  lequel,  en- 
quis  par  un  jeune  homme  lequel  luy  seroit  le  plus 
séant  et  convenable,  se  marier  ou  se  passer  de 
femmes  :  «  Las!  mon  amy,   respondit,  prens  y 
bien  garde  :  car  d'un  costé  et  d'autre  s'offrent  de 
grandes  incommoditez;  et,  après  avoir  fait  l'un 
ou  laissé  l'autre,  tu  auras  occasion  de  te  repentir. 
Si  tu  te  passes  de  te  marier,  tu  seras  continuelle- 
ment en  solitude,  sans  plaisir  et  contentement:  tu 
lairras  périr  en  toy  ta  race,  et  si  tu  auras  héritier 
autre  que  celuy  qui  sera  sorty  de  tes  reins.  Si  tu 
te  mets  en  mariage,  tu  te  mets  de  fièvre  en  chaud 
mal:  le  soin  continuel  te  rongera  l'esprit,  tu  auras 
incessamment  les  aureilles  battues  de  plaintes  et 
de  reproches,  tes  alliez  te  groigneront  et  porte- 
ront mine  rechignée;  tu  seras  subjet  au  caquet  et 
commandement  d'une  femme  estrangere,  à  sçavoir 
de  ta  belle  mère,  qui  te  voudra  maistriser  et  con- 
trerooler.  Et  le  pis  qui  y  est,  tu  seras  contraint, 


DU     MARIAGE. 


07 


sans  estre  bélier,  de  porter  les  cornes  plustot  que 
ne  voudras  longues,  et  nourrir  les  enfans  que  tu 
n'auras  engendrez.  »  Si  vous  pouvez  faire  vostre 
proffit  de  cecy,  seigneur  Rodolphe,  serrez  le;  je 
ne  suis  des  plus  grands  clercs  de  nostre  parroisse. 
Croyez  moy,  demeurez  garson  :  il  n'y  a  rien  tel 
que  de  vivre  en  liberté. 

—  Et  quoy  !  va  dire  le  S''  Galeas,  Monsieur  du 
Soucy,  vous  serez  donc  de  ceux  qui  à  beaux  coups 
de  pierres  vous  banderez  contre  le  mariage. 
Advisez  à  la  conséquence  et  tresperilleuse  des- 
convenue où  pourriez  engager  le  S'"  Rodolphe  : 
vostre  conseil  luy  pourroit  bien  couster  plus 
cher  qu'au  marché.  S'il  est  homme  naturel  et 
enharnaché  de  toutes  ses  pièces,  vertu  bieu,  pen- 
sez vous  qu'il  veuille  laisser  enrouiller  son  grand 
boute  boute  et  qu'est  ce ,  par  faute  de  le  remuer 
et  desgourdir?  S'il  s'accroche,  la  jonction  des 
pièces  ne  se  fera  point  par  voye  légitime,  il  y 
aura  de  l'attentat  sur  qui,  contre  qui  et  au  préju- 
dice de  qui  ?  devinez  le,  ou  dittes  le  moy,  et  après 
je  le  vous  rediray.  Mais  je  vous  voudroie  bien 
demander  s'il  n'est  pas  mieux  fait,  et  avec  beau- 
coup moins  de  danger,  de  descharger  son  fardeau 
là  où  on  a  droit  que  d'aller  fouler  l'herbe  d'autruy, 
aller  en  dommage,  estre  condamné  à  l'amende, 
quelquesfois  y  perdre  le  moule  du  bonnet  ou  du 
pourpoinct,  faire  une  corvée  dont  on  ne  vous 


I08  DU    MARIAGE. 

sçait  gré,  chasser  au  connil  en  une  garenne  qui 
n'est  vostre,  ains  à  un  qui,  s'il  vous  y  surprenoit, 
vous  estropieroit?  Les  beaux  petits  bastards  et 
bastardillons  ne  vous  font  ils  point  peur?  Ne  se- 
roit  ce  pas  mieux  de  produire  une  lignée  sans 
reproche  que  de  forger  de  la  fausse  monnoye  au 
coin  d'autruy?  Mais  je  ne  treuve  point  vostre  ad- 
vis  de  si  difficile  digestion  que  la  trop  violente 
instance  qui  a  esté  faite  par  le  S^  Panthaleon 
contre  les  femmes.  Si  le  S^  Rodolphe  y  prend 
pied,  voila  ce  pauvre  homme  perdu  ;  il  prendra 
tellement  à  desdain  les  femmes  que  leur  présence 
luy  fera  perdre  la  vie.  Je  ne  vous  mettray  en 
butte  que  Jean  II,  grand  duc  de  Moschovie,  le- 
quel avoit  les  femmes  en  si  grand  horreur  qu'il 
s'esvanouissoit  au  seul  regard  des  femmes,  ainsi 
qu'escrit  le  baron  d'Herbestein,  parlant  des  Mos- 
chovites,  qui  ne  voyent  jamais  (dit  il)  leurs 
femmes  que  le  jour  des  noces.  Il  y  en  a  eu  d'autres 
qui,  pour  se  passer  des  femmes,  se  sont  accointé 
des  bestes  brutes.  Plutarque  nous  donne  tesmoi- 
gnage  d'une  exécrable  hippomanie  en  ses  Paral- 
lelles,  où  il  parle  de  Fulvius  Stellus,  lequel,  pour 
la  hayne  qu'il  portoit  aux  femmes,  se  mesla  avec 
une  jument,  laquelle  du  depuis  lui  produisit  une 
fort  belle  fille,  qui  fut  à  cette  occasion  nommée 
Epone  ou  Hippone.  Encores,  s'il  eut  suivy  la 
sage  modestie  de  Simonides,  il  y  eut  eu  quelque 


DU    MARIAGE.  lOQ 

apparence  de  je  ne  sçay  quoy  de  louable  en  ses 
discours.  Ce  poète  nous  représente  diverses  fi- 
gures monstrueuses  des  femmes  :  il  veut  que  les 
unes  ayent  esté  basties  d'une  truye,  les  autres  pa- 
tronnées au  naturel  d'un  regnard,  les  autres  à  la 
façon  d'un  chien,  les  autres  engendrées  de  la 
mer,  les  autres  forgées  es  cendres  d'une  anesse, 
les  autres  procréées  par  une  belete,  les  autres  par 
une  jument,  les  autres  par  un  singe.  Sous  le  ri- 
deau de  ces  estranges  et  hideuses  productions,  il 
nous  fait  voir  la  malice  et  dépravé  naturel  de  la 
femme,  mais  sur  la  fin  il  fait  prendre  air  à  celle 
qui  est  esclose  par  l'abeille ,  laquelle  il  prise 
comme  celle  qui  bien-heure  son  mary,  le  resjouit 
et  le  console.  A  tout  rompre,  et,  quand  c'eut 
esté  à  bander  et  à  racler,  il  falloit  garder  pour  le 
moins  ceste  sobriété,  sans  donner  une  si  rude 
touche  sur  les  imperfections  féminines.  Voulez 
vous  que  je  vous  die  ce  que  j'estime  de  vostre  pro- 
position. Seigneur  Panthaleon,  c'est  que  voudriez 
volontiers  pactiser  avec  ceux,  lesquels  (au  rapport 
de  Josephe)  faisoient  difficulté  de  se  marier,  non 
point  qu'ils  eussent  à  mespris  une  si  saincte  et  lé- 
gitime accouple  qu'est  la  maritale,  mais  l'intem- 
pérance des  femmes  les  en  degoustoit  tellement 
que,  par  ce  qu'aucunes  estoient  peu  seures  à  la 
desserre  de  la  croupière,  ils  se  faisoient  entendre 
qu'il  estoit  impossible,  ou  bien  ce  seroit  miracle, 


IIO  ,  DU     MARIAGE. 

qu'aucune  d'elles  gardast  tellement  la  loyauté  à 
leurs  maris;  juxta  illud^  extrait  du  Romant  de  la 
Rose  : 

Toutes  estes ,  serez  ou  fustes 
De  fait  ou  de  volonté  putes; 
Et  qui  bien  vous  recercheroit 
Toutes  putes  vous  trouveroit. 

Mais  qui  tiendroit  aujourd'huy  tel  langage, 
encores  que  nous  allions  tousjours  de  mal  en  pis, 
si  est  ce  que  j'ay  grand'peur  qu'il  n'en  eschappe- 
roit  pas  à  si  bon  marché  que  fît  Jean  Clopinel, 
dit  de  Meun. 


APRESDISNÉE   III. 

DE     LA    PUISSANCE    MARITALE. 

A  sçavoir  si  le  mary  peut  battre 
et  chastier  sa  femme  ? 


E  n'est  point  à  vous ,  Madamoiselle 
Euthelie,  que  j'en  veux,  va  dire  le 
S""  Barthélémy  :  il  n'y  a  celuy  de  la 
compaignie  qui  ne  sçache  bien  que  vous 
ne  sçavez  encores  que  c'est  de  mary;  cela  me  fait 
vousprier,  avanttoute  œuvre,  ne  vous  mettre  point 
de  la  partie;  je  sçay  de  quel  bois  vous  vous 
chauffez  :  quand  on  frotte  trop  long  temps  et 
rudement,  à  la  fin  il  cuit.  Ne  faites  que  prester 
audience,  et  vous  verrez  beau  jeu,  si  la  corde  ne 
rompt;  j'ay  affaire  à  vous.  Seigneur  Sylvestre.  Ce 
que  j'ay  à  mettre  sur  le  bureau  est  assez  familier, 
mais  tres-mal  résolu  et  encores  pirement  prati- 
qué :  car  il  y  a  des  hommes  qui  se  font  entendre 
que  leurs  femmes  sont  piastre,  deschargent  sur 
elles  en  vilains.  Vous  cognoissez  le  capitaine  de 


112  DE    LA    PUISSANCE 

l'Estoile  :  avant  hier,  il  vous  dourda  sa  pauvre 
femme  d'une  si  estrange  façon  que  je  n'estime 
point  qu^elle  puisse  se  relever  du  lict  de  trois 
mois.  Ex  facto  quœstio  incidit^  à  sçavoir  si  le 
mary  peut  battre  et  chastier  sa  femme;  on  ne 
pouvoit  la  présenter  mieux  à  propos  que  main- 
tenant; ce  sera  une  consultation  seiche  que  je 
feray  icy  par  manière  de  récréation. 

Quant  à  moy,  je  conclus  à  la  négative,  et 
soustiens  que  le  mary  n'a  droit  aucun  de  frapper 
et  outrager  sa  femme;  mesmes,  si  j'estoie  en  des 
lieux  parmy  le  monde  que  je  sçay,  qui  ne  sont 
à  dix  lieues  de  S.  Claude,  le  capitaine  de  l'Es- 
toile recevroit  une  dure  réprimande  d'avoir  ainsi 
excédé  sa  femme  :  il  n'y  a  point  de  religion,  et 
n'y  a  amour  qui  ne  s'y  perde. 

—  Faut,  mon  bon  maistre,  respond  le  S""  Syl- 
vestre, que  vous  ne  sçachiez  à  qui  vous  avez 
affaire,  ou  plustost  de  qui  c'est  que  vous  parlez, 
comme  si  vous  ne  sçaviez  trop  mieux  que  je  ne 
le  vous  sçaurois  déduire  que  la  femme  est  en  la 
puissance  du  mary,  tant  par  le  droict  divin  que 
par  les  droicts  de  nature  et  tous  autres  qui  ont 
esté  receus  et  pratiquez  par  diverses  nations.  Le 
commandement  de  Dieu  y  est  exprés,  que  la 
femme  laisse  père  et  mère  pour  suivre  le  mary, 
au  premier  chapitre  de  Genèse,  qu'elle  luy  soit 
sujette  comme  à  son  seigneur  :  c'est  la  leçon  que 


MARITALE.  Il3 

S.  Paul  au  5  chapitre  de  son  Epistre  aux  Ephesiens 
chante  aux  femmes,  suivant  Tarrest  qui  est 
donné  contre  Eve  au  troisiesme  chapitre  de  Ge- 
nèse ,  que  sa  volonté  sera  sujette  au  mary,  le- 
quel aura  seigneurie  sur  elle. 

La  nature  nous  donne  les  enseignemens  de 
ceste  sujection,  tant  par  les  bestes  brutes,  qui 
défèrent  aux  masles,que  par  les  femmes  mesmes, 
lesquelles  ne  sçauroient  estre  plus  asservies  que 
de  servir,  par  manière  de  dire,  de  vaisseau  pour 
recevoir  dans  leur  corps  les  excremens  naturels 
de  leurs  maris.  Cela  est  tellement  naturel  que, 
comme  nous  dirons  par  après,  il  y  a  des  loix  qui 
expressément  défendent  aux  femmes  de  faire 
refus  de  tendre  leur  escuelle. 

Quant  aux  peuples  et  nations,  vous  en  trou- 
verez à  peine  qui  ait  osté  l'empire  aux  maris 
qu'ils  ont  sur  les  femmes.  Sainct  Augustin,  en  ses 
questions  sur  le  livre  des  Nombres,  monstre  que 
les  Hebrieux  retenoient  ceste  puissance  entre 
eux.  Par  la  loy  de  Romule,  le  mary  n'avoit  pas 
seulement  tout  commandement  sur  sa  femme, 
ains  aussi  pouvoir  de  la  faire  mourir  pour  les  cas 
que  Denis  d'Halicarnasse  touche  au  deuxième 
livre.  Par  les  loix  des  Lombards,  la  femme  estoit 
en  mesme  sujection  que  par  celles  de  Romule; 
de  ce  nous  en  avons  tesmoignage  tout  évident 
aux  loix  des  Lombards,  chapitre  premier  et  der- 

i5 


114  DE     LA     PU  ISSANCE 

nier,  comme  aussi  au  titre  Quai.  mul.  lib.  alien. 
permiss.,  si  bien  que  les  maris  avoient  toute  puis- 
sance de  vie  et  de  m.ort,  de  laquelle  ils  usoient 
encores  du  temps  de  Balde,  il  n'y  a  point  deux 
cens  soixante  ans.  Geste  puissance  estoit  aussi 
commune  à  toute  la  Grèce,  selon  Polybe,  liv.  2, 
et  Lysias,  Du  Meurtre  d'Eratostene.  Nos  ancestres 
Gaulois  avoient  (au  rapport  de  Gesar,  au  sixiesme 
livre  de  ses  Mémoires  de  la  guerre  civile)  toute  puis- 
sance de  vie  et  de  mort  sur  leurs  femmes  et  enfans, 
tout  ainsi  quesurleursesclaves.  S'il  y  avoittantsoit 
peu  de  souspçon  que  le  mary  fût  mort  par  le  fait 
de  la  femme,  les  parens  la  prenoient  et  luy  bail- 
loient  la  question:  si  elle  estoit  convaincue,  ils  la 
faisoient  mourir  cruellement,  sans  l'autorité  du 
magistrat.  Voila  la  nature,  le  droict  divin  et  la 
pratique  gardée  du  commun  consentement  de 
tous  les  peuples  :  pourquoy  ferez  vous  donc  dif- 
ficulté de  passer  ceste  puissance  ? 

—  J'ay  quatre  belles  responses  à  vous  faire  là 
dessus,  va  dire  messer  Barthélémy.  Premièrement, 
vous  tordez  le  nés  aux  textes  qu'avez  alléguez;  en 
second  lieu,  je  vous  donneray  une  contremire  de 
l'observation  qu'avez  proposé  ;  tiercement ,  je 
vous  monstreray  que  ces  droicts  n'ont  aucun  pou- 
voir sur  nous,  parce  qu'ils  sont  retranchez,  et 
que  l'usance  et  pratique  en  est  abolie;  finalement, 
que  vous  ne  concluez  à  battre. 


MARITALE.  Il5 

Les  passages  que  tirez  des  lettres  sacrées  sont 
un  peu  violentez,  par  ce  que  les  prenez  trop  à  la 
lettre.  La  sujection  qui  est  là  enjointe  n'est  point 
telle  qu'elle  esclave  les  femmes  aux  maris  :  elles 
leur  sont  sujetes,  mais  c'est  selon  le  Seigneur,  le- 
quel n'a  oncq  partisé  pour  nous  desaffranchir  de 
nostre  liberté.  Mesmes  S.  Paul^  au  3  ch.  de  son 
Epistre  aux  Colossiens,  enjoint  aux  maris  d'aimer 
leurs  femmes,  et  qu'ils  ne  s'enaigrissent  point 
contre  elles.  Cela  est  bien  loin  de  leur  lascher  la 
bride  pour  fraper  et  tuer.  Pource  S.  Ambroise,  au 
5  liv.  de  ses  Six  Journées,  ch.  7,  parlant  au  mary  ; 
«  Tu  n'es  pas,  luy  dit  il,  seigneur,  mais  mary  ; 
tu  n'as  pas  eu  une  chambrière,  mais  une  femme. 
Dieu  a  voulu  que  tu  fusses  le  gouverneur  d'un 
sexe  inférieur,  non  point  un  puissant  pour  le 
gourmander.  » 

Je  pouvoie  allegoriser  avec  aucuns  qui  subti- 
lissent  assez  seraphiquement  sur  l'interprétation  de 
cette  sujection  recommandée  par  les  textes  qu'avez 
cotte,  et  vous  dire  qu'un  bon  docteur  Hugues, 
au  premier  livre  des  Sacremens,  parte  12,  tient 
que  le  Sainct  Esprit  est  coustumier  d'entendre 
par  l'ame  ou  l'esprit  le  masle^  et  par  le  corps 
ou  la  chair  ce  mot  de  femme.  Si  bien  qu'en- 
cores  qu'il  soit  parlé  de  la  conjonction  mari- 
tale, ce  neantmoins  elle  doit  estre  rapportée  à 
l'uniformité  de  l'accord  qui  doit  estre  entre  l'esprit 


i6 


DE    LA    PUISSANCE 


et  la  chair.  Or  ceste  symmetrie  mélodieuse  ne 
peut  avoir  lieu,  sinon  lors  que,  par  une  saincte 
sympathie,  la  chair  débile  se  rend  sujette  et  obéis- 
sante à  Tesprit.  Si  je  me  servoie  de  ceste  mytho- 
logique exposition,  je  reneque  Mahom  si  vous 
ne  me  renvoieriez  avec  ces  matagraboliseurs  qui 
autresfois  donnèrent  durant  deux  mois  et  demy 
dans  ceste  dypsadique  question  :  Utrum  chimera, 
in  vacuo  bombinans,  possit  comedere  seciindas  in- 
tentiones.  J'ay  mangé  à  disner  trop  de  souppe, 
elle  me  rend  si  lourd  et  pesant  que  je  ne  puis 
toucher  à  ceste  transcendentalité,  et  me  contante 
d'aller  le  beau  pas,  sans  me  vouloir  souslever 
plus  haut  qu'il  ne  m'appartient,  et  puis  donner  du 
nés  en  terre. 

Vous  avez  mis  en  butte  quelques  peuples,  les- 
quels ont  eu  commandement  sur  les  femmes;  que 
direz  vous  à  ce  que  le  bon  Hérodote  escrit  en  son 
EuterpCy  que  les  femmes  Egyptiennes  traffiquent, 
tavernent,  et  ont  les  mesmes  charges  que  les 
hommes  par  deçà,  lesquels  sont  Marions,  gardent 
les  maisons,  font  le  mesnage,  de  mesmes  que  les 
femmes  par  deçà;  que  les  femmes  portent  les 
charges  sur  le  dos,  les  masles  sur  la  teste,  lesquels 
pissent  estans  acroupis,  et  elles  tout  debout?  Et, 
parce  que  vous  me  pourriez  battre  de  ce  que  Hé- 
rodote semble  rapporter  ceste  estrange  coustume 
des  Egyptiens  à  ce  que  la  température  de  leur 


MARITALE.  II7 

climat  luy  sembloit  toute  autre  que  celle  des 
autres  pays,  je  vous  en  proposeray  encores 
d'autres  exemples.  Clément,  au  9  livre  de  ses  Re- 
cognitions,  escrit  que  la  coustume  estoit  entre  les 
Gelons,  que  les  femmes  labouroient  les  champs, 
bastissoient  les  maisons,  et  les  maris  estoient  ce  que 
l'on  dit  en  vostre  pays  fenin  caqua.  Mais  Dio- 
dore  passe  bien  plus  avant  au  quatriesme  livre  de 
sa  Bibliothèque  :  là  il  remarque  que  parmy  les 
Gorgons  il  n'y  a  que  les  femmes  qui  exercent  les 
estats  publics,  au  lieu  que  les  maris  obéissent  aux 
femmes,  font  tout  doucement  le  mesnage.  Dans 
la  Rose  des  Nymphes  illustres,  que  vous  nous  avez 
communiqué.  Monsieur  de  céans,  j'ay  remarqué 
que,  parlant  de  Marpesie,  royne  des  Amazones, 
vous  avez  cité  plusieurs  beaux  tesmoignages  (les- 
quels j'emploie  contre  vous,  Seigneur  Sylvestre, 
et  ne  les  repeteray,  par  ce  que  vous  les  avez  leus 
aussi  bien  que  moy  et  pourrez  les  revoir  au  pre- 
mier jour  que  ceste  belle  Rose  aura  roulé  sur 
l'estampe)  qui  monstrent  que  les  maris  n'ont 
point  eu  par  tout  ceste  grande  authorité  sur  leurs 
femmes  que  vous  criez. 

Voire  mais,  qu'est  il  besoin  de  particulariser 
certaines  nations?  Entre  celles  que  vous  armez 
de  ceste  puissance  maritale,  les  femmes  ont  tenu 
le  dessus,  par  la  confession  mesmes  des  maris, 
qui  estoient  les  sujets.   Je  ne  vous  veux  point 


I  l8  DE    LA    PUISSANCE 

oposer  le  service  que  nous  vouons  lors  qu'ho- 
nestement  nous  traitions  l'amour  à  nos  femmes, 
parce  que  vous  me  respondriez  que  ce  ne  sont 
que  feintises  et  desguisemens ,  qu'f/  maie  passato , 
gabato  il  santo,  que  ce  "ne  sont  qu'allechemens 
pour  prendre  à  la  pipée  celles  qui  feroient  diffi- 
culté d'entrer  à  la  jouste.  Cela  estoit  coustumier 
que  les  Latins  appelloient  leurs  femmes  dames  et 
maistresses,  vous  en  avez  deux  textes  formels  en 
laloy  38  et  41  de  leg.  3.  ubi  A/6er.;  voire  quelques 
uns  les  appelloient  tressainctes  dames  :  le  texte  y 
est  en  la  loy  Titia,  §  qui  Marco,  D,  de  ann.  leg. 
Nos  lecteurs  se  sont  rompu  la  teste  pour  sçavoir 
à  quelle  occasion  les  femmes  estoient  douées  du 
titre  de  saincteté  in  superlativo.  Il  n'y  en  a  point 
qui  ait  mieux  rencontré  sur  ceste  interprétation 
que  le  bon  homme  Tartarin  de  Belleperche ,  le- 
quel, au  parquet  de  mariage  qu'il  addresse  à  Ma- 
damisella  des  Basses  Marches,  monstre  que  c'est 
à  tresjuste  occasion  que  les  femmes  sontappellées 
dames  tressainctes,  par  ce  (dit  il)  que  nous  leur 
offrons  des  chandeles  d'autant  plus  précieuses 
que  ne  sont  celles  qui  sont  présentées  aux  saincts, 
que  la  chair  humaine  est  plus  excellente  que  la 
cire,  ou  que  les  hommes  sont  quelque  chose  de 
plus  que  les  abeilles.  Ce  qui  a  esté  bien  séant  de 
proposer  en  ce  lieu,  puis  qu'il  y  a  quelques  per- 
sonnages de  grand  esprit   qui   ont  tourné  leur 


MARITALE. 


119 


bonnet  à  quatre  brayettes  (cela  s'entend  de  tra- 
vers) à  cause  de  ceste  qualité  de  Domina  sanctis- 
sima,  vous  voyezs'il  aditvray.  Sed  de  his  aliàs,  il 
faut  que  je  retourne  à  mes  brebis. 

L'empereur  Claude  César  n'appelloit  il  pas  sa 
femme  Messaline  Madame^  comme  aussi  l'empe- 
reur Adrian  sa  femme  Noele  ou  Natalia,  au  rap- 
port de  Jaques  a  Voragine?  Entre  les  docteurs 
juristes  (qui,  s'il  y  en  aucuns  qui  soient  difficiles  à 
passer  quelque  qualité,  le  sont  tout  ce  qui  se 
peut)  nous  avons  Jean  André,  qui  donne  le  nom 
de  madame  à  sa  femme  Milance,  au  chap.  Cum 
secundum^  col.  î  de  prxhend.,  au  chap.  Qui  prior, 
col.  pen.  de  reg.  ju.  lib.  vj.  in  merc. 

Il  n'est  pas  qu'en  lisant  les  auteurs  grecs  vous 
n'ayez  observé  le  mesme,  tant  en  Homère,  Me- 
nandre,  qu'autres.  En  VEnchiridion  d'Epictete, 
chap.  5  5,  vous  trouverez  que  ce  philosophe,  dis- 
putant du  devoir  et  soin  du  mary  alendroit  de  la 
,  femme,  dit  que  les  femmes,  dés  l'aage  de  qua- 
torze ans,  sont  appellées  dames,  par  ce  que  les 
maris  les  flattent,  caressent  et  amadouent,  afin 
qu'elles  leur  prestent  le  bissac.  Ce  ne  seroit  ja- 
mais fait  si  je  vous  vouloie  alléguer  ce  que  je 
pourroie  pour  vous  justifier  de  la  puissance  la- 
quelle les  dames  ont  sur  leurs  maris.  Si  vous  avez 
envie  d'en  avoir  tout  ce  qui  vous  esclaircira  ce 
point  ad  longum  sine  require,  voyez  ce  qu'en  ont 


I20  DE    LA    PUISSANCE 

escrit  le  docteur  Cujas,  3.  obs.  i8  in  fine;  J.  For- 
mier  I,  Select,  ii;  Chassaigne,  in  suo  Catalogo 
gloriœmundi, parte  1 1,  consiL  3 1;  Bald.,  cons.  3 80, 
col.  ult.y  lih.  2;  Lucas  Pen.,  in  l.  quicunque,  col.  4., 
c.  de  remilit.,  lih.  12.  Prenez,  je  vous  pri'e,  vos 
tablettes  et  escrivez  ces  cottations,  afin  que  vous 
voyez  si  je  me  moque. 

Mais,  quand  je  pense  à  vous^  vous  estes  un  fin 
homme,  Seigneur  Sylvestre,  seriez  vous  bien  tel  de 
penser  ramener  en  jeu  ce  qui  a  esté  abrogé,  cassé 
et  annullé,  ou  nous  vouloir  reigler  et  assujettir 
aux  droits  abolis  par  les  ordonnances  postérieures  ? 
C'est  dommage  que  vous  n'estiez  du  temps 
du  docteur  André,  ad  specul.  Ut.  qui  fil.  sint 
legit.  Fer  fidem,  vous  luy  eussiez  esté  un  bon 
support,  aussi  bien  se  trouva  il  acculé  pour 
n'avoir  sceu  trouver  en  toute  son  Italie  ny  ailleurs 
qui  voulut,  partisant  à  son  opinion,  maintenir 
que  la  femme  n'est  point  en  la  puissance  du  mary. 
Je  vois  bien  que  c'est  :  vous  estes  Bourguignon 
Comtois,  vous  voulez  porter  la  croix  S .  André  ;  et  si 
j'ay  grand'peurque,  si  vous  continuez  vos  coups, 
que  vostre  femme  ne  vous  enroole  en  la  bande 
Jeannine  :  vous  ne  serez  Jean  que  pro  simpUci, 
vous  ne  le  sçauriez  estre  double,  puis  que  vous 
avez  nom  Sylvestre. 

Estimez  vous  que  la  puissance  de  la  vie  et  de 
la  mort  de  la  femme  soit  de  présent  en  la  puis- 


MARITALE  121 

sance  du  mary  ?  Ce  sont  brides  à  veaux.  Que  direz 
vous  à  l'action  qui  estoit  donnée  aux  femmes 
contre  leurs  maris  au  cas  de  mauvais  traictement, 
de  sorte  que,  quoy  que  Justinien  ait  voulu  faire 
du  bon  mesnager  pour  les  masles,  si  n'a  il  peu 
denier  à  la  femme,  injuriée  et  traictée  indigne- 
ment par  son  mary,  de  demander  séparation? 
C'est  bien  loin  de  tuer  ou  de  battre. 

—  A  quoy  vous  sert  tout  ce  long  discours,  vay 
je  dire.  Messieurs?  Il  semble  que  vous  preniez 
plaisir  de  vous  contrarier  et  nous  repaistre  de  vos 
contradictions,  comme  si  cela  n'estoit  plus  clair 
que  le  jour,  qu'il  faut  que  la  femme  obéisse,  ho- 
nore et  révère  son  mary  et  luy  soit  sujette.  Ce  qui 
est  tellement  vray  que  Justin,  au  32  livre,  nous 
apprend  qu'Olore,  roy  de  Thrace,  contraignit 
les  Daces,  pour  avoir  esté  vaincus  de  leurs  enne- 
mis, de  servir  à  leurs  femmes,  en  signe  de  servi- 
tude extrême  et  de  la  plus  grande  contumelie 
dont  il  se  peut  adviser.  Puis  qu'il  est  question  de 
batture,  vous  devez  disputer  si  la  puissance  mari- 
tale permet  au  mary  de  battre  sa  femme. 

—  C'est  fort  bien  dit,  respond  le  S^"  Sylvestre  : 
toutesfois  ce  qui  a  couru  cy  dessus  me  sert  de 
beaucoup  et  de  demie  preuve  pour  donner  au 
mary  pouvoir  de  battre  sa  femme.  Cela  sur  quoy 
je  prens  pied  est  que  j'entens  que  la  puissance  du 
mary  sur  la  femme  n'est  pas  moindre  que  du  père 

i6 


122  DE    LA    PUISSANCE 

sur  l'enfant.  Or,  qu'il  y  ait  voye  au  chastiment 
de  l'enfant,  cela  est  plus  clair  que  le  jour.  Aris- 
tote,  en  ses  Politiques,  passe  bien  plus  outre, 
quand  il  nous  advertit  qu'il  y  a  certaines  nations 
qui  ne  tiennent  point  plus  de  conte  des  femmes 
que  de  leurs  esclaves.  Le  philosophe  les  appelle 
Barbares;  pourquoy  ?  je  ne  le  puis  comprendre  : 
il  devoit  donc  barbariser  de  mesmes  les  Romains 
et  autres  peuples,  lesquels,  ainsi  que  j'ay  dittan- 
tost,  avoient  la  puissance  de  la  vie  et  de  la  mort 
sur  leurs  femmes,  aussi  bien  que  sur  leurs  escla- 
ves. Toutesfois  aujourdhuy  nous  ne  sommes  en 
ces  termes  :  nous  avons  une  reigle  qui  n'est  point 
tant  rigoureuse;  je  ne  pense  point  faire  tort  aux 
femmes  quand  je  les  accouple  pour  ce  chef  avec 
les  enfans.  Suivant  ceste  considération,  je  treuve 
que  plusieurs  grans  docteurs  ont  permis  aux  ma- 
ris d'epousseter  leurs  femmes  :  Alber.  Gand.,  in 
tract,  maleficioriim,  tit.  de  pœnis  reorum,  col.  ult.; 
Bald.,  in  l.  filius,  C.  de patria  pot.;  Panorm.,m  c. 
cum  contingat,  col.  vj,  de  foro  compet.  et  cap.  ex 
transmissa  post  princ.  de  rest.  spol.;  D.  Bonaven-. 
tura,  in  iiij.  sent.  dist.  3 y,  uhi  etiam  Richard,  et 
plusieurs  autres,  tant  théologiens  que  juristes. 

—  Telle  permission,  Messer  Sylvestre,  répliqua 
le  S'"  Barthélémy,  ne  doit  estre  emploiée  qu'au 
cas  de  nécessité,  qui  est  lors  que  la  femme  est  in- 
corrigible, car  autrement  ne  présumez  pas  qu'il 


MARITALE.  123 

soit  ny  loisible  ny  honeste  au  mary  de  battre  et 
outrager  sa  femme  :  le  mary  n'y  a  point  d'honneur, 
ainsi  que  tient  le  bon  Mnée  au  deuxiesme  de 
V Enéide  virgilienne. 

.   .    .    .Nullum  memorabile  nomen 
Fœminea  in  pœna  est ,  nec  habet  vidoria  laudem. 

Faut  que   vous  soyez  bien  despit  et  en-verré 
contre  les  femmes,  que  voulez  leur  estre  plus  ri- 
goureux que  M.   Caton,  lequel  on  disoit  estre 
l'ennemy  juré  des  femmes.  Plutarque,  en  sa  Vie, 
tesmoigne  de  luy  que  jamais  il  ne  frappa  la  sienne, 
tenant  cela  pour  sacrilège.  Pource  je  prise  grande- 
ment cette  sentence,  qui  nous  est  donnée    par 
M.  Holkot  en  la  54  leçon  sur  la  Sapience  de  Salo- 
mon.   «  Il  faut  gouverner  la  femme,  dit  il ,   en 
mansuétude,  non  point  avec  austérité  tyrannique; 
par  paroles,  et  non  par  coups;  par  amitié,  et  non 
par  crainte  ;  par  douceur,  et  non  par  amertume.  » 
Auparavant  luy,  saint  Jean  Chrysostome,  en  la 
26.  homilie  sur  la  première  Epistre  de  S.  Faul  aux 
Corinthiens,  en  donne  un  saint  enseignement.  «  Je 
ne  dis  pas,  dit  ce  S.  Docteur,  qu'il  faille  battre 
sa  femme;  à  Dieu  ne  plaise,  car  c'est  une  très- 
grande  vilainie,  non  point  à  celuy  qui  est  battu, 
mais  à  celuy   qui   bat.    Que   si  tu  es  tombée 
entre  les  mains  de  tel  mary,  ne  t'en  ennuyé  point, 
mais  asseure  toy  d'un  loyer  qui  t'est  appresté,  et 


124  DE    LA    PUISSANCE 

d'estre  prisée  en  ceste  vie.  Et  vous,  maris,  je 
vous  advise  de  cecy,  qu'il  n'y  ait  aucun  péché  si 
grand  qui  vous  pousse  à  battre  vos  femmes.  Que 
parlé-je  des  femmes?  Mesmes  il  ne  faut  permettre 
à  un  homme  franc  de  battre  sa  serve  et  esclave 
et  mettre  la  main  sur  elle.  Que  si  c'est  un  grand 
deshonneur  au  mary  de  battre  son  esclave,  ce  le 
sera   beaucoup    d'avantage   d'estendre  sa    main 
contre  la  franche.  Nous  pouvons  recognoistre 
cecy  par  les  législateurs  gentils,  qui  contraignent 
celle  qui  a  esté  battue  de  ne  plus  habiter  avec  le 
mary,  comme  estant  indigne  d'avoir  plus  accoin- 
tance  avec  elle.  De  fait,  c'est  un  tresgrand  tort 
d'outrager  comme  une  esclave  celle  qui  est  com- 
paigne  de  ta  vie,  et  t'a  esté  auparavant  conjointe 
pour  tes  nécessitez.  Partant  on  peut  dire  que  cest 
homme ,  s'il  est  plustost  à  appeller  homme  que 
beste  sauvage,  est  semblable  et  à  un  patricide  et 
matricide,  car,  s'il  nous  est  commandé  de  laisser 
père  et  mère  pour  l'amour  de  la  femme,  ce  n'est 
point  afin  que  nous  l'outragions,  ains  à  ce  que 
nous  accomplissions  la  loy  divine  (ce  qui  est  telle- 
ment agréable   au  père  et  à   la  mère  qu'ils  en 
sçavent  gré  d'estre  délaissez,  et  le  pourchassent 
avec  grande  affection),  commuent  ne  sera  ce  une 
estrange  folie  d'outrager  celle  pour  laquelle  Dieu 
nous  commande  de  délaisser  nos  pères  et  mères  ?« 
Vous  voyez  la  leçon  qui  nous  est  donnée  par 


MARITALE.  125 

les  théologiens  chrestiens,  n'estimez  pas  que  les 
anciens  payens  ne  tinssent  la  mesme  maxime. 
Plutarque  nous  en  fera  sages,  lequel,  en  ses  En- 
seignemens  nociers,  remarque  qu'aux  sacrifices  de 
Junon  on  ne  mettoit  le  fiel,  pource  que  Junon 
estoit  la  déesse  nociere,  et  pourtant  ils  enten- 
doient  que  le  mariage  devoit  estre  exempt  de 
tout  fiel,  d'amertume,  de  colère,  de  courroux  et 
de  rancune.  Il  y  a  plus,  qu'un  certain  personnage, 
pour  avoir  dourdé  et  excédé  sa  femme,  est  appelle 
tyran.  C.  i,  extra  de  lis  quœ  vi  metusve  causa 
fiant. 

De  ma  part,  je  les  tiens  dénaturez,  ou  du  tout 
ignorans,  attendu  que,  s'ils  se  remettoient  devant 
les  yeux  qu'Eve  fut  tirée  de  la  coste  d'Adam,  il 
n'est  pas  qu'ils  ne  missent  de  l'eau  dans  leur  vin, 
ou  ils  seroient  hors  du  sens  de  se  outrager  en 
leur  partie.  C'est  la  remonstrance  que  fait  Pierre 
Lombard,  livre  second  des  Sent.  dist.  \%,  et  ibi 
DD.  Theologi;  Hugues  de  S.  Victor,  en  son 
livre  du  Sacrement. 

Ainsi  donc ,  encores  qu'on  vous  quitte  de 
gayeté  de  cœur  la  puissance  qu'a  le  mary  sur  la 
femme,  si  ne  s'ensuit  il  pas  qu'il  luy  soit  permis 
de  la  battre,  suivant  l'opinion  de  la  Glosse,  in  c. 
sicut  alterius  j,  qusest.  i,  par  la  loy  Consensu,  c. 
de  repud.y  laquelle  permet  à  la  femme  qui  a  esté 
battue  et  outragée  par  son  mary  de  le  répudier, 


126  DE    LA    PUISSANCE 

quitter  et  planter  là  pour  reverdir  :  ce  que  Bar- 
tole  tient  mesmes  en  la  loy  Cum  satis  vers,  prœterea 
uxor,  c.  de  agric.  et  cens.  Je  sçay  bien  que  Justi- 
nien  a  corrigé  ceste  ordonnance  des  empereurs 
Theodose  et  Valentinien  :  si  n'a  il  laissé  impunie 
la  tyrannique  témérité  du  mary,  lequel  il  con- 
damne bailler  à  sa  femme  durant  le  mariage 
autant  que  vaut  le  tiers  de  son  douaire,  Auth.  sed 
novo  jure,  et  de  repud. 

Mesmes  je  trouve  que  le  mary  lequel  a  frotté 
sa  femme,  si  elleluyeschappe,  et  qu'après  de  des- 
pit,  animi  gratia  ou  autrement,  elle  luy  plante 
les  cornes  par  le  meslange  qu'elle  aura  avec  un 
autre,  ne  pourra  l'accuser  et  gaigner  le  dot  selon 
la  forme  du  statut ,  et  ce  suivant  le  conseil  de 
Pierre  Anch.  cons.  408,  suivie  et  approuvée  par 
Ang.  Aret.  in  Tract,  malef.,  in  verbo  :  Che  mhai 
adulterato. 

—  Vous  parlez  comme  Dieu,  Seigneur  Barthé- 
lémy, respond  messer  Sylvestre,  et  ne  considérez 
pas  qu'il  vous  fascheroit  bien  fort  d'estre  bravé  par 
quelcun  sur  lequel  vous  auriez  pouvoir  :  l'injure 
est  plus  malaisée  à  supporter  d'un  moindre  que 
d'un  plus  gçand.  Vous  voyez  que  les  maris  ont 
autorité  sur  la  femme,  cela  est  un  peu  difficile  à 
digérer,  que  lors  qu'il  luy  commande,  elle  fera  le 
hochet  et  tout  au  rebours  qu'il  ne  voudra,  qu'elle 
luy  refuse  le  service  que  elle  luy  doit,  ou  la  rede- 


MARITALE.  I27 

vance  naturelle,  ou  finalement  qu'elle  familiarise, 
joue  et  divise  avec  tels  qui  n'agréent  au  mary. 
Le  capitaine  de  l'Estoile  se  plaind  de  sa  femme, 
de  ce  qu'elle  luy  a  refusé  de  jouer  au  trou  ma 
Dame,  qu'elle  ne  luy  a  voulu  laver  les  pieds, 
qu'elle  joue  aux  cartes  et  aux  taraux  avec  aucuns 
contre  son  gré,  et  finalement  qu'elle  ne  fait  que 
trotter  de  nuit  ça  et  là  aux  bals,  ballets,  danses  et 
autres  telles  compaignies  assez  suspectes.  Si  vous 
estiez  en  la  place  de  ce  bon  seigneur,  vous  vous 
tenez  fort  froid,  maisj'ay  grand'peur  que  per- 
driez patience.  Il  est  soldat  pour  la  vie,  et  luy 
fasche  fort  que  celle  qui  luy  est  sujette  vueille  ainsi 
luy  faire  la  loy  à  crédit. 

—  C'en  sont  de  belles,  Messer  Sylvestre;  si 
vous  voulez  mieux  parler  et  à  propos,  va  dire  le 
S^  Barthélémy,  vous  ne  ferez  que  bien  de  recom- 
mencer. Le  capitaine  de  l'Estoile  n'est  il  pas 
catholique  et  chrestien  ?  Or  entendez  la  leçon  que 
luy  fait  S.  Jean  à  bouche  d'or,  au  lieu  que  j'ay 
tantost  cité,  parlant  à  celuyqui  battoit  sa  femme  : 
«  Mais  ma  femme,  diras  tu,  m'y  pousse.  Consi- 
dère que  la  femme  est  un  vaisseau  fort  foible. 
Toy  mary,  tu  es  fait  son  seigneur  et  donné  au 
lieu  de  chef  à  celle  fin  que  tu  portes  les  infirmitez 
de  ta  sujette.  Veux  tu  illustrer  ta  seigneurie,  il  ne 
faut  pas  que  tu  te  dresses  contre  ta  sujette.  » 
Bref,  par  l'exemple  du  prince,  qui  doit  tendre  à 


128  DE    LA    PUISSANCE 

clémence,  du  laboureur,  qui  ne  se  despite  point 
après  sa  terre  par  ce  qu'elle  est  chargée  d'herbes 
et  maleficiée,  il  exhorte  les  maris  à  ne  jetter  le 
manche  après  la  coignée,  car  cela  est  coustumier, 
que  la  femme  empire  aux  coups.  » 

Messer  Sylvestre  répliqua  :  «  Et  que  deviendra 
donc  le  proverbe  qui  porte  : 

Qui  bat  sa  femme,  il  la  fait  braire  ; 
Qui  la  rebat,  il  la  fait  taire. 

J'ay  veu  les  Matinées  que  vous  avez  commu- 
niqué au  public,  Monsieur  de  céans  :  vous  leur 
en  donnez  bien  dans  le  dos,  comme  aussi  dans 
vostre  furieuse  et  effroyable    Guerre  des  masles 
contre  les  femelles.  Là,  entre  autres  preuves,  j'ay 
remarqué    bien    soigneusement   vostre    compte 
de    l'Alemand    qui,   pour   drelotter,  flatter  et 
mignarder  sa  femme,  n'estoit  repris  que  de  mines 
et  de  groins;  mais,  quand  il  eut  appris  que  les 
coups  estoient  proffitables  à  sa  femme  et  luy  ser-     j 
voient  de  médecine  pour  la  ranger  au  trot  qu'il     ] 
falloit  qu'elle  tint  pour  recréer  son  mary,  je  me     1 
recommande  s'il  en  fut  chiche. 

—  Ainsi  doncques,  respondit  le  S^  Barthélémy, 
vous  voulez,  Messer  Sylvestre,  qu'on  appointe 
les  femmes  de  coups  :  cela  est  les  traicter  pire- 
ment  que  les  esclaves.  Pour  quelle  occasion  vous 
en  avez  spécifié  quelques  unes,  mais  je  les  treuve 


MARITALE.  I  29 

si  crues  que  d'appréhension  elles  me  font  mal  à 
l'estomac. 

—  Ho  !  ho  !  va  dire  messer  Sylvestre,  en  estes 
vous  là  logé,  par  le  sang  goy,  je  les  vous  vay 
délier  de  telle  sorte  que  vous  y  mordrez  comme 
fait  une  truye  en  un  estron  (sauf  le  nez) .  Seriez  vous 
bien  de  ceux  qui  voudroient  conseiller  aux  femmes 
de  refuser  à  leurs  maris  de  héberger  leurs  cour- 
taux?  Je  vous  mettroie  en  teste  Cynus,  Alberic, 
Balde,  Jean  Faber  et  Salicet,  sur  la  loy  unique, 
C.  de  rapt,  virg.,  avec  une  autre  bande  ^de  doc- 
teurs qui  tous  tiennent  pour  article  magistral  que 
le  mary,  bon  gré,  mal  gré  qu'en  ait  sa  femme, 
peut  faire  les  chevauchées  lors  qu'il  luy  plaist  par 
son  ressort  et  destroit.  Cela  a  esté  ordonné  tant 
par  vertu  et  en  conséquence  du  pouvoir  marital 
que  pour  couper  le  chemin  aux  adultères,  où  les 
maris  seroient  contraints  d'entendre  par  faute  de 
tels  refus,  suivant  cet  advertissement  qu'en  donne 
le  poète  Catulle,  en  l'Epithalame  de  Julie  et 
Mallius: 

Nupta ,  tu  quoquCj  qux  tuus 
Vir  petet  cave  ne  neges, 
Ne  pelitum  aliunde  eat. 

Avez  jamais  veu  ces  pauvres  mal-enfemmes  qui 
ne  trouvent  en  leur  maison  pot  au  feu  ny  escuelle 
lavée?  Ils  s'en  vont  aux  tavernes  et  cabarets,  où 

17 


l3o  DE    LA    PUISSANCE 

ils  rencontrent  de  la  viande  fresche;  Dieu  sçait 
comment  ils  s'y  accomodent,  et  s'ils  font  ripaille 
le  plus  souvent  aux  despens  de  leurs  engroignées 
mesnagieres.  De  mesmes  font  les  maris  ausquels 
on  fait  difficulté  de  leur  ordinaire. 

—  Là  dessus  je  vous  respons,  Messer  Sylvestre, 
va  dire  le  S^  Barthélémy,  que  ceux  dont  vous 
parlez  sont  des  vilains  et  alouvis;  mais,  quant  à 
un  honneste  homme,  qu'il  ne  fera  point  tant  de 
bruit  pour  ces  sursaillies.  Pour  les  refus  que  Ze- 
nobie ,  royne  des  Palmyreens,  fît  maintesfois  à 
son  seigneur  et  espoux,  nous  ne  trouvons  point 
qu'elle  en  ait  esté  plus  mal  menée,  ou  que  son 
mary  ait  trampé  son  pain  ailleurs.  Il  y  a  plus, 
que  l'amitié  est  amoindrie  des  femmes  alendroit 
des  maris  lorsqu'ils  les  forcent  à  la  luite  du  party 
contre  leur  gré.  Là  dessus  je  vous  renvoie  au 
jugement  donné  par  une  royne  d'Arragon  sur  celuy 
qui  par  jour  fouloit  si  souvent  sa  femme  qu'elle 
en  forma  sa  plainte.  Le  48.  Party  amoureux  vous 
en  donnera  du  plaisir. 

—  Quel  médecin  vous  estes!  Seigneur  Barthélé- 
my, respond  messer  Sylvestre;  par  bieu,  vous  pre- 
scrivez trop  le  régime,  que  direz  vous  sur  le  refus 
qui  fut  fait  de  laver  les  pieds?  Madamoiselle  Cas- 
sandre  (c'est  le  nom  de  la  femme  du  capitaine  de 
l'Estoile)  est  elle  trop  bonne  pour  laver  et  frotter 
les  pieds  à  son  mary?  Elle  y  est  tenue,  suivant 


MARITALE.  \  6  \ 

l'opinion  de  Jean  André  et  l'abbé  de  Palerme  in 
c.  literas  ex.  de  rest.  spol.  Et  pource  Ennius  dit  : 

Exin  Tarquinium  bona  fœmina  lavit  et  unxit. 

Voire  Donat  tient  que  les  femmes  sont  dites 
uxores  ah  ungendo,  parce  qu'elles  lavoient,  frot- 
toient  et  oignoient  leurs  maris. 

—  Mais  vous  ne  dites  pas,  Messer  Sylvestre, 
répliqua  le  S^  Barthélémy,  que  ces  docteurs  ju- 
ristes ont  mis  une  exception,  qui  fait  pour  Mada- 
moiselle  Anthoinette,  laquelle,  estant  gentil- 
femme,  est  exempte  de  ce  service,  arg.  l.  interdum 
D.  de  op.  lih.  A  ce  s'accorde  Félin,  in  c.  illud 
de  prœsump.;  Ph.  Decius,  con.  202  ;  Bart.  Sal. 
in  sua  summa,  et  la  pluspart  de  ceux  qui  ont 
escrit  de  ceste  matière.  Quant  aux  autres  deux 
articles,  je  confesse  librement  qu'il  y  a  eu  de  la 
faute  de  la  part  de  Madamoiselle,  laquelle  ne 
doit  jouer  à  perte  de  finance,  attendu  que,  selon 
que  les  docteurs  canonistes  ont  tresbien  remarqué 
in  c.  clerici  de  vita  et  honest.  cler.,  et  autres  en- 
droits, si  la  femme  joue,  et  qu'elle  vienne  à  per- 
dre, le  mari  peut  redemander  ce  qu'elle  aura 
perdu.  Toutesfois ,  la  rigueur  ne  doit  estre  tenue 
telle  qu'il  ne  soit  aucunement  permis  aux  femmes 
d'estat  de  jouer;  cela  se  fait  pour  se  recréer  l'es- 
prit. Si  le  capitaine  de  l'Estoile  presumoit  que 
Madamoiselle  Anthoinette  ne  prit  bien  plaisir, 


l32  DE    LA    PUISSANCE    MARITALE. 

après  avoir  travaillé  toute  la  journée,  de  passer  le 
temps  honnestement,  il  ne  se  cognoistroit  pas 
luy  mesme  ;  il  veut  bien  jouer,  et  sera  fasché  que 
sa  femme  s'esbatte. 

Je  n'appreuve  point  aussi  qu'elle  aille  ainsi 
courir  aux  danses  :  les  plus  femmes  de  bien  y  per- 
dent leur  honneur.  On  sçait  les  tours  qui  s'y 
font,  et  que  bien  peu  retournent  du  bal  qui 
n'ayent  la  raye  trampée,  ce  disoit  F.  Turlupin, 
en  son  Traité  De  Auferibilitate  dansarum.  Toutes- 
fois,  puis  que  c'est  la  coustume  que  les  dames  et 
damoiselles  s'aillent  regaillardir  là,  la  pauvrette 
seroit  bien  tenue  de  court  si  on  luy  faisoit  tenir 
chambre  lors  que  ses  compaignes  prennent  la  bis- 
caye.  Il  faut  que  le  capitaine  de  l'Estoile  ait  mar- 
tel in  teste  :  ce  vieil  peteur,  il  en  a  bien  fait  en 
son  temps,  il  pense  que  sa  femme  joue  des  basses 
marches,  ainsi  qu'ont  fait  les  drolesses  qu'il  a 
embreliquoquées. 

—  Trefves,  Messieurs,  vay  je  dire;  laissez  là 
l'Estoile ,  sa  femme  et  toutes  ces  batteries  ;  j'en 
voy  icy  quelques  uns  qui  ont  plus  envie  de  mordre 
que  de  ruer;  allons  souper,  il  se  fait  tard.  Apres 
souper,  si  vous  voulez,  on  pourra  bien  renouer 
la  dispute,  et  qui  sera  bien  mieux  pourmenée , 
car  nous  serons  frais  et  bien  nourris.  Allons,  mes 
damoiselles,  nous  aurons  compaignie  nouvelle,  et 
qui  vous  remettra  cœur  en  ventre.  « 


APRESDISNÉE  IIII 


DE    L'ARBRE    DE    VIE. 


Uautheur  aux  liseurs. 


iNCOREsquele  service  de  cesApresdis- 

nées  ne  soit  que  de  fort  légères  con- 

^®  fîtures  pour  la  collation  de  vous  au- 


fefe^^ltres,  Messieurs,  si  est  ce  qu'au  B 


ureau 


de  nostre  Académie  se  rencontrèrent  deux  per- 
sonnes qui,  comme  vous  verrez,  n'estoient  point 
rassasiées,  ou,  si  elles  Festoient,  elles  nous  ap- 
prirent bien  qu'elles  ne  se  contentoient  de  menues 
beatilles.  Je  pensoie  qu'à  l'accoustumée  nous  au- 
rions quelque  thème  récréatif  pour  esbatre  nostre 
disné,  la  qualité  des  parties  entrées  en  lisse  me 
faisoit  promettre  quelque  gaillardise  :  sur  tout, 
puis  que  le  S^  Theophanes  avoit  affaire  à  Mada- 
moiselle  Euthelie,  voire  dés  que  je  vis  que  c'es- 
toit  à  grimper  sur  l'Arbre  de  Vie,  je  beoye  pour 
voir  s'ils  secoûeroient  point  un  petit  coup.  Jamais 


l34  DE     l'arbre     DEVIE. 

je  n'eusse  pensé  qu'il  eussent  enfoncé  la  matière 
si  avant,  et  que  leurs  aisles  eussent  peu  les  guin- 
der  au  dessus  du  coupeau.  Du  commencement 
que  je  vis  qu'on  ne  nous  jettoit  point  des  pommes 
cupidiques,  et  qu'on  vous  encornoit  les  ergo- 
tismesàla  philosophique,  je  pris  envie  de  rompre 
la  partie,  estimant  qu'ils  vouloient  bucheronner 
le  Bois  de  Vie,  qui  fust  appresté  par  le  docteur 
Raymond  Lullius,  à  la  requeste  de  Demogorgon  ; 
mais,  comme  j'apperceus  que  toutes  les  intentions 
transcendenteles  de  Lullius  estoient  encores  au 
dessous  la  plus  basse  branche  de  cest  Arbre  de 
Vie,  je  commence  à  serrer  gentiment  mes  consi- 
dérations pour  escouter  la  resolution  que  nous 
apporteroit  ceste  apresdisnée.  Mais  tous  ceux  de 
la  compaignie  ne  furent  de  mon  humeur.  Il  y  en 
eut  trois  ou  quatre,  qui  environ  trois  quarts 
d'heure  ne  firent  point  de  difficulté  de  prester 
leurs  aureilles  tant  au  seigneur  Theophanes  qu'à 
Madamoiselle  Euthelie;  après,  ils  faisoient  mine 
de  vouloir  jouer  à  la  débandade.  Toutesfois,  de 
peur  de  tomber  en  l'amende  qui,  du  commun 
consentement  de  nous  tous,  avoit  esté  prescripte 
alencontre  de  celuy  qui  faulseroit  compaignie, 
force  leur  fut  de  tenir  bon  jusques  à  Plaudite. 
Quand  tout  est  dit ,  l'heure  du  souper  estoit  fort 
avancée  alors  que  l'assemblée  se  départit ,  et  ceux 
qui  ne  s'estoient  voulu  ranger  en  nostre  Acade- 


DE    l'arbre   de  vie.  i35 

mie  avoient  esté  si  mal  gracieux  qu'ils  nous  avoient 
à  demy  passé  compaignons  :  cela  faisoit  renas- 
quer  nos  impatiens,  qui,  après  avoir  donné  une 
fort  brusque  charge  sur  le  reste  du  souper,  por- 
tèrent troigne  de  se  vouloir  formaliser  alencon- 
tre  de  Madamoiselle  Euthelie,   luy  reprochans 
qu'elle  estoit  de  la  qualité  des  créatures  qui  ne 
faillent  point  par  le  bec ,  que  c'estoit  merveilles 
que  la  langue  du  seigneur  Theophanes  avoit  peu 
la  contanter  et  luy  faire  perdre  parole;  bref  que, 
par  cy  après  s'ils  avoient  fantasie  de  tenir  si  long 
discours,  ils  prissent  autre   heure.   La  doucette 
d'Euthelie,  comme  elle  a  l'Œil  d'avis,  preveut 
bien  que  le  taire  luy  estoit  fort  séant,  et  que, 
puis  que  ces  mal-contans  avoient  l'estomac  vuide 
et  affamé,  ils  estoient  colères,  chagrins  et  rechi- 
gnez, et  pourtant  eussent  peu  luy  jetter  quelque 
propos  à  la  traverse,  qui  n'eust  peu  estre  relevé 
sans  querele.  De  ma  part,  comme  j'estoie  affec- 
tionné à  l'Œil  d'avis,  et  que  d'ailleurs  j'estoie 
aussi  grand  seigneur  pour  le  moins  chez  mon 
père  que  le  charbonnier  en  sa  logette,  je  pris  la 
parole  et  leur  tins  ce  langage  : 

«  Je  sçay  bien,  Messieurs,  que  vous  ne  vous 
reiglez  à  mon  ordinaire,  et  que,  bien  que  je  me 
puisse  passer  de  souper,  il  faut  que  vous  chargiez 
le  soir  vos  pièces;  si  faut  il  que  je  parle  à  vous. 
Qui  a  eu  plus  de  peine,  ou  vous  d'escouter  à 


ï36  DE   l'arbre  de  vie. 

vostre  aise,  ou  le  S^Theophanes  et  Madamoiselle 
Euthelie  de  nous  repaistre  nos  aureilles  de  si 
saincts  et  beaux  discours  touchant  la  béatitude? 
Vous  avez  la  plus  part  dormy  :  qui  dort  il  disne; 
et,  quand  vous  ne  boiriez  ou  mangeriez  de 
trois  jours,  n'estimez  vous  point  d'avantage  la 
descouverte  de  l'Arbre  de  Vie  qui  nous  a  esté 
faite  que  quelques  repas  :  vous  les  pourrez  recou- 
vrer, mais  non  point  le  S^"  Theophanes,  ou  l'Œil 
d'avis  de  Madamoiselle  Euthelie.  Vendredy  der- 
nier, Messieurs,  vous  fustes  si  patiens  à  ouir  les 
S''^  Panthaleon  et  Alexandre,  c'estoit  aujourdhuy 
dimanche  en  nostre  parroisse;  il  n'y  a  point  eu 
de  prédication  :  voicy  le  S^  Theophanes  et  la  belle 
Euthelie  qui  ont  suppléé  à  ce  deffaut.  » 

Geste  remonstrancelesabbatitsi  fort  que,  tout 
du  long  du  souper,  pas  un  d'eux  n'osa  lever  les 
yeux  pour  me  contempler  en  face,  recognoissans 
qu'à  juste  occasion  je  les  taxoie  de  mescognois- 
sance.  Cela  fait,  bénévole  liseur,  que  je  m'as- 
seure  que  ceste  apresdisnée  te  sera  agréable.  Tu 
as  cest  avantage  sur  nos  mal-contans,  que  tu  pour- 
ras à  loisir  la  lire  à  divers  traits,  sans  estre  né- 
cessité de  passer  ceste  lice  tout  d'une  course. 
Voicy  Madamoiselle  Euthelie  qui  ouvre  la  dispute 
de  ceste  quatriesme  apresdisnée,  après  avoir  fait 
et  receu  toutes  les  révérences  et  salutades  que  sça- 
vez  trop  mieux  que  je  n'ay  délibéré  vous  dire,  estre 


DE     l'arbre     de     vie.  187 

en  tel  cas  nécessaires  et  requises;  mais  ce  fut 
d'une  si  bonne  grâce  qu'elle  fît  l'entrée  qu'il  n'y 
eut  aucun  de  la  compaignie  qui  ne  s'en  trouvast 
merveilleusement  satisfait;  non  point  tant  pour 
la  hardiesse  qui  l'encouragea  de  se  fourrer  ainsi 
asseurement  dans  nostre  Académie  que  pour  sa 
gentillesse  et  sous-ris  à  demy  perdu,  qui,  afin  que 
je  ne  mente  point  devant  les  menteurs,  quia  om- 
nis  homo  mendax,  outre  l'affection  que  je  luy 
portoie,  qui  me  faisoit  trouver  bon  tout  ce  qui 
venoit  de  sa  part,  m'extasoit  d'admiration  que 
j'avoie  des  grâces  qui  esmailloient  le  cristal  de 
l'Œil  d'avis.  Or  voicy  la  belle  Euthelie  qui  com- 
mence à  entrer  en  discours. 

«  Vous  ne  trouverez  point,  ce  croy  je,  mau- 
vais. Messieurs,  va  elle  dire,  que,  sur  ceste  rele- 
vée, j'aye  laissé  mes  compaignes  pourmejetter 
parmy  vous,  afin  de  passer,  si  je  puis,  joyeuse- 
ment avec  vous  ceste  apres-disnée.  Il  y  a  fort  long 
temps.  Seigneur  Theophanes,  que  je  bée  après 
le  discours  que  m'avez  autrefois  ouvert  et  promis 
poursuivre  touchant  les  vertus  morales;  je  vous 
prie,  comme  m'avez  fait  ceste  promesse  volontai- 
rement, que  l'effect  en  soit  nécessaire.  Je  me  sou- 
viens (vous  me  permettrez,  s'il  vous  plaist,  dire 
ce  mot)  avoir  leu  que  les  promesses  sont  de  vo- 
lonté, mais  que  l'exécution,  acquit  et  accomplis- 
sement est  de  nécessité. 

18 


i38  DE   l'arbre   de   vie. 

—  Madamoiselle  Euthelie,  vay  je  lors  dire, 
vous  avez  raison ,  et  ne  pouvez  estre  esconduite 
d'une  si  juste  et  honneste  semonce.  De  moy,  si 
je  ne  pensoie  faire  tort  à  autruy,  ou  bien  si  je  ne 
craignoie  que  mon  hardiesse  vous  desagreast,  je 
m'offriroie  tres-volontiers,  pour  vous  en  donner 
contantement  au  moins  mal  que  je  pourroie. 
Quand  au  S^"  Theophanes,  je  le  vous  pleuvis  pour 
tel  que,  puis  qu'il  vous  a  donné  la  parole,  sans 
faute  il  vous  tiendra  sa  promesse. 

—  C'est  bien  dit,  respond  le  S'"  Theophanes, 
il  y  a  quelque  temps,  Madamoiselle  Euthelie, 
que  j'ay  désiré  vous  faire  voir  combien  de  prés 
l'art  suit  la  nature.  Ce  que  je  vous  monstroie  par 
l'expérience,  que  naturellement  je  prenoie  riere 
vous  et  moy  aussi,  comme  aussi  vous  sçavez  très- 
bien  que  confusément  tout  ce  qui  tombe  sous  les 
disciplines  par  le  moyen  de  la  lumière  qui  natu- 
rellement nous  est  coessencielle  se  parfait  après 
en  nostre  ame,  lors  que  nous  y  adjoustons  de  de- 
hors l'ordre,  qui  dépend  de  l'art  et  des  préceptes, 
ainsi  que  vous  pouvez  le  vous  représenter,  si  vous 
considérez  que,  venant  sur  le  soir  à  jetter  confu- 
sément vostre  veuë  dans  le  ciel,  une  masse  de  lu- 
mière indistincte  procédant  de  tant  d'estoiles  se 
présente  à  vostre  œil,  et  puis  peu  après,  par  l'as- 
siette des  rayons  estendus  vous  commencez  à  dis- 
cerner avec  ordre  et  par  l'apparence,  ne  cognois- 


DE     l'arbre     de    vie.  I  89 

sez  pas  seulement  la  différence  des  grandeurs, 
mais  encores  plus  particulièrement  estes  informé 
de  la  vivacité  brillante  de  leur  clarté.  'La  raison  de 
cela  vient  de  ce  que  tout  ce  qui  est  opposé  à 
nostre  veue  ne  peut  estre  veu  tout  à  la  fois,  ainsi 
qu'Euclide  l'a  demonstré  au  premier  théorème  de 
son  Optique.  Tout  de  mesmes  en  advient  il  de 
l'ordre  des  sciences;  au  rapport  que  l'on  pourroit 
en  faire  de  nature.  Cela  fait  que  je  ne  rejette  du 
tout  l'opinion  de  ce  grand  personnage,  lequel 
estime  que  nostre  sçavoir  ne  soit  qu'une  res- 
souvenance ,  encores  que  l'autorité  de  plusieurs 
autres  me  force  de  ne  l'approuver  universellement 
et  sans  restrictions.  Toutesfois,  par  ce  que  de 
vous  mesmes  vous  pourrez  estre  assez  esclaircie 
sur  ceste  différence  par  la  suite  des  discours  que 
j'ay  bonne  envie  tenir  avec  vous  pour  ceste  apres- 
disnée,  je  vous  diray,  premier  que  d'y  entrer  plus 
avant,  que  je  n'ay  jamais  manqué  de  volonté  pour 
satisfaire  à  ce  que  vous  me  demandez  ;  m.ais  j'ex- 
périmente presque  ordinairement  que  l'homme 
est  certainement  bien  maistre  de  sa  langue,  qu'il 
luy  fait  jouer  tout  ce  qui  luy  plaist,  et  qu'il  peut 
avoir  la  meilleure  volonté  du  monde,  qu'elle  de- 
meurera ineffectuée  si  quelque  mes-aventure  vient 
à  traverser  parmy  ses  actions. 

—  J'aime  bien  mieux,  respond  Euthelie,  vous 
advouer  cela  pour  le  coup  qu'esgarer  la  matière , 


140  DE     LARBRE     DE    VIE. 

VOUS  y  contredisant,  comme  je  pourroie  :  la  ma- 
tière est  propre,  le  subjet  beau  et  ample;  mais, 
par  ce  que  la  question  est  de  si  légère  consé- 
quence, qu'en  peu  de  temps  on  puisse  monstrer 
si  l'homme  est  maistre  de  ses  actions,  ou  bien  s'il 
fait  sa  course  à  l'aventure  ou  estant  conduit  par 
quelque  nécessité  supérieure,  je  passeray  ce  point 
sans  m'y  arrester,  afin  que  vous  puissiez  pour- 
suivre vostre  pointe. 

—  J'en  suis  trescontent,  Madamoiselle  Eu- 
thelie,  respond  le  S^  Theophanes,  encores  que  je 
ne  me  promette  pas  de  justifier  par  preuves  par- 
ticulièrement tout  ce  que  je  puis  avoir  proposé 
comme  en  passant,  non  pas  pris  de  mon  creu, 
mais  de  l'opinion  d'un  Persien.  Et  suis  bien  d^avis 
que,  sans  insister  sur  cest  accessoire,  nous  tas- 
chions  à  vuiderle  principal,  lequel  pour  la  gran- 
deur du  sujet  nous  déduirons. 

— Il  me  semble.  Seigneur  Theophanes,  répliqua 
la  belle  Euthelie,  que,  pour  éviter  la  confusion  , 
qui  s'engendre  bien  souvent  de  la  variété  des  opi- 
nions irrésolues,  il  sera  meilleur  de  passer  seule- 
ment par  dessus,  et  recueillir  en  forme  de  som- 
maire de  ce  divers  meslange,  comme  font  les 
abeilles  le  miel  de  la  diversité  des  fleurs ,  la  vraye 
méthode  que  nous  y  devons  observer;  laissans 
cependant  le  champ  ouvert  à  l'Académie  pour  en 
décider  suivant  cest  ordre,  si  vous  trouvez,  Mes- 


DEL  ARBRE     DEVIE.  14I 

sieurs,  que  je  le  prenne  bien  de  ceste  façon. 
—  Ce  n'est  point  d'aujourdhuy,  Madamoiselle 
Euthelie,  dit  le  seigneur  Theophanes,  que  j'ay 
eu  preuve  certaine  de  vostre  prudence  :  sur  ceste 
créance,  je  commenceray,  et,  puis  que  nous  avons 
destiné  ceste  apresdisnée  pour  dresser,  hausser, 
et  altiffier  un  Arbre  de  Vie,  nous  départirons  pre- 
mièrement la  vie  de  l'homme  en  trois  degrez,  à 
sçavoir,  de  la  vie  contemplative,  active  et  factive, 
encores  que  plusieurs,  pour  dicotomier,  soient 
bien  contens  de  ranger  la  dernière  avec  la  se- 
conde; mais,  puis  que  c'est  une  opération  de 
l'ame,  à  laquelle  le  corps  sert  d'instrument,  et  la 
plus  propre  pour  nous  mener  à  la  considération 
des  sens,  afin  de  procéder  par  les  voyes  qui  nous 
sont  les  plus  communes  et  familières,  aux  autres 
plus  estranges  et  esloignées,  nous  ne  ferons  pas 
de  difficulté  de  la  mettre  au  troisième  lieu.  Et, 
comme  l'homme  est  image  du  monde  comme 
cestuy  ci  l'est  du  Dieu  souverain,  nou:  dirons 
que  l'homme  artisan  imite  Dieu  artiste  de  l'uni- 
vers. Ainsi  l'homme  moral  est  représenté  en  son 
ame  pour  patron  comme  prévoyant  et  sage  dis- 
pensateur de  toutes  choses  :  le  contemplatif  le 
nous  représentera  en  son  entendement  comme 
séparé  de  toutes  affaires,  vivant  en  soy,  de  soy, 
et  par  soy  tressuffisant  ei  tresheureux  en  tranquil- 
lité. Partant,  comme  la  perfection  de  tout  con- 


142  DE     LARBRE     DE     VIE. 

siste  en  trois,  nous  conclurons  que  la  vie  hu- 
maine, parfaite  œuvre  entre  les  dons  de  Dieu, 
doit  estre  divisée  en  trois,  dont  les  extrêmes,  au- 
tant difîerens  de  dignité  de  sujet  qu'en  ordre  et 
place,  ainsi  que  tout  s'entretient  par  un  moyen 
et  milieu,  aussi  se  trouveront  ils  ensemble  unis, 
alliez  et  accouplez  par  la  liaison  du  second,  qui , 
pour  participer  de  la  nature  de  l'un  et  de  l'autre, 
les  peut  comme  réduire  et  rejoindre  en  un.  Les 
factions  ne  sont  que  les  mestiers  et  besoignes 
mechaniques,  appartiennent  comme  plus  viles  et 
abjectes  au  plus  bas.  Le  second  estage  est  des 
actes,  actions  et  choix;  et  les  sciences  et  spécula- 
tions se  rapporteront  à  la  souveraine,  qui  est  la 
contemplative.  Cela  supposé ,  nous  définirons  la 
vertu  morale  estre  une  reigle  de  bien  vivre,  la- 
quelle on  peut  entretenir  par  longue  accoustu- 
mance,  et  de  laquelle  les  premières  semences 
naissent  avec  nous,  faibles  voirement  et  petites, 
comme  le  sont  toutes  choses  de  leur  entrée  et 
commencement,  mais,  estans  cultivées  avec  art  et 
soin,  avec  le  temps  prennent  accroissement,  lustre 
et  beauté,  non  point  trop  aisément,  car  l'estude 
et  opération  de  la  vertu  n'est  pas  de  moindre  dif- 
ficulté que  les  arts.  Somme,  que  c'est  une  cer- 
taine imitation  de  l'homme  à  Dieu,  par  laquelle 
il  tasche  de  se  conformer  à  la  divinité  par  l'a- 
proche  et  imitation  qu'il  en  fait,  comme  au  con- 


DE     l'arbre     de     vie.  148 

traire  le  vice  n'en  est  qu'un  esloignement,  ou 
plustost  délaissement,  à  cause  de  son  inclination 
dépravée  par  la  corruption  séminaire  depuis  le 
premier  péché. 

—  Voire  mais,  Seigneur  Theophanes,  réplique 
belle  Euthelie,  il  m'est  advis  qu'avant  de  mons- 
trer  que  c'est  de  la  vertu,  il  seroit  bon  de  sçavoir 
à  quoy  elle  sert,  et  si  c'est  pour  nous  que  nous  la 
recerchons,  ou  bien  pour  l'amour  d'elle,  ou  bien 
si,  passant  plus  avant,  elle  ne  nous  sert  que  d'es- 
chelle,  planche  ou  moyen  pour  parvenir  à  un 
plus  grand  bien  :  car  il  est  bien  vray- semblable 
que,  considéré  en  soy  et  nuement,  il  n'y  a  pas 
grand  bien  ny  plaisir  à  s'abstenir  des  choses  qui 
pour  le  moins  ont  bien  apparence  d'estre  bonnes, 
et,  par  manière  de  dire,  violenter  nostre  nature, 
luy  déniant  volontairement,  pour  l'amour  de  la 
tempérance  et  de  la  courageuseté,  ce  que  bien 
souvent  elle  affecte  le  plus.  Et  vous  sçavez  que 
l'on  monstre  plustost  la  qualité  de  la  chose  que 
l'on  ne  persuade  à  l'embrasser  ou  délaisser.  Con- 
tentez moy  donc,  s'il  vous  plaist,  en  cela,  et  que 
je  sçache  si  c'est  le  seul  bien  de  l'homme  que  la 
vertu;  après  toutesfois  que  vous  aurez  dit,  comme 
en  passant,  s'il  y  en  a  une  ou  plusieurs  en  es- 
sence ,  et  en  quoy  elle  consiste. 

—  Je  n'avoie  pas  garde,  Madamoiselle  Euthe- 
lie, d'oublier  cela,  non  plus  que  l'architecte  les 


144  ^E     LARBRE     DE    VIE, 

plus  fermes  et  plus  solides   pierres  de  son    fon- 
dement sur  lequel  il  veut  bastir.  Ainsi ,  comme 
la  fin  est  la  plus  noble  de  toutes  les  causes,  comme 
celle  pour  l'amour  de  laquelle  toute  autre  chose 
se  fait,  aussi  faut  il  considérer  premièrement  s'il 
y  a  une  fin  aux  actions  humaines  pour  laquelle 
seule  toutes  autres  choses  s'entreprennent.  En 
ayans  trouvé  une,  nous  passerons  plus  avant  à  la 
recerche  de   la  qualité  dequoy,  pourquoy  et  en 
quoy   proprement  elle  consiste.    Ayans  doublé 
ceste  pointe,   nous   n'aurons  qu'à   adviser  des 
routes,  rades,  moyens  et  sentiers,  pour  nous  ache- 
miner droit  où  nous  tendons.  Si  bien  que  nous 
toucherons  aisément   au  port,  où  vous  desirez 
entrer,  tant  de  temps  y  a,  avec  la  cognoissance 
des  raisons  qui  doivent  servir  de  gouvernail  en 
la  vie.  Or,  parmy  ceux  qui  ne  peuvent  giroûetter 
la  conduite  de  cest  univers  au  vent  de  l'aventure, 
les  mieux  advisez   ont  confessé,  d'un  commun 
consentement,  que,  comme  nature  ne  défaut  ja- 
mais es  choses  nécessaires  sur  lesquelles  elle  pré- 
side, de  mesmes  ils  advouënt  qu'elle  n'a  rien  fait 
vainement,  mais  tout  à  quelque  intention  :  ce  qui 
toutesfois  adviendroit  s'il  ne  se  trouvoit  point  de 
fin  en  ce  qui  dépend  d'elle;   mais,   puis  que  le 
contraire  se  monstre  en  tout,  de  tout,  et  par  tout 
ce  qui  a  eu  commencement  par  génération,  créa- 
tion et  faction,  il  s'ensuit  bien  nécessairement 


DE     l'arbre     de     vie.  I45 

que  tout  ce  qui  se  fait  tend  à  quelque  fin.  J'ap- 
pelle fin  ce  pourquoy  nous  commençons  et  pour- 
suivons tout  ce  que  nous  faisons.  Pour  preuve  de 
mon  assomption,  je  neveux  que  vous  mesmes, 
Madamoiselle  :  vobs  me  recerchez  afin  de  sçavoir 
que  c'est  de  l'Arbre  de  Vie,  des  fruits  qu'il  porte, 
des  mœurs  ;  vous  les  apprenez  afin  de  les  pratiquer  ; 
vous  les  pratiquez  afin  d'avoir  la  belle  et  divine 
vertu  ;  vous  possédez  la  vertu  afin  d'en  avoir  re- 
cognoissance.  En  ce  pouvez  remarquer,  non  pas 
une  fin  seulement,  mais  autant  comme  il  y  a 
d'actes,  les  uns  contenans  et  contenus  parmy 
les  autres.  Vous  trouverez  le  mesmes  en  toutes 
les  opérations  naturelles,  si  vous  supposez  que 
nostre  intention  procède  ainsi  de  fin  en  fin  jus- 
ques  à  la  dernière  qu'elle  s'est  proposée  la  pre- 
mière. Et  ne  faut  point  douter  que  les  supérieures 
ne  soient  les  plus  excellentes,  comme  celles  pour 
le  seul  respect  desquelles  toutes  les  autres  sont 
désirées.  Cela  advoué,  il  faut  bien  recevoir  pour 
chose  toute  certaine  que,  comme  nous  faisons 
toutes  choses  pour  le  respect  de  la  fin  où  nous 
prétendons,  de  mesmes  aucun,  ne  souhaitant  na- 
turellement que  ce  qui  est  bon,  ne  se  peut  pous- 
ser vers  la  fin  imaginée,  sinon  entant  que  réelle- 
ment elle  est  bonne ,  ou  pour  le  moins  que  sur  le 
front  elle  porte  l'image  de  bonté,  soit  qu'elle  se 
considère  pour  le  proffit,  soit  que  ce  soit  pour  le 

19 


146  DE     l'aRBR^E     de     vie. 

plaisir  et  pour  l'honnesteté,  car  les  opérations  de 
nostre  volonté  se  rapportent  par  force  à  l'une 
des  trois,  ou  aux  trois  ensemble.  Ce  qui  se  void 
assez  à  clair,  non  point  seulement  aux  commerces 
publics,  mais  encores  en  tout  art,  doctrine  et 
choix,  lesquels  chascun  se  propose estre son  bien 
comme  la  seule  vase  de  leur  labeur.  De  cecy  de- 
meure vérifié  que  la  fin  et  le  bien  n'est  qu'une 
mesme  chose,  gardant  ceste  proportion  que  le 
particulier  soit  rapporté  à  la  particulière  et  l'uni- 
versel à  l'universelle. 

—  Seigneur  Theophanes,  vous  avez  bien  mons- 
tre, va  dire  la  Damoiselle  Euthelie,  que  presque 
toutes  nos  actions  sont  guindées  à  leur  fin  ;  mais 
je  n'ay  sceu  comprendre,  par  ce  qu'avez  déduit, 
qu'il  y  ait  une  fin  souveraine  à  laquelle  toutes  les 
autres  viennent  abboutir,  ainsi  que  toutes  les 
lignes  qui  divisent  le  cercle  en  deux  égales  moi- 
tiez  se  peuvent  terminer  au  seul  centre,  capable 
par  sa  nature  de  les  recevoir  toutes. 

—  Il  est  vray,  belle  Euthelie,  respond  le  S^' 
Theophanes;  mais,  si  je  l'ay  différé  jusques  en  ce 
lieu,  c'est  que  l'ordre  ne  l'avoit  pas  plustost  re- 
quis. Nous  dirons  donc,  en  le  reprenant,  que, 
lors  que  nous  desirons  quelque  bien,  c'est  pour 
limiter  et  borner  nostre  appétit  en  ceste  posses- 
sion, ou  pour  nous  servir  de  moyen  d'en  possé- 
der un  plus  grand.  Or,  il  est  manifeste  que  pas 


DE     l'arbre     DE     VIE.  147 


un  de  ces  deux  ne  sera  la  dernière  fin  ny  le  sou- 
verain bien,  si,  après  que  nous  les  aurons  obte- 
nus, nous  pourchassons  à  d'autres  au  delà.  Mais, 
puis  qu'en  la  nature  nous  ne  pouvons  recevoir 
rien  de  vain  ny  d'infiny,  il  se  faut  résoudre  que 
nostre  désir,  ne  pouvant  par  progression  infinie 
estendre  sa  portée,  arrive  finalement  à  un  point 
outre  lequel  ne  luy  soit  donné  passage.  Ce  poinct 
s'appellera  fin  extrême,  laquelle  nous  considérons 
telle  nécessairement  que ,  comme  le  bien  univer- 
sel est  l'object  de  la  volonté,  aussi  faut  il  qu'elle 
soit  l'object  où  toutes  choses  regardent,  comme 
celle  qui  est  tousjours  désirée  par  soy  et  non  par 
autre ,  et  qui  seule  de  soy  a  puissance  de  nous 
ravir  et  comme  embraser  d'amour  de  recercher 
sa  possession,  comme  l'unique  et  seul  aise  et  re- 
pos de  la  vie  humaine,  à  la  comparaison  de  la- 
quelle tout  autre  bien  se  peut  plus  proprement 
nommer  apparence,  fumée,  ombre  et  image  que 
réelle  vérité  d'essence.  Cela  donc  sera  nostre  sou- 
veraine fin  et  nostre  souverain  bien. 

—  Ah!  que  je  suis  satisfaite  de  vous,  Seigneur 
Theophanes,  va  dire  la  belle  Euthelie  ;  il  me  sem- 
ble qu'il  ne  reste  plus  rien  à  esclairer  pour  vostre 
premier  chef.  C'est  à  ceste  heure  que  vous  me  di- 
rez que  c'est  de  ceste  souveraine  fin. 

—  Si  je  n'avoiè  envie,  Madamoiselle  Euthelie, 
respond  le  S^  Theophanes,  que  de  m'acquiter  de 


14B  DE     l'arbre     DE    VIE. 

la  promesse  que  je  vous  ay  fait,  en  un  mot  je  vous 
payeroie,  vous  disant  seulement  que  la  félicité  est 
le  souverain  bien  de  la  vie  humaine.  Car  tous  les 
philosophes  sont  voirement  bien  d'accord  entre 
eux  que  ce  nom  doive  convenir  à  ceste  fin  ex- 
trême, à  laquelle  toute  autre  chose  se  raporte , 
dans  laquelle  toute  autre  chose  est  contenue ,  et 
pour  laquelle  toute  autre  chose  consiste;  mais 
quelle  puisse  estre,  le  vulgaire  n'en  est  pas  seu- 
lement appointé  avec  les  sages,  mais  encores 
ceux  cy  entre  eux  sont  à  en  poursuivre  l'arrest 
final  du  différent  et  mesaccord  que  pour  ce  ils  ont 
ensemblement.  On  peut  les  départir  en  trois  li- 
gnes :  la  première  establissoit  la  volupté  corpo- 
relle pour  souverain  bien;  la  seconde  se  propose 
la  vertu  universelle,  accompaignée  toutesfois  de 
la  saine  disposition  du  corps  et  des  biens  de  la 
fortune;  la  dernière  maintient  à  cor  et  à  cry 
que  l'unique  vertu  estoit  suffisante  pour  rendre 
l'homme  heureux,  quoy  qu'en  apparence  il  sem- 
ble estre  malheuré  d'afflictions  et  oppressé  par  le 
feu,  le  fer  et  l'eau.  Eudoxe,  Aristipe,  Democrite, 
Epicure  et  les  autres,  qui  en  ce  banquet  se  sont, 
par  manière  de  dire,  enyvrez  dans  une  mesme 
coupe;  encores  qu'au  reste  leurs  sages  et  notables 
sentences  qu'ils  ont  laissé  à  la  postérité  monstrent 
qu'ils  estoient  grans  personnages,  si  se  sont  ils 
lourdement  abusé  en  ce  qu'ils  ont  estimé  qu'il  n'y 


DE     LARBRE     DE    VIE.  1 49 

avoit  rien  de  plus  excellent  et  recommandable  en 
l'univers  que  le  sens  commun  et  les  vertus  que 
Tame  exerce  par  le  moyen  des  organes  corporels. 
Et,  comme  le  commencement  d'une  erreur  est  un 
continuel  achoppement  à  plusieurs  autres,  aussi 
ont  ils  inféré  de  ceste  fausse  persuasion  qu'en  la 
mort  du  corps  il  y  avoit  entière  dissolution  et  ré- 
duction à  néant  de  tout  le  suppost  composé.  Par- 
tant, ayans  considéré  que  les  principes  de  fuir  et  de 
désirer  quelque  chose  sembloient  naistre  en  nous 
de  la  douleur  et  de  la  volupté,  ils  convioient  et 
exhortoient  bien  à  la  vérité  leurs  auditeurs  à  quel- 
ques bonnes  mœurs,  comme  de   ne  craindre  la 
mort  ny  ne  la  désirer,  de  n'usurper  rien  sur  au- 
truy,  de  recercher  et  s'estudier  à  cela  qu'on  ves- 
quist  en  tranquillité.  Mais,  puis  que  la  nature  es- 
sentielede  l'homme,  selon  leurs  hypothèses,  avoit 
ses  limites  du  berceau  au  tombeau,  il  falloit  bien 
qu'ils  logeassent  leur  félicité  en  l'effect  de  ces 
mots  : 

Courage  !  boy,  mange  à  toute  heure 
Et  joue  selon  ton  désir, 
Puis  qu*aprés  la  mort  ne  demeure 
Aucun  sentiment  de  plaisir. 

Et,  à  la  vérité,  n'ayans  autre  guide  qui  esclairast 
à  leur  vie  que  la  nature  sensible,  ou  paravan- 
ture,  pour  mieux  dire,  n'en  ayans  voulu  recevoir 


l5o  DE     l'arbre     DE    VIE. 

d'autre,  ils  estoient  excusables  d'outrepasser  ce  à 
quoy  elle  les  incitoit.  Voila  comme  leur  félicité 
estoit  boiteuse,  bigerre,  dépravée  et  contrefaite, 
qui  me  fait  ressouvenir  de  ces  météores  lesquels 
s'engendrent  en  l'air,  lequel,  pour  estre  incapable 
avec  son  inconstance  de  recevoir  en  son  sein  les 
générations  des  corps  parfaits,  encores  qu'il  n'ait 
faute  ny  de  matière  ny  de  cause  efficiente,  les  va- 
peurs et  exhalaisons  luy  estans  préparées  pour 
l'une,  les  rayons  des  astres,  mouvement  du  ciel 
et  chaleur  luy  servans  pour  l'autre,  ne  produit 
toutesfois  bien  souvent  rien  que  des  légères  im- 
pressions qui  ont  beaucoup  plus  d'apparence  que 
de  réelle  subsistence.  Telle  resverie,quoy  que  dés 
fort  long  temps  elle  ait  esté  sifflée  et  moquée  es 
escoles,  et  renversée  de  fonds  en  comble,  a  esté 
neantmoins  resveillée  par  quelques  uns,  que  de- 
puis les  ont  suivi  et  tasché  à  imiter  non  moins  en 
la  doctrine  qu'en  la  pratique  de  leur  vie,  lesquels 
ont  pris  une  peine  incroyable  de  rappuyer, 
comme  sur  des  pilotis  ou  colomnes,  ce  fantastic 
bastiment,  se  parforçans  à  nous  donner  autre  in- 
terprétation aux  paroles  de  leurs  devanciers  que 
ne  fut  jamais  leur  conception.  Toutesfois,  par  ce 
que  ce  ne  sont  que  fadaises  et  niaiseries  qui  ne 
méritent  pas  que  nous  emploions  du  temps  à  les 
esplucher,  je  les  lairray  en  leur  estable,  m'asseu- 
rant  que  les  tenez  pour  veuës,  et  m'achemineray 


DE   l'arbre   de  vie.  i5i 

vers  Aristote,  Theophraste  et  la  bande  Peripa- 
tetique,  parce  que  la  seconde  opinion  est  de  leur 
creu. 

Ceux  cy  donc,  comme  ils  avoient  plus  d'enten- 
dement et  de  raison  que  les  autres ,  ont  estimé 
que  la  pratique  de  la  vertu  estoit  la  vraye  béati- 
tude de  l'homme.  A  ce  meus  et  poussez,  pour- 
autant  que,  comme  l'homme  estoit  le  plus  noble, 
le  plus  parfait  et  le  plus  excellent  de  tous  les  ani- 
maux, il  sembloit  nécessaire  d^inferer  que  ses 
opérations,  proportionnées  à  telle  dignité ,  luy 
dévoient  estre  propres  et  non  communes  avec  ce 
qui  luy  estoit  inférieur  en  toute  chose  comme  en 
espèce.  Or  ils  voyoient  bien  que  l'estre  simple- 
ment appartenoit  particulièrement  aux  elemens 
et  aux  minéraux;  l'estre  et  vivre,  aux  arbres,  aux 
plantes  et  aux  vegetables;  l'estre,  le  vivre  et  le 
sentir,  aux  animaux  despouillez  de  parole ,  de 
raison  et  d'intelligence;  restoit  donc,  puis  que 
l'homme  leur  estoit  supérieur  en  tout  degré  de 
prééminence,  qu'il  eut  quelque  chose  de  propre 
par  sur  eux,  laquelle  tesmoigna  de  quoy,  en  quoy 
et  pourquoy  il  estoit  né;  et  c'estoit  la  divine 
raison,  selon  laquelle  celuy  qui  reigloit  sa  vie  et 
ses  deportemens,  et  qui  usoit  d'elle  bien  et  deue- 
ment,  il  faisoit  indubitablement  ce  pourquoy  il 
estoit  né,  et  en  la  pratique  et  l'exercice  d'une  si 
bonne,  si  belle  et  si  naturelle  vie,  ils  attachoient 


l52  DE    l'arbre     de    VIE. 

ceste  béatitude.  Mais  qui  leur  eut  demandé  s'il 
estoit  en  la  puissance  du  sage  de  la  posséder  en 
possédant  la  vertu,  je  croy  qu'ils  eussent  esté 
bien  empeschez  à  respondre  à  ceste  question, 
sans  mettre  en  avant  beaucoup  de  difficultez, 
car,  ô  bon  Dieu ,  se  peut  il  faire  que  l'homme 
qui  seroit  bien  sage  et  entier,  de  bonnes  mœurs, 
et  au  reste  accomply  de  toutes  les  bonnes  parties 
qu'on  sçauroit  désirer,  se  peust  dire  bien  heureux 
et  content  lors  qu'il  est  estroitement  enchainé 
dans  les  Chartres  et  cachots  obscurs  d'une  prison; 
lors  qu'il  se  void,  par  l'injuste  commandement 
d'un  tyran,  estre  conduit  au  supplice,  les  siens 
dégradez  ignominieusement  de  tous  honneurs 
et  déclarez  inhabiles  de  jamais  y  parvenir;  ou, 
qui  est  encores  plus  dur  à  supporter,  de  voir 
brusler  son  patrimoine,  périr,  violenter  et  ou- 
trager sa  chère  compaigne,  ses  enfans  exterminez 
par  le  glaive,  et  après,  pour  le  comble  du  mal- 
heur, se  voir  reléguer  soymesmes  en  exil,  ne 
ayant  aucune  chose  continuellement  devant  ses 
yeux  que  le  tragique  spectacle  de  la  mort  des 
siens,  qui  se  représente  à  tous  poincts  en  sa  mé- 
moire, et,  au  partir  de  là,  qu'on  luy  vienne  à 
oster  la  ciguë,  le  cousteau  et  les  précipices,  pour^ 
se  défaisant,  se  délivrer  de  misère  et  ennuis.  Ap- 
pellerez vous  cela  félicité,  Madamoiselle?  C'est 
pourquoy  ils  disoient  que  la  vertu  seule  ne  suffi- 


DE    l'arbre   de   vie.  I 53 

soit  pas  pour  bien  et  heureusement  vivre  ;  et  fu- 
rent ces  philosophes  contraints  distinguer  trois 
sortes  de  bien,  dont  l'un  se  trouvoit  en  l'esprit, 
l'autre  dependoit  du  corps,  et  le  dernier  de  la 
fortune.  Le  premier,  le  plus  grand,  le  plus  digne  et 
le  principal  bien,  auquel  ils  donnoient  Famé  pour 
siège,  repaire  et  retraite,  contenoit  seul  le  fonde- 
ment, voire  toutes  les  parties  intégrantes  de  la 
félicité,  ne  plus  ne    moins  qu'un  édifice  est  ré- 
puté parfait  quand  il  a  le  base,  ses  murailles  et  sa 
couverture,  encores  qu'outre  cela  il  ait  besoin  de 
meubles,  utensiles  et  autres   particularitez  qui 
servent  à  embellir,  parer  et  enrichir  le  bastiment. 
Ainsi  la  vertu  sembloit  bien  estre  suffisante  de 
soy  pour  constituer  la  béatitude,  attendu  qu'elle 
estoit  le  vray  bien  de  l'homme;  mais  elle  avoit 
affaire,  comme  d^adjoints  et  instrumens  externes, 
des  biens  du  corps  et  de  la  fortune,  non  point 
tant  pour  luy  donner  lustre  ou  que  d'eux  mesmes 
ils  fussent  capables  de  parfaire  la  vie  h^.ureuse, 
comme  pour  estre   moyens  qui  destournassent 
l'empeschement  de  ses   sainctes  opérations,  és- 
quelles  seules  gist  toute  la  béatitude.  Car  il  est 
bien  vray-semblable  que  l'ame  logée   dans  un 
corps  persécuté  ou  de  maladies  ou  de  supplices 
ne   sçauroit  bien  exercer  la  vie  contemplative, 
laquelle  doit  estre  en  recoy,  rassise  et  en  tran- 
quillité; non  plus  qu'elle  ne  pourroit  se  monstrer 

20 


i54  DE   l'arbre   de  vie. 

libérale  ny  officieuse  envers  ses  amis,  ou  pour  le 
bien  public,  tant  que  l'homme  seroit  relégué  en 
une  isle  déserte  comme  banni  et  orphelin  des 
faveurs  de  fortune. 

—  A  ce  compte,  répliqua  Madamoiselle  Euthe- 
lie,  Seigneur  Theophanes,  tout  homme,  en  quel- 
que vacation  où  il  puisse  estre  appelle,  peut  bien 
acquérir  la  possession  de  la  vertu  et  de  la  sagesse, 
mais  de  s'exempter  d'estre  misérable  sans  les  biens 
extérieurs,  qui  sont  comme  coadjuteurs,  il  ne  se 
peut  faire  aucunement,  ce  me  semble ,  et  partant 
ils  ne  peuvent  jouir  de  la  félicité  souveraine. 

—  Cela  est  bien  vray,  belle  Euthelie ,  respond 
le  S'"  Theophanes,  que  le  sage  ne  se  peut  dire 
misérable,  car  l'habitude  de  la  vertu,  qui  luy  sert 
de  boulevert,  empesche  qu'il  ne  soit  qualifié  d'un 
si  tresinfame  titre,  mais  aussi  de  nommer  un 
homme  heureux  parmy  un  monde  de  calamitez, 
il  faut  que  vous  demeuriez  d'accord  avec  moy 
qu'il  n'y  a  aucune  apparence.  Car  si  la  vertu  est 
désirable  universellement,  contente  et  suffisante 
de  soy  et  pour  tous  ceux  qui  la  possèdent,  j'es- 
time que  la  vie  embarrassée  de  toutes  parts  d'af- 
flictions, comme  elle  n'est  souhaitable,  aussi  elle 
ne  peut  estre  bonne  ny  bien  heureuse ,  selon  l'o- 
pinion de  messieurs  les  Peripateticiens.  Voila 
deux  bandes  vérifiées:  il  nous  faut  donner  dedans 
la  troisiesme,    de   laquelle  nous  faisons  chef  et 


DE     l'arbre     DE    VIE.  l55 

capitaine  Zenon,  par  ce  qu'il  en  a  esté  le  premier 
auteur,  et  que  tous  les  Stoiciens  ne  semblent 
avoir  fait  la  ronde  que  sous  son  mot  du  guet. 

Ceux  cy,  voulans  rendre  la  vertu  plus  rare  et 
plus  belle,  la  resserroient  dans  des  réservoirs 
moins  libres  et  spacieux ,  ne  mettans  au  devant 
de  son  repaire,  ainsi  qu'ont  fait  plusieurs  au- 
tres, des  tapisseries  et  parures  de  voluptez  cor- 
porelles, non  plus  que  l'air  fredonné  de  la  musi- 
que propre  à  esmouvoir  les  sens  et  ravir  l'ame 
par  allechemens,  encores  que  par  tout  on  vit  dis- 
posée la  belle  et  divine  harmonie,  consistant  de 
proportions,  nombres  et  mesures,  le  son  n'estant 
point  tant  entonné  pour  contenter  l'aureille  sen- 
sible comme  pour  retenir  l'entendement  extase 
en  admiration  sur  celuy  lequel  en  est  l'auteur  et 
le  principe  ;  mais,  plus  sévères  et  plus  rigoureux, 
ils  l'adoroient  et  la  faisoient  reluire  plus  belle, 
plus  excellente,  plus  généreuse,  et,  comme  à  la 
vérité  elle  estoit,  immortelle  parmy  les  flammes 
dévorantes,  les  glaives  homicidiers  et  les  précipi- 
tantes persécutions.  Ce  qui  d'avantage  les  esmou- 
voit  à  une  si  hardie  resolution  estoit  l'asseurance 
qu'ils  avoient  que  cela  se  devoit  seulement  dire 
bon  qui  seul  estoit  honneste ,  et  ils  appelloient 
honneste  tout  se  qui  se  faisoit  bien ,  louablement 
et  selon  la  vertu  parfaite.  Ainsi  ils  reputoient 
sale,   laid  et  indigne,  de  vivre   craintivement, 


i56  DE   l'arbre   de   vie. 

luxurieusement  et  follement,  et  appelloient  la 
vie  belle,  bonne  et  honneste,  laquelle  estoit  ac- 
compaignée  de  magnanimité,  de  continence  et  de 
prudence,  nians  fort  et  ferme  que  les  commoditez 
du  corps  et  de  fortune  peussent  rendre  meilleur 
le  sage,  ny  au  contraire  l'empirer,  attendu  que  la 
figure  ronde,  qui  n'a  que  la  surface,  n'est  pas 
appellée  cercle  pour  estre  d'or  ou  d'autre  matière 
(cela  ne  luy  advenoit  que  par  accident),  ains  pour 
avoir  conformité  à  la  définition  qui  luy  appartient 
proprement  et  par  soy.  De  mesmes,  la  seule  vertu, 
sans  les  autres  circonstances  qui  se  treuvent  aux 
biens  extérieurs,  suffît  en  telle  sorte,  pour  bien 
vivre,  que  ny  la  prison,  ny  la  perte  des  biens,  ny 
la  mort  mesmes  la  plus  violente,  ne  luy  peut  oster 
la  possesion  de  ceste  félicité.  Par  ainsi,  en  leur 
secte,  le  seul  sage  estoit  libre  roy,  dépendant  tout 
de  soy  et  foulant  aux  pieds  (par  manière  de  dire) 
tous  les  accidens  humains  que  l'injure  du  temps 
et  calamité  du  Ciel  peuvent  apporter  pour  affli- 
ger ,  avec  ceste  ferme ,  constante  et  asseurée 
resolution  en  l'ame  que  rien  de  cela,  ny  bannis- 
sement, ny  pauvreté,  ny  douleur,  ne  peuvent  luy 
estre  et  causer  mal,  car,  comme  il  n'y  a  rien  de 
bon  que  ce  qui  est  honeste  et  vertueux,  ainsi  il 
n'y  a  rien  de  mauvais  que  le  laid,  le  deshoneste 
et  le  vice,  qui  ne  peut  aucunement  empiéter  sur 
le  sage. 


DE     LARBRE     DE    VIE.  iSj 

—  Je  m'esbahis  grandement,  mon  gentilhomme, 
va  dire  la  belle  Euthelie,  de  l'aveuglement  de  ces 
pauvres  gens  des  siècles  vieux,  qui,  se  trainans  à 
taston,  comme  les  enfans,  après  la  recerche  de  la 
vérité,  se  sont  si  souvent  égaré  sous  la  conduite 
de  leur  foible  et  vaine  raison  que,jaçoit  qu'ils 
tinssent  pour  principe  stable  que  la  cognoissance 
du  vray  ne  se  pouvoit  trouver  que  par  une  ligne 
droicte,  comme  la  butte  de  l'archer,  ils  se  sont 
neantmoins  opiniastré  à  faucher  et  traverser  par 
desvoyes  obliques  et  contredisantes,  de  sorte  que 
n'est  de  merveilles  s'il  y  a  tant  d'incertaineté  en 
leurs  opinions  touchant  ce  qui  s'esloignoit  un  peu 
de  leur  sens.  Et,  afin  que  je  puisse  voir  plus  à 
clair  leur  imbécillité  en  la  contrariété  de  leurs  ju- 
gemens,  dites  moy,  beau  sire,  je  vous  prie,  en 
passant,  sur  quoy  ont  peu  estre  fondées  tant  de 
sortes  de  béatitudes  que  l'on  s'est  forgé  par  le 
passé. 

—  Tout  l'erreur,  Madamoiselle,  respond  le  S'' 
Theophanes,  est  procédé  de  l'ignorance  de  la 
vraye  et  pure  définition  de  la  volupté.  Or,  en- 
cores  qu'il  ne  serve  pas  d'un  bouton  de  sçavoir 
ceste  absurde  variété,  si  est  ce  que,  pour  vous  con- 
tanter,  je  vous  diray  que  Pyrrhon  et  ses  partisans 
n'ont  peu  advoûer  qu'il  y  eut  aucune  béatitude. 
Epicure  l'a  establie  en  la  volupté  et  l'absence  de 
douleur.  Crœsus  l'a  fondé  sur  les  richesses.  Pe- 


1 58  DE   l'arbre  de  vie. 

riandre  le  Corinthien  afferme  que  c'est  l'honneur. 
Socrates  veut  que  ce  soit  la  seule  science  ;  Platon, 
l'idée;  Orphée,  sous  sa  feintise  de  Narcisse,  en- 
tend que  ce  soit  la  beauté.  La  force  et  roideur  du 
corps  tient  lieu  de  souverain  bien  à  Milon  Cro- 
toniate.  Zenon  ne  la  trouva  ailleurs  qu'en  la  seule 
vertu  et  au  seul  sage.  Bion  de  Borysthene  tendoit 
à  la  prudence,  Bias  à  la  sapience  ;  Thaïes  Mile- 
sien  adoroit  souverainement  ce  qui  estoit  com- 
posé de  ces  deux.  Pittaque  soustient  que  le  bien 
faire  et  l'estre  heureux  est  mesme  chose.  Aristote 
ne  reçoit  que  la  pratique  et  opération  de  vertu 
pour  félicité.  A  ces  opinions  on  en  pourroit  ad- 
jouster  une  formilliere  d'autres  deffectueuses  et 
moquables,  comme  la  plus  part  de  celles  qui  pren- 
nent leur  source  de  ce  que  chacun  affecte  le  plus 
particulièrement.  Tout  malade  estime  que  la  santé 
soit  souverain  bien;  vous,  que  la  perfection  de 
jouer  du  luth  qu'avez  en  possession,  avec  la  grâce 
de  bien  dire,  vous  bien-heurent ;  et  moy  je  me 
fais  accroire  (ah!  que^ne  suis  je  pas  seul  en 
Beausse  !  )  que  la  bonne  grâce  de  celle  que  je  res- 
pecte pour  l'Œil  d'avis  anagrammatisé  me  cause 
une  félicité.  Bref,  nous  ressemblons  pour  la  plus 
part,  quand  est  du  jugement  que  nous  voulons 
faire  de  nostre  béatitude,  à  ceux  qui,  regardans 
par  une  verrière  jaune,  se  persuadent  qu'en  hy- 
verle  tapis  de  la  neige  soit  jaune,  ou  en  esté  que 


DE     L  ARBRE    DE    VIE.  I  Sç 

la  verdure  de  leur  pré  sente  sa  jaunisse.  Mais, 
Madamoiselle,  vous  ne  me  dittes  point  laquelle 
de  ces  opinions  vous  contente  le  plus,  si  tant  est 
qu'il  y  çn  ait  aucune  qui  vous  semble  passable- 
ment bonne. 

—  Seigneur  Theophanes,  que  voulez  vous  que 
je  vous  die,  respond  la  belle  Euthelie,  sinon  que, 
comme  naturellement  toute  créature  désire  le 
bien  pour  sa  perfection,  et  comme  le  plus  proche 
de  nos  sens  est  celuy  qui  a  le  plus  de  puissance 
de  nous  attraire  à  soy,  ainsi  ay  je  premièrement 
pensé,  à  mesure  que  vous  mettiez  en  jeu  la  pre- 
mière opinion,  que  la  volupté  perceptible  par  les 
sens,  et  ceste  tranquillité  d'esprit  que  demandoit 
Democrite  avec  les  autres  vertus  communes,  me 
contantoit  merveilleusement  et  tenoit  comme  en 
suspens  mon  ame,  si  elle  devoit  ambrasser,  pour 
vraye  félicité  ;  quand,  incontinant  après,  vous  avez 
monstre  que  cela  rampoit  trop  bas  sur  le  péris- 
sable de  la  matière,  et  que  l'opération  de  la  bien 
heureuse  vie,  je  ne  sçay  par  quelle  secrette  in- 
flammation, m'a  touché  jusques  en  l'ame  d'un 
désir  extrême  de  toute  sa  beauté,  ne  plus  ne  moins 
que  (sans  aller  plus  loing)  un  aymant  d'affection 
tout  ce  qui  se  peut  en  amour,  sur  le  déclin  mesme 
et  après  une  longue  et  importune  attente,  désire 
de  posséder  la  présence  de  sa  dame.  Alors  ay  je 
pensé  que,  si  la  béatitude  se  trouvoit  en  ceste  vie, 


l6o  DE    l'arbre    DE    VIE. 

que  certainement  elle  devoit  trouver  place  parmy 
les  faits  heroiques  :  ce  n'est  que  j'en  voulusse  for- 
clorre  les  biens  et  grâces  extérieures.  Toutesfois, 
après  que,  visant  de  plus  prés  au  vray  but,  j'ay 
veu  que  vous  représentiez  comme  sur  un  théâtre, 
parmy  la  vie  et  actions  des  sages,  ceste  vénérable 
fille  du  ciel,  simple,  nue,  sans  fard,  pleine  de  lu- 
mière au  plus  sombre  de  la  nuict,  le  front  brave 
et  gaillard  au  plus  fort  des  persécutions,  et  extrê- 
mement contante  au  plus  bas  de  la  pauvreté , 
bref  que  ,  sans  appuy  d'une  force  et  dextérité 
corporelle,  et  moins  des  faveurs  de  fortune,  elle 
suffisoit  à  elle  et  d'elle  mesmes.  Tant  y  a  que,  si 
ces  sages,  ayans  eu  en  telle  estime  la  vertu  que, 
pour  l'amour  d'elle  et  en  elle,  ils  ont  fait  leur 
proffit  de  tout  ce  que  le  vulgaire  appelle  mal  dou- 
loureux et  affliction,  je  ne  fais  point  de  difficulté 
que,  divinement  inspirez,  ils  n'ayent  touché  à  la 
vérité,  laquelle  ils  s'estoient  proposé,  au  moins, 
s'il  est  vray-semblable  que  parmy  les  sectes  des 
anciens  elle  ait  peu  estre  descouverte. 

—  Madamoiselle,  il  y  a  bien  quelque  appa- 
rence en  vos  propos,  va  dire  le  S^  Theophanes, 
et  sçavoye  bien  que  vostre  opinion  ne  seroit 
point  autre,  en  quelque  façon  qu'on  parla  de  la 
vertu,  pour  laquelle  vous  prenez  la  cause  à  toute 
outrance,  tant  une  estroite  habitude  et  familiarité 
vous  a  dés  long  temps  conjoint  avec  elle,  et  à  la 


DE  l'arbre  de  vie.  i6i 

vérité  vous  ne  vous  monstrerez  jamais  estre  mal 
à  propos  poussée  de  passion  quand  vous  parlerez 
d'elle  ainsi  avantageusement  :  ce  vous  est  un  lan- 
gage bien  séant,  attendu  que  Dieu  n'a  oncques 
departy  chose  aux  humains  plus  digne ,  plus 
saincte,  voire  plus  nécessaire  pour  la  conservation 
des  republiques,  des  familles  et  de  l'homme; 
mais  que  le  souverain  bien  consiste  en  elle,  soit 
en  sa  substance,  soit  en  ses  actions,  cela  est  trop 
crud,  et  ne  peut  estre  digéré  par  un  cerveau 
chrétien,  ainsi  que  le  reste  de  ceste  apresdisnée 
le  vous  apprendra. 

Or,  Madamoiselle,  il  faut  que  vous  sçachiez 
que^  quelque  diversité  que  j'aye  remarqué  entre 
ces  trois  partys,  nostre  temps  a  produit  des  es- 
prits qui  ont  trouvé  cest  expédient  pour  les  re- 
concilier par  ensemble,  pourautant(dient  ils)  que 
les  Stoiques  et  Peripateticiens  sont  bien  d'accord 
ensemble  que  la  seule  vertu  soit  la  racine  et  la 
princesse  de  la  béatitude.  Cest  accord  et  consen- 
tement au  principal  fait  qu'es  circonstances  la 
différence  soit  bien  petite ,  car  les  facultez  exté- 
rieures, qui  sont  appellées  par  aucuns  bien,  sont 
plus  embrouillées  pour  raison  des  paroles  que  pour 
la  chose  mesmes,  ceux  là  nommans  préférables 
et  rejettables  ce  que  ceux  cy  appellent  bien  et 
mal.  Encores  adjouste  on  qu'il  n'y  a  pas  grande 
diversité,  quand  il  est  question  de  porter  cons- 

21 


102  DE    l'arbre    de    VIE. 

tamment  les  outrages  qui  procèdent  des  traits  de 
la  fortune,  car  Aristote  ne  garentit  point  la  vie 
bien-heureuse  de  toutes  persécutions  indifférem- 
ment, mais  seulement  de  celles  qui  sont  les  plus 
violentes  et  insupportables  ;  encores  afferme  il 
que  le  sage,  en  estant  empestré,  ne  peut  pas  pour- 
tant estre  rendu  misérable,  là  où  Zenon  ne  fait 
que  passer  un  peu  plus  outre,  asseurant  que, 
parmy  ces  plus  grandes  injures,  le  sage  est  plus 
heureux.  D'où  on  veut  inférer  que  ces  deux 
princes  et  chefs  de  deux  ligues  ne  sont  qu'en  fort 
minse  m^esaccord  touchant  cest  article. 

Escoutez,  au  demeurant,  comme  Epicure  est 
appointé  avec  eux^et  comme,  sous  ce  philosophi- 
que trium-virat,  l'empire  de  la  félicité  est  admi- 
nistré. La  béatitude  (dient  ils)  ne  peut  estre  sans 
volupté,  et  mesmes  le  nom  grec  d'où  elle  ruis- 
selle monstre  que  les  deux  sont  inséparables  ; 
que  l'action  de  la  vertu,  la  science  et  la  contem- 
plation contiennent  de  merveilleusement  grandes 
voluptez  :  de  sorte  que  presque  on  est  en  doute 
si  la  félicité  est  désirable  pour  elles,  ou  les  vo- 
luptez pour  la  félicité.  Epicure  crie  qu'il  ne  peut 
avec  la  volupté  vivre,  sinon  justement,  tempere- 
ment  et  prudemment,  ny  au  contraire  vivre  jus- 
tement, temperement  et  prudemment  sans  la  vo- 
lupté. 

—  Hé  bien!  Seigneur  Theophanes,  va  dire  la 


DE    l'arbre    DE    VIE.  l63 

belle  Euthelie,  ne  vous  semble  il  pas  qu'Epicure 
ait  raison,  et  que  ceste  reconciliation  ne  soit  belle, 
louable,  à  priser  et  suffisante  pour  oster  Tin- 
quiétude  d'une  ame  tenue  en  alte ,  pour  pren- 
dre le  chois  de  Tune  de  ces  trois  ?  Quant  à  moy, 
je  ne  sçauroye  vous  desguiser  et  cacher  le  nompa- 
reil  contantement  que  j'en  reçois. 

—  Je  n'en  doute  point,  Madamoiselle,  res- 
pond  le  S^  Theophanes;  mais  aussi  je  pense  que 
vous  ne  demeurerés  gueres  en  ceste  créance  après 
que  vous  aurés  plus  exactement  considéré  ce  qui 
en  est.  En  premier  lieu,  ostés  moy  l'équivoque 
duquel  se  jouent  et  masquent  les  advocats  d'Epi- 
'cure,  et  distingués  la  volupté  en  ce  qu'elle  se 
prend  spirituellement  et  corporellement,  et  à  voye 
claire  vous  les  verrez  diamétralement  contraires 
aux  autres  deux  sectes.  Qu'ainsi  soit,  il  est  certain 
qu'Epicure  n'a  jamais  entendu  parler  d'autre  vo- 
lupté que  de  celle  qui  à  la  brutale  s'espand  orde- 
ment  par  le  corps;  autrement,  sa  vie  et  tant  de 
fréquentes  exhortations  au  boire  et  au  manger 
contrediroient  à  sa  doctrine.  Vous  voyez  donc- 
ques  que,  comme  il  n'a  point  pensé  à  la  vraye, 
pure  et  sincère  volupté,  qui  est  la  vie  de  l'ame, 
aussi  n'a  il  jamais  espéré  que  son  opinion  fust 
conforme  aux  autres  deux,  veu  mesmes  sa  pro- 
fession et  de  ses  partisans ,  que  ce  n'est  point 
vivre  que  vivre,  selon  l'opinion  des  autres  philo- 


164  DE    l'arbre    de    vie. 

sophes.  Et  quant  aux  autres  deux,  à  sçavoir  Aris- 
tote  et  Zenon,  ils  se  dedaigneroient  d'associer 
avec  eux  cest  Epicure,  voire  mesmes  ils  ne  pour- 
roient  :  il  n'y  a  aucune  espérance  d'entrer  en  ac- 
cord pour  eux,  que  l'un  n'eust  lasché  la  roideur 
de  son  opinion  jusques  à  quelque  point  plus  bas, 
et  que  l'autre  au  contraire  releva  la  sienne,  afin 
de  se   rencontrer  en   quelque  médiocrité,  et  là 
dessus  establir  une  consonance,  ainsi  que  les  mu- 
siciens ont  trouvé  moyen  d'accorder  leur  hypate 
et  leur  nete,  par  le  moyen  de  la  mese,  qui  a  tous- 
jours  mesme  raison  en  montant  à  la  haute  et  des- 
cendant en  la  basse  corde.  Cela  est  trop  plus  que 
notoire,  qu'après  avoir  observé  en  la  vertu  l'ha- 
bitude et  l'opération,  l'une  distinguée  de  l'autre, 
Aristote  n'advoûera  point  à  Zenon  que  l'homme 
soit  bien-heureux  pour  en  avoir  la  seule  habi- 
tude;  autrement,  il  s'ensuivroit  que  celuy  qui 
dort  ou  qui  demeure  oisif  auroit  la  mesme  félicité 
que  celuy  qui  exécute  quelque  beau  chef  d'œuvre 
pour  l'amour  de  la  seule  vertu;  et  d'avantage,  si 
plusieurs  biens  sont  meilleurs  qu'un   seul,   par 
nécessité  il  faut  confesser  que  celuy  qui  l'exerce 
par  ses  actions  envers  et  devant  plusieurs,  les  in- 
struisant par  ce  moyen  en  s'edifîant  soy  mesmes, 
mérite  quelque  chose  de  plus  que  ne  fait  celuy, 
lequel  se  contante  de  la  posséder  seul,  sans  la 
communiquer  à  autruy  par  quelque  bel  acte.  Or, 


DE   l'arbre  de  vie.  i65 

si  cecy  est  propre  du  Stoique  et  cela  du  Peripaté- 
ticien,  on  n'en  peut  rien  inférer  qu'un  mes-accord 
irréconciliable.  Zenon,  de  son  costé,  ne  criera 
il  point  contre   l'autre  de  ce  qu'il  fait  la  vertu 
si  pauvre  et  si  couarde   (par  manière  de   dire) 
qu'elle  ne  peut  dignement  subsister  si  la  fortune 
ne  lui  départit  des  richesses,  et  ainsi  qu'un  corps 
de  garde  pour  s'opposer  aux  grandes  afflictions 
contre  lesquelles,  à  son  advis,  le  sage  ne  peut 
estre  asseuré  ny  heureux  par  conséquent?  Veut  il, 
au  reproche  de  Chrysippe,  estimer  acte  de  vertu 
s'il  endure  constamment  la  morsure,  non  du  re- 
gnardeau ,   lequel  deschiroit   le   costé  au  jeune 
Lacedemonien  ,  mais  d'une  petite  et  ridicule  sou- 
ris, ou  s'il  se  sçait  contenir  et  commander  d'une 
vieille  qui ,  ayant  à  peine  de  reste  trois  dens  en 
bouche,  a  desja  un  pied  dedans  la  fosse?  On  le 
reputeroit  pour  un  sot  et  badin  de  reputer  cela  à 
magnanimité  ou  tempérance.  J'estime  que  vous 
le  pensez  ainsi,  quoy  que  vous  ne  soyez  à  ap- 
prendre que ,  selon  sa  trop  bigerre  et  fantasque 
opinion,  le  sage  ne  laisse  pas  d'estre  heureux, 
quelque  perturbation   qui  luy  survienne,   voire 
que  les  plus  outrageuses  et  violentes  sont  la  gloire 
et  la  splendeur  de  la  vertu  stoique.  Et  ainsi  voila 
comment  il  s'en  faut  beaucoup  que  ce  différent 
puisse  estre  bien  tost  appointé  entr'eux. 

Mais  ce  n'est  pas  tout*de  monstrer  le  mesaccord 


l66  DE     l'arbre    DE    VIE. 

qu'il  y  a,  si  encores  en  peu  de  paroles  nous  ne 
vérifions  que  ny  l'une  ny  l'autre  des  opinions  ne 
doit  trouver  lieu  entre  nous.  Or  il  est  tout  évident 
que  la  félicité  voluptueuse  d'Epicure,  bordée  de 
tous  les  costezpar  la  matière  corruptible,  ne  peut 
estre  receuë  pour  souveraine  que  par  bien  peu  de 
personnes,  tant  ses  maximes  sont  ridicules  et  es- 
tranges  :  encores  que  la  plus  part,  sans  autrement 
l'approuver,  aiment  sa  façon  de  vivre  délicieuse , 
comme  ceux  lesquels  condamnent  bien  le  mal 
universellement,  et  cependant  le  pratiquent  sous 
main,  contractent  avec  luy  lors  qu'il  peut  tomber 
au  particulier.  Pour  cela,  et  quoy  que  l'épicu- 
risme  n'ait  que  trop  de  lieux  parmy  le  monde,  si 
est  ce  que  je  ne  me  souviens  avoir  ouy  parler  de 
republique,  famille,  estât  ou  principauté  de  nostre 
temps,  qui  ait  sur  le  front  emprainte  quelque 
marque  de  vertu,  tant  petite  soit  elle,  qui  s'avance 
pour  l'embrasser.  Cela,  qu'est-ce  à  dire  autre 
chose,  sinon  que  d'une  commune  notion  que 
l'homme  porte  naturellement  dans  le  cabinet  de 
son  ame,  chacun  descouvre  à  clair  que  telle  vie 
est  plustost  propre  aux  bestes  brutes  destituées  de 
toute  volontaire  élection  qu'elle  n'est  convenable 
à  animal  doué  de  raison  ?  Encores  void  on  que  les 
bestes  y  vont  plus  temperement,  suivans  la  seule 
nature  et  assouvissans  leur  désir  borné  au-tour 
d'elle,  que  ne  faict  cest  insatiable  Epicure,  lequel. 


DE     L*ARBRE    DE    VIE.  167 

estant  poussé  d'un  appétit  des-reiglé,  interminé 
et  infiny,  procédant  d'opinion  (comme  luymesmes 
dit),  n'emploie  à  autre  fin  toutes  les  plus  excel- 
lentes efficaces  de  l'ame  qu'à  boire,  manger  et 
remplir  sa  bedaine;  sa  confession  sur  la  nature, 
sinon  à  penser,  discourir  et  exercer  autant  de  di- 
verses voluptez  qu'il  en  tombe  sous  les  sens,  con- 
viant par  ce  moyen  ceux  qui  lui  prestent  l'oreille 
d'outrepasser  les  inclinations  et  facultés  natu- 
relles, pour  l'exécution  des  choses  mesmes  qui 
dépendent  de  la  nature ,  laquelle  ils  violentent 
en  cela,  tant  s'en  faut  qu'ils  la  suivent.  De  là 
peut  on  recueillir  qu'on  ne  sçauroit  vivre  ny  heu- 
reusement ny  mesmes  joyeusement  selon  ceste 
epicurée  et  trop  plus  que  dénaturée  brutalité , 
ainsi  que  Plutarque  l'approuve  dans  un  traîtté  qu'il 
en  faict  exprés.  Je  vous  renvoie  à  luy  pour  me  re- 
lever du  long  discours  que  je  pourrois  icy  faire 
durant  ceste  apres-disnée. 

Jugez  donc  vous  mesmes,  Madamoiselle  Eu- 
thelie,  au  partir  de  là,  si  ceste  opinion  n'est  pas 
fausse  et  pernicieuse.  Considérés,  je  vous  prie, 
que  toute  chose  subsiste  proprement  et  principa- 
lement par  sa  forme,  laquelle  est  le  plus  noble  et 
le  plus  excellent  du  subjet  composé.  Il  s'ensuit 
donc  que  Famé,  informant  Thomme,  est  plus  ex- 
cellente que  le  corps.  Puis  que  cela  est  ainsi,  qui 
me  niera  que  la  possession  du  bien  et  du  plaisir 


i68  DE  l'arbre  de  vie. 

ne  doive  premièrement  et  principalement  appar- 
tenir à  Famé?  Or,  avons  nous  monstre  que  le  bien 
souverain  d'Epicure  ne  regardoit  que  le  corps  : 
faut  donc  qu'on  me  confesse  qu'il  ne  peut  estre  le 
vray  bien  de  l'ame,  par  conséquent  que  l'opinion 
n'en  vaut  rien,  et  que,  comme  telle,  elle  est  re- 
jettable  de  l'escole  de  vertu.  D'avantage,  comme 
la  viande  est  propre  aliment  du  corps,  ainsi  la 
vraye  contemplation  est  nourriture  de  l'ame  et  son 
bien  souverain.  Si  doncques  l'ame  d'Epicure  n'est 
contemplative,  elle  n'a  point  de  félicité.  Et,  puis 
que  les  actes  sont  distingués  parles  objects,  comme 
le  son  n'est  point  l'object  des  yeux,  ny  les  cou- 
leurs de  l'oijye,  qui  dira  que  l'ame,  continuel- 
lement bandée  après  les  functions  corporelles  sus- 
ceptibles des  voluptez  d'Epicure,  puisse  vaquer 
au  ministère  de  la  vie  contemplative,  propre  féli- 
cité de  l'ame? 

On  pourroit  encore  ajouster  que  le  bien  le  plus 
souverain  est  celuy  lequel  s'estend  sans  intermis- 
sion en  infinité  de  durée  (attendu  qu'une  chose 
n'est  pas  simplement  bonne  par  sa  qualité,  mais 
quand  elle  peut  tousjours  demeurer  telle).  Or,  la 
duration  continuée  ne  se  peut  trouver  plus  grande, 
après  l'éternité  infinie,  qu'en  l'immortalité  dont 
l'ame  humaine  est  capable  :  il  s'ensuit  donc  que 
la  félicité  est  plus  propre  en  l'ame  qu'au  corps, 
et  par  conséquent  que  l'opinion  de  la  béatitude 


DE    l'arbre    DE    VIE.  1 69 

en  la  volupté  sensible  est  fausse.  Mais  parler  de- 
vant Epicure  de  ceste  bien-heureuse  immortalité, 
laquelle  il  n'appréhenda  jamais,  c'est  chanter  aux 
sourds,  comme  on  dit  vulgairement.  Laissons  le 
donc  là,  Madamoiselle,  en  sa  bourbe,  et  qu'il  s'y 
veautre  tout  son  saoul,  puis  qu'il  y  prend  plaisir. 
Accostons  avec  une  plus  courtoise  et  gentille 
modestie  le  stagirien  Aristote;  portons  respect  à 
la  mémoire  non  périssable  d'un  si  grave  person- 
nage, lequel  a  si  diligemment,  et  le  premier  avec 
plus  de  méthode,  recerché  les  effects  innombrables 
des  causes  naturelles,  avec  un  si  heureux  advan- 
tage  qu'il  en  sera  tousjours  plus  admiré  que  suffi- 
samment imité.  Que  s'il  s'est  laissé  aller  en  quel- 
ques erreurs,  disputant  des  mœurs  ou  de  la  na- 
ture, il  n'a  pas  laissé  beaucoup  de  sujet  d'es- 
tonnement  à  qui  considérera  l'incertaineté  qui 
accompaigne  ordinairement  Tune  de  ces  sciences, 
pour  ne  traiter  que  des  choses  sensibles,  passa- 
gères, et  ne  demeurans  jamais  en  mesmes  estât, 
et  la  difficulté  de  l'autre,  qui  rencontre  ceux  là 
mesmement,  lesquels,  n'est  ans  esclairez  que  par  la 
lumière  naturelle,  n'ont  peu  voir  de  si  loin  la  fin 
des  actions  humaines  cachée  en  quelques  lieux 
incogneus  et  séparez  hors    le  visible    univers. 
Premièrement,  supposons  pour  véritable  la  de- 
finition,  laquelle  luymesmes  donne  de  sa  félicité, 
et  la  qualifions  de  ces  titres  d'immuablement  con- 


22 


lyO  DE    l'arbre     DE    VIE. 

tante  et  suffisante  de  soy  et  pour  soy,  seule  dési- 
rable, et  non  pour  autre  respect.  Disons  encores 
que  toutes  choses  souhaitent  naturellement  le 
bien ,  tant  pour  leur  estre  que  pour  leur  conser- 
vation ;  que  le  bien  universel  est  plus  excellent 
que  le  particulier,  et  que  toute  personne  est  ca- 
pable de  le  posséder,  attendu  (comme  je  vous  ay 
autresfois  dit  et  prouvé)  que  nature  n'a  rien  fait 
en  vain  ;  puis  sillogisons  ainsi  :  si  la  félicité  con- 
siste en  l'opération  et  pratique  de  la  vertu,  c'est 
absolument  et  entièrement,  ou  en  quelque  sorte 
et  en  partie.  Si  c'est  en  partie,  elle  est  manchotte 
et  imparfaite  ;  si  c'est  en  quelque  manière ,  c'est 
seulement  par  accident ,  et  ainsi  la  voilà  muable 
et  corruptible,  ce  qui  est  incompatible  avec  la 
nature  du  bien  souverain.  Que  si  c'est  absolu- 
ment, elle  n'a  que  faire  de  moiens  extérieurs 
comme  coadjuteurs,  ce  qui  est  contre  l'opinion 
d'Aristote.  D'avantage,  toute  action  vertueuse  se 
propose  une  recompense;  or  le  mérite  et  le  sa- 
laire sont  choses  différentes  de  temps,  d'ordre  et 
de  fin.  Si  donques  la  félicité  est  le  prix  du  ver- 
tueux, n'est-ce  pas  renverser  l'authorité  qui  atta- 
che le  bien  souverain  en  l'opération  et  pratique 
de  la  vertu?  Ajoustez  que  le  sage  ne  seroit  qu'au- 
tant heureux  qu'il  besoigneroit  vertueusement  : 
l'action  venant  à  cesser,  sa  béatitude  delaisseroit 
d'estre.  A  ce  compte,  les  fins  moyennes  seroient 


DE     L*ARBRE     DE    VIE. 


171 

cause  de  la  principale,  supérieure  et  universelle  , 
qui  est  contre  le  sens  et  l'intelligence  com- 
mune. 

Mais  quelle  absurdité  de  dire  que  l'effect  des 
petites  vertus  (car  il  reçoit  plus  et  moins  en  elles) 
rend  l'homme  heureux,  et  non  pas  l'exécution 
de  celés  qui  sont  grandes  et  vrayement  héroïques, 
comme  de  supporter  sans  fronser  les  sourcils 
toutes  sortes  d'afflictions,  quelles  qu'elles  soient! 
Et  nous  disons  ordinairement  que  la  fin  est  tous- 
jours  plus  glorieuse  et  plus  honorable  des  choses 
difficiles  et  plus  dangereuses  à  soustenir;  quelle 
persécution  donques  ne  postposera  on  à  un  si 
digne  loyer  qu'est  le  bien  souverain  ?  Et  s'il  a  esté 
décerné  ainsi  infiny  et  accomply  de  tout  point  à 
la  proportion  du  mérite,  quelle  parcelle  de  béa- 
titude se  propose  le  peripatetique,  ne  mettant 
qu'à  demy  la  main  à  l'œuvre?  Certainement  elle 
est  fort  petite,  et  si  elle  ne  peut  usurper  ce  nom, 
sinon  respectivement  et  au  rapport  de  la  souve- 
raine. Mais  je  ne  m'estonne  pas  s'il  s'est  esgaré 
parmy  les  brossailles  et  essars  d'une  si  laborieuse 
recherche  :  car,  ayant  parlé  si  irresoluement  de  la 
nature  de  l'ame,  couru  à  clochepied  à  la  cognois- 
sance  d'icelle  et  attaint  si  très  confusément,  et  en- 
cores  plus  mal  à  propos,  son  immortalité,  il  ne 
pouvoit  plus  vray-semblablement  fonder  ce  bien 
souverain  qu'en  l'usage  des  vertus,  ne  cognois- 


172  DE    LARBRE     DE    VIE. 

sant  rien  de  plus  digne  et  plus  beau  pour  luy 
servir  de  siège  et  de  subsistance. 

Pour  ne  vous  ennuyer,  Madamoiselle,  je  laisse 
une  multitude  d'autres  raisons  suffisantes  pour 
justifier  qu'à  tresjuste  occasion  nous  ne  peripate- 
tisons  pour  le  souverain  bien;  il  faut  que  je  livre 
le  choc  aux  Stoiques,  l'opinion  desquels  a  plus 
d'apparence  de  saincteté  et  d'estre  mieux  fondée. 

Le  Stoique  dit  que  tout  ce  qui  est  bon  est 
choisissable,  le  choisissable  esjouissable,  l'esjouis- 
sable  bien  heureux,  le  bien  heureux  désirable  ;  et 
au  contraire  le  mal  fuyable,  ennuyable,  misérable 
et  rejettable.  Accordons  aux  Stoiques  que  l'habi- 
tude de  la  vertu  est  désirable  comme  belle  et 
bonne;  pource  n'auront  ils  pas  gaigné  leur  pro- 
cès, car,  toute  vertu  consistant  en  action ,  leur 
sage  ne  sera  point  vertueux  pour  la  posséder,  s'il 
n'en  pare  sa  vie  par  la  pratique.  Aristote  leur  a 
suffisamment  prouvé  que  la  béatitude  ne  consis- 
toit  point  en  la  seule  habitude.  Reste  donc  que 
leur  opinion  touchant  le  bien  souverain  n'est  pas 
bonne.  Mettons  le  cas  que  leur  vie  soit  conforme 
à  la  doctrine  de  leur  secte,  quant  à  ce  chef.  Estre 
persécuté  avec  violence  de  supplices  pour  l'amour 
de  la  vertu,  cela  s'appelle  un  bel  acte;  cracher  sa 
langue  contre  la  face  d'un  tyran  plustost  que  dire 
mal  à  propos,  y  estant  contraint,  c'est  un  bel  ex- 
ploit de  magnanimité.  Aussi  est  il   bien  de  se 


DE    l'arbre    de    vie.  lyS 

brusler  la  main  volontairement  pour  monstrer 
une  singulière  affection  à  sa  patrie;  mais  ces 
choses  là  sont  elles  esjouissables  ?  Pour  le  moins, 
on  m'advoiiera  que  non  pas  de  soy,  mais  pour 
quelque  autre  respect  :  ce  ne  sera  par  ainsi  le  bien 
souverain,  qui  n'est  désiré  que  pour  soy. 

Ils  dient  que  le  seul  sage  est  bien  heureux  : 
pour  estre  donc  perpétuellement  heureux ,  il  faut 
estre  perpétuellement  sage.  A  ce  compte,  asseu- 
rez  vous  que  les  bien-heureux  seroient  fort  clair- 
semez;  et  ceux  des  sages  d'entr'eux  qui  se  sont 
précipitez  des  festes  d'un  rocher  par  l'oppression 
d'une  douloureuse  maladie  ou  ennuyante  pau- 
vreté, comme  ils  ne  se  pouvoient  contanter  et 
esjouir  en  ces  afflictions  qui  sont  les  vrayes  mar- 
ques de  vertu,  aussi  croy-je  qu'ils  n'y  establissent 
point  leur  félicité.  Voire  mais,  où  est  ce  qu'ils 
ont  les  yeux  de  l'entendement,  de  ne  faire  aucune 
différence  de  vertu  à  vertu,  tout  ainsi  qu'ils  fa- 
daisentde  l'égalité  des  vices,  affermans  que  don- 
ner injustement  un  soufflet  à  un  du  populaire  est 
aussi  mal  fait  que  de  révolter  tous  les  citadins 
d'un  Estât  et  les  faire  entretuer.  Entre  eux  n'eut 
ce  pas  esté  un  blasphème  de  dire  que  Dion  estoit 
aussi  vertueux  que  leur  Jupiter,  lequel  ils  esti- 
moient  seul  incorruptible  entre  leurs  dieux  ?  Mais, 
s'ils  egalisoient  ainsi  la  vertu ,  et  qu'en  icelle  ils 
fondoient  leur  bien  souverain,  comme  ils   fai- 


174  ^^     LARBRE     DE    VIE. 

soient,  qu'avoient  ils  affaire  de  se  jetter  volon- 
tairement, pour  l'amour  d'elle,  ou  au  feu,  ou  au 
gibet,  ou  parmy  le  tranchant  des  espées  enne- 
mies, puis  que  l'exécution  des  moindres  vertus, 
comme  d'endurer  une  parole  outrageuse,  les  ren- 
doit  suffisamment  heureux?  Diroient  ils  que  la 
gloire  en  est  plus  belle  et  plus  recommandable  ? 
Et  à  quoy  cela  ?  Car  ces  sages  là  ne  recerchoient 
point  la  parade  d'un  nom  vain  ;  c'est  pour  en  estre 
plus  heureux.  Ils  consideroient  donc  plusieurs 
degrez  au  salaire,  et  non  en  l'ordre  des  mérites. 
Ils  vouloient  que  toutes  les  vertus  fussent  unes , 
et  toutesfois  les  loix  ont  tousjours  décerné  le  pris 
selon  la  proportion  de  la  course;  mais  il  estoit 
nécessaire  que  ceux  qui  ne  reçoivent  point  les 
choses  indifférentes  en  la  nature,  comme  les  ri- 
chesses, la  santé  et  autres,  parlassent  ainsi  absur- 
dement  du  souverain  bien:  car,  puis  que  ce  qui 
n'est  pas  bien  leur  est  incontinent  mal ,  et  qu'un 
bien  n'est  pas  plus  grand  ny  plus  petit  que  l'au- 
tre, il  s'ensuivoit  bien  que,  le  bon  estant  ver- 
tueux, désirable  et  esjouïssable,  la  simple  vertu , 
en  quelque  qualité  et  quantité  qu'elle  consistast, 
fust  leur  félicité. 

—  Seigneur  Theophanes,  va  dire  la  belle  Eu- 
thelie,  parce  que  vous  venez  de  dire,  je  suis 
presque  induite  à  recevoir  l'impression  de  tant 
de  grands  personnages  lesquels,  à  cors  et  à  cry, 


DE     l'arbre     de    vie.  IjS 

tiennent  que  rien  ne  se  peut  sçavoir,  ains,  tenans 
toutes  doutes  suspendues,  estiment  bien  qu'il  y 
ait  quelque  probable  apparence  pour  et  contre  ce 
qui  leur  est  proposé;  mais  d'affermer  qu'il  soit 
plus  cecy  que  cela,  il  ne  leur  est  pas  loisible. 
Vous  en  avez  touché  quelque  propos,  Seigneur 
Theophanes,  au  commancement  de  ceste  apres- 
disnée.  De  fait,  si  le  prince  des  Dogmatistes  et 
Philosophes,  Aristote,  qui  pense  si  bien  avoir 
asseuré  sa  doctrine  sur  des  raisons  inexpugnables, 
est  à  chasque  bout  de  champ  repris,  quel  moyen 
nous  reste  il  de  nous  acheminer  à  la  vérité ,  la- 
quelle Heraclite  pense  estre  cachée  dans  l'abisme 
d'un  puys  qui  ne  peut  estre  sondé,  pour  la  diffi- 
culté, afin  que  je  ne  die  impossibilité,  qu'il  y  a  de 
la  trouver  ? 

—  Je  vous  confesseray,  Madamoiselle  Euthe- 
lie,  respond  le  seigneur  Theophanes,  que  pour 
la  physique,  les  morales  et  la  politique,  où 
presque  tous  ont  vogué  dans  la  barque  de  l'opi- 
nion, les  principes  ny  les  démonstrations  ne 
monstrent  pas  par  tout  le  chemin  infaillible  de  la 
vérité;  mais  pour  cela  quelle  raison  y  a  il  de  des- 
truire  universellement  toutes  les  sciences,  comme 
a  fait  Pyrrhon  et  Carneade  ?  Car  que  peut  on  dire 
de  plus  véritable,  qu'une  ligne  droite,  tombant 
en  quelque  façon  que  ce  soit  sur  une  autre  ren- 
versée, fera  deux  angles  droicts  ou  esgaux  à  deux 


176  DE    l'arbre    de    vie. 

droicts;  ou  ceste  autre,  que  toute  proposition  est 
nécessairement  ou  vraye  ou  fausse;  et  toutesfois 
ce  sont  des  maximes  des  sciences  mathématique 
et  métaphysique. 

—  Cela  est  bien  vray,  Seigneur  Theophanes, 
respond  la  belle  Euthelie  ;  mais  que  ferons  nous 
de  ces  opinions  que,vous  avez  rebuté?  Les  rejette- 
rons nous  comme  chose  du  tout  inutile,  ou  si  nous 
en  retiendrons  quelque  partie?  Il  me  semble  bien 
que  par  toutes  on  peut  apprendre  quelque  chose 
qui  serviroit  bien  autre  part;  mais,  si  nous  n'y 
avons  peu  voir  ce  qui  estoit  nécessaire  pour  mons- 
trer  ce  qui  est  de  la  félicité  humaine,  encores  de- 
vriez vous  essayer  de  treuver  ailleurs  ce  qui  défaut 
encecy;  autrement,  j'auray  barre  sur  vous,  parce 
que  vous  ne  m'aurez  tenu  promesse. 

—  Madamoiselle,  respond  le  S^  Theophanes, 
vous  me  tenez  fort  de  court,  si  faut  il  que  je  vous 
contante.  Il  est  certain  que  humainement  le  Pe- 
ripateticien  ny  le  Stoique  ne  pouvoient  gueres 
mieux  rencontrer  sans  autre  plus  grande  lumière. 
Ce  qui  nous  doit  semondre  à  avoir  pitié  d'eux 
d'un  costé,  puis  qu'ils  ont  eu  faute  de  la  grâce 
qui  nous  est  départie,  pour  estre  poussez  à  ceste 
cognoissance  ;  et  d'autre  part  nous  avons  dequoy 
leur  porter  envie,  de  voir  qu'il  n'y  a  eu  estude, 
travail,  longues  veilles  et  inquiétudes  d'esprit, 
qui  ayent  peu  les  divertir  et  demouvoir  de  l'en- 


DE     LARBRE     DE    VIE. 


11 


vie  qu'ils  ont  eu  de  quitter  les  ténèbres  où  ils 
estoient  naturellement  enveloppez.  Les  bonnes 
gens  ne  faisoient  que  tastonner.  Entre  eux  ceux 
lesquels  ont  le  moins  mal  pertinemment  cogneu 
l'immortalité  de  l'ame,  les  uns  ont  tenu. qu'après 
la  dissolution  du  corps  elle  s'alloit  réunir  à  l'ame 
de  l'univers,  d'où,  après  quelques  révolutions, 
selon  la  volonté  de  son  facteur,  et  la  vie  qu'elle 
avoit  mené  en  la  précédente  conjonction,  elle 
rentroit  dans  un  nouveau  domicile;  les  autres  es- 
timoient  que,  si  elles  avoient  bien  fait  unies  avec 
le  corps,  la  mort,  que  nous  appelions,  leur 
estoit  un  passage  à  la  béatitude  pour  y  estre  per- 
pétuellement ;  mais  si,  au  lieu  de  commander, 
elles  s'estoient  esclavées  à  la  vilité  de  la  matière, 
à  la  resolution  du  suppost  elles  s'aneantissoient 
peu  à  peu  en  leur  premier  rien.  Ces  deux  opi- 
nions ne  peuvent  servir  à  nostre  propos.  La  troi- 
siesme  a  esté  mise  en  avant  par  certains  philoso- 
phes, lesquels  ont  considéré  que,  pour  resveiller 
les  hommes  à  la  vertu  et  les  destourner  du  vice, 
il  a  esté  nécessaire  de  proposer  en  tout  estât  bien 
policé  le  salaire  et  loyer  pour  recognoistre  les 
beaux,  bons,  louables  et  honnestes  exploits,  et 
la  peine  pour  la  coulpe.  Et,  pour  autant  que  la 
recompense  de  ceux  qui  s'exposoient  volontaire- 
ment à  la  mort  pour  le  bien  de  la  patrie,  qui 
avoient  bien  vescu  au  demeurant  de  leur  vie,  ne 

23 


178  DE     l'arbre     de    vie. 

pouvoit  estre  donnée,  n'y  ayant  plus  personne 
qui  justement  et  légitimement  ia  peut  recevoir, 
ils  prenoient  ceste  resolution,  que  le  loyer  estoit 
décerné  selon  le  mérite,  pour  n'accuser  d'injus- 
tice les  dieux ,  et  qu'il  estoit  réservé  à  une  autre 
vie  meilleure,  à  ceux  qui  ne  l'avoient  peu  appré- 
hender en  vivant,  et  par  ainsi  soudain  ils  char- 
gèrent la  créance  que  l'ame  estoit  immortelle  et 
que,  pour  avoir  bienvescu,  elle   possedoit  une 
vie  bien  heureuse.  Les  mesmes  persuasions  leur 
firent  croire  que,  pour  les  mal-vivans  (la  mort 
survenant  naturellement ,  qui  les  empeschoit  de 
souffrir  le  supplice  condigne  à  la  coulpe),  il  y  au- 
roit  un  Tartare  vers  le  centre  de  l'univers ,  enve- 
loppé de  perpétuelles  ténèbres,  et  remply  d'une 
infinité  de  tourmens  destinez  pour  la  géhenne, 
torture  et  malédiction  des  âmes  des  coulpables. 
Voila  comme  au  cartier  de  ceux  cy  l'immortalité 
de  Tame  trouve  place,  simplement  et  absolument. 
Ce  jugement  ayant  esté  par  succession  de  temps 
signé  de  plusieurs  successeurs,  il  ne  fut  point 
seulement  receu  pour  son  autorité,  ains  furent  cer- 
chees  plusieurs  autres  belles  raisons  pourluy  don- 
ner face  et  couleur.  Entre  autres  apparoissoit, 
comme  un  soleil  par  dessus  toutes  autres  clartez, 
ce  trois  fois  véritablement  très-grand  Mercure, 
qui  n'a  pas  seulement  cogneu  ce  mystère  caché  à 
tant  d'autres  touchant  l'ame,   mais  encores  sa 


DE     LARBRE     DE    VIE.  1 79 

cheute  par  la  briseure  des  cercles,  quand,  voulant 
phaetontiser  et  faire  sa  course  d'ellemesme,  elle 
s'aveugla  en  l'apparente  et  dommageable  beauté 
qui  estoit  estendue  sur  la  matière  où  elle  estoit 
unie.  Ainsi  il  cogneut  la  régénération  de  l'ame 
faite  par  le  Verbe  unique  engendré,  et  la  vraye 
et  parfaite  béatitude  dont  elle  a  esté  rendue  ca- 
pable. Quant  à  Orphée,  quoy  qu'il  ait  vescu 
maints  siècles  depuis  ce  Mercure,  il  n'a  peu  mor- 
dre à  ceste  divine  cognoissance.  Ses  escrits  le 
donnent  assez  à  entendre  à  ceux  qui  prennent  de 
la  peine  pour  recercher  la  sacrée  intelligence, 
laquelle  il  a  esté  contraint  de  cacher  sous  le  ri- 
deau des  fables  mystérieuses ,  car,  quand  il  a 
estably  le  souverain  bien  en  la  beauté  sous  le  nom 
de  Narcisse,  serions  nous  si  mal  advisez  d'esti- 
mer qu'il  ait  entendu  quelque  forme  humaine 
attraiante  par  la  belle  figure,  proportion ,  cou- 
leur, surface  d'un  visage  et  seule  parade  de  la 
matière?  Disons  plustost  qu'il  a  pensé  que  le 
beau  et  le  bon  se  convertissent,  que  ny  l'un  ny 
l'autre ,  comme  dira  tantost  Platon ,  ne  se  pou- 
voit  trouver  absoluement  et  essentielement  qu'en 
Dieu,  et  partant  qu'en  la  contemplation  de  ceste 
absolue  et  souveraine  beauté  resultoit  la  félicité 
de  l'ame. 

Mais  escoutons  un  peu,  je  vous  prie,  ce  qu'avec 
une  volée  d'autres  sages  qui  fleurissoient  d'un 


i8o  DE  l'arbre   de  vie. 

mesme  temps  en  Grèce  avoit  accoustumé  de  dire 
Solon  : 

Qu'homme  vivant  bienheureux  ne  se  die 
Tant  qu'il  travaille  à  parfaire  son  cours, 
Mais  prenne  garde,  au  dernier  de  ses  jours , 
L'arbitre  seul  qui  doit  juger  sa  vie. 

Vous  semble  il  qu'avec  la  sapience,  où  il  esta- 
blissoit  la  félicité ,  il  n'assena  point  droitement 
au  bien-heureux  but  où  vise  l'ame  immortelle 
pour  son  dernier  but  ?  Je  passeray  sous  silence 
plusieurs  autres  vénérables  philosophes,  lesquels 
ont  tous  consenty  à  la  sainteté  de  ceste  opinion , 
et  feray  venir  le  dernier  en  la  scène,  le  divin 
Platon ,  lequel  afferme  que  le  souverain  bien  gi- 
soit  en  l'Idée. 

Un  personnage  qui  avoit  eu  si  bonne  opinion 
de  l'essence  de  Dieu  incompréhensible  et  de 
l'incorruptibilité  de  l'ame,  qui  luy  est  escheue 
par  grâce  et  par  nature,  ne  devoit  point  se  trom- 
per en  l'élection  et  cognoissance  de  la  fin  pour 
laquelle  elle  sembloit  avoir  esté  créée,  et  que  telle 
fin  ne  fust  extrêmement  heureuse.  Voila  pour- 
quoy,  considérant  qu'il  n'y  avoit  point  de  bien 
ny  d'heur  en  ce  monde  sensible,  sinon  entant 
qu'il  estoit  rapporté  au  mal,  ou  que  pour  le 
moins  il  n'y  estoit  parfait  ny  absoluement,  mais 
par  participation  et  respectivement,  il  estoit  ne- 


DE     l'arbre     DE     VIE.  l8l 

cessaire  d'establir  la  béatitude,  non  en  ceste  vie , 
sinon  confusément  et  ombrageusement,  mais  en 
une  autre  meilleure,  où  seulement  se  trouvoit  un 
repos  et  tranquilité  d'esprit,  avec  un  contante- 
ment  tresparfait,  réservé  pour  la  recompense  des 
bien  vivans.  Et  c'est  ce  qu'il  appelle  Wée  du  sou- 
verain bien ,  sur  laquelle  il  met  l'Unité  innomi- 
nable,  contenant  l'Idée  de  toutes  choses,  les  ma- 
térielles immateriellement ,  et  les  composées 
simplement,  non  seulement  par  les  raisons  visans 
à  ce  qui  est  tousjours  de  mesmes  éternel  et  intel- 
ligible, mais  encores  par  l'exemplaire  de  tout  ce 
qui  est  regy  par  les  générations,  le  temps  et  le 
mouvement.  Or  qu'est-ce  la  béatitude  souveraine 
comparée  à  Dieu ,  autre  chose  sinon  que  le  bon 
et  l'Idée  au  respect  de  l'Unité  ? 

Mais  Aristote  respond  :  Il  n'y  a  point  d'idée 
de  ce  qui  reçoit  devant  et  après,  ains  seulement 
de  ce  qui  est  tousjours  de  mesmes  :  les  nombres 
n'en  recevront  donc  pas.  Or  le  bon  ayant  devant 
et  après  est  dit  en  autant  de  sortes  que  l'ens  ou 
estât  avec  lequel  il  a  conversion ,  car  en  la  caté- 
gorie de  la  substance,  qui  est  la  première  en 
ordre ,  Dieu  et  les  anges  sont  bons  ;  en  la  qua- 
lité, les  vertus  sont  bonnes;  en  la  quantité,  la 
médiocrité,  et  ainsi  des  autres  :  dont  il  conclud 
qu'il  y  aura  plusieurs  idées  de  ce  qui  est  bon,  ou 
une  idée  de  plusieurs  choses  bonnes  différentes 


l82  DE    l'arbre     de     VIE. 

de  genre.  Que  s'il  n'y  avoit  qu'une  idée  de  plu- 
sieurs biens,  il  n'y  auroit  qu'une  science,  ce  qui 
ne  peut  estre,  d'autant  que  le  contraire  se 
monstre. 

—  Seigneur  Theophanes ,  va  dire  la  belle 
Euthelie,  j'ay  honte  de  la  mescognoissance  de 
ce  disciple  stagirien  alendroit  de  son  maistre  ; 
pource  vous  ne  trouverez  point  mauvais  si,  pla- 
tonisant,  je  respons  icy  aux  argumens  de  vostre 
Aristote.  Je  vous  dis  doncques  que  les  idées, 
subsistantes  de  soy,  demeurent  voirement  tou- 
jours unes,  expertes  de  tout  changement ,  et  que 
le  bien,  soit  qu'il  soit  considéré  en  la  substance, 
ou  aux  accidens,  ne  peut  estre  appelé  purement 
ny  essentiellement  Bien,  sinon  d'autant  qu'il  par- 
ticipe du  souverain.  Or  Aristote  a  luy  mesmes 
dit  en  sa  Métaphysique  que  tout  ce  qui  est  par 
participation  est  réduit  à  la  nature,  qui  tient  le 
premier  degré  en  ce  genre,  comme  toute  chaleur 
au  feu;  et,  en  autre  endroit,  que,  comme  l'addi- 
tion ou  substraction  de  l'unité  change  le  nombre, 
ainsi  l'addition  des  différences  substancieles  chan- 
gera la  définition.  Et  tout  ce  qui  est  sensible  et 
intelligible  ne  participe  il  pas  du  premier  Estant, 
en  la  vertu  duquel  tout  subsiste?  Il  advoûera 
bien  que  le  plus  grand  nombre  qu'on  puisse  ima- 
giner consiste  et  dépend  de  l'Unité,  et  neantmoins 
qu'icelle  seule  séparée,  toute  ceste  qualité  sera 


DE   l'arbre   de  vie.  i83 

réduite  à  néant.  Si  cela  est  si  manifeste,  pour- 
quoy  s'opiniastrera  il  d'avantage  que  tous  les 
biens  ne  participent  du  souverain  en  cest  ordre .? 
Or,  que  cela  ne  se  doive  appeller  Idée^  il  est  évi- 
dent par  ce  que  nous  avons  dit  :  et  partant  qui- 
conque possédera  aura  ceste  béatitude  souve- 
raine à  laquelle  l'homme,  seul  de  tous  les  ani- 
maux, est  capable  de  parvenir.  Et  si  ce  mot 
êiîdée,  que  nous  pouvons  appeller  forme  sépa- 
rée, luy  fait  mal  au  cœur,  ne  laissons  pas  nous 
autres  de  le  recevoir  après  tant  de  saincts  person- 
nages, qui  l'assignent  en  la  pensée  éternelle  de 
Dieu  :  et  disons  avec  S.  Augustin,  en  son  livre 
des  83  Questions,  qu'il  y  a  tant  de  vertu  et  pro- 
priété aux  idées  que  personne ,  sans  leur  intelli- 
gence ,  ne  se  peut  vendiquer  le  nom  de  sage.  Je 
n'auray  pas  beaucoup  affaire  après  l'autre  argu- 
ment d'Aristote,  auquel  je  passeray  volontiers 
qu'il  y  a  plusieurs  sciences  des  biens,  mais  toutes 
dépendent  d'une  souveraine,  comme  tous  les 
biens  d'un  souverain. 

Or  nous  sçavons  qu'il  y  a  deux  genres  de 
science  :  l'un,  qui  procède  des  principes  cogneus 
de  la  lumière  d'entendement,  comme  l'arithmé- 
tique et  géométrie  ;  l'autre,  qui  procède  des  prin- 
cipes illustrez  par  la  science  supérieure,  ainsi  que 
la  perspective  dépend  de  la  géométrie,  et  la  mu- 
sique de  la  science  des  nombres.  D'avantage  il  a 


184  DE     l'arbre     de     vie. 

dit  luymesmes,  au  sixiesme  de  ses  Morales  et  se- 
cond de  sa  Métaphysique^  que  la  sapience  c'est  le 
chef  de  toutes  les  sciences,  et  que  c'est  au  sage 
de  disposer  et  ordonner.  Ce  sera  donc,  à  parler 
proprement,  la  science  générale;  et,  au  rapport 
d'elle,  toutes  les  autres  seront  subalternes,  à  celle 
fin  que  tousjours  il  y  ait  mesmes  proportion  de 
Dieu  aux  idées  et  à  ce  qui  en  participe,  comme 
de  la  première  science  aux  subalternes  et  sujet 
d'icelles.  On  ne  doit  point  donc  ainsi  rabrouer 
l'opinion  qu'a  eu  ce  divin  philosophe  du  souve- 
rain  bien   constitué   en    l'Idée ,   dont  l'homme 
entre  en  possession,  quoy  que  confusément,  ce- 
pendant qu'il   vit ,  toutes   et   quantesfois    qu'il 
bande  son  entendement  à  la  méditation  de  ce  qui 
est  par    soy  intelligible  et  très  heureux.  Mais 
ceste  félicité  temporelle  et  passagère  se  parfait 
alors  que  l'ame,  séparée  de  tous  les  empesche- 
mens  qui  se  treuvent  aux  sens,  se  conjoint  par 
continuelle  contemplation  à  ceste  Idée,  ce  qui  ne 
peut  estre  qu'après  la  mort.  C'est  en  somme  ce 
que  ce  grand  philosophe  a  estimé;  et,  à  la  mienne 
volonté,  que  tous  ceux  qui  se  meslent  de  luy 
contredire  eussent  de  prés  et  à  loisir  pris  garde  à 
ce  qu'il  escrit  du  Beau  en  un  dialogue  qu'il  en  a 
fait  exprés,  où  Socrates  monstre  au  sophiste  qui 
mettoit  la  beauté  tantost  aux  richesses,  tantost  en 
la  santé,  et  quelques  fois  espandue  sur  la  forme  hu- 


DE   l'arbre    de   vie.  i85 

maine,  qu'elle  n'estoit  qu'un  pur  rayon  de  la  bonté 
et  essence  divine,  où  elle  residoit  absolument,  et 
que  toute  autre  chose  n'estoit  qu'un  ombrage 
vain  au  respect  d'elle;  mais  le  mystère  qu'il  des- 
couvre sous  la  feintise  de  l'Androgyne,  en  son 
Banquet,  n'est  il  pas  suffisant  pour  nous  faire  voir 
tant  Testât  et  beauté  de  l'homme,  avant  que  le 
péché  l'eut  difforme  et  défiguré,  que  par  après  la 
division  et  le  rassemblement  de  sa  double  nature. 
De  ma  part,  je  ne  doute  plus  que  ce  philosophe, 
conversant  avec  les  sages  d'Egypte,  n'ait  veu  les 
saintes  lettres  contenues  au  Testament  de  l'an- 
cienne alliance;  autrement  il  n'eut  sceu  si  bien 
parler  du  vray  bien  et  s'approcher  de  la  vérité 
que  nous  en  tenons.  S'il  a  envelopé  la  pureté  des 
sacrez    secrets    sous    l'harmonie  des   nombres , 
comme  il  a  fait  par  tout,  et  spécialement  en  son 
Timée,  c'est  que  de  son  temps  ils  avoient  vogue 
en  l'Académie  d'Athènes.   D'ailleurs,   il  voyoit 
que  l'on  traitoit  fort  rigoureusement  ceux  qui  ne 
vouloient  suivre  le  grand  chemin  des  vaches,  et 
innovoient  quelque  chose,  voire  de  saint  et  reli- 
gieux en  la  Republique.  Son  maistre  passa  par 
l'espreuve,  le  disciple  n'a  peu  moins  que  de  tas- 
cher  à  se  sauver.  Eschappe  qui  peut.  Quoy  que 
soit,  j'advoue  librement  que  je  ne  suis  pas  moins 
ravie  que  satisfaite  de  l'opinion  de  Platon,  de 
sorte  que  vous  pourrez,  quand  il  vous  plaira, 

•24 


i86  DE  l'arbre  de  vie. 

parachever  ceste  dispute,  si  mieux  vous  n'aimez 
y  apporter,  comme  pour  le  seau  indubitable  de 
la  vérité,  ce  que  nostre  religion  nous  persuade, 
exhorte  et  commande  d'en  croire;  mais,  je  vous 
prie,  que  ce  soit  plus  familièrement  que  vous 
n'avez  fait  le  demeurant,  me  traitant,  comme 
on  dit,  en  enfant  de  laict,  puis  que  la  mémoire 
et  l'estomach  ont  ensemble  ceste  commune  rai- 
son que  non  seulement  la  qualité  des  viandes, 
mais  la  quantité  mal  assaisonnée  à  leur  portée  est 
souvent  de  peu  de  fruict. 

—  Madamoiselle  Euthelie,  va  dire  le  S'"  Theo- 
phanes,  pour  ne  vous  laisser  prendre  pied  sur 
moy,  il  faut  que  je  franchisse  la  carrière  et  ne 
vous  abandonne  ceste  apresdisnée  que  ne  vous 
rende  contante,  aumoins  selon  que  la  capacité 
humaine  pourra  nous  donner  de  cognoissance. 
On  dira  que  je  veux  theologiser,  au  lieu  que  ceste 
compaignie  ne  cerche  qu'à  s'esgaillardir;  et  quel 
plus  grand  plaisir  sçaurions  nous  avoir  que  quand 
on  nous  dresse  Testât  de  nostre  royaume  céleste  ? 
Nous  prendrons  les  affaires  de  plus  haut,  et,  si 
Dieu  plaist,  y  procéderons  le  plus  modestement, 
succinctement  et  chrestiennement  que  faire  se 
pourrra,  pour  voir  toute  la  nature  et  estât  de 
l'homme,  et  la  fin  où  il  est  appelle. 

Le  souverain  Dieu,  en  la  manifestation  du  sen- 
sible univers,  selon  l'idée  qu'il  en  avoit  éternel- 


DE     l'arbre     de    vie.  187 

lement  conceu  ,  délibéra  selon  sa  volonté  incom- 
préhensible de  faire  l'homme  pour  sa  gloire  et 
toutes  autres  choses  pour  l'homme;  non  seule- 
ment ce  qui  luy  est  inférieur  de  dignité,  d'ordre 
et  d'espèce,  ou  créé  pour  son  usage,  mais  en- 
cores  les  substances  spirituelles  estoient  commises 
pour  en  avoir  la  protection,  luy  ayder  et  luy  ser- 
vir pour  le  respect  de  la  divine  image  et  de  l'es- 
prit de  vie  qu'il  portoit  engravé  en  la  supérieure 
partie  de  son  ame.  Il  est  donc  vray-semblable  que 
cest  homme  ne  surpassoit  pas  seulement  en  dou- 
ceur de   nature    tous  autres  animaux,   mais  en 
grâces  sur-naturelles  il  egalloit  presque  la  plus 
excellente  de  toutes  les  créatures.  Ce  qui  se  peut 
remarquer  par  la  justice  parfaite  qui   luy  estoit 
originaire,  la  bien  heureuse  immortalité  de  vie 
qu'il  pouvoit  conserver,  et  la  volonté  libre  pour 
estre  seul  roy  de  ses  actions,  qui  fut  le  comble  de 
son  malheur  :  car,  ayant  esté  émancipé  en  une 
telle  liberté,  comme  il  advient  à  un  fils  unique 
auquel  le  père  a  mis  la  bride  sur  les  aureilles  avec 
beaucoup  de  moyens  entre  les  mains,  lors  que 
peu  leurré  et  pratiqué  aux  affaires,  il  ne  dissipe 
pas  seulement  l'héritage,   mais  s'engage  en  fin 
dans  quelque  crime  capital  qui  le  dissipe  en  ruine. 
Ainsi  est  il  de  l'homme  (dans  la  masse  duquel 
nous  estions  tous,  abusans  de  ceste  liberté,  au  lieu 
de  nous  dresser,  plier  et  joindre  à  la  vraye  source 


i88  DE   l'arbre    de  vie. 

pour  en  avoir  conseil),  s'aveugla  tellement  après 
l'amour  qu'il  porta  à  la  matière  corruptible,  cloa- 
que de  péché  et  domicile  de  tout  mal,  qu'oubliant 
la  deffense  qui  luy  avoit  esté  faite ,  il  tomba  dans 
l'abysme  des  misères  et  decheut  par  ce  moyen  de 
tant  de  prérogatives  et  avantages  qu'il  avoit  eu  ; 
ne  perdant  pas  seulement,  comme  dit  S.  Augus-  - 

tin,  les  dons  sur-naturels,  mais  la  lumière  mesmes  J 
qu'il  avoit  de  sa  nature  demeura  trouble,  confuse  1 
et  dépravée;  en  telle  sorte  que,  l'esprit  de  Dieu 
s'estant  departy  et  séparé  d'un  si  abominable  su- 
jet, il  fut  fait  la  proye  de  toute  malédiction,  et 
par  ce  moyen  luy  fut  barré  l'huis  de  l'immortelle 
félicité  à  laquelle  il  avoit  esté  né.  Et  eut  esté  per- 
pétuel son  bannissement,  si  l'innocent  ne  fut  des- 
cendu en  terre  pour  nous  reconcilier  avec  Dieu 
son  Père,  et  nous  faire  part,  comme  à  ses  frères, 
de  ce  grand  et  excellent  royaume,  duquel  la  grâce 
de  l'Eternel  nous  a  rendu  ou  imputé  habiles 
successeurs. 

—  Ah!  que  je  suis  contante.  Seigneur  Theo- 
phanes,  va  dire  la  belle  Euthelie  ;  comme  j'ay  ou- 
vert la  dispute,  s'il  vous  plaist,  je  la  bouscheray, 
tant  parce  que  je  vois  qu'il  y  en  a  en  ceste  com- 
paignie  qui  s'ennuyent  fort  de  tenir  si  longtemps 
leur  cul  sur  la  selle,  et  qui  ont  l'esprit  plus  tendu 
à  ce  qu'on  leur  fait  la  part  au  plus  jeune  ailleurs 
qu'icy,  que  pour  autant  que  desja  je  suis  résolue; 


DE     l'arbre     de    vie.  1 89 

aumoins,  ay  je  appris  de  plusieurs  braves  et  ho- 
nestes  hommes  ce  qu'il  falloit  croire  de  la  béati- 
tude céleste  et  des  moyens  par  lesquels  nous  y 
parvenons. 

—  A  demain,  Messieurs,  va  dire  le  S*"  Rodol- 
phe, le  reste;  mais  ce  ne  sera  point  estoffe  de  si 
haut  pris  :  il  faut  rire  et  non  point  se  ruer  si  pro- 
fondement sur  la  pratique  de  Messieurs  nos  mais- 
tres.  Une  autre  fois,  quand  vous  aurez  envie 
d'entrer  en  ces  profondes  méditations,  vous  ne 
feriez  que  bien  de  visiter  un  malade,  cela  luy  se- 
roit  une  grande  consolation  ;  ou  bien  de  dresser 
des  thèses  et  positions  à  disputer  en  quelque  es- 
chole,  mais  d'avoir  passé  ceste  apresdisnée  à  la 
contemplation  de  cest  Arbre  de  Vie,  voulez  vous 
sçavoir  ce  que  vous  m'avez  fait,  rien  autre  que  je 
vous  feroie ,  sinon  quand  avez  envie  de  passer  le 
temps  joyeusement,  si  je  vous  menoie  en  un  ser- 
mon. Il  y  a,  dit  le  sage,  temps  de  rire  et  temps 
de  pleurer,  temps  de  gausser  et  de  philosopher  : 
Omnia  tempu  haban. 

—  Parlez,  luy  vay  je  dire,  françois.  Seigneur 
Rodolphe,  car  aussi  bien  n'entendez  vous  le  latin  ; 
et  abbattez  vostre  moustache  :  elle  me  sent  son 
avaleur  de  lamprillons.  » 


APRESDISNÉE    V. 


DU  BABIL  ET  CAQUET  DES  FEMMES 


E  mescontantement  qu'eurent  aucuns 
de  nostre  bande  joyeuse  de  ce  qu'hier 
Madamoiselîe  Euthelie  avoit  si  long- 
temps branslé  sur  l'Arbre  de  Vie 
avec  le  S^  Theophanes  donna  entrée  au  discours 
de  ceste  apresdisnée.  L'occasion  n'est  pas  des 
plus  raisonnables  du  monde,  car,  ainsi  que  cy 
devant  vous  avez  peu  voir,  et  par  cy  après  le 
recognoistrez,  il  y  a  eu  plusieurs  parties  qui  ont 
duré  d'avantage  que  celle  de  nostre  damoiselle, 
qui  eut  bien  voulu  pour  son  souhait  que  plustot 
on  eut  mis  dans  le  trou  pour  bloquer  la  partie  :  ce 
sont  coups  de  maistres.  En  après,  parce  que  la 
belle  Euthelie  ne  touchoit  qu'à  choses  qui,  pour 
estre  sainctes ,  emportoient,  selon  la  pratique 
d'apresent,  avec  elles  melancholie,  et  qui  en 
prend  moins  de  plaisir  à  ce  qui  est  grave,  philo- 


192  DU     BABIL     ET     CAQJJET 

sophique  et  sérieux  que  aux  batelages ,  risées  et 
baguenauderies,  la  conférence  de  Madamoiselle 
Euthelie   sembla   ennuyeuse   à    aucuns  ;   j'avoie 
bien  envie  de  prester  le  colet  pour  targuer  l'Œil 
d'Avis  d'Euthelie,  mais  je  luy  attouchoie  etestoie 
affectionné  de  telle  sorte  que  je  me  fusse  par  aven- 
ture laissé  transporter  à  chose  dont  j'eusse  eu 
assez  par  après  loisir  me  repentir.  Joint  qu'en  ces 
apresdisnées,  non   plus  qu'aux  matinées,    j'eus 
l'honneur  de  présider,  pour  balancer  d'une  part 
et  d'autre  les  opinions  contraires.  Le  seigneur  de 
la  Vermille  me  fît  ceste  courtoisie  de  prendre  la 
parole  pour  les  femmes  alencontre  du  S'"  Rodolphe, 
lequel  assez  indiscrètement  commença  (parce  que 
son  rang  estoit  venu)  ceste  apresdisnée  par  un 
reproche  qu'il  fit  contre  la  mignonne  d'Euthelie, 
comme  s'il  eut  voulu  former  plainte  contre  elle. 
Il  s'émancipa  de  telle  sorte  que  quelques  uns  de 
la  compaignie  furent  contraints  luy  entrerompre 
son  propos,  luy  remettans  devant  les  yeux  ce  que 
j'ay  allégué  cy  dessus  et  autres  plusieurs  gentil- 
lesses propres  pour  divertir  ce  bigerre  humeur, 
qui  l'effarrouchoit  d'une  si  estrange  façon.   Et, 
comme  ils  virent  qu'à  la  façon  de  nostre  chat,  ou 
d'un  chien  quand  on  luy  veut  oster  un  os,  il  mar- 
monnoit  entre  ses  dents  et  continuoit  ainsi  ses 
coups,  le  prièrent  de  s'en  déporter,  parce  mesme- 
ment  que  la  compaignie  y  recevroit  peu  de  plai- 


DES    FEMMES.  IçS 

sir  et  encores  moins  de  contantement.   Il    faut 
sauver  les  dames.- 

A  peine  fut  remis  le  S'"  Rodolphe,  qu'il  s'en  va 
dire  :  «  Et  bien,  puis  qu'il  vous  plaist,  je  ne  me 
rueray  plus  sur  Madamoiselle  Euthelie.  Il  y  en  a 
de  la  troupe  qui  ont  envie  de  tramper  leur  pain 
au  pot;  courage,  contre  fortune  bon  cœur:  si  est 
ce  que  je  ne  suis  pas  encores  desniché  de  leur 
taudis,  je  les  vay  prendre  par  le  bec. 

—  Quoy  !  va  dire  le  S^  Galeot,  l'ont  elles  bien 
si  grand  qu'il  y  ait  prise  pour  vous  ?  Ce  ne  sont 
oiseaux:  vous  ne  feriez  que  bien  d'apprendre  à 
parler. 

—  Et  vous  de  vous  moucher,  respondit  le  S''  Ro- 
dolphe, car,  parmafoy,  vous  avez  une  roupie  qui 
monstre  bien  quel  homme  vous  estes  ;  on  diroitque 
vous  venez  de  battre  le  pitpour  avoir  de  lacresme  : 
la  présure  vous  pend  au  nez.  Ah  î  le  vilain  !  que  je 
le  donne  àceluy  qui  n'a  point  de  blanc  en  l'œil, 
non  pas  afin  qu'il  l'emporte,  mais  afin  que  tu  luy 
commandes,  que  tu  me  le  meines  enchaîné  ainsi 
qu'on  fait  les  ours  et  lyons.  Il  y  auroit  beaucoup 
de  badots  qui  te  suivroient. 

—  Ce  n'est  donc  que  pour  gausser.  Seigneur 
Rodolphe,  va  dire  messer  Valentin,  que  vous  vou- 
lez empescher  le  bureau  ceste  apresdinée.  Ce 
n'est  point  icy  un  brelan  :  il  faut  philosopher  ou 
bien  quitter  la  partie. 

25 


194  ^U     BABIL     ET    CAQUET 

—  Hé  !  Monsieur,  ne  fumetiSj  respondit  le  S^ 
Rodolphe,  quel  diable  avez  vous  mangé  ?  Je  vous 
donneray  tantost  assez  de  passetemps  ;  vous  estes 
si  très  dédaigneux  que,  qui  vous  feroit  présent 
d'un  pet  au  nez,  vous  ne  voudriez  esternuer.  C'est 
bien  rencontré  :  vous  voudriez  que,  dés  que  nous 
avons  mis  la  serviette  bas,  que  nous  prissions 
la  matière  à  belles  dens.  Il  faut  faire  pause,  et 
interea  refociller  et  regaillardir  nostre  sermon- 
niere.  Je  trouve  que  j'en  suis  beaucoup  plus 
dehait,  leste  et  à  mon  aise.  Vous  pensiez,  ce  crois- 
je,  que  je  ne  voulois  que  railler  et  plaisanter  :  la 
journée  n'est  elle  pas  à  Dieu  et  à  nous?  Vous 
verrez  que,  devant  qu'il  soit  dix  ans,  que  je  phi- 
losopheray.  Non,  ce  sera  tout  à  ceste  heure.  N'a- 
vez vous  jamais  ouy  parler  de  la  guerre  qui  a 
esté  entre  les  philosophes  de  l'université  de  Paris, 
qui,  pour  estre  liguez  en  deux  contraires  bandes, 
tout  ainsi  que  les  Guelphes  et  Gibelins,  Papistes 
et  Huguenots,  etc.,  prindrent  le  nom  de  Reaux 
et  Nominaux  ou  Sermocinaux.  Nous  quitterons 
la  realité,  s'il  vous  plaist,  pour  le  présent,  ne  fiât 
scandalum.  Or  il  pourroit  advenir,  si  nous  lais- 
sions entrer  en  lice  ceux  qui  tiendroient  encores 
de  cest  humeur  réalisé.  Vous  verrez  qu'encores 
que  nous  ne  touchions  qu'à  l'un  des  partis,  si  en 
sortiront  ils  des  esclats  fort  dangereux  ;  charge 
et  serre  le  casquet  qui  voudra.  Il  ne  faudra  qu'une 


DES     FEMMES.  IçS 

petite  bretille,  alias  bûchette,  pour  esborgner  le 
plus  habile  homme  de  France.  Ces  Messieurs  les 
Nominaux  estoient  de  grands  badins  de  se  laisser 
ainsi  clabauder  à  la  brigade  des  Réalistes;  s'ils 
eussent  pris  party  avec  les  femmes,  dés  la  pre- 
mière instance,  le  différent  estoit  décidé  à  leur 
proffit,  avec  despens,  dommages  et  interests  : 
cela  s'entend,  sans  le  dire,  comme  le  vin  du  valet. 

—  Seigneur  Rodolphe,  va  dire  le  S^  de  la  Ver- 
mille,  vous  sçavez  que  je  suis  fort  devotionné  aux 
femmes  ;  si  ne  puis  je  comprendre  sur  quoy  c'est 
que  vous  fondez  le  renfort  qui  eust  esté  donné 
aux  Réalistes  par  les  femmes.  Un  régent  de  l'U- 
niversité a  sous  son  bonnet  quadrangulaire  plus 
de  subtilité  que  n'ont  toutes  les  femmes.  Je  crois 
que  c'est  là  où  voulez  venir,  car,  au  reste,  s'il 
eust  fallu  venir  aux  coups  de  poings,  les  femmes 
estoient  plus  propres  pour  effrayer  que  pour  se 
grommer  et  soustenir  le  choc  realifîque. 

—  En  quelque  façon  que  vous  le  preniez.  Sei- 
gneur delà  Vermille,  les  femmes  eussent  fait  prou 
de  besoin.  Ne  sert  ce  que  vous  dites,  qu'elles  ne 
sont  pas  roides  pour  faire  une  muraille,  se  battre, 
se  frotter,  se  dourder  et  s'estriller.  Comme  si  vous 
ne  sçaviez  que  pour  un  coup  tousjours  elles  en 
donneront  deux  et  trois,  voire  que  quand  elles 
s'y  mettent  il  n'y  a  que  pour  elles. 

Que  direz  vous    des  Amazones  ?  Elles  n'ont 


196  DU     BABIL    ET    CAQJJET 

pas  fait  faire  joug  aux  masles  ?  Quand  une  femme 
a  mis  le  feu  dans  sa  maison,  elle  decheveleroit 
cinquante  hommes,  elle  deferreroit  cinquante 
chevaux  aussi  bien  que  la  Lunaire.  Partant,  si  les 
Nominaux  eussent  appelle  à  leur  ayde,  secours 
et  défense  les  femmes,  je  m'asseure  qu'il  n'y  eust 
pas  un  des  Réalistes  qui  ne  se  fust  venu  jetter 
en  leur  giron  pour  se  derealiser,  si  elles  l'eussent 
trouvé  bon.  Tous  les  vieux  Reaux  estoient 
troussez  en  masle,  et  eussent  passé  pour  sires  de 
leur  pays  ;  elles  vous  leur  eussent  arraché  leurs 
baies  ensouphrées  de  Realité.  Quant  aux  jeunes, 
elles  les  eussent  receu  à  ceste  composition  que 
leur  realité  recogneut  leur  seigneurie  Parliere 
pour  leur  [souveraine  dame,  et  que  pour  rede- 
vance la  Realité  seroit  nominalisée ,  hoc  est  res- 
serrée dans  les  destroits  de  ces  dames  Nominales 
toutesfois  et  quantes  que  l'envie  en  viendroit  aus- 
dites  dames. 

Vous  faites  cas  des  ergots  des  Nominaux,  comme 
si  les  femmes  n'estoient  instruites  à  syllogiser 
aussi  bien  que  les  masles.  Trouverez  vous  qu'un 
régent  vous  trousse  un  argument  si  bravement  in 
Barbara,  celarent,  ferio,  etc.,  que  fera  vostre  com- 
mère ?  Par  la  chair  de  Pilate,  elle  en  sçait  des 
vieux^jusques'aux  nouveaux:  il  ne  faut  que  la 
mettre  en  bransle  ;'^quelquefois  elle  veut  faire  de 
la  sucrée  et  se  veut  faire  prier. 


DES    FEMMES. 


97 


Ainsi  les  Nominaux  eussent  eu  un  grand  sup- 
port des  femmes,  soit  pour  venir  aux  mains,  soit 
aussi  pour  s'estoquer  de  syllogismes  ergotisés. 
Ergo  je  conclus  que  les  Nominaux  ont  esté  mal- 
advisez  de  n'avoir  supplié  les  femmes  pour  leur 
ayder  à  confondre,  abbattre  et  démolir  la  Realité. 
Il  y  a  plus  :  que  le  babil  seul  d'une  demie  dou- 
zaine de  femmes,  je  ne  dy  point  de  doctes  ou 
guerrières,  je  ne  veux  qu'une  harengere,  une 
triquoteuse  de  la  rue  aux  Ursins,  une  lavandière 
et  trois  autres  de  mesmes  qualibre,  eut  fait  perdre 
parole  à  toute  la  troupe  Realique  ;  elles  les 
vous  eussent  rendus  aussi  muets  qu'un  poisson. 

—  En  riant  vous  mordez,  Sieur  Rodolphe, 
répliqua  le  S^  de  la  Vermille,  qui  ne  vous 
cognoistroit  !  Vous  voulez  frapper  sur  le  babil 
des  femmes,  gardez  qu'elles  ne  vous  donnent  sur 
vostre  moustache.  Estes  vous  en  délibération  de 
vous  escarmoucher  sur  le  babil  ?  je  vous  presteray 
le  colet,  et  verrons  ce  qui  en  sera. 

—  Bien,  Sieur  de  la  Vermille,  respondit  le 
sieur  Rodolphe,  vous  en  voulez  manger,  vous 
advocassez  pour  les  femmes  :  qui  vous  payera?  Si 
est  ce  que  Mademoiselle  Euthelie  n'est  pas  mor- 
ceau pour  vous  ;  il  y  a  un  autre  sainct  qui  luy  a 
dés  longtemps  voué  sa  chandelle.  Peut  estrevous 
ne  perdrez  tems  ;  elle  est  du  bois  duquel  on  fait 
les  femmes,  et  partant  delà  qualité.  Si  vous  cajol- 


198  DU     BABIL    ET    CAQUET 

lez  à  son  gré  pour  leur  party,  elle  le  fera  resonner 
peut-estre  en  si  bon  lieu  que  vous  vous  en  trou- 
verez bien  à  la  fin. 

Je  veux  donc  icy  livrer  le  combat  au  babil  des 
femmes,  lesquelles,  avec  le  comique  Plaute,je  ne 
feray  point  difficulté  de  nommer  :  loquaciccas, 
argutulas,  verbosas,  dicaculas,  Unguaces,  garrulas, 
locutulas,  largiloquas  et  lingulacas,  et,  avec  l'au- 
teur du  Blason  des  femmes,  causeuses,  babillardes, 
langagières,  deviseuses,  baveuses,  bavardes,  lan- 
gardes,  parlieres,  cajolleuses,  caquetardes,  ja- 
sardes,  raillardes,  etc.,  qualitez  propres  et  pecu- 
lieres  aux  femmes,  et  qui  vous  apprennent  que  ce 
n'est  point  à  tort  que  j'affutte  le  babil  aux  fem- 
mes. Si  ne  faut  il  s'arrester  en  si  beau  chemin;  il 
faut  pousser  plus  avant;  autrement,  la  corvée  de 
ma  preuve  n'auroit  pas  garde  d'estre  faite. 

Afin  donc  qu'à  bon  escient  je  donne  droit  au 
but,  je  ne  voudroye  opposer  à  ceux  qui  me  met- 
troient  en  ny  le  caquet  des  femmes  que  le  pro- 
verbe commun,  qui  porte  que  trois  femmes  fe- 
ront un  marché,  voire  une  foire.  Ce  qui  devroit 
sembler  estrange,  attendu  que,  quand  on  verroit 
cinquante  hommes  amassez  en  une  place,  on  ne 
dira  pas  que  ce  soit  le  marché  :  il  en  faut  d'avan- 
tage pour  le  traffic,  et  neantmoins  trois  fem- 
mes feront  une  foire.  La  raison  est  pourautant 
qu'en  une  foire  il  y  a  un  grand  bruit  de  ceux  qui 


DES    FEMMES, 


199 


y  abordent,  pour  y  vendre,  achapter,  changer 
et  traffiquer.  Et,  comme  les  femmes  sont  bien 
emmanchées  du  caquet,  trois  d^elIes  mèneront 
aussi  grand  bruit  que  sçauroient  faire  deux,  voire 
trois  cens  hommes. 

—  Vous  prenez  donc  ce  proverbe  au  pied 
levé.  Seigneur  Rodolphe,  répliqua'  le  S'"  de  la 
Vermille,  et  jouez  au  deviner  fort  à  vostre  aise, 
présumant,  que  je  crois,  que  je  manqueray  d'in- 
terprétation. Non,  non,  ce  que  vous  tournez  au 
mespris  des  femmes,  je  vous  vay  monstrer  qu'il 
n'est  que  pour  tesmoigner  leur  precellence  sur 
les  hommes,  sur  tout  pour  le  traffic  des  foires, 
lesquelles  vous  sçavez  n'avoir  esté  instituées  que 
pour  la  commodité  du  peuple,  à  celle  fin  que, 
s'entrecommuniquans  ce  qui  estoit  du  leur  par  un 
eschange  commun,  ils  se  fournissent  de  ce  qui 
leur  seroit  besoin.  Or  est  il  que  les  femmes  sça- 
vent  par  trop  mieux  que  c'est  du  mesnage  que  les 
hommes,  si  bien  que  trois  d'elles  auront  p^ustost 
assorty  un  mesnage,  et  partant  effectué  la  foire, 
que  deux  cens  hommes  qui,  pour  la  pluspart,  ne 
vont  aux  foires  que  pour  charger  le  moule  de 
leur  teste  du  pyot. 

—  Je  vous  retiens.  Sieur  de  la  Vermille,  res- 
pondit  messer  Rodolphe,  pour  periphraser  ou 
esclaircir  un  proverbe.  Vous  vous  faites  tort  que 
vous  ne  donnez  sur  les  Proverbes  de  Salomon  ou 


200  DU     BABIL    ET    CAQUET 

sur  les  Adages  d'Erasme,  vous  y  rencontrez  aussi 
à  propos  que  fait  Magnificat  à  matines.  Si  j'avoie 
envie  de  vous  estriller,  j'en  ay  à  présent  bien  les 
moyens,  et  de  vous  en  donner  du  long  et  du 
large  usque  ad  vitulos.  Ce  ne  seroit  jamais  fait 
(ma  conscience):  tousjours  vous  vous  enfoi- 
reriez  les  babines  au  babil  des  femmes.  Je  m'en 
vay  vous  battre  par  des  authoritezausquelles  vous 
n'aurez,  je  le  sçay  bien,  que  respondre. 

Le  docteur  à  la  Bouche  d'or,  sur  la  première 
Epistre  de  S.  Paul  à  Timothée,  homil.  5,  escrit 
qu'il  n'est  point  permis  à  la  femme  d'enseigner 
en  l'Eglise,  parce  que  ce  sexe  est  trop  babillard. 
Et  S.  Hierosme,  en  hKegle  des  Nonnains,  chap.  9, 
défend  tres-expressement  aux  religieuses  de  sortir 
hors  du  cloistre,  de  peur  qu'elles  ne  révèlent  le 
secret. 

—  Rien,  rien,  respondit  le  S'"  de  la  Vermille; 
vous  n'entendez  pas  bien  les  Escritures,  Messer 
Rodolphe:  l'interdiction  qui  est  faite  aux  femmes 
de  parler  en  l'Eglise  n'est  pas  faite  m  odium 
d'elles,  ains  pour  prévenir  la  damnation  éternelle 
des  hommes,  ainsi  qu'il  est  expressément  remar- 
qué par  Guyot  de  Nanteuil  en  son  Moustardier 
de  pénitence,  et  ibi  Perr.  d'Angecort;  mesmes  je 
trouve  que  S.  Thomas  d'Aquin  ,  en  la  cent 
soixante  dixseptiesme  question  de  la  seconde 
partie  de  la  Somme,  remarque  que  la  principale 


DES     FEMMES.  201 

cause  pour  laquelle  fut  défendu  aux  femmes  de 
parler,  c'est  à  dire  de  prescher  es  églises  (de  ca- 
queter je  ne  dis  pas),  fut  fondée  sur  un  texte  de 
Salomon  portant  que  la  parole  de  la  femme  in- 
cite et  eschauffe  l'homme,  admirateur  de  sa  beauté. 
Suivant  ce,  et  comme  l'on  cognoissoit  le  naturel 
des  hommes  trop  prompt  à  se  laisser  emporter 
au  bris  par  les  allechemens   des  perfections  qui 
reluisent  aux  femmes,  si  bien  qu'au  lieu  de  penser 
aux  mystères  sacrez  qu'elles  annonceroient,  ils  ne 
banderoient  qu'à  elles,  on  a  advisé  qu'il  valoit 
mieux  que  les  femmes  ne  montassent  en  chaire 
pour  prescher  ;  autrement  eut  esté  à  craindre  que 
les  auditeurs  ne  fussent  devenus  amoureux   des 
sœurs  prescheuses,  qui  eut  esté  un   fort  grand 
scandale.  Quant  à  elles,  elles  ne  sont  pas  si  aisées 
à  gaigner,  mesmes  elles  ne  donnent  pas  telle  prise 
sur  elles,  car  elles  s'endorment  plustost  au  ser- 
mon que  de  s'esmouvoir  d'amour  vicieux  envers 
les  prescheurs. 

—  Vous  prenez  tousjours  le  veau  par  la  queue. 
Seigneur  de  la  Vermille,  respond  messer  Rodol- 
phe, et  nous  voulez  faire  croire  que  vessies  sont 
des  lanternes  ;  à  d'autres  !  Il  n'y  a  que  le  babil 
et  indiscrétion  des  femmes  qui  les  ait  déniché 
de  la  chaire  ecclésiastique. 

A  ce  propos,  je  ne  veux  oublier  un  compte 
fort  remarquable  duquel,  Monsieur  de  céans, 

26 


202 


DU     BABIL    ET    CAQ^UET 


vostre  Guerre  des  masles  contre  les  femelles  m'a 
autresfois  donné  le  plaisir,  et  lequel,  s'il  vous 
plaist,  me  permettrez  emprunter  de  vous  pour 
l'employer  icy.  Il  faut  donc  (mon  Gentilhomme) 
que  vous  sçachiez  qu'il  y  eut  certaines  nonnains 
qui  commencèrent  à  se  desdaigner  de  ce  qu'à  la 
moindre  tentation  qui  leur  venoit  donner  par  de- 
vant la  teste,  il  falloit  qu'elles  s'allassent  mani- 
fester à  certains  Beaux-Peres  confesseurs.  Le  cha- 
pitre fut  assemblé,  et  d'un  commun  et  capitulaire 
advis  fut  délibéré  que  l'on  feroitrequeste  au  pape, 
qui  alors  estoit  es  marches  proches  de  l'abbaye, 
à  ce  qu'il  luy  pleut  permettre  à  ces  dévotes  et  re- 
ligieuses sœurs  de  se  pouvoir  entr'ouïr  en  con- 
fession. Les  deux  les  mieux  enlangagées,  et  qui 
avoient  le  plus  d'apparence,  furent  députées  avec 
tresamples  mémoires  et  instructions  portans,  en- 
tre autres  choses,  de  faire  la  requeste  au  S.  Père 
treshumblement,  et  luy  remonstrer  que  l'ottroy 
d'icelles  serviroit  à  grande  édification  et  si  re- 
trancheroit  beaucoup  d'abus  qui  se  commettoient. 
Quant  à  l'édification,  elles  la  fondoient  sur  ce 
que  les  pauvres  doucettes  seroient  plus  nettes  et 
pures,  d'autant  que  plus  particulièrement  et  pri- 
vement  elles  se  descouvriroient  leurs  péchez  les 
unes  aux  autres,  et  par  ce  moyen  seroient  beau- 
coup mieux  nettoyées^  juxta  illud,  que  la  confes- 
sion générale  ne  suffit  ad  eluitionem  peccati  :  il 


DES    FEMMES.  203 

faut  particulariser  le  mesfait,  la  circonstance  du 
lieu,  du  temps  et  des  personnes,  parce  que,  selon 
la  gravité  qui  est  considérée  par  ces  moyens,  la 
punition,  la  peine  et  la  pénitence  doivent  estre 
enjointes. 

Pour  donner  plus  de  couleur  et  de  force  à  ceste 
première  pointe  de  remonstrance,  elles  estoient 
tres-expressement  chargées  de  remonstrer  au 
S.  Père  que  pour  beaucoup  moindre  occasion,  et 
qui  ne  touchoit  pas  au  salut  de  la  conscience,  les 
femmes  ont  esté  admises  et  receues  au  service  du 
public.  De  fait,  la  honte  et  vergoigne  qui  est 
naturellement  aux  femmes  a  esté  cause  d^ntro- 
duire  les  sages  femmes,  dont  on  recite  une  loy 
d'Athènes  (selon  Hygin) parce  que,  sans  ceste 
permission  d'y  avoir  des  médecines,  les  femmes 
se  laissoient  mourir  quand  il  advenoit  quelque 
maladie  es  parties  honteuses.  (  Toutesfois,  aujour- 
d'huy  elles  se  laissent  bragardement  penser  leurs 
poulains,  bosses  chancreuses,  etc.,  aux  barbiers.) 
A  Rome,  elles  avoient  authorité,  taxe  et  salaire 
de  leurs  vacations,  /.  i,  De  Exîi.  cognit.,  et  com- 
munément estoient  appellées  quand  on  vouloit 
sçavoir  si  une  femme  estoit  grosse  d'enfant,  /.  i , 
De  Vent,  inspic.  C'est  pourquoy,  par  le  droict 
canon  mesmes,  elles  sont  appellées  pour  juger  si 
une  femme  est  grosse  ou  non,  cap.  proposuisti 
de  probat.  et^  ibi  gl.  Si  tant  est  que  les  femmes  sont 


204  DU     BABIL    ET    CAQJJET 

admises  à  fureter  les  secrets  des  femmes,  de  juger  de 
leur  intégrité,  aies  penser  :  si  leur  rapport  donne 
lieu  au  jugement,  à  plus  forte  raison  devront 
elles  s'entr'ouir  en  leurs  confessions.  La  force  de 
l'équité  est  bien  plus  grande  pour  les  confes- 
sions :  il  s'agit  du  salut  et  repos  des  âmes  péche- 
resses. Le  gain  est  bien  autre  de  mettre  une  ame 
confîtente  et  pénitente  tout  droit  en  paradis  que 
de  guérir  d'une  maladie. 

Ce  poinct  estoit  bien  pregnant ,  mais  l'autre 
pressoit  encores  bien  d'avantage ,  attendu  que 
quelques  uns  de  ces  Pères  confesseurs,  sentans 
que  quelquesfois  la  chair  chatouilloit  les  reli- 
gieuses, en  faisoient  bien  et  beau  leur  proffit;  au 
lieu  de  renverser  la  marmitte  où  bouilloit  la  chair 
en  caresme,  ils  trempoient  leur  pain  au  pot.  Pour 
corroboration  et  renfort  de  preuve,  on  devoit  ra- 
mentevoir  l'histoire  de  ceste  dame  de  Mayence 
qui  par  telle  illusion  se  persuada  enceinte  et  mère 
future  du  second  Messie ,  quoy  que  ce  fut  une 
compression  charnelle  d'un  desloyal  confesseur, 
ainsi  que  l'a  esclaircyle  neveu  du  docteur  Schap- 
pelet,  au  3.  de  sa  Sycoph. 

Si  les  instructions  furent  bien  dressées,  aussi 
furent  elles  bien  ensuivies,  voire  bien  outrepas- 
sées à  l'avantage  des  sœurs,  comme  vous  enten- 
drez. Donques ,  après  les  humilimes  salutades 
et  révérences  en  cas  requises  et  nécessaires,  les 


DES     FEl^MES.  2o5 

deux  suppliantes  accostèrent  le  pape  de  leur  re- 
queste  verbale,  à  laquelle  elles  n'oublièrent  d'ad- 
jouster  aucun  trait,  qui  servit  à  persuader;  sur 
tout  enflèrent  si  fort  les  deux  articles  cy  dessus 
cottez  que  le  S.  Père,  quoy  qu'il  fut  assez  habile 
homme  en  son  temps,  se  treuva  fort  empesché 
pour  les  esconduire  ,  encores  qu'il  vit  que  leur 
requeste  fût  directement  contre  les  décrets,  ca- 
nons et  conciles.  Et  pour  ce  fut  contraint  de  leur 
donner  à  digérer  ceste  contrariété,  laquelle  il  es- 
timoit  indissoluble  :  si  fust  elle  bien  tost  rabatue 
par  nos  dévotes  religieuses,  qui,  comme  les  fem- 
mes ne  chomment  jamais  de  propos,  voulurent 
avoir  la  dernière  parole,  et  pource  luy  firent  une 
telle  response  :  «  La  difficulté  que  Vostre  SS. 
peut  faire  de  première  abordée  semble  avoir 
quelque  impossibilité  et  incompatibilité  ;  toutes- 
fois,  qui  regardera  de  bien  prés,  elle  ne  doit 
point  tant  avoir  de  poids  qu'elle  nous  face  dé- 
bouter de  nostre  requeste. 

«  Nous  ne  sommes  point  grandes  clergesses 
pour  avoir  leu  les  décrets,  canons  et  conciles  ; 
ce  nous  est  assez  de  sçavoir  lire  nos  Heures, pour 
dire  nostre  petit  office  et  nos  dévotions.  Nous 
sommes  tenues  de  croyre  ce  que  Vostre  SS.  nous 
dit.  Pourtant,  nous  croyons  que  par  cy  devant  il 
n'a  esté  loisible  aux  femmes  de  s'ouïr  en  confes- 
sion. Ce  sont  ceux  desquels  vous  estes  successeur 


206 


DU     BABIL     ET    CAQ^UET 


qui  nous  ont  mis  en  cest  interdit,  parce  (peut 
estre)  que,  lors  qu'ils  firent  ces  ordonnances,  il 
n'y  avoit  auprès  d'eux  aucunes  femmes  pour 
leur  faire  entendre  ce  que  nous  vous  avons  pro- 
posé, Tressaint  Père,  ou  paravanture  parce  que 
les  confesseurs  du  temps  passé  estoient  plus  rete- 
nus que  ne  sont  ceux  de  ce  siècle.  Puis  qu'il  y  a 
du  mes-us,  et  que  l'utilité  et  proffit  de  nos  âmes 
vous  semonnent  à  l'innovation  de  la  loy,  vous  ne 
pouvez  nous  refuser  une  si  juste  et  encores  plus 
équitable  requeste.Or  que  vous  puissiez  changer 
la  loy,  puis  que  la  nécessité  le  requiert,  on  ne 
peut  le  mettre  en  ny,  autrement  vous  ne  seriez 
souverain  sur  tout  pour  la  spiritualité.  Je  me 
souviens  avoir  autresfois  ouy  prescher  à  un  doc- 
teur que  Monsieur  S.  Paul  ne  veut  pas  ^que  les 
femmes  parlent  en  l'Eglise  ;  et  neantmoins  vous 
voyez  qu'il  ne  nous  est  point  seulement  loisible 
déparier,  ains  aussi  nous  y  pouvons  chanter,  tout 
ainsi  que  font  les  religieux  en  leur  chœur.  Si 
pour  la  louange  de  Dieu  et  le  bien  de  l'Eglise, 
les  papes  ont  peu  et  deu  faire  bresche  à  l'estroite 
prohibition  de  cest  apostre,  pourquoy  ne  vous 
sera  il  loisible  de  rabattre  Tinterdict  ?  La  cause 
est  maintenant  plus  favorable  pour  nous.  Si  vous 
changez  ceste  loy,  vous  ne  ferez  rien  contre  vostre 
devoir;  vous  n'estes  astraint  à  l'observation  des 
loix  de  vos  devanciers,  sinon  entant  que  la  rai- 


DES     FEMMES. 


207 


son  et  necessité.vous  y  rangent.  Vos  prédécesseurs 
ont  rompu  les  deffenses  de  S.  Paul,  et  ils  ont  bien 
fait;  et  vous  ne  pourrez  pas  lever-'une  interdic- 
tion faite  par  ceux  qui  n'avoientpas  plus  de  pou- 
voir et  authorité  en  leur  temps  que  vous?  Il  y  a 
plus  :  que  si  vous  nous  accordez  nostre  requeste, 
vous  nous  envoirez  tout  droit  en  paradis,  car  il  y 
a  beaucoup  de  petites  particularitez  que  nous 
gardons  sur  nostre  cœur,  et,  de  honte  ou  autre- 
ment, n'osons  les  esventer  aux  confesseurs.  » 

Le  pape,  oyant  si  bien  gergonner  ces  ambas- 
sades, ne  sçavoit  que  croire  autre,  sinon  que  ce 
fussent  quelques  grands  docteurs  qui,  en  habits 
desguisez  et  la  barbe  pelée  (quia  forte  castrati 
ou  autrement),  luy  vouloient  faire  la  barbe  :  tou- 
tesfois,  au  dessous  du  voile  de  Tune  d'elles,  il 
descouvrit  un  grand  floccon  de  cheveux  longs 
comme  sont  ceux  des  femmes,  et  pource,  se 
rasseurant  qu'il  n'y  avoit  point  de  fourbe,  rentra 
plus  qu'auparavant  en  esbahissement  de  l'inesti- 
mable sçavoir  de  ces  dévotes  ausquelles  il  avoit 
bien  bonne  envie  de  proposer  encores  quelque 
difficulté;  mais  il  n'osa,  crainte  qu'il  eut  que  par 
leur  babil,  longs  et  profonds  discours,  elles  ne  le 
retinssent  trop  longtemps.  Si  falioit  il  les  laisser 
avec  quelque  contantement. 

Comme  la  nécessité  trouve  de  nouveaux  et 
prompts  expediens,  il  s'advise  de  l'imperfection 


208  DU     BABIL     ET    CAQJJET 

qui  bat  les  femmes  de  ne  pouvoir  tenir  rien  de 
secret;  pour  les  rendre  condamnables,  leur  donna 
une  boitte  qu'il  avoit  envelopée  d'un  fort  beau 
taffetas,  leur  enchargeant  de  ne  la  développer, 
mesmes  de  ne  l'ouvrir,  et  qu'elles  se  missent  à 
prier  Dieu  à  ce  qu'il  eust  quelque  une  inspira- 
tion pour  leur  entériner  la  requeste;  leur  pro- 
mit le  lendemain  retourner  les  visiter  et  leur 
faire  entendre  sa  volonté.  Apres  se  partit,  sans 
leur  descouvrir  autre  chose. 

A  peine  eut  il  le  dos  tourné,  au  moins  n'avoit 
il  pas  mis  le  pied  hors  la  porte  de  leur  abbaye, 
que  ces  bonnes  dames  belettoient  après  pour  voir 
ce  qui  estoit  si  précieusement  mis  en  reserve. 
Quelques  unes  du  commencement  firent  des  ren- 
cheries,  à  cause  de  l'intermination  qui  avoit  esté 
fait  par  le  S.  Père  d'ouvrir  la  boite,  mais  ce  respect 
ne  leur  peut  si  bien  commander  qu'à  la  fin  elles 
ne  fussent  du  party  des  autres.  La  boite  entre- 
baillée, ouverte  et  esventée,  l'oiseau  qui  estoit 
dedans  prit  l'air  des  champs.  S'il  y  en  eut  de  bien 
estonnées,  je  vous  le  laisse  à  penser,  et  à  se  re- 
mettre la  faute  l'une  sur  l'autre.  Pendant  qu'elles 
estoient  en  ce  débat,  le  pape  rioit  en  son  cœur 
de  la  baste  qu'il  avoit  joué  à  ces  pauvres  reli- 
gieuses, desquelles  falloit  bien  qu'il  cognent  le 
naturel,  autrement  il  ne  les  eut  pas  si  bien  pris  à 
la  pipée.  Il  avoit  promis  de  revenir  le  lendemain 


DES    FEMMES,  2O9 

pour  avoir  plus  d'occasion  de  se  moquer  d'elles; 
sur  les  vespres  les  alla  voir. 

Apres  qu'elles  eurent  doucement  fait  les  petites, 
le  S.  Père  leur  va  dire  :  «  Comme  je  suis  affec- 
tionné à  vostre  bien  et  au  salut  de  toutes  les  âmes 
dévotes  et  chrestiennes,  je  n'ay  point  voulu 
attendre  jusques  à  demain,  ains  de  grâce  j'ay  pris 
fantaisie  de  prévenir  que  vostre  impacience  vous 
poussa  à  faire  chose  qui  vous  pourroit  rendre 
indignes  de  ma  faveur.  Çà,  que  je  voye  si  avez 
peu  tenir  secret  ce  que  je  vous  avoie  enjoint.  » 
Le  taffetas  fut  apporté  :  on  le  develope,  on  ouvre 
la  boitte,  mais  ce  n'estoit  que  le  nid  :  l'oiseau  y 
avoit  esté.  Il  s'enquiert  qui  avoit  esté  si  osée, 
hardie  et  téméraire  que  de  l'ouvrir  contre  sa 
défense  si  tresexpresse.  Les  unes  chargeoient 
sœur  Colette  ;  elle,  sœur  Françoise;  l'autre,  sœur 
Perrette  ;  l'autre,  sœur  Valentine  ;  les  charges 
tournoierent  de  tant  de  façons  qu'à  la  fin  ontreuva 
que  toutes  avoient  consenty  à  ceste  intempestive 
et  indiscrète  ouverture.  Le  pape  rioit  en  son 
cœur  de  cest  incident;  toutesfois,  faisant  bonne 
mine  comme  s'il  eut  esté  fort  en  colère,  les  vous 
va  tancer  de  ceste  façon  :  «  Pour  si  peu  de  chose 
vous  ne  m'avez  peu  estre  fidèles  et  secrètes,  et 
vous  voulez  que  je  vous  remette  entre  les  mains 
la  confession  de  vos  péchez?  Vous  ne  sortez 
point  de  céans  ;  mais,  quand  vous  devriez  atta- 


2IO  DU    BABIL    ET    CAQJJET 

cher  au  pied  des  mouches  quelques  billets  où  vous 
escririez  les  confessions  les  unes  des  autres,  le  pays 
seroit  abbreuvé  de  vos  vies  et  deportemens.  » 

—  Je  ne  veux  point  mesparlerdes  papes,  va  dire 
le  seigneur  de  la  Vermille,  mais  celuy  qui  preste 
ceste  charité  à  ces  pauvres  nonnains  estoit  un  fin 
frotté  :  vous  avez  oublié  qu'il  avoit  attaché  au 
pied  de  son  chardonneret  un  escriteau,  de  peur 
qu'on  n'en  supposa  un  autre  en  la  boitte;  puis 
qu'il  sçavoit  quel  estoit  le  naturel  des  femmes,  il 
ne  devoit  les  mettre  à  telle  espreuve.  S'il  se  fust 
addressé  à  des  masles,  je  crois  (par  ma  figue)  qu'il 
en  eut  eu  un  tel  succez. 

—  Et  moy  je  ne  le  crois  pas,  respondit  le 
S^"  Rodolphe ,  ils  tiennent  bon  contre  telles  ten- 
tations ;  je  vous  en  feray  un  compte  gentil,  et  qui 
vous  fera  rire,  je  le  sçay.  Vous  devez  donc  en- 
tendre (mon  Gentilhomme)  qu'un  jour  deux  bons 
drôles,  après  bon  vin,  bon  roussin^  se  mirent  à 
s'esgaillardir  sur  les  fleurettes  du  parterre  d'a- 
mour. L'un  deux,  après  avoir  long  temps  gaussé: 
«  Je  ne  fais,  dit-il,  l'amour  qu'en  l'air;  vous 
m'acoulpez  de  m'apprivoiser  avec  ma  commère  : 
je  despite  celuy  que  S.  Michel  précipita  en  enfer 
si  de  ma  vie  je  luy  touchis  en  lieu  qu'honneste- 
ment  je  feroie  en  la  présence  de  son  mary.  Vertu 
bieu  !  c'est  ma  commère.  —  C'est  bien  rencon- 
tré,   respondit   l'autre;  vous  faites  estât  de  la. 


DES      FEMMES.  211 

proximité  qui  est  entre  vous  deux:  sonmaryluyest 
bien  plus  prés  que  vous  ;  au  diable  s'il  s'y  espar- 
gne  :  ce  sont  scrupules  de  niais.  —  Non,  se  mit 
il  à  détester  diables  et  diablesses,  quand  je  seroie 
couché  auprès  d'elle,  à  ses  costez  et  en  liberté,  si 
je  daignoie  donner  dedans  la  bresche.  —  Je 
gageray  dix  escus  (dit  l'autre)  que  si  ;  les  voila , 
je  les  consigne  entre  les  mains  d^un  (qui  à  l'im- 
proviste  se  trouva  dépositaire  de  vingt  escus, 
sans  sçavoir  à  quelle  fin  on  les  consignoit  :  seu- 
lement luy  dit  on  qu'il  les  delivrast  à  qui  seroit 
dit  par  eux  deux)  ».  Or  vous  noterez  que  ceste 
commère  avoit  son  mary  absent  pour  huit  jours  ; 
d'ailleurs  elle  brusloit  d'amour  qu'elle  portoit  à 
ce  compère,  qui  avoit  le  nés  tourné  à  la  frian- 
dise. Tous  deux  la  vous  accostent,  luy  font  en- 
tendre la  gageure.  De  prime  face  elle  fit  la  res- 
tive,  les  renvoyant  par  l'excuse  «  Si  mon  mary 
le  sçavoit  !  »  Neantmoins,  avec  l'envie  qu'elle 
avoit  bonne  de  gaigner  biscaye  en  son  trou, 
elle  fut  resveillée  par  l'amorce  de  dix  escus  qui 
luy  estoient  affectez  au  cas  qu'elle  laissast  passer 
outre.  Ce  qui  coupoit  le  coup  à  ses  souhaits  estoit 
qu'elle  sçavoit  bien  que  son  compère  estoit 
frappé  de  l'avarice  tellement  qu'il  luy  eut  bien 
fasché  de  perdre  dix  escus  ainsi  à  crédit  ;  pource, 
avant  la  coupelle  luy  dit  que,  quand  bien  elle 
recevroit  choc  de  luy,  véritablement  elle  retire- 


212  DU     BABIL    ET    CAQJJET 

roit  les  dix  escus  ;  mais  sur  sa  foy  luy  promettoit 
les  luy  rendre  :  qu'il  ne  s'espargnast,  elle  luy  feroit 
beau  jeu. 

La  partie  faite,  bloquée  et  arrestée  de  la  façon, 
au  jour  assigné  on  couche  la  commère  avec  le 
compère,  laquelle  n'oublie  jonction  de  pièces, 
reviremens  et  entortillemens  pour  faire  mettre 
dedans  le  bissac  ;  mais  le  compère  avoit  preveu  à 
son  affaire  :  avec  un  beau  linge  en  trois  ou  quatre 
doubles,  il  vous  avoit  lié  son  petit  courtaut  de 
sorte  qu'avant  que  pouvoir  fouler  l'herbe,  il  luy 
falloit  rompre  trois  ou  quatre  cordages.  La  moi- 
tié de  la  nuit  se  passe  tellement  quellement,  mais 
non  sans  grande  faschérie,  sur  tout  du  costé  de 
la  femme,  qui  eut  voulu  que  les  cordages  fussent 
esté  coupez  ;  en  fin,  elle  s'hazarda  de  developer  et 
dénouer  le  cordage.  Après  que  le  rustre  se  sentit 
à  délivre,  je  vous  laisse  à  penser  les  débandades, 
capreoles  et  sursaillies  qu'il  fit  le  reste  de  la  nuit, 
qui  ne  servit  qu'à  entrer  et  sortir.  Le  lendemain 
elle  fut  si  indiscrète  qu'elle  alla  discourir  sa 
finesse  au  gageur,  qui  pensoit  desja  avoir  sauvé 
ses  dix  escus  et  gaigné  dix  pour  ceste  commère. 
Le  cavalcadour  s'y  opposoit  formellement,  et 
empeschoit  que  le  dépositaire  se  dessaisit  de  l'ar- 
gent déposé.  L'affaire  branloit  à  tirer  au  pis,  et 
eut  paravanture  mal  réussi  si  le  mary  encorné 
n'eut  luymesmes  décidé  le  différent. 


DES     FEMMES.  2l3 

Donques,  le  lendemain  de  ceste  chevauchée,  et 
comme  les  parties  etoient  sur  le  point  de  tomber 
en  alterque,  arriva  le  mary,  auquel,  parce  qu'il 
estoit  légiste,  s'adressa  son  compère  en  la  pré- 
sence de  sa  femme  et  de  son  adverse  partie. 
«  Monsieur,  va  il  dire,  je  suis  en  grande  peine 
pour  un  procès  qui  me  menace.  Je  vous  vay 
raconter  le  fait  comme  il  est.  J'avoie  un  poulain, 
lequel  je  sçavoie  estre  fort  farouche  ;  de  peur  qu'il 
n'allast  en  dommage,  je  l'ay  attaché  à  un  arbre. 
Est  survenu  la  maistresse  du  pré  voisin,  qui  l'a 
délié  ;  après,  mon  poulain  est  allé  fouler  son 
herbe.  On  me  veut  faire  payer  le  dommage  :  je 
demande  si  j'en  suis  tenu.  »  Le  bon  homme  de 
mary  jugea  au  desavantage  de  sa  bonne  pièce 
de  femme,  condamnant  celle  qui  avoit  des-em- 
pestré  le  poulain. 

Ex  his,  mon  Gentilhomme,  j'infère  deux  ar- 
ticles :  le  premier,  que  les  masles  sont  bien  plus  re- 
tenus que  les  femmes  ;  l'autre  est  que  les  femmes 
sont  si  babillardes  que,  mesmes  quand  elles  auroient 
conchié  leurs  chemises,  elles  ne  le  pourroient  ca- 
cher. Si  ceste  commère  eut  teu  la  sursaillie  forcée  de 
son  compère,  elle  n'y  eut  rien  perdu,  elle  eut  sauvé 
son  honneur;  à  tout  rompre,  elle  eut  couvert  son 
des-honneur.  Un  péché  celé  est  à  demy  pardonné. 

Faut  bien  que  l'empereur  Auguste  eut  bien  re- 
cordé ceste  leçon,  et  qu'il  leut  en  l'ame  des  femmes, 


214  ^U     BABIL     ET     CAQJJET 

attendu  que  Suétone  Tranquille  nous  tesmoigne 
que  cest  empereur  s'en  alloit  de  nuit  accoster  des 
femmes  d'autruy,  non  tant  pour  envie  qu'il  avoit 
d'adultérer  que  pour  le  désir  qu'il  avoit  de  des- 
couvrir les  desseins,  entreprises  et  conspirations 
de  ses  ennemis;  de  mesmes  que  fit  le  jeune  gen- 
tilhomme marseillois  de  la  parente  de  Comman, 
roy  des  Segregoriens,  laquelle  luy  descouvrit  les 
menées  de  Comman  contre  ceux  de  Marseille. 
Nos  histoires  sont  pleines  des  descouvertes  qui 
ont  esté  faites  par  ces  couvertures  charnelles. 

—  N'estes  vous  pas  un  habile  homme,  respon- 
dit  le  seigneur  de  la  Vermille  avec  un  sourcil  re- 
froigné,  de  nous  faire  voir  ces  sales  danrées  !  Ostez 
moy  cela,  autrement  dés  à  présent  je  vous  déclare 
que  je  quitte  la  partie  :  je  tiens  que  ces  drolesses 
sont  indignes  d'estre  ennombrées  avec  le  reste  des 
autres  dames  d'honneur. 

—  Helas!  mon  Gentilhomme,  répliqua  messer 
Rodolphe,  je  vous  prie,  rasseez  vous  :  vous  criez 
avant  qu'on  vous  escorche;  et  si  n'estes  anguille 
de  Melun.  Par  saint  Piquet,  je  gageroie  trois 
espingles  d'un  liard  le  cent  contre  un  escu^  si  vous 
le  voulez  mettre,  que  vous  pensez  que  celles  qu'on 
tient  honnestes  et  dames  d'honneur  ne  soient 
frappées  au  coin  de  la  caquetoire!  De  peur  de 
vous  mettre  en  hazard  d'estre  destroussé  parmy 
les  chemins,  je  vous  vay  mener  sans  bouger  d'icy 


DES     FEMMES.  2l5 

chez  les  sieurs  de  la  Motthe.  Vous  cognoissez 
Catin,  leur  sœur?  A  ceste  heure  on  l'appelle  Ma- 
damoiselle  de  la  Grange  à  tour  de  bras  ;  je  ne  veux 
pas  dire  qu'elle  ne  soit  femme  de  bien,  mais, 
quand  elle  se  met  à  radouber  la  lanterne  (c'est  un 
epithete  enigmatique  du  babil),  elle  feroit  perdre 
parole  à  cinquante  hommes.  Je  m'en  rapporte  à 
vous  et  de  la  reproche  que  son  frère  aisné  fut  con- 
traint de  luy  ruer  en  présence  de  la  compagnie; 
vous  sçavez  si  j'avance  aucune  chose  contre  la 
vérité  :  vous  y  étiez. 

—  Allons,  tout  dous,  Seigneur  Rodolphe,  res- 
pondit  le  seigneur  de  la  Vermille;  Madamoiselle 
Euthelie  prétend  un  jour,  par  le  moyen  de  son 
serviteur,  estre  sa  nièce  :  il  faut  éviter  noise.  Je 
sçay  (par  mon  fouet)  que  ceste  pauvre  femme  jase 
bien  assez;  mais,  par  vostre  foy,  n'y  a  il  point  de 
hommes  qui,  si  besoin  estoit,  luy  en  feroient  leçons 
encores  per  triennium?  J'en  cognois  deux  :  l'un 
vieillard  aagé  de  quelque  soixante  et  quinze  ans 
ou  environ,  marié  à  une  jeune  fille  de  quelques 
dixhuit  ans,  le  père  duquel  alloit  autresfois  (à  son 
dire  )  vendre  de  Limozza  des  oranges  au  Peru  ; 
l'autre  signe  par  la  croix,  son  nom  m'est  in- 
cogneu;  je  voudroie  qu'il  m'eut  cousté  pinie  et 
fagot,  et  que  vous  vissiez  ces  deux  personnages 
ensemble  en  une  compagnie  :  vous  esboufîeriez 
de  rire.  Je  les  ay  autresfois  veu  en  de  bons  lieux. 


2l6  DU     BABIL     ET    CAQUET 

Voulez  vous  sçavoir  comment  ils  emmanchoient 
le  babil?  Avez  vous  jamais  veu  de  ces  tartevelles 
que  les  petis  enfans  portent  auprès  de  Pasques? 
ils  alloient  trois  fois  plus  dru  avec  leurs  langues. 
Je  fus  enfin  contraint  rompre  compagnie,  tant 
pour  rire  à  mon  plaisir  que  pour  donner  un  peu 
de  repos  à  mes  pauvres  aureilles,  qui  s'en  alloient 
assourdées.  » 

Au  demeur'int,  Seigneur  Rodolphe,  vous  estes 
un  fin  homme;  vous  voudriez  volontiers  que  les 
femmes  ne  parlassent  non  plus  que  les  poissons 
de  nostre  vivier,  ou  les  truites  de  Nantua,  An- 
goulesme,  etc.  Il  faut  que  vous  partisiez  pour 
ceux  qui  ont  envie  de  jouer  quelque  lasche  tour  à 
certaines  abusées,  et  leur  enjoignent  silence,  de 
peur  qu'elles  ne  crient  au  secours  ou  qu'elles 
n'esventent  le  secret  de  leur  impieté.  Je  vous  en 
feray  un  compte  gentil,  parce  que  je  le  treuve  de 
bonne  grâce,  et  aussi  que  je  l'ay  autresfois  ouy 
raconter  à  nostre  metaiere,  qui  fut  mise  à  l'es- 
preuve  du  canon,  de  la  manière  que  vous  enten- 
drez. Auparavant  qu'elle  se  mit  en  nostre  maison, 
son  mary  et  elle  se  tenoient  à  la  Clayette,  où  c'es- 
toit  tout  ce  qu'ils  pouvoient  faire  de  vivoter  bien 
chetivement.  Ils  avoient  un  compère  bladier  qui 
vous  les  venoit  visiter  tous  les  marchez,  lequel  ils 
hebergeoient;  mais  c'estoit  fort  à  lestroit,  quoy 
qu'à  leur  bien  grand  regret.  De  fait,  ils  le  fai- 


DES     FEMMES.  217 

soient  coucher  sur  la  belle  paille  en  Testable  au- 
près de  sa  jument,  et  si  pour  cela  on  voyoit  qu'il 
ne  laissoit  à  faire  bien  ses  besoignes.  Geste  pauvre 
commère^  meuë  de  compassion  du  piteux  giste 
qu'ils  bailloient  à  ce  compère,  et  envieuse  du 
prouffit  qu'il  faisoit  clairement,  en  la  présence  de 
son  mary  vous  va  accoster  cest  hoste  :  «  Mon 
compère,  je  meurs  de  regret  que  je  ne  vous  puis 
mieux  loger;  et  comment  est  ce  que  vous  pouvez 
ainsi  durer?  Encores  (mon  mary),  si  vous  pouviez 
trouver  moyen  d'avoir  une  jument,  il  y  a  appa- 
rence que  nous  ferions  quelque  chose.  »  Ce  com- 
père, qui  entendoit  bien  chat  sans  dire  minon  : 
«  Mes  amis,respondit  il,  je  ne  suis  pas  si  à  plain- 
dre qu'il  vous  semble;  vous  croyez  que  je  couche 
tout  seul  avec  ma  cavale,  cela  est  vray;  mais  je  la 
fais  transformer  quand  je  veux  en  femme,  puis  le 
matin  je  luy  fais  reprendre  sa  forme  cavaline.  — 
Voila  nostre  cas  (mon  mary),  respond  la  com- 
mère; il  faut  (mon  compère,  mon  grand  amy)  que 
vous  nous  faciez  ce  bien  de  nous  apprendre  ceste 
belle  recepte.  »  Le  bon  compagnon  se  fîst  un  peu 
tirer  l'aureille  pour  faire  trouver  la  saulce  meil- 
leure. En  fin,  forcé  de  faire  ce  qu'il  avoit  bonne 
envie  d'exécuter,  dit  au  mary  :  «  Mon  compère, 
comme  je  vous  suis  amy,  je  ne  veux  vous  rien  ca- 
cher; mais  je  crains   que,  par  la  faute  de  vostre 

femme,  je  ne  puisse  vous  communiquer  un  si 

28 


2l8  DU     BABIL     ET    CAQUET 

brave  secret.  Je  ne  demande  seulement  qu'elle  ne 
die  mot  :  car,  si  pendant  l'acte  de  l'exorcisme 
métamorphosant  elle  dit  un  petit  mot,  voila  le 
mystère  tout  rompu,  nous  serons  fustez.  »  La 
commère,  comme  elle  beletoit  d'estre  femme  ca- 
valine,  aussi  ne  manqua  à  sermenter  et  promettre 
de  plus  belles  que  jamais.  Sous  ceste  asseurance, 
le  compère  se  met  après  son  charme.  Il  vous  fait 
un  grand  cerne,  dedans  lequel  il  vous  fît  entrer  sa 
commère  toute  nuë  ;  après,  la  vous  fît  coucher  par 
terre,  et,  marmonnant  entre  ses  dents,  transformoit 
par  espérance  chascun  des  membres  de  la  femme 
en  celuy  d'une  jument.  La  commère  ne  guignoit, 
voire  à  peine  osoit  elle  souffler;  mais  quand  ce 
vint  à  mettre  la  queue  (laquelle,  cela  s'entend,  est 
sur  tout  nécessaire  aux  jumens  pour  tenir  la  crou- 
pière), elle  se  mit  à  escrier:  «  Quoy!  Monsieur 
mon  compère,  je  suis  vostre  commère,  vous  vou- 
lez vous  donner  aux  diables  d'enfer?  »  A  vous 
noterez  que  le  senaud  vouloit  l'enguener  de  sa 
queue.  Nostre  mestayere  ne  fît  elle  pas  bien  de 
parler?  Si  elle  n'eut  crié,  son  mary  estoit  coupaud 
et  son  compère  fort  misérable.  » 

Ces  petites  contrarietez  contradictoires  mar- 
choient  en  avant  que  je  craignois  que  nos  deux 
disputans  ne  vinssent  des  paroles  aux  mains,  et 
pource  vay  je  leur  dire  :  «  Messieurs,  il  n'est  plus 
question  de  discourir  de  la  chose,  c'est  à  dire  du 


DES     FEMMES. 


2  19 


babil  des  femmes  ;  emploiez  le  reste  de  ceste  après 
disnée  à  recercher  la  cause  pour  laquelle  les  femmes 
ont  plus  de  caquet  que  les  hommes.  C'est  là  où  il 
faut  battre,  sans  ainsi  s'invectiver,  attendu  qu'on 
sçait  tresbien  que  le  silence  est  fort  séant  aux 
femmes,  ainsi  que  tous  les  philosophes  l'ont 
tresbien  remarqué;  et  entre  autres,  Plutarque,  en 
ses  Préceptes  nociers,  enjoint  à  la  femme  qu'elle 
ne  devise  qu'avec  le  mary,  voire  luy  conseille  de 
ne  se  desdaigner  qu'on  la  face  parler  par  la  bou- 
che et  organe  de  son  mary.  La  raison  estoit  parce 
qu'une  femme  ne  devoit  pas  moins  appréhender 
de  parler  en  public  que  de  se  monstrer  nue  de- 
vant un  chascun,  attendu  que  la  parole  est  le  mi- 
roir dans  lequel  nous  représentons  au  naïf  nos 
pensées  et  affections.  Mais  qu'y  voulez  vous  faire  ? 
cela  est  naturel  aux  femmes  de  parler  beaucoup  et 
n'estre  maistresses  de  leur  langue,  de  laquelle 
ils  auront  plustost  lassé  les  aureilles  d'autruy 
que  l'avoir  rassasié. 

—  Jamais  vous  ne  fustes  desdit  à  Rome,  Mon- 
seigneur, me  va  respondre  le  S'"  Rodolphe;  aussi 
ne  le  serez  vous  céans,  aumoins  de  ma  part  :  c'est 
bien  raison  que  vous  y  ayez  autant  de  crédit  que 
le  charbonnier  chez  soy.  Puis  qu'il  vous  plaist,  je 
suis  contant  de  passer  par  dessus  tout  ce  que  j'a- 
voie  proposé  de  crier  contre  le  caquet  des  femmes, 
pour  descouvrir,  au  mieux  que  je  pourray,  les  rai- 


220  DU     BABIL     ET     CACLUET 

sons  d'une  si  grande  babillarderie.  J'encoucheray 
icy  trois  :  la  première  est  peschée  de  la  nature, 
veu  que  je  tiens  que  la  grande  humidité  du  cer- 
veau femenin  fait  rejaillir  par  les  bouches  des 
femmes  une  telle  abondance  de  paroles.  Que 
ainsi  soit,  je  tiens  que,  tout  ainsi  que  diverses  ima- 
ginations s'impriment  facilement  au  cerveau,  aussi 
elles  s'en  partent  et  deslogent  aisément  et  tombent 
de  la  mémoire  :  au  moyen  dequoy  le  cerveau, 
craignant  de  les  oublier,  si  tost  que  la  femme  aura 
imprimé  une  chose  en  sa  fantasie,  incontinent 
l'envoyé  à  la  langue,  et,  à  cause  de  ceste  humidité, 
après  en  avoir  appris  des  autres,  les  envoie  incon- 
tinent par  le  mesme  chemin;  et  ainsi,  passant 
d'une  chose  en  l'autre,  la  fin  d'un  propos  est 
tousjours  commencement  d'un  autre,  alendroit 
des  femmes. 

L'expérience  esclaircira  cecy  en  ceux  lesquels 
parlent  viste;  j'en  ay  cogneu  que,  lors  qu'ils  reci- 
toient  quelque  chose  par  cœur,  ne  pouvoient  se 
commander  qu'ils  ne  courussent  la  poste;  m.ais, 
s'ils  avoient  un  livre  en  la  main,  ils  lisoient  aussi 
posément  et  distinctement  que  vous  ou  moy  sçau- 
rions  faire.  D'où  vient  ceste  hastiveté?  De  la 
crainte  et  appréhension  qu'ils  ont  de  oublier  le 
dessein  du  discours  qu'ils  auront  projette  en  leur 
entendement. 

—  Quand  je  vous  oys  ergoter  de  la  façon,  Sei- 


DES     FEMMES.  221 

gneur  Rodolphe,  répliqua  le  S^  de  la  Vermille,  il 
me  semble  que  je  suis  à  moitié  saoul,  ou  que  j'en- 
tende frère  Jean  des  Entoumeures  rabeliser  sur  la 
question  qu'on  lui  fît  :  Pourquoy  les  cuisses  d'une 
damoiselle  sont  tousjours  fraisches.  Ce  maistre 
moyne  en  cotta  ces  trois  raisons  :  la  i .  pource  que 
l'eau  decourt  tout  du  long;  la  2.  pource  que  c'est 
un  lieu  ombrageux,  obscur  et  ténébreux,  auquel 
le  soleil  jamais  ne  luit;  la  3.  pource  qu'il  est  con- 
tinuellement esventé  des  vens  du  trou  de  bize,  de 
chemise  et  d'abondant  de  la  braguette.  Qu'on 
prenne  ces  trois  raisons  et  qu'on  les  balance  avec 
les  vostres  trois,  on  treuvera  que  les  unes  ont  au- 
tant de  nez  et  de  rime  que  les  autres  :  de  la  pre- 
mière cela  n'est  que  trop  évident  ;  des  autres  deux, 
vous  verrez  que  je  suis  bon  devin.  Je  vous  sens 
venir  :  vous  portez  des  bots  et  sabots. 

Vous  imputez  le  babil  dont  voulez  coiffer  nos 
femmes  à  l'humidité  de  leur  cerveau;  la  conclu- 
sion que  vous  faites  est  du  tout  impertinente  : 
car,  si  ainsi  est,  comme  je  le  recognois  et  seroie 
bien  marry  de  tenir  le  contraire,  cela  faict  gran- 
dement pour  moy  que  les  femmes  sont  beaucoup 
plus  humides  que  les  hommes;  il  s'ensuit  qu'elles 
sont  plus  pesantes,  ergo  gluc,  c'est  à  dire  moins 
promptes  à  babiller.  La  maistresse  des  fols  vous 
apprend  cecy  tous  les  jours  :  vous  voyez  que 
l'homme,  à  cause  de  la  chaleur  qui  prédomine  en 


222  DU     BABIL     ET     CAQUET 

luy  avec  plus  grande  véhémence  qu'en  la  femme, 
est  beaucoup  plus  soudain,  prompt  et  délibéré  en 
tous  ses  mouvemens,  actions  et  deportemens,  que 
n'est  la  femme,  laquelle  au  contraire  est  tardive. 

Et  par  ce  que  cecy  ne  vise  qu'au  gênerai,  pour 
donner  une  plus  claire  preuve,  touchons,  je  vous 
prie,  au  particulier,  sondons  le  fîl  de  la  langue. 
Il  n'est  pas  besoin  de  visiter  la  nostre  ou  celle  des 
femmes,  ce  seroit  tousjours  à  recommancer;  re- 
courons aux  bestes.  N'est  ce  pas  le  masle  qui  est 
choisi  pour  chanter  et  donner  du  plaisir  par  son 
ramage  et  gasouillis.  Ce  n'est  point  la  poule  qui 
chante,  c'est  le  coq;  voire  un  chappon,  pour  son 
humidité  accidentele,  ne  chante  pas.  Un  chardon- 
neret, faut  qu'il  soit  masle  pour  fredonner.  Le 
perroquet  cause,  et  non  la  femelle,  quoy  que 
Pline  semble  n'y  vouloir  mettre  aucune  diffé- 
rence. 

—  J'ay,  va  dire  Messer  Rodolphe,  double  ré- 
plique contre  vous.  La  première,  que  ceste  natu- 
relle habitude  de  la  femme  à  babiller  luy  est  par- 
ticulière, quoy  que  ce  soit  contre  l'ordre  naturel 
du  reste  des  animaux.  Ne  pensez  pas  que  j'invente 
ceste  exception  à  crédit  et  pour  eschappatoire  ;  je 
vous  donneray  bien  d'autres  contre-naturées  na- 
turalitez  en  la  femme.  Entre-autres,  vous  sçavez 
que  la  femme  a  beau  estre  enceinte,  pource  elle 
ne  laisse  pas  à  souhaiter  trés-ardemment  l'accoin- 


DES    FEMMES.  223 

tance  du  masle,  pourautant  (dit  Albert  le  Grand) 
que  le  germe  conceu  esmeut  les  nerfs  ;  de  ce  fré- 
tillement et  chatouillement  ceste  chaleur  prend  sa 
naissance.  Les  bestes  brutes,  dés  qu'elles  sont 
empreintes,  sont  exemptes  de  ces  accouples.  L'e- 
lephant  n'a  pas  garde  de  toucher  à  sa  femelle,  et 
pource  la  belle  Populia,  comme  quelcun  se  gaussa 
de  ce  que  les  femmes  ne  pouvoientestre  assouvies 
de  ces  decoulemens  cupidiques,  après  mesmes  que 
leur  matrice  estoit  bouchée  et  serrée,  quoy  que 
les  bestes  fussent  plus  sobres  et  retenues,  ne  res- 
pondit  que  ce  mot  :  a  Ce  sont  bestes  i  »  au  rap- 
port de  Macrobe,  au  second  livre  de  ses  Satur- 
nales, chapitre  cinquiesme. 

L'autre  réplique  vous  descouvrira  pourquoy 
nature  fait  ainsi  franchir  le  sault  aux  femmes, 
qu'encores  que  ce  ne  soit  le  naturel  des  femelles 
de  chanter,  ce  neantmoins  la  femme  caquette. 
N'avez  vous  jamais  ouy  parler  d'une  langue  et 
d'une  languette?  Le  surcroist  de  ce  diminutif  fait 
que  la  femme  langaye  si  fort,  autrement  et  où  elle 
feroit  en  ce  de  la  difficile,  la  languette  se  mettroit 
à  langager.  Nature  n'a  rien  fait  en  vain.  Briarée 
le  Géant,  pourquoy  estoit  il  si  fort?  N'estoit  ce 
pas  parce  qu'il  avoit  plus  de  mains  et  de  membres 
que  nous  autres  ? 

—  Ce  ne  sera  donc  jamais  fait  de  gausser?  va 
dire  le  S^  de  la  Vermille.  Par  mon  bidet I  vous 


224  ^U     BABIL     ET     CAQJJET 

estes  subtil  à  merveilles,  Seigneur  Rodolphe;  je 
crois  que  vous  anatomiseriez  volontiers  un  che- 
veul  en  quatre  parties,  pour  en  tirer  la  quintes- 
sence avec  vos  langues  et  languettes.  Ha, ha,  ha! 
fî,  le  vilain!  si  nous  estions  en  esté  je  vous  en- 
voiroie  au  Landit. 

Pour  revenir  à  nos  poules,  je  vous  prie  de  cou- 
cher icy  les  deux  raisons  que  vous  nous  avez  pro- 
mis, afin  que  nous  levions  vistement  ceste  apres- 
disnée.  Aussi  bien  ay  je  envie  d'aller  faire  un  pré- 
sent en  quelque  part  de  quelque  chose  qui  me 
charge  fort. 

—  Maintenant  donc  vous  avez  haste,  respondit 
le  S^  Rodolphe  ;  je  vous  vay  expédier  en  deux 
petits  coups.  La  seconde  raison  dont  je  veux  fes- 
toyer le  caquet  des  femmes,  prend  pied  sur  ce 
qu'Erasme  nous  enseigne  que,  où  il  y  a  moins  de 
cœur  et  de  force,  là  il  y  a  plus  de  langue  et  de 
babil.  Pource  nature  a  permis  aux  oiseaux  de 
battre  l'air  de  leurs  chansons,  notes,  fredons,  ga- 
souillis  et  ramages;  mais  les  taureaux,  elephans 
et  lyons,  elle  ne  les  a  point  amusé  à  ces  tirelirées 
mignardises:  elle  les  bande  à  la  force.  De  mesmes 
nous  voyons  que  les  vieillards  et  enfans,  aussi 
bien  que  les  femmes,  emmanchent  fort  propre- 
ment le  babil,  parce  que  les  forces  du  corps  et  de 
l'esprit  viennent  à  leur  deffaillir. 

La  troisiesme  raison  est  fondée  sur  ce  que  les 


DES    FEMMES.  225 

femmes,  estans  phlegmatiques,  elles  sont  aussi 
oiseuses.  Telle  oisiveté,  comme  elle  est  la  vraye 
nourriture  des  longs  propos,  fait  que  les  femmes, 
tant  par  accoustumance  que  par  nature,  abondent 
plus  en  paroles  que  les  hommes.  On  pourroit 
aussi  adjouster  que  les  femmes,  estans  vaines  et 
ayans  la  teste  vuide,  ainsi  qu'un  instrument  creux 
et  minse  rend  du  premier  coup  un  son  clair  et  qui 
dure,  elles  se  font  ouïr  et  trezeler  à  chasque  mi- 
nute. En  après,  que,  puis  que  l'humidité  de  leur 
cerveau  leur  avoit  imprimé  une  grande  multitude 
de  choses,  elles  prennent  aussi  le  chemin  en  leurs 
impressions  que  prennent  les  conceptions  de  l'es- 
prit, qu'est  celuy  de  la  langue,  tellement  qu'en 
parlant  beaucoup  elles  ne  font  que  suivre  leur 
naturel.  D'ailleurs,  on  sçait  que  leur  instabilité, 
indiscrétion  et  témérité,  les  rend  aussi  volages  que 
les  enfans,  et  qu'à  ceste  occasion  elles  s'esmer- 
veillent  de  tout  ce  qu'elles  voyent  et  entendent 
dire;  et,  comme  timides  par  nature,  elles  font 
grandes  toutes  choses  petites,  et  consequemment 
elles  caquettent  outre  mesure.  Finalement,  que  le 
babil  leur  sert  de  beaucoup  pour  purger  leur  cer- 
veau et  évacuer  les  meschantes  humeurs,  qui,  à  la 
longue,  si  elles  estoient  retenues,  pourroient  les 
maleficier.  Je  ne  parle  point  à  crédit,  j'en  ay  la 
preuve  en  main  :  vous  me  la  fournirez  en  vostre 

maison .  La  vefve  de  feu  vostre  oncle,  pourquoy  est 

29 


226  DU     BABIL     ET     CAQUET 

ce  que  sans  cesse  il  faut  ou  qu'elle  jase  ou  qu^elle 
se  courrouce?  Vous  sçavez  que  je  dis  vray.  Ce 
n'est  pas  que  cela  soit  bien  séant  à  une  femme, 
mais  cela  la  descharge  d'autant.  Voire  je  me  suis 
apperceu,  pour  l'avoir  esprouvé,  que  quelques  ma- 
tins que  je  l'ay  pris  pour  la  mener  pourmener,  je 
me  mettoie  à  discourir  tout  du  long  du  chemin, 
tant  pour  faire  l'honneste  que  pour  l'empescher 
de  parler;  estant  revenu  au  logis,  on  parloit  de 
disner,  ce  ne  fut  onques  en  mon  possible  de  luy 
pouvoir  faire  avaler  un  morceau.  Et,  quoy  que  je 
luy  remonstrasse  qu'elle  avoit  fait  un  assez  beau 
trot  de  chemin  pour  prendre  de  l'appétit  :  «  Si  ne 
suis  je  encores  appetissée,  respondit  elle,  mon 
estomac  n'est  encores  ouvert.  »  Pour  le  decade- 
nasser,  si  quelcun  ne  la  mettoit  en  rue  pour  de- 
viser, ou  qu'elle  ne  peut  crier  deux  ou  trois  heures 
après  quelcun,  elle  vous  prenoit  un  livre  dans  le- 
quel elle  vous  lisoit,  tout  ainsi  que  font  les  lec- 
teurs es  convents  pendant  le  repas  des  religieux. 
Après  avoir  leu  auprès  d'elle,  vous  trouviez  de 
gros  placars  d'excremens  :  elle  lavoit  la  main,  et, 
je  me  recommande,  elle  vous  briffoit  en  asne 
débatte  et  humoit  du  pyot  en  tirelarigot.  En  fin, 
je  luy  demandois  si  elle  avoit  fait  vœu  de  lire  si 
longtemps  avant  que  prendre  son  repas.  «  Nenny, 
respondit  elle,  mais  je  suis  esté  conseillée  de  tenir 
ceste  reigle  :  c'est  que  je  parle  long  temps  avant 


DES     FEMMES. 


227 


que  boire  ou  manger;  cela  me  nettoyé  et  vous  fait 
sortir  dehors  des  phlegmes  qui  mepourroient  es- 
toufîer,  ou  avec  le  temps  se  convertiroient  en  un 
rheume  qui  me  tomberoit  sur  le  poulmon.  » 

—  En  ma  conscience,  va  dire  le  S^  de  la  Ver- 
mille,  vous  me  confondez  par  de  si  vives  raisons 
que  je  suis  contraint  de  me  taire  pour  faire  place 
au  caquet  des  femmes.  Vous  m'avez  si  bien  plié 
à  vostre  opinion  qu'au  premier  jour,  si  voulez,  je 
vous  tiendray  compagnie  pour  aller  à  Rome,  afin 
de  demander  congé  à  S.  S.  qu'il  nous  soit  loisible 
d'adjouster  à  nos  letanies  :  A  garrulitate  muUerum 
libéra  nosj  Domine,  h 


APRESDISNÉE   VI 


DES   BARBES. 


EUX  qui  eurent  leur  tour  en  ceste 
apres-disnée,  pour  avoir  débattu  la 
matière  des  barbes,  sentans  que  je 
vouloie  publier  leur  discours,  m'ont 
prié  de  couvrir  leurs  noms.  Leur  requeste  ne  m'a 
point  semblé  desraisonnable;  pourceje  la  leur  ay 
entériné  tres-volontiers  :  voila  pourquoy  je  mets 
icy  en  rang  deux  philosophes,  asçavoir  Camille 
et  Demonax,  parce  que  l'un  en  son  temps  a  esté 
grand  suppost  et  protecteur  des  barbes,  l'autre 
s'en  moquoit  à  gorge  desployée.  Quant  à  ceux 
qui  par  passées  ont  donné  quelques  traits,  comme 
estoient  les  seigneurs  Constantin  et  Alphonse, 
leurs  noms  et  qualitez  sont  si  bien  cogneuës  d'un 
chascun  que,  quand  je  ne  les  eusse  nommé,  les 
bons  compaignons  eussent  senty  de  dix  lieues  la 
piste  de  ces  maistres  drôles.  Voicy  le  S""  Camille 


23o  DES     BARBES. 

qui  ouvre  la  dispute  durant  ceste  apresdisnée. 
«  J'estime,  Messieurs,  que  c'est  àmoyà  butter 
aujourd'huy,  puis  que  me  voicy  posé  au  lieu  des 
champions  de  nos  exercices.  Puis  que  je  n'ay 
autre  chose  de  plus  propre,  je  m'en  vay  mettre  au 
blanc  une  couple  de  barbes  que  j'ay  inopinément 
rencontré.  Ne  tirez  pas  encores,  que  personne  ne 
bouge,  corps  bleu  !  vous  donneriez  dans  mes  che- 
veux. Attendez  ;  aussi  bien  est  ce  à  moy  à  donner 
le  premier  coup. 

—  Vertu  Sainct  Gris,  va  dire  le  S""  Constantin, 
vous  estes  un  fin  homme,  il  n'y  a  coup  qui  puisse 
porter  :  pour  tout  potage,  ce  sont  des  cheveux. 
Vous  dites  que  ce  sont  barbes,  cujus  generis? 

—  Je  respondray  pour  Monsieur  Camille,  dit 
le  S'"  Alphonse, /emmm/. 

—  Ah!  je  quitte  donc  la  partie,  respondit  Mes- 
ser  Constantin,  je  n'en  seray  point;  si  j'avoie 
donné  deux  coups  dans  ces  barbes  féminines, 
principalement  guedé  et  en  Testât  que  je  suis,  ce 
seroit  fait  de  moy.  Il  y  a  plus,  que  je  ne  sçauroie 
tirer  à  ceste  heure  en  si  bas  lieu,  autrement  je 
m'endormiroie.  Partant,  si  avez  envie.  Seigneur 
Camille,  qu'on  vous  tienne  pied,  mettez  y  en 
d'autres  qui  soient  de  la  catégorie  des  masles,  il  y 
aura  belle  prise. 

—  Hé!  quels  mitouards  sont  ce  cy?  va  dire  le 
S"^  Camille  :  ils  fonderoient  un  procès  perennel  sur 


DES     BARBES.  23l 

le  pied  d'une  mouche  :  attendez,  je  vous  vay  mettre 
d'accord.  Le  Seigneur  Alphonse  n'a  point  menty 
quand  il  a  dit  que  les  barbes  estoient  feminini 
generis  :  la  raison  est  que  barba  est  de  la  première 
déclinaison;  or  est  il  que  tous  les  noms  qui  en 
sont  et  se  terminent  en  a  sont  du  genre  femenin. 
Ergo  les  barbes  le  sont.  Mais  en  un  autre  sens  il 
n'a  pas  dit  vray,  Seigneur  Constantin,  parce  que 
ces  barbes  que  voiez  là  tendues  sont  des  masles; 
mesmes  à  la  rigueur  je  vous  feray  passer  les  bar- 
bes femenines  attachées  au  menton  des  femmes. 
Vous  avez  Aristote,  lequel,  au  3.  liv.  de  son  His- 
toire des  Animaux,  chap.  1 1,  nous  apprend  qu'en 
Carie  celles  qui  se  meslent  des  choses  sacrées  et 
de  divination  sont  barbues.  Et,  entre  nous,  il  y  en 
a  tant  qui  portent  barbe.  Toutesfois,  afin  qu'un 
chascun  entende  ce  que  je  veus  dire  (il  pourra 
peut  estre  plus  faire  que  je  ne  fais),  je  vous  mets 
icy  en  veue  des  barbes  viriles,  qui  croissent  aux 
mentons  des  hommes  masles,  ausquelles  je  sous- 
tiens  que  l'on  doit  porter  honneur  et  révérence. 
Voila  le  S'"  Demonax  qui  semble  vouloir  faire  du 
mauvais  garson;  je  sçay  bien  qu'il  en  veut  aux 
barbes,  parce  qu'il  ne  sçait  que  c'est  que  barbe: 
aussi  luy  est  il  tellement  ennemy  et  mai  devo- 
tionné  qu'en  quarante  cinq  douzaines  de  lunes 
qui  sont  escoulées  durant  sa  vie  la  barbe  n'a  peu 
prendre  racine  sur  son  menton. 


232  DES     BARBES. 

—  Ûuy,  va  dire  Demonax,  je  seray  de  la  par- 
tie, voire  que,  si  je  puis,  je  vous  feray  mettre  bas 
à  tout  tant  de  barbeaux  que  vous  estes  vos  barbes  ; 
vous  en  faites  si  grand  estât  :  je  soustiens  qu'il  les 
faut  abattre  ;  advisez  s'il  y  a  moyen  de  les  pouvoir 
sauver,  autrement  je  vous  vay  renvoier  en  Bar- 
barie, suivant  le  texte  de  la  loy  :  Barbarius  Phi- 
lippus  cum  glossa  et  ibi  Bartol.  et  D.  D.  passim. 

—  Ça,  çà,  à  la  guerre,  respondit  le  S^  Camille, 
qui,  par  force  de  rire,  pensa  embrener  le  dessous 
de  son  culier,  on  veut  faire  la  barbe  aux  barbes; 
si  ne  faut  il  se  monstrer  de  cœur  failly  en  une  si 
bonne  et  juste  querele.  Contre  fortune  bon  cœur. 
Afin  que  je  vous  traitte  en  honneste  homme,  mon 
Demonax,  je  vous  veux  monstrer  que  je  suis  en- 
cores  philosophe,  et  pource  je  ne  vous  battray 
que  par  vives  et  pregnantes  raisons,  ausquelles 
vous  tascherez  de  respondre;  après,  si  vous  pen- 
sez avoir  quelques  argumens  qui,  à  vostre  advis, 
semblent  esbranler  la  vérité  que  je  soustiens,  je 
m'essayeray  à  vous  contanter. 

Et  parce  que  les  longs  discours  mangent  et 
consomiment  les  jours,  je  vay  commancer  à  for- 
tiffier  et  barriquer  le  fort  du  blason  de  nos  barbes. 
En  premier  lieu,  nous  demourons  d'accord  que 
nature  ne  fait  rien  en  vain  :  c'est  un  axiome  tres- 
veritable,  tellement  receu  et  approuvé  parmy  les 
philosophes  que  le  fouet  pend  au  cul  de  celuy  qui 


DES     BARBES.  233 

ose  le  mettre  en  ny.  Vous  sçavez  que  naturelle- 
ment nostre  menton  se  cottonne  de  barbe.  Pour- 
quoy  donc  voulez  vous  qu'on  retranche  ce  que 
nature  a  si  bien  attifé? 

—  Cest  argument  corne  in  modo  et  figura^ 
respond  Demonax,  mais  il  neconcludpas;  ilfau- 
droit  que  la  barbe  fut  une  partie  du  corps  humain, 
ou  similaire,  ou  instrumentaire,  servant  aux  func- 
tions  humaines,  afin  que  la  nature  ne  la  produisit 
pour  estre  retranchée.  Pour  vous  monstrer  que  je 
ne  veux  point  tirer  les  cheveux  à  la  matière  et 
que  je  n'y  procède  qu'en  bonne  équité,  je  suis 
bien  contant  vous  faire  entendre  que  je  ne  tiens 
la  barbe  qu'au  rang  des  cheveux  de  la  teste  ou  des 
ongles;  ne  les  faut  il  pas  couper?  Ce  n'est  pas  à 
dire,  parce  que  nature  permet  que  la  barbe  croisse, 
qu'il  s'ensuive  qu'il  soit  interdit  de  la  raser;  tout 
ne  plus  ne  moins  que  qui  diroit  qu'il  ne  faut  es- 
brancher  les  arbres,  couper  et  abbattre  les  guys  et 
tels  autres  surcroists  qui  amusent  l'avancement  du 
fruit.  Le  vigneron  taille  le  bois  de  la  vigne,  voire 
il  retranchera  une  verge  entière  du  sep,  parce 
qu'il  voit  que  ce  n'est  qu'un  excrément  que  na- 
ture pousse  dehors  pour  purger  la  plante. 

—  Vous  confondez,  nostre  ma?^tre,  répliqua 
le  S^"  Camille,  les  excremens  naturels  ;  il  y  en  a  de 
diverses  sortes:  tous  ne  sont  formez  en  un  moule, 
ny  destinez  à  mesmes  fin.  Il  y  en  a  qui,  pour  le 


234  ^^^     BARBES. 

peu  d'honesteté  qu'ils  ont,  sont  incontinent  ab- 
batus  et  renvoiez  en  bas;  mais  ceux  qui  rappor- 
tent du  proffit,  de  l'honneur  et  de  l'ornement,  il 
n'est  pas  question  de  les  ciseler  et  rejetter:  ce 
seroit  faire  tort  à  nature  qui  les  a  voulu  honorer. 
La  barbe  est  de  la  qualité  de  ces  derniers,  ainsi 
que  j'espère  vous  monstrer  avant  que  je  dorme. 
Vous  nous  voulez  faire  peler  le  menton,  que  ne 
nous  traitez  vous  de  mesmes  façon  à  nous  faire 
testonner  la  teste? 

—  Il  y  a  bien  à  dire  d'un  asne  à  un  cheval,  res- 
pondit  M.  Demonax,  comme  aussi  les  cheveux 
sont  bien  autre  chose  que  la  barbe.  N'est  ja  be- 
soin de  faire  du  grand  philosophe  pour  vous 
monstrer  cecy;  nature  le  vous  apprend  en  ce  que, 
comme  elle  sçait  tresbien  que  les  cheveux  de 
nostre  teste  nous  font  fort  mestier  pour  nous  sau- 
ver de  l'injure  du  froid  qui  nous  pourroit  excéder 
nostre  cerveau  froid,  avant  que  nous  ayons  mis  le 
nés  hors  du  ventre  de  nostre  mère,  elle  nous  arme 
de  ces  cheveux.  L'occasion  en  est  touchée  par  ce 
grand  naturaliste  Pline,  parce  qu'il  estoit  équi- 
table que  nature,  de  bonne  heure,  couvrit  et  rem- 
parast  d'un  roide  hallier  de  cheveux  alencontre 
de  l'injure  et  malignité  de  l'air  entourant  ceste 
excellente  partie^  qui  est  le  chef  qui  devoit  com- 
mander à  tout  le  reste  du  corps  et  départir  aux 
autres  membres  la  vertu  sensitive,  à  cause  de  sa 


DES     BARBES.  235 

substance  moelleuse,  qui  seroit  aussi  tost  offensée. 
Nostre  menton  à  peine  sent  il  les  premiers  floc- 
cons  de  la  barbe  à  quinze  ans,  plus  tard  que  plus 
tost. 

—  Voyons  la  subtilité  de  vostre  syllogisme, 
répliqua  le  S'"  Camille;  vous  tendez  à  la  rétention 
et  conservation  de  vos  cheveux,  parce  qu'ils  sont 
beaucoup  plus  anciens  que  la  barbe ,  comme  si 
telle  priorité  ou  postériorité  de  temps  faisoit 
quelque  chose  au  propos  de  question.  C'est  que 
vous  estimez  que  ce  que  nature  pousse  dehors 
après  la  première  boutée  et  génération  est  déna- 
turé ou  bien  outre-naturé,  et  par  conséquent 
qu'on  doit  le  retrancher.  Ho,  ho,  ho!  Messer 
Demonax,  vous  estes  sophiste,  et  n'entendez  pas 
bien  à  trousser  un  ergo  in  barhara.  Raison,  sans 
icelle  je  ne  feroie  pas  comte  de  toutes  vos  haran- 
gues d'un  bouton;  si  votre  illation  avoit  lieu,  et 
qu'elle  ne  fut  fausse  et  pangoustique,  je  vous  con- 
seilleroie  de  vous  arracher  bragardement  vos  dens, 
qui  ne  vous  sont,  au.  moins  je  l'estime,  nés  dans 
le  ventre  de  vostre  mère  :  uhi  eadem  est  ratio  juris^ 
idem  jus  constitui  débet.  C'est  la  maxime  de  nos 
docteurs  sur  la  loy  qui  fait  le  bout  au  titre  :  De 
jusiitia  et  jure^  Barbaricus  cons,  35  et  ibi  Antoniiis 
de  Arena.  Si  vous  voyez  un  homme  qui  auroit 
perdu  ses  dents  pour  ceste  phantaisie,  dites  moy 
s'il  vous  faudroit  de  l'ellébore  pour  vous  faire 


236  DES     BARBES. 

rire,  et  si  vous  ne  le  caresseriez  pas  de  la  qualité 
d'edenté,  brechedent^,  etc.,  dont  vous  trouverez 
des  nouvelles  au  cent  dixhuitiesme  chapitre  du 
formulaire  dressé  par  les  harangieres,  en  l'année         j 
de  la  reformation.  m 

Ex  his  il  appert  que  puis  que  nature  ne  fait  rien  " 
qu'à  propos  et  pour  nous  servir,  et  qu'elle  nous  a 
embarbé  de  barbe  nos  mentons  barbus,  qu'on  ne 
peut,  ou  sans  vouloir  faire  outrage  à  ceste  tant 
sage  et  prudente  nature,  ou  sans  nous  dénaturer 
misérablement,  nous  debarber.  Puis  que  j'ay  ce 
point  gaigné,  me  voila  au  dessus  de  mes  pre- 
tentes. 

Maintenant  il  me  faut  considérer  pourquoy  et 
à  quelle  fin  nous  avons  receu  la  barbe.  Le  méde- 
cin Bretonnayau,  en  son  Temple  de  l'Ame,  le 
nous  fait  voir  en  ces  vers  : 

Lors  qu'inégalement  l'homme  enfle  sa  parole , 
C'est  ce  qui  met  la  barre  entre  la  femme  molle 
Et  l'homme  courageux  :  le  menton  estant  nu  , 
A  quoj  eut  sa  moitié  l'autre  moitié  cogneu  ? 
Ceste  barbe  honorable  est  un  asseuré  signe 
De  la  masle  vertu,  eschauffant  la  poitrine, 
Que  nul  ne  doit  porter  d'homme  de  bien  le  nom , 
S'il  ne  porte  premier  ceste  merque  au  menton. 
Par  ce  merc  l'on  cognoit  à  qui  l'aage  et  l'usage 
Les  titres  ont  acquis  d'homme  sçavant  et  sage. 
Ce  fut  pourquoy  jadis  au  grand  dieu  d'Epidaur' 
L'antiquité  donnoit  une  grand'barbe  d'or. 
Par  elle  on  decernoit  le  philosophe  grave 


DES     BARBES.  287 

Du  populaire  ras,  le  patron  de  l'esclave; 

C'est  ce  qui  l'homme  avance  et  le  pousse  en  crédit, 

Or  qu'un  Misopogon  le  contraire  en  ait  dit. 

De  ce  poil  vénérable  accomparant  la  grâce 

A  d'un  bouc  enfumé  la  tres-sale  barbasse. 

EU'  monstre  aussi  que  l'homme  est  le  chef  et  seigneur 

De  la  femme,  qui  doit  à  l'homme  son  honneur. 

Qu'un  homme  soit  sans  barbe,  est  ce  pas  pareil  blasme 

Que  voir  à  descouvert  sans  cheveux  une  femme  ? 

Chose  autant  triste  à  voir  est  un  menton  rasé 

Qu'un  pré  par  où  la  faux  a  n'agueres  passé , 

Que  le  cheval  sans  crins,  et  que  l'arbre  sans  fueille, 

Plus  difforme  que  n'est  d'Horace  la  corneille. 

Voila  parlé  à  vos  révérences,  Demonax,  et  qui 
seroit  fort  propre  pour  vous  rafraischir  la  fîqua- 
telle.  A  propos  de  truelle,  me  voila  relevé  de  ma 
preuve. 

Il  y  a  plus,  que,  s'il  est  question  que  nous 
allions  en  l'escole  de  ceux  qui  vous  contemplent 
chasque  poil  de  barbe  jusqu'à  la  racine,  nous 
trouverons  qu'il  n'y  a  que  tout  heur  en  ce  qu'elle 
promet.  Vous  avez  le  bon  Apomasar  qui,  au 
quarante  et  un  de  ses  Apotelesmes,  nous  apprend 
que  les  cheveux  de  la  barbe  sont  la  parure  de  la 
bouche,  c'est  à  dire  de  la  maison.  Car,  tout  ainsi 
qu'en  la  bouche  les  dents  sont  renserrées,  aussi 
les  domestiques  en  la  maison.  Or,  si  quelqu'un, 
dit  il,  pense  en  songeant  qu'il  s'accoustre  les  che- 
veux de  sa  barbe,  ou  par  se  tondre,  ou  par  s'oin- 
dre, ou  par  se  peigner,  il  pare  la  face  de  sa  mai- 


238  DES    BARBES. 

son,  de  sorte  qu'il  aura  apparence  d'estre  quelque 
chose  d'exquis  et  de  mérite.  J'en  pourroie  entas- 
ser icy  un  millier  d'exemples,  mais  je  crains  la 
prolixité. 

—  Qui  compte  sans  son  hoste,  répliqua  De- 
monax,  il  compte  deux  fois,  juxta  notata  ah  An- 
gelOy  l'abbé  de  Palerme  Boss.  Alexand.  Landf.  ad 
rubricam  C.  de  errore  calculi  et  repetit.,  Bar nab.  et 
Casirens.  C.  deerro.  advoc.  et  ibi  gl.  notabilis.  Ce 
maistre  médecin  dit  prou,  mais  il  ne  dit  pas  que 
ses  escrits  ne  sont  pas  mots  d'Evangile  :  ils  sont 
sujets  à  caution  ;  je  suis  philosophe  et  ne  suis  point 
subject  à  croire  au  dire  d'aucun,  s'il  ne  me  mons- 
tre dequoy. 

—  Vous  estes  donc  mescreant  secundum  qu'id 
et  respective,  Seigneur  Demonax,  va  dire  le  sei- 
gneur Camille,  j'ay  soubre  de  preuve,  tenez  vous 
roide  et  sur  le  devant.  Par  bieu  {da  jurandi)  je  vay 
vous  culebuter  par  derrière.  Ce  sera  affaire  à  prier 
la  compagnie  de  piller  patience  et  nous  prester 
leurs  aureilles  seulement  pour  la  moitié  d'une 
demie  douzaine  d'heures.  Cela  dépend  de  nous 
d'accourcir  ou  alongir  ces  apres-disnées,  de  mes- 
mes  que  des  estrivieres,  ou  que  faisoit  frère  Jean 
des  Entomeures  son  Bréviaire  ad propositumj'fây 
en  premier  lieu  à  vous  monstrer  que  la  barbe  nous 
est  plus  que  tres-necessaire,  quand  ce  ne  seroit 
que  pour  discerner,  distinguer  et  demesler  les 


DES     BARBES.  289 

masles  d'avec  les  femelles.  De  fait,  quand  je  vois 
ces  mentons  rasez,  je  ne  sçay  si  ce  sont  des  femmes 
desguisées  en  habit  d'hommes.  Avec  ce  que,  si 
vous  avez  souvenance  de  plusieurs  histoires,  vous 
trouverez  que  ces  mentons  pelez  ont  fait  de  bons 
tours  en  la  qualité  du  sexe  femenin.  Parce  que 
cecy  vous  pourroit  toucher  au  vif,  vous  pourrez 
faire  semblant  de  n'en  avoir  rien  couché  parvostre 
mémento;  pource,  je  vous  feray  le  récit  d'un  trait 
qui  fut  joué  par  un  esbarbat  à  un  gentilhomme 
d'honneur,  lequel  avoit  beaucoup  de  moyens;  et 
pource,  tout  vieillard  qu'il  estoit,  aagé  de  quel- 
ques soixante  dixsept  ans,  il  treuva  moyen  de  se 
percher  avec  une  jeune  damoiselle  de  seize  à  dix- 
sept  ans,  belle  tout  ce  qui  se  pouvoit.  Elle  n'eut 
point  passé  la  quinzaine  qu'elle  commença  à  trou- 
ver l'ordinaire  de  son  espoux  trop  maigre.  Le 
mary,  se  cognoissant  maistre  d'une  chose  si  belle, 
et  cognoissant  qu'il  n'avoit  dequoy  pouvoir  four- 
nir à  l'appointement,  comme  celuy  qui,  aiant  la 
neige  sur  le  coupeau,  ne  pouvoit  estre  que  froid 
aux  vallées,  pour  s'exempter  du  voyage  de  Cor- 
nailles  où  il  se  doutoit  que  sa  femme  le  pourroit 
envoyer,  se  retira  aux  champs. 

Ce  qui  donna  grand  mescontentement  à  la 
jeune  damoiselle,  qui  par  ce  moyen  pensoit  que 
tout  à  fait  on  l'allast  encloistrer  en  une  religion. 
Desja  son  espoux  luy  faisoit  faire  plus  de  jeusnes 


240  DES     BARBES. 

qu'on  n'en  sçauroit  trouver  en  la  teste  de  la  plus 
grande  bigotte  de  tout  l'univers,  et  que  l'on  la 
séquestra  de  toute  compaignie.  Pendant  qu'elle 
estoit  en  telle  destresse,  une  tresexperte  maqui- 
gnonne  des  courtaux  cupidiques  vous  luy  pro- 
mit de  lui  livrer  en  main  un  jeune,  mais  roide  ca- 
valcadour,  lequel  aisément  pourroit  estre  intro- 
duit dans  la  maison,  moyennant  qu'il  se  desguisast 
en  damoiselle  :  ce  seroit  à  faire  qu'elle  luy  don- 
nast  le  nom  de  cousine.  Le  jour,  heure  et  autres 
circonstances  arrestées,  nostre  esbarbat  ne  faillit 
à  visiter  sa  cousine,  in  habita  prœstituto,  qui  la  ré- 
cent avec  telle  courtoisie  que  vous  pourriez  ima- 
giner.  Toutes  deux  vont  trouver  le  bon  homme 
de  mary,  qui  ne  manqua  de  son  costé^  à  vouloir 
faire  de  l'honneste.  Les  gestes  de  ceste  nouvelle- 
ment forgée   damoiselle  estoient  tels  qu'on  ne 
l'eut  jamais  pris  pour  gentilhomme,  si  ce  n'est 
qu'il  avoit  la  voix  un  peu  plus  forte  et  rude  que 
ne  l'ont  nos  succrées.  Pour  prévenir  tout  soupçon, 
la  femme  luy  va  dire  qu'elle  estoit  bien  enrouée. 
«  Ouy,  par  ma  fy,  respondit  nostre  damoiselle 
quouée;  cela  me  prit  dernièrement  aux  fiançailles 
de  Monsieur  de  Cenecourt  :  on  me  fit  tant  volter 
que  j'eus  chaud  et  froid.  Toutesfois  à  ceste  heure 
je  me  porte  un  peu  mieux,  et,  quand  j'auroie  la 
mort  entre  les  dents,  si  est  ce  que  je  me  gueriroie, 
veu  vostre  si  bonne  disposition,  w 


DES     BARBES. 


241 


Le  souper  s'apprestoit  cependant  que  ces  cou- 
sines s'entretenoient  ainsi  de  propos  devant  le 
mary,  qui  y  prenoit  fort  grand  plaisir,  parcequ'il 
aimoit  compaignie.  Entre  autres  discours  que  sa 
femme  tint  à  la  damoiselle  imprimée  de  nouveau, 
ce  fut  en  se  sousriant  :  «  Hé  bien,  ma  cousine, 
estes  vous  tousjours  peureuse?  Autresfoisj'ay  veu 
que  Testiez  extrêmement.  —  Ma  fy,  voire,  res- 
pondit  la  nouvelle  cousine,  et  encores  plus  que 
jamais  :  de  sorte  qu'il  faut  que  ma  nourrice  cou- 
che tous  les  soirs  avec  moy.  —  Non,  non,  ma 
cousine,  va  dire  le  mary,  n'ayez  point  peur,  vous 
aurez  vostre  cousine  qui  ceste  nuit  vous  tiendra 
compaignie.  »  Dites  voy,  qui  fut  le  plus  aise  des 
deux  cousines .?  Après  souper  on  s'amusa  à  deviser 
quelque  peu,  puis  fut  question  de  s'aller  coucher. 
La  cousine  survenue  prit  congé  du  bon  vieillard, 
lequel  enchargea  derechef  à  sa  femme  coucher 
avec  elle.  Il  ne  fallut  pas  la  faire  adjourner  pour 
obéir  à  ce  tant  agréable  commandement.  La  nuit 
se  passe  en  des  caresses  qui  apprindrentà  la  jeune 
femme  qu'il  y  avoit  bien  de  la  différence  de  son 
mary  avec  un  jousteur  plus  rude.  Le  matin  elle  se 
relevé  gaie  et  dehait  (on  luy  avoit  graissé  son 
lard)  pour  aller  donner  ordre  aux  affaires  de  la 
maison,  suivant  la  charge  que  luy  en  avoit  laissé 
son  mary,  qui  dormoit  cependant  la  grasse  ma- 
tinée. 

3i 


242  DES     BARBES. 

Le  jeune  escuyer  toute  la  nuit  n'avoit  fait  autre 
que  battre  l'estrade  sur  le  clos  de  sa  cousine,  dont 
il  estoit  si  las  et  si  recreu  que  le  matin  il  se  mit  à 
prendre  son  repos  et  dormit  de  si  grande  heure 
que  les  neuf  heures  le  prirent  dans  le  lit.  Les 
filles  de  chambre  entrèrent  au  lieu  où  restoit  gi- 
sante ceste  belle  escuyere,  qui,  parce  qu'il  faisoit 
chaud,  s'estoit  descouvert  et  monstroit  ses  pièces 
naturellement.  «  Ah,  ah  !  ce  dit  une  bonne  vieille, 
c'en  sont,  les  cousins  le  font  donc  aux  cousines? 
Vous  voulez  donc  fringuer,  Madamoiselle;  ago 
m'amie,  et  qu'est  ce  cy?  c'en  sont,  par  ma  fion- 
gua.  »  Le  jeune  marjollet  fut  du  depuis  traité  en 
fils  de  bonne  maison  avec  sa  belle  cousine,  et  me- 
ruere  bene. 

Vous  voyez  par  cecy  que  la  barbe  sert  de  beau- 
coup pour  empescher  les  meslanges  et  confusions 
qui  adviendroient  autrement,  par  faute  d'avoir 
ceste  marque  qui,  du  premier  coup,  nous  des- 
couvre la  virilité. 

—  Par  sainct  Goderan,  Seigneur  Camille,  vous 
nous  en  deviez  deux,  vous  nous  en  avez  donné 
d'une,  répliqua  Demonax;  hol  que  vous  en  sça- 
vez  de  belles!  Passe  menu  moins  pource  que 
pourra  valoir  ce  compte  ;  vous  attachez  donc  la 
virilité  au  poil  de  la  barbe.  En  ce  vous  faillez 
doublement  :  et  primo,  parce  qu'il  se  treuve  des 
hommes  qui  sont  aussi  bien  masles  que  vous,  et 


DES     BARBES.  243 

1 

qui  bastissent  des  enfans  aussi  gorrierement  qu'au- 
cun de  la  parroisse  de  S.  Eustache,  qui  n'ont  de 
barbe  au  menton  non  plus  qu'il  y  en  a  sur  le 
creux  de  vostre  main.  Dans  une  heure,  si  vou- 
lez, je  vous  feray  parler  à  cinq  ou  à  six.  De- 
mandez voir  à  ce  gentil  compaignon  de  la  for- 
tune qui  est  icy  auprès  s'il  n'est  pas  homme  tout 
entier,  et  au  diable  le  poil  qu'il  ait  au  menton. 

En  après  voulez  vous  nier  qu'il  n'y  ait  des 
femmes  qui  portent  de  la  barbe  au  menton?  Je 
m'en  rapporte  à  la  grosse  Denise,  à  la  voisine  du 
S'"  Fremin,  qui  en  a  autant,  si  non  plus,  qu'aucun 
de  ceste  assemblée  (sans  comparaison,  mon  capi- 
taine). Il  y  a  plus,  que  je  vous  monstreray  des 
Messieurs  non  sunt,  hoc  est  des  chastrez,  qui  ont 
la  barbe  grosse,  grande  et  roide  comme  celle  d'un 
Lifrelofre;  et  neantmoins,  je  sçay  que  vous  les 
cassez  des  bandes  viriles. 

Par  sainte  Dame  1  vous  vous  moquez  donc  de 
faire  estât  des  barbes,  parce  qu'elles  font  claire  voye 
de  la  distinction  qui  doit  estre  gardée  entre  les 
masles  et  femelles  ;  vous  voyez  que  vostre  reigle 
est  faussée  en  ce  que  quelques  uns  sont  desnuez 
de  barbe,  qui  ne  laissent  pourtant  à  estre  masles 
et  entiers;  d'autres  sont  barbus,  qui  pource  ne 
tiennent  rang  entre  nous  autres  masles.  Mais  à 
vostre  advis,  n'y  a  il  point  d'autres  moyens,  pour 
discerner  les  masles  d'avec  les  femelles,  que  la 


244  ^^^     BARBES. 

barbe?  L'inspection  des  pièces  naturelles  n'est 
elle  pas  beaucoup  plus  asseurée  que  toutes  vos 
belles  barbes  de  neige?  Si  vous  voyez  un  vibre- 
quin,  vous  ne  direz  point  que  ce  soit  Toutil  d'une 
lingiere,  bien  d'un  menusier,  lequel  s'en  pourra 
bien  servir  à  la  mortaise  de  la  lingiere;  mais  cela 
est  accidentelement,  tout  ainsi  que  la  cheville 
n'est  pas  le  trou.  Ergo/je  conclus  comme  dessus, 
et  ce  suivant  l'excellente  doctrine  qui  nous  est 
donnée  par  nostre  maistre  Lyrippius,  en  ses  Cym- 
bales des  Dames,  et  F.  Turlupin,ensa  54.  Décade 
des  VibrequinSy  et  ibi  Nicolaus  de  Bella  Pertica. 

—  Faudroit,  respondit  le  S^  Camille,  que  vous 
nous  renvoyassiez  à  la  pratique,  qui,  pour  avoir 
autresfois  eu  lieu,  pourtant  ne  peut  estre  retenue 
parmy  nous.  Vous  sçavez  que  cela  sent  son  im- 
pudicité,  et  pourroit  faire  rendre  gorge  aux  meil- 
leurs cœurs.  Ne  vous  opiniastrez  donc  point 
contre  la  vérité  :  je  vous  tiens  si  honneste  homme 
que  ne  le  ferez.  Vous  ne  pouvez  m'esconduire 
d'une  si  juste  et  équitable  sentence,  moyennant 
que  je  vous  monstre  que  la  barbe  ne  sied  qu'aux 
masles,pour  tesmoigner  et  leur  force  et  leur  pru- 
dence. Il  ne  me  faut  que  prendre  les  guerriers  et 
les  philosophes. 

Quant  au  soldat,  cela  est  si  clair  que,  sans  vous 
faire  tort,  vous  ne  sçauriez  le  révoquer  en  doute. 
Prenez  moy  un  Suisse  avec  sa  grand'barbe,  cela 


DES     BARBES.  24J 

n'a  il  point  meilleure  mine  de  soldat  que  ces  petits 
barbets  qui  à  peine  ont  trois  poils  de  barbe  au 
menton.  La  barbe  représente  une  magesté  qui 
fait  craindre  et  redouter  le  soldat.  En  après,  elle 
le  garentit,  le  targue,  ainsi  qu'un  hallier  et  buis- 
son, des  inconveniens  qui  ont  accoustumé  de  bat- 
tre sur  ceux  de  sa  profession. 

—  Par  sainct  Picaut!  va  dire  Demonax,  vous 
le  prenez  fort  bien,  que  la  barbe  sert  au  soldat 
tout  ainsi  que  les  grands  cheveux  à  un  barbet  en 
esté.  C'est  une  toison  à  poux  et  lentes;  c'est  un 
fenier  à  morpions;  c'est  une  baverette  pour  les 
empescher  de  mouiller  leurs  goderons  lors  qu'ils 
hument  le  brouet.  Quant  à  la  majesté  que  vous 
attachez  aux  panonceaux  de  la  barbe,  je  ne  treuve 
point  que  ceux  qui  ont  eu  l'honneur  d'estre  des 
premiers  et  plus  adroits  guerriers  en  ayent  fait 
telle  estime.  Il  n'y  a  personne  (comme  je  croy) 
d'entre  nous  autres  François  qui  n'ait  peu  ap- 
prendre de  ses  ancestres  ceste  vertueuse  response 
et  vrayement  digne  d'un  prince  royal  de  France, 
François  Monsieur  de  Bourbon,  seigneur  d'An- 
guien,  faite  à  Alphonse  d'Avallon,  marquis  du 
Gast,  gênerai  de  l'armée  de  l'empereur  Charles 
le  Quint.  Cest  Espagnol,  d'une  outrecuidance 
fondée  sur  quelques  allechemens  et  bons  visages 
de  fortune,  entendant  que  ce  jeune  prince  fran- 
çois  luy  venoit  au  devant  à  Cerisoles,  délibéré  de 


246  DES    BARBES. 

le  combattre,  luy  manda  qu'il  estoit  trop  jeune 
pour  s'attaquer  à  luy,  qui  estoit  un  vieil  routier, 
afïre  et  espouvante  goliathique.  Ce  jeune  prince 
respondit  généreusement  que  ce  n'estoient  pas  les 
barbes  des  François  qui  combattoient,  ains  que 
par  leurs  espées  tranchantes  ils  faisoyent  sentir  à 
l'ennemy  leur  vertu  masle,  qui  par  ce  moyen  par 
tant' de  fois  s'estoit  fait  voye  à  travers  les  ar- 
mées des  ennemis  tant  en  Europe  qu'en  Asie  et 
Afrique. 

Avez-vous  onques  ouy  parler  d'un  prince  au- 
quel la  générosité  martiale  commanda  plus  qu'au 
grand  Alexandre?  Ce  n'est  pas  luy  qui  portoit 
la  barbe  longue  ;  il  ne  la  permettoit  pas  porter 
grande  à  ses  gens;  comme  entre  autres  il  monstra 
tresbien,  lors  que,  ayant  fait  passer  son  armée  en 
Asie  contre  le  roy  Darius,  il  apperceut  d'un  costé 
que  les  forces  du  Persan  estoient  bien  autres  que 
celles  de  Macedone,  et  d'ailleurs  que  ses  gens 
portoient  des  longues  barbes.  «  Non,  non  (dit  il) , 
qu'on  pose  bas  ces  barbasses,  cela  seroit  pour  me 
faire  perdre  la  victoire.  Vous  vous  donnez  en 
prise  à  l'ennemy,  qui  vous  pourra  happer  par  ces 
longs  bouchons  et  faire  de  vous  ce  qui  luy  plaira.  » 
Quand  tout  est  dit,  si  vous  tçnez  un  homme  par 
la  barbe,  il  a  bien  peu  de  moyen  de  se  deffendre  : 
de  mesmes  qu'il  en  prit  aux  Curetés  et  iEtoliens, 
lesquels  ne  furent  surmontez  par  leurs  ennemis 


DES     BARBES.  247 

que  par  le  moyen  de  leurs  barbes,  les  quelles  ils 
nourrissoient  belles  et  grandes  :  pource,  paraprés 
ils  les  vous  abbatirent  bien  et  beau,  ainsi  que 
nous  tesmoigne  Alex,  ab  Alexandro,  livre  5, 
chap.  i8. 

Ce  n'est  point  Alexandre  seul  qui  a  baissé  les 
mains  pour  raser  les  barbes  :  Scipion  l'Africain, 
Jules  César,  Auguste,  et  la  fleur  des  capitaines 
anciens  ont  fait  passer  le  rasoir  sur  leur  menton. 
Les  autres  ont  usé  de  dépilatoires  et  psilothies; 
mesmes  le  tiran  de  Syracuse,  Denis,  se  la  bucloit 
avec  un  toupon  de  paille  brandy.  Il  y  a  plus,  que 
les  nations  les  plus  belliqueuses  ont  esplanade  les 
touffues  landes  de  leurs  mentons  barbus.  La  cou- 
rageuseté  guerrière  des  Spartains  est  célébrée  par 
tout  l'univers;  si  est  ce  que,  quoy  que  leur  légis- 
lateur Lycurgue  leur  ait  conseillé  de  nourrir  et 
entretenir  leurs  perruques  longues,  par  ce  qu'elles 
rendroient  plus  beaux  ceux  qui  les  avoient  belles, 
et  plus  effroyables  ceux  qui  les  avoient  laides  et 
hideuses,  il  n'estoit  loisible  de  charger  longue 
barbe,  non  plus  que  entre  les  Rhodiens  et  entre 
les  Constantinopolitains,  qui,  par  surprise  ou 
autrement,  ayant  ordonné  qu'on  nourriroit  les 
barbes  longues,  mirent  leur  estât  en  un  merveil- 
leux hazard,  pour  l'esmeute  du  peuple,  qui,  estant 
survenue  à  cause  de  ces  barbasses,  ne  peut  estre 
appaisée  que  par  la  retractation  et  abrogation  de 


248  DES     BARBES. 

ceste  loy.  Les  Siciliens  pareillement  avoient  des 
barbiers,  voire  en  fournir  depuis  Rome,  au  rap- 
port de  Pline.  Entre  nous  mesmes,  ceste  barban- 
derie  n'est  elle  pas  odieuse?  Je  m'en  rapporte  à 
Parrest  de  Thoulouse,  portant  expresse  inhibition 
de  nourrir,  eslever  et  entretenir  les  forests  et 
brossailles  de  barbes.  L'exécution  duquel  fut  si 
roide  que,  comme  un  gentilhomme  du  pays  se 
présenta  à  la  Cour  pour  avoir  justice  de  quelques 
droits  sur  luy  usurpez  par  quelques  rasez  et  es- 
barbats,  elle  ne  voulut  l'escouter  parce  qu'il  por- 
toit  longue  barbe.  Finalement,  comme  il  impor- 
tuna pour  avoir  justice,  sur  sa  requeste  présentée, 
fut  respondu  :  Barba  rasa,  providebit  curia,  c'est 
à  dire  en  françois  :  «  La  Cour  y  pourvoira,  ta  barbe 
estant  rasée.  »  Ce  qui  fut  fait,  cela  s'entend.  Je 
vous  renvoie  aux  Populacas,  lesquels  eurent  le 
dessus  des  Otthoniens  par  le  moyen  des  barbes. 

—  Je  suis,  par  ma  conscience,  respondit  De- 
monax,  d'un  peu  dure  créance,  et  ne  suis  pas  aisé 
à  estre  persuadé  ;  vous  aurez  bien  affaire  à  me  faire 
entrer  dans  la  cervelle  vostre  barbesque  impres- 
sion. De  fait,  je  ne  me  souviens  avoir  onques  ouy 
priser  les  victoires  de  ces  barbus. 

—  Ha,  ha!  respond  le  S'^  Camille,  n'y  a  il  af- 
faire qu'à  la  vous  prouver,  je  suis  à  cheval.  Ceux 
qui  ont  descrit  les  voiages  de  l'Espagnol  Cortex 
nous  apprennent  qu'auprès  des   Othoniens,  ou 


DES     BARBES.  249 

Therchichimecas,  il  y  avoit,  vers  la  contrée  de 
Miseca,  une  certaine  nation  de  peuples  qu'on 
nomme  Populacas,  lesquels  adoroient  le  soleil  en 
qualité  de  créateur  de  toutes  choses;  comme  ils 
estoient  grans  sorciers,  ils  trouvèrent  en  ce  pays 
là  l'invention  du  feu  par  des  moyens  qui  seroient 
trop  longs  à  spécifier.  Les  Othoniens,  faschez  de 
ce  que  ces  Populacas  les  avoient  prévenu  en  ceste 
invention,  tombèrent  en  si  cruelle  inimitié  qu'il 
fut  question  de  se  guerroier.  Ainsi  que  les  armées 
estoient  prestes  de  se  joindre,  les  Othoniens, 
pour  n'hazarder  indiscrètement  leurs  forces,  vou- 
lurent esprouver  la  puissance  des  dieux,  tant  des 
uns  que  des  autres,  et  sçavoir  si  la  lune  n'auroit 
point  autant  de  puissance  que  le  soleil.  Voicy 
trois  articles  qu'ils  proposèrent  aux  Populacas  : 
le  premier  est  qu'ils  fissent  tant  avec  leur  dieu 
que  les  loges  qui  estoient  en  la  campaigne  fussent 
rasées^  ce  qu'ils  firent  aisément;  le  second,  qu'ils 
fissent  mourir  à  l'instant  beaucoup  de  personnes  : 
pource  encores  il  ne  manquèrent;  le  troisiesme, 
que,  parce  quMl  estoit  tard,  ils  fissent  arrester  le 
cours  du  soleil.  Les  Populacas  dirent  qu'ils  des- 
pecheroient  vers  luy  un  ambassadeur,  ce  qu'ils 
firent.  Pour  ce  (ainsi  chante  l'histoire),  estant 
arrivé  vers  le  soleil,  le  supplia  qu'il  luy  pleut  re- 
tenir sa  course,  autrement  que  ces  meschans 
Otthoniens   le  mespriseroient,   et  estimeroient 

32 


25o  DES    BARBES. 

avoir  advantage  sur  les  Populacas.  Le  soleil  res- 
pondit  (c'estoit  in  illo  tempore)  :  «  Tu  vois  bien 
qu'il  m'est  impossible  m'arrester  sans  faire  tort  à 
beaucoup  de  mes  enfans  et  sujets,  qui  ne  vivent 
en  cest  Univers  que  des  rayons  de  ma  grandeur; 
toutesfois,  afin  que  vous  ne  vous  mescontantiez, 
voila  mes  barbes,  qui  est  ce  que  j'estime  le  plus; 
je  les  vous  donne  pour  l'affection  que  je  vous  ay 
par  dessus  tous  autres,  et  dites  à  vos  mal-veillans 
que,  s'ils  ne  vous  quittent  la  victoire,  qu'ils  sen- 
tiront que  pesé  mon  indignation.  Les  Otthoniens 
estoient  esbarbats,  comme  aussi  leurs  ennemis; 
mais  dés  que  ils  virent  ceste  barbe,  ils  perdirent  le 
cœur  de  plus  inquiéter  messieurs  les  Populacas. 
Ces  barbes  (dit  li  conte)  estoient  plus  longues 
qu'une  demie  aune,  venans  sur  le  rouge,  grosses 
comme  le  poil  d'un  crin  de  cheval. 

—  Teste  d'oignons,  qu'est  ce  cy?  va  dire 
Demonax;  les  historiens  que  vous  alléguez  sont 
des  tesmoins  de  Bressure  :  vous  nous  en  feriez 
enfiler  de  belles,  qui  voudroit  vous  croire.  Je 
m'esbahis  comment  avez  osé  en  ouvrir  seulement 
la  bouche  :  c'estoit  assez  pour  nous  exposer  à  la 
bourrée,  si  on  brusloit  les  inventeurs  d'idolâtries, 
aussi  bien  que  ceux  qui  donnent  entrée  aux 
schismes  et  hérésies.  Qui  n'y  prendra  bien  garde, 
voila  l'idolâtrie  des  barbes  qui  est  mise  sus. 

—  Hél  ventre  d'un  petit  poisson,  mon  belaud, 


DES    BARBES.  25l 

mon  démoniaque,  changez  iaque  en  aXy  vous 
laissez  le  meilleur  de  la  saulce,  va  dire  Constant 
tin;  à  quoy  diable  servent  ces  barbes? 

—  C'est  (dit  le  S""  Camille)  pour  tesmoigner  la 
force  du  soldat.  Ils  sont  pris  s'ils  ne  s'enfuient. 
Sainte  Dame,  c'est  un  brave  renfort  que  toutes 
ces  barbasses. 

—  Si  vous  disiez.  Seigneur  Camille,  qu'elles 
serviroient  bien  à  gabionner,  pour  les  entasser 
en  une  basle  afin  de  résister  à  l'ennemy,  il  y 
auroit  apparence  que  ne  voudriez  flatter  le  dé.  Je 
me  donne  à,  si  vous  ne  diriez  plus  vray  que  vous 
n'avez  fait;  ho  l'estrelin,  ho  le  Srole  de  S""  Ca- 
mille, qui  ne  veut  mettre  dedans,  encores  qu'on 
l'y  pousse!  Ne  voiez  vous  pas  qu'un  boulet  de 
canon  donnant  dans  une  basle  de  laine,  de  cotton, 
de  mousse,  de  plumes,  etc.,  s'embouffe  là  dedans, 
et  perd  coup  parce  qu'il  n'y  a  résistance.  Les 
barbes  sont  de  mesmes  :  elles  ne  sont  pas  dures 
et  roides  pour  donner  une  repercussion  etiebond 
au  boulet.  Voila  la  plus  grande  commodité  que 
je  voie  aux  barbes,  de  laquelle  m'a  fait  souvenir 
le  conseil  que  Panurge  donna  à  Pantagruel  pour 
la  fortification  de  la  ville  de  Paris,  qui  se  feroit  à 
bon  marché,  juxta  not.  F.  Rab.  et  ibi  frater  Lubi- 
nus  ad  longum  sine  require. 

A  quoy  se  doit  rapporter  ce  que  Laërce,  au 
livre  2 ,  chap.  8,  raconte  qu'un  financier  de  Denis, 


252  DES    BARBES. 

nommé  Camus,  Phrigien  de  nation,  pour  faire 
parade  voulut  monstrer  à  Aristipe  sa  maison, 
laquelle  estoit  si  bien  diaprée,  et  ce  maistre 
Camus  aussi  superbe  et  magnifique,  que  ce  pauvre 
philosophe,  ayant  pris  fantaisie  de  cracher,  ne 
sceut  trouver  lieu  propre  pour  cracher  en  tout  le 
logis,  fors  sus  la  barbe  de  son  monsieur  le  Ca- 
mus, qui  estoit  autant  que  publier  par  tout  qu'il 
n'y  a  rien  de  plus  sale,  vilain  et  deshonneste  que 
la  touffue  barbe  de  ces  maistres  barbets. 

—  Quel  causeur  est  cecy  ?  quel  fat,  quel  bouf- 
fon !  va  dire  le  S^  Camille  refroignant  les  sourcils 
comme  un  chat  qu'on  chastre;  il  estoit  bien 
question  de  nous  interrompre  pour  ces  belles 
fadaises  ;  je  reviens  à  vous,  Demonax,  pour  vous 
dire  que  vos  argumens  ne  sont  si  solides  qu'ils 
ont  l'apparence.  En  premier  lieu,  vous  vous  con- 
trariez, pour  verser  sur  le  cul  nos  barbes,  contra- 
ria allegans  non  est  audiendus,  Bart.  in  l.  Titiœ  ff. 
de  cond.  et  démons.  Bald.  l.  prima  C.  de  furtis. 
Vous  dites  que  le  soldat  doit  avoir  la  barbe  rase, 
parce  que  l'ennemy  le  pourroit  happer  par  la 
barbe;  et,  neantmoins,  vous  voulez  que  les  Lace- 
demoniens  aient  peu  porter  la  chevelure  longue 
jusques  aux  talons,  mais  la  barbe  non  :  n'y  a  il 
pas  aussi  bien  prise  aux  cheveux  qu'à  la  barbe? 
En  ce  vous  ressemblez  à  ceux  qui,  sous  grandes  et 
horribles  peines,  défendent  aux  hommes  de  se 


DES     BARBES.  253 

vestir  de  robes  de  femmes,  et  aux  femmes  de 
robes  d'hommes,  et  neantmoins  ils  permettent 
bien  aux  hommes  qu'ils  se  déguisent  en  femmes 
lors  qu'ils  leur  permettent  de  se  faire  peler  le 
menton.  Ils  ne  font  point  de  conscience  de  faire 
un  faux  bon  à  ce  qui  nous  est  naturel  essentie- 
lement,  et  veulent  conserver  religieusement  ce 
qui  nobis  a  lue  peccati  accessit  :  testis  est  Gallia  en 
la  personne  de  la  Pucelle  d'Orléans,  jugée  à  mort 
par  les  Anglois. 

Il  y  a  plus,  que  l'authorité  sacrée  nous  apprend 
que  Sanson  desconfit  les  Philistins,  estant  armé 
de  ses  cheveux,  de  sorte  que,  dés  que  Dalila  eut 
peu  descouvrir  de  luy  ce  secret,  qu'il  y  avoit  une 
force  indomptable  aux  cheveux  de  Sanson,  et 
qu'ils  luy  furent  abbattus,  les  Philistins  chevirent 
aisément  de  luy.  La  prise  n'est  point  si  dange- 
reuse soit  aux  cheveux  qu'à  la  barbe  :  il  y  a 
moyen  de  se  deffendre.  A  tout  il  y  a  remède,  fors 
qu'à  la  mort.  Vous  me  faictes  ressouvenir  d'un 
gentil  compte  du  Florentin  Poge,  qui  nous  ap- 
prend qu'un  empereur  grec,  pour  empescher  les 
meurtres  qui  se  faisoient  entre  les  Grecs  et  les 
Génois,  avoit  ordonné,  pour  peine  d'homicide, 
que  la  barbe  leur  seroit  rasée.  Ce  qui  fut  exécuté 
sur  plusieurs  des  Grecs.  Les  Génois  sembloient 
estre  traittez  plus  rigoureusement;  pour  tenir 
quelque  balance  égale,  leur  magistrat  ordonna 


254  DES     BARBES. 

qu'en  présence  de  tout  le  peuple,  les  meurtriers 
et  delinquans  missent  les  marines  et  chausses  bas, 
descouvrissent  leur  cul,  et  que  l'on  leur  rasa  là  leur 
barbe  culiere.  En  ce,  il  apparioit  la  barbe  secrette 
et  resserrée  avec  celle  qui  est  manifeste  et  essorée. 

De  guet  à  pend  et  par  le  sangoy,  vous  estes  un 
fin  frotté;  vous  n'avez  voulu  toucher  aux  cani- 
bales  et  sauvages,  qui  ne  se  lairroient  pas  un  seul 
poil  sur  le  corps,  mesmes  jusques  au  poil  ama- 
toire.  Vous  estes  de  bas  or,  vous  craignez  la 
touche;  si  ne  m'eschaperez  vous  :  puis  que  je 
vous  tiens,  il  faut  que  je  vous  pelaude.  Si  vostre 
raison  avoit  lieu,  qu'il  faille  raser  la  barbe  parce 
qu'elle  peut  estre  happée  par  l'ennemy,  je  diroie 
qu'il  faudroit  que  tous  ces  sauvages  se  fissent 
abattre  la  grande  pique  qu'ils  portent  entre  les 
jambes.  Ils  se  joignent  assez  prés  les  uns  des 
autres  au  choc  :  qui  les  empesche  de  s'entrehap- 
per  leurs  diables  d'engins?  Ils  ne  sont  brayettez 
comme  nous,  ils  sont  tout  nuds;  que  respondrez 
vous  à  cecy,  Demonax? 

Quant  au  reste  de  vos  authoritez,  je  n'en  fais 
pas  si  grand  cas  que  vous  pourriez  penser.  Je  ne 
regarde  point  ce  que  l'on  fait  à  Rome,  mais  ce 
qui  est  séant  d'y  estre  fait,  mesmement  puis  que 
j'ay  moyen  de  vous  contreopposer  d'aussi  excel- 
lentes authoritez  que  sont  les  vostres  et  vous 
rabbattre   gentiment   vos   cornes.    Les   Lyciens 


DES     BARBES.  255 

estoient   tellement   curieux  de  conserver   leurs 
barbes  que,  pour  grande  chose,  n'eussent  permis 
qu'on  la  rasast.  Ce  que  le  capitaine  Condale 
recogneut  tresbien  :  car,  se  trouvant  avec  une  belle 
et  forte  armée  en  leur  pays,  fort  court  de  deniers, 
pour  les  faire  financer  à  l'appointement,  voicy 
l'expédient  qu'il  prit,   c'est  qu'il  fit  venir  par 
devers  soy  les  principaux  de  la  province,  ausquels 
il   remonstra  qu'outre   son  gré,  et  à  son  bien 
grand  regret,  il  estoit   contraint  leur  faire  en- 
tendre la  commission  qu'il  avoit  du  roy,  sçachant 
certainement  qu'il  ne  pouvoit  par  icelle,  sinon 
leur  déplaire  :  c'est  que  le  roy  Mausole  vouloit 
que  dés  maintenant  tous  les  Lyciens  se  tondissent 
leurs  cheveux  et  fissent  abbattre  leurs  barbes  pour 
les  luy  envoyer  en  Carie,  afin  de  faire  d'iceux  un 
appareil  en  l'honneur  du  roy  de  Perse.  Comme 
cela  leur  seroit  fort  fascheux,  il  s'estoit  advisé 
d'un  moyen  qui  sera  trespropre  pour  sauver  leur 
chevelure  et  rendre  le  roy  son  maistre  contant, 
c'est  qu'ils  fissent  un  impost  et  département  de 
deniers  sur  eux  par  teste  et  pro  rata  de  la  lon- 
gueur des  cheveux  qu'ils  portoient,  qu'ils  luy 
délivrassent  l'argent  :   il   envoieroit   en   Grèce 
pour  y  acheter  autant  de  chevelures  que  le  roy 
demandoit.  Les  Lyciens,  crainte  de  laisser  perdre 
l'occasion,  en  bien  peu  de  temps  firent  la  levée 
de  la  somme,  qui  estoit  si  grande  qu'ils  en  eussent 


256 


DES     BARBES. 


peu  acheter  leurs  perruques,  quoy  qu'elles  fussent 
esté  toutes  d'or,  et  délivrèrent  la  partie  deman- 
dée, dressée,  promise,  et  levée  à  Condale,  lequel, 
faignant  l'envoier  en  Grèce,  l'employa  à  la  solde, 
aux  vivres  et  munitions  de  son  armée. 

Les  Romains,  les  Grecs,  les  Chaldeens,  les 
égyptiens,  les  Alemans,  les  Suisses,  et  toutes 
les  nations  les  mieux  prisées,  se  sont  de  tout 
temps  engarbé  le  menton  de  barbes;  faites  un 
peu  la  contremire  de  ces  peuples  embarbez  contre 
vos  esbarbats,  et  on  verra  qui  l'emportera. 

Je  ne  veux  rien  attenter  sur  le  los,  l'honneur  et 
excellence  des  Lacedemoniens,  Rhodiens,  Sici- 
liens ou  Romains.  Mais  est  il  impossible  qu'ils 
ayent  failly  en  ce  poinct,  aussi  bien  qu'ils  ont 
choppé  en  une  milliasse  d'autres,  et  bien  plus 
lourdement?  Parce  que  les  Lacedemoniens  per- 
mettoient  de  desrober,  à  charge  que  ce  fut  accor- 
tement  et  finement,  vous  direz  que  les  Chresticns 
le  peuvent  sans  crainte  d'en  estre  repris?  Parce 
que  les  Rhodiens  se  sont  efféminé  après  une  infi- 
nité de  délicatesses  et  mignotises  que  ils  en  ont 
infecté  et  empunaisi  les  Siciliens,  que  les  Ro- 
mains en  ont  esté  à  la  fin  empestez,  vous  nous 
conseillerez  d'entrer  au  bransîe,  afin  que  nous 
nous  perdions  misérablement  avec  eux  ?  Vous 
enflez  terriblement  le  bouquin  quand  vous  res- 
veillez  du  tombeau  (ce  vous  semble)  Alexandre  le 


DES     BARBES.  257 

Grand,  Scipion,  Jules  César,  Auguste,  et  quel- 
ques autres  qui  se  sont  (à  vostre  compte)  fait 
ébarber  :  comme  ils  ont  eu  plusieurs  imperfec- 
tions, que  leurs  deportemens  ont  esté  pour  la 
pluspart  vicieux,  ce  n'est  pas  messeant  de  croire 
qu'en  cecy  ils  ne  se  soient  laissé  couler  outre  la 
nature,  où  neantmoins  il  estoit  besoin  de  tenir  la 
bride  roide.  A  tous  ces  grands  guerriers,  j'en 
puis  opposer  d'autres  barbus  qui  pour  leurs 
prouesses  ne  leur  doivent  aucune  chose.  Vous 
avez  eu  ce  puissant  empereur  Charles  le  Grand: 
estoit  il  de  ces  floquets  qui  *se  sont  pelé  le  men- 
ton? Il  portoit  la  barbe  si  longue  qu'elle  luy 
battoit  sur  la  ceinture.  Charles  le  Quint,  empe- 
reur, vous  sçavez  s'il  avoit  le  cœur  caractérisé  des 
impressions  guerrières;  si  avoit  il  la  barbe  roide 
et  longue.  Clovis,  premier  du  nom,  roy  de 
France;  Godefroy  de  Buillon;  Geoffroy  de  Lusi- 
gnan,  dit  à  la  grand-dent;  Ferguy,  premier  roy 
d'Escosse  ;  Saladin,  soldan  d'Egypte;  le  fou- 
droyant Tamerlan,  empereur  de  Tartarie;  Mahe- 
met,  deuxiesme  du  nom  ;  bref,  la  pluspart  de 
ceux  qui  ont  eu  vogue  à  la  suite  de  Mars  ont  esté 
armez  de  barbes.  Ce  n'est  point  de  moy  que  je 
vous  apprens  ceste  leçon;  s'il  vous  plaist  visiter 
les  figures  et  pourtraits  qui  sont  dans  VHistoire 
Prosopographique  d'un  de  nostre  pays,  vous  trou- 
verez que  je  dis  vray,  et  que,  pour  représenter 

33 


258 


DES     BARBES. 


un  sot  et  un  badin,  il  vous  luy  a  fait  peler  le 
menton  :  je  m'en  rapporte  au  pourtraict  de  ce 
folastre  Jean  Clopinar,  dit  de  Meux. 

—  A  tel  sainct,  va  dire  Messer  Alphonse,  telle 
offrande;  par  ma  foy,  je  jure  que  vous  ne  le  pre- 
nez pas  mal.  O  le  grand  donneur  de  cassades  ! 
Vous  revirez  la  truye  au  foin;  que  ne  la  laissez 
vous  aller  aux  raves?  J'ay  veu  ces  figures  que 
vous  dites;  elles  sont  fort  gentiles,  et  suis  d'avis. 
Seigneur  Demonax,  mon  couillaud,  ma  viste, 
mon  petit  mistigoury,  que  vous  me  donniez  une 
vintaine  d'escus  :  par  S.  Fiacre  de  Brie,  j'en  ache- 
teray  pour  nous  deux.  On  parle  des  livres  qui 
font  miracle,  mais  celuy  l'a  fait  :  car  il  a  fait 
pleurer  à  force  de  rire  ce  Messer  cancre  de  De- 
mocrite,  qui  m'a  juré,  sur  sa  part  de  paradouze, 
qu'il  y  avoit  plus  de  quinze  ans  qu'il  n'en  avoit 
fait  autant.  C'est  un  drôle,  par  ma  conscience. 
Mais  je  pense  à  vous.  Seigneur  Camille;  vous 
estes  un  fort  et  treshabile  homme,  vous  devriez 
porter  vos  coquilles  à  d'autres  qu'à  nous,  qui  le 
faisons  aux  autres  et  qui  avons  esté  à  S.  Michel  : 
que  sert  il  de  mentir  ou  ne  dire  la  vérité  devant 
les  amis?  J'ay  virevolté  tous  ces  beaux  portraits 
que  vous  dites  plus  de  cinquante  fois,  sans  la 
première  :  aussi  y  ay  je  bien  trouvé  autre  chose 
que  vous  ne  chantez.  J'y  vois  de  braves  guerriers 
esbarbats,  tels  que  Constantin  le  Grand,  Tempe- 


DES     BARBES.  259 

reur  Justinian,  S.  Louis,  Guillaume  le  Conqué- 
rant, Frideric,  deuxiesme  du  nom,  empereur 
(lequel  se  qualifioit  le  marteau  ou  le  maillet  du 
monde),  Philippes  le  Hardy,  duc  de  Bourgoigne, 
Talbot,  Jean,  bastard  d'Orléans,  comte  de  Du- 
nois,  et  tant  d'autres  qui  sont  braves  hommes  : 
quod  vidimus  testamur.  Je  ne  dis  chose  que  je 
n'aye  veu,  je  suis  trop  consciencieux  pour 
bourder. 

Et  bien,  quant  ainsi  seroit  que  toutes  les  figures 
de  ceste  histoire  là  seroient  embarbées,  vous  ne 
seriez  pas  encores  au  dessus  de  vos  emprises. 
Quelcun  qui  seroit  plus  hardy  que  moy  vous 
pourroit  dire  que  vous  auriez  menty  [con  vestra 
reverenza,  Monsior)  après  vostre  compatriot. 
Pourquoy?  Pource  que  ce  bon  segnor,  afin  d'au- 
thoriser  sa  barbasse,  auroit  tasché  d'embarber 
tous  les  plus  habiles  hommes  qui  se  sont  trouvez, 
à  l'exemple  du  regnard,  contrario  sensw  toutesfois, 
lequel,  se  voiant  privé  de  sa' queue,  pour  n'estre 
moqué  de  ses  compaignons,  par  vives  raisons 
leur  persuada  (c'estoit  in  illo  îempore  que  les 
bestes  parloient)  de  s'esquouer.  La  consolation 
des  misérables,  c'est  d'avoir  des  pareils  qui  cou- 
rent mesme  fortune  avec  eux. 

—  Ils  en  ont  de  belles,  moyennant  qu'on  les 
reserve  (va  dire  le  S^  Camille)  :  si  ne  sçauroit  on 
me  faire  refius  au  moins  de  ceste  confession  en 


260  DES     BARBES. 

faveur  des  soldats,  que  la  barbe  leur  sied  fort 
bien.  Et  pource,  ayant  doublé  ceste  pointe,  je 
m'en  vay  donner  au  Caloier  des  philosophes  et 
gens  de  lettres. 

Je  commenceray  par  les  philosophes  cyniques, 
qui  ont  eu  en  singulière  recommandation  leurs 
barbes,  lesquelles  ont  esté  tellement  prisez  et  esti- 
mez que  nous  lisons  qu'Alexandre  le  Grand, 
ayant  pris  la  Grèce  et  estant  à  Athènes,  il  voulut 
voir  Diogenes,  lequel  estoit  de  la  bande  cynique, 
et  fort  renommé.  Pource,  ce  vainqueur  se  trans- 
porta au  lieu  où  estoit  ce  philosophe  au  soleil,  et 
fut  tellement  contant  de  ses  graves  et  doctes  sen- 
tences qu'il  dit  à  son  retour  :  «  Si  je  n'estoie 
Alexandre,  je  voudroie  estre  Diogenes.  » 

—  Que  vous  estes  abusé.  Seigneur  Camille,  va 
dire  Demonax  ;  je  suis  par  ma  foy  d'avis,  puis  que 
vous  trouvez  la  vie  cynique  tellement  à  vostre  gré, 
que  vous  portiez  la  besasse  et  vous  resserriez  dans 
un  tonneau,  ainsi  que  faisoit  Diogenes  :  bref,  que 
vous  patronniez  vostre  manière  de  vivre  au  mo- 
dèle de  son  estrange  vie.  Et  comment  est  ce  que 
vous  faites  cas  de  cest  homme  là  ^  Il  ne  valoit  pas 
un  troignon  de  chou  :  la  fin  de  ses  jours  qu'il 
eut  monstra  de  quel  bois  il  se  chaufîoit.  Ne  sça- 
vez  vous  pas  que  quelques  uns  tiennent  que, 
comme  il  estoit  fort  sujet  à  sa  bouche,  il  mangea 
le  pied  d'un  bœuf  tout  crud,  dont  il  attira  un 


DES     BARBES.  261 

humeur  si  pernicieux  que  depuis  il  en  mourut;  et 
que  d'autres  rapportent  que,  pour  le  regret  qu'il 
avoit  de  trop  vivre,  il  se  violenta  et  précipita  sa 
mort,  s'estouffant  dans  son  manteau. 

Et  quant  à  ses  compaignons,  ils  ne  valloient 
pas  mieux  que  luy  :  c'estoient  des  gens  déses- 
pérez, ennemis  d'honnestete,  et  qui  avoient  perdu 
toute  honte;  de  sorte  que,  de  mesmes  que  les 
bestes  brutes,  ils  ne  se  hontoioient  point  de  s'em- 
bloquer  à  la  cupidique  les  uns  devant  les  autres, 
voire  ne  faisoient  difficulté  d'aucune  parole,  tant 
sale  fut  elle,  juxta  illud,  verha  non  fcetent,  les 
paroles  ne  puent  pas.  Battifolus  in  malogranato 
vitiorum  et  ihi  Harlequinus  et  Mormaltus. 

—  Vous  en  voulez  bien  à  ces  pauvres  gens, 
répliqua  le  S^"  Camille  (gringottant  entre  ses  dents 
la  patenostre  de  singe  avec  aussi  bonne  grâce 
qu'avoit  Socrates  lorsqu'il  se  pincetoitsa  barbe); 
ne  tient  pas  à  vous  que  ne  les  faciez  plus  noirs 
que  diables  :  quelque  jour  on  vous  empunaisira. 
Je  vay  vous  mettre  en  teste  des  personnages  qui 
vous  feront  perdre  le  caquet  et  faire  Vinclinabo. 
Homère,  Hésiode,  Hérodote,  Euclide,  Archi- 
mede,  Platon,  Aristote,  Hippocrate,  Strabon, 
Ptolomée,  Plutarque,  Dioscoride,  Ausone,  etc., 
n'estoient  ce  pas  de  braves  hommes  en  philoso- 
phie, médecine,  poésie,  mathématique,  cosmo- 
graphie, histoire   et   autres    sciences  ?   C'est   la 


262  DES     BARBES. 

perle,  la  fleur  et  l'eslite  de  tous  les  braves  esprits. 
Quelles  gens  estoient  ce  ?  Ce  n'estoient  point  de 
ces  piètres  et  trupelus  rais  esbarbez  et  pelez. Tous 
ceux  qui  les  nous  représentent  leur  donnent  une 
belle  et  longue  barbe. 

—  Response,  va  dire  Constantin  :  ce  sont  les 
peintres  qui  les  nous  ont  effigie,  at  pictoribus 
atque  poetis  mentiri  in  pretio  est.  Les  peintres 
peuvent  avec  leur  pinceau,  et  les  graveurs  avec 
leur  burin,  desguiser  non  seulement  les  traits  du 
visage,  mais  d'une  Hecube  nous  faire  une  Hélène. 
Nos  peintres  d'aujourd'huy  peindront  en  l'air 
celui  qu'onques  ils  ne  virent,  deceus  peut  estre 
par  la  faulseté  d'une  medale  antique  menteuse. 
Je  sçay  les  petits  tours  de  passe  passe  qui  s'y  font. 
Je  veux  que  les  medales  ne  soient  point  faulses  : 
mais  qui  me  pourra  faire  accroire  que  la  medale 
sur  laquelle  on  contrefait  et  poche  Homère  ou 
autre  soit  la  vraye  figure  d'Homère  ?  Qi^is  vobis 
hoc  revelavit?  Parce  qu'il  a  les  bras  coupez  au 
coude,  c'est  Homère  ?  Oh  besties  !  que  vous  estes 
bien  à  l'ombre  quand  le  soleil  est  couché  :  beati 
lourdes  quoniam  ipsi  trebuchaveruntj  etc. 

—  Par  sainct  Picaut,  vous  estes  exorbitamment 
incrédule  :  qui  eut  jamais  pensé  cela  de  vous? 
(répliqua  le  S^'  Camille).  Vous  ne  méritez  pas 
qu'on  dispute  contre  vous  :  contra  negantem  prin- 
cipla  on  doit  descharger  des  coups  et  non  des 


DES     BARBES.  263 

argumens.  Toutesfois,  pour  vous  rendre  inex- 
cusable et  vous  esclaircir  de  tant  plus  la  sermon- 
niere,  je  suis  bien  contant  vous  faire  venir  en  jeu 
des  docteurs  de  l'Eglise  chrestienne  qui  ont  esté 
veus  par  nos  pères,  tirez  et  portraits  par  eux.  Le 
premier  apostre  des  Gaules,  S.  Denis  l'Areopa- 
gite,  Basile  le  Grand,  Theodoret,  Jean  Zonare, 
SS.  Hierosme,  Augustin,  Cyprian,  Jean  à  Bou- 
che d'or,  Athanase,  Jean  Damascene,  Bernard, 
Justin  le  Philosophe,  etc.,  ont  tous  porté  la  barbe 
longue;  les  apostres  mesmes  :  et  ce  pour  plu- 
sieurs grandes  et  notables  raisons,  sur  tout  parce 
qu'eux  nui  avoient  à  commander  aux  autres, 
régir,  gouverner  et  administrer  TEglise,  dévoient 
porter  une  marque  de  la  gravité,  prudence  et 
expérience  qui  doivent  accompagner  ceux  qui 
sont  establis  au  dessus  des  autres.  Et  pource,  un 
Lacedemonien  respondit  tressagement  à  celuy 
qui  luy  demandoit  pourquoy  il  portoit  la  barbe 
longue,  que  c'estoit  afin  que,  la  voyant;  il  se 
souvint  ne  faire  acte  ou  démarche  qui  fut  indigne 
de  sa  barbe. 

— Vertu  bille,  je  vous  tiens.  Seigneur  Camille, 
va  dire  Demonax,  avec  vos  raisons  laconiques; 
que  direz  vous  à  ce  que  maintenant  il  est  expres- 
sément enjoint  aux  ecclésiastiques,  sur  tout  aux 
prestres,  d'abbatre  leur  barbe?  C'est  l'ordon- 
nance de  l'Eglise  :  vous  ne  pouvez  dire  aucune 


264  DES     BARBES. 

chose  alencontre.  Et  ainsi,  quand  auriez  dressé 
les  registres  de  tous  les  docteurs  grecs  et  latins, 
je  n'auroie  à  vous  respondre  autre,  sinon  que  les 
loix  dernières  emportent  les  premières;  et  ainsi, 
puis  que  maintenant  la  pratique  des  barbes,  qui 
a  esté  gardée  au  temps  passé,  est  ensevelie,  que 
vous  ne  faites  rien  de  nous  ramener  en  veue  les 
barbes  anciennes. 

—  Le  grand  coup  que  vous  ^avez  fait  !  mon 
mignon,  mon  amy,  mon  belaud,  mon  Demonax, 
respondit  Messer  Alphonse.  Voila  le  pauvre 
seignor  Camille  qui  demeure  de  deux  selles  le 
cul  à  terre.  Les  regnards  sont  pris,  il  y  a  bien  à 
se  gausser.  Il  pensoit  que,  si  vous  veniez  à  passer 
l'embarbisme  de  ceux  qui  estoient  venus  après  la 
naissance  du  Sauveur  des  humains,  sa  possession 
barbarique  ou  barbesque  luy  demourroit  asseurée 
et  à  tous  ses  consors  s'embarbans,  comme  estant 
prescripte  par  un  long  laps  de  temps  cujus  me- 
moria  non  exstat.  Je  le  sentoie  venir  sans  son- 
nettes, et  qu'il  avoit  envie  de  nous  mettre  au 
nez  (c'estoit  à  faire  d'abattre  le  casquet  au  dessous 
de  la  lèvre,  et  pour  cause)  la  prohibition  qui  est 
faite  aux  sacrificateurs  de  ne  raser  les  coins  de 
leur  barbe,  laquelle  (ainsi  que  le  prophète  royal 
David  îesmoigne  au  Psal.  i33)  estoit  parfumée 
d'un  onguent  précieux. 

Les   solemnitez  ceremoniales    sont  abbattues 


DES     BARBES.  263 

maintenant;  le  retranchement  des  barbes  est 
enjoint  aux  ecclésiastiques  :  si  bien  qu'aujourd'huy 
ce  seroit  aussi  messeant  et  reprehensible  pour 
eux  de  nourrir  leurs  barbes  qu'il  estoit  aux  sacri- 
ficateurs de  les  retrancher  :  juxta  illudj  Barba  Jovi, 
crines  Veneri^  décor. 

—  A  ce  compte,  Seigneur  Camille,  va  dire 
Demonax,  je  vois  bien  qu'il  faudra  que  les  barbes 
soient  abbatues. 

—  Cela  est  vray,  respond  Camille;  vous  n'avez 
occasion  de  l'empescher  :  les  moyens  que  vous 
avez  produit  pour  vous  sont  si  fresles  que,  du 
premier  bransle  qu'une  mouche  vous  donneroit, 
elle  les  pourroit  bouleverser;  si  ne  faut  il  que  je 
vous  laisse  en  si  beau  chemin  :  vous  avez  fait  vos 
jeux;  il  est  temps  (ce  me  semble)  que  je  face  les 
miens.  Changeons  de  qualité,  je  tiendray  le  jeu, 
et  vous  soustiendrez  et  rabattrez.  Je  ne  pense 
pas  vous  tenir  si  long  temps  que  vous  m'avez 
fait. 

Premièrement,  je  treuve  qu'il  y  a  peu  de  fonds 
à  ce  que  vous  pensez  faire  prendre  pied  à  la  barbe, 
parce  que  c'est  une  parure  qui  refait  fort  bien  un 
homme.  Selon  la  sotte  et  commune  opinion  du 
vulgaire,  vous  pourrez  avoir  quelque  raison, 
attendu  que  coustumierement  vous  entendrez 
donner  ces  petits  traits  :  «  Vostre  barbe  est  en- 
cores  trop  jeune  pour  estre  evesque  ;  vostre  barbe 

^4 


266  DES    BARBES. 

sent  encores  sa  vinaigrette;  vostre  barbe  craint 
les  gensd'armes  ;  elle  est  si  mal  hardie  qu'elle 
n'ose  sortir;  vostre  barbe  prend  médecine,  elle 
garde  la  chambre,  elle  apprend  comment  vous 
deviendrez  sage.  »  Ce  sont  comptes  de  triquo- 
teuses  que  je  vais  enveloper  de  la  barbasse  du 
bouc  d'Esope;  ou  bien,  si  vous  voulez,  je  vous 
payray  de  la  response  de  laquelle  Nicander  servit 
celuy  qui  luy  demanda  pourquoy  les  Spartiates 
nourrissoient  leur  barbe  :  «  C'est  pourautant, 
respondit  il,  que  ceste  parure,  quoy  qu'elle  soit 
fort  belle,  ce  neantmoins,  est  de  moindre  coust 
à  l'homme;  »  comme  s'il  eust  voulu  attaquer  les 
Lacedemoniens  d'avarice  et  taquinerie,  en  ce 
qu'ils  ne  se  vouloient  faire  raser  la  barbe  pour 
espargner  ce  qu'il  falloit  donner  au  barbier. 
S'ils  eussent  fait  comme  le  tyran  Denis  et  se  bu- 
cler  le  menton,  ils  n'eussent  pas  esté  attachez  de 
ce  vice. 

Addatur  que  ceux  qui  nous  conseillent  le  de- 
barbisme  nous  preschent  le  dueil,  à  l'exemple  des 
Argiviens  et  Milesiens.  Les  premiers,  se  voyans 
desconfîts  par  les  Lacedemoniens,  pour  tesmoi- 
gnage  de  leur  misère  et  déplorable  calamité,  se 
firent  raire,  avec  vœu  de  ne  laisser  recroistre  leurs 
barbes  qu'ils  n'eussent  recouvré  leur  Tyrias.  De 
mesmes  les  Milesiens,  pour  la  perte  de  Sibaris, 
prise   et    saccagée    par  les    Crotoniates,    firent 


DES     BARBES.  267 

abbattre  leurs  barbes  en  signe  de  deuil  et  lamen- 
tation. 

En  après,  je  treuve  que  la  barbe  est  de  grand 
ennuy,  qu'elle  nous  assujetit  à  de  grandes  for- 
tunes. Premièrement,  elle  nous  rend  hargneux  et 
mélancoliques,  inaccostables  de  plusieurs  per- 
sonnes, pour  la  crainte  que  nous  avons  qu'on 
nous  tire  par  la  barbe.  En  après,  elle  sera  un 
grenier  de  poux,  de  morpions,  de  puces,  de 
lentes  et  autre  vermine,  si  bien  que  ce  sera  un 
martyre  continuel.  Et  pource,  Hérodote  nous 
apprend  que  les  prestres  aegyptiens  ont  accous- 
tumé,  de  trois  jours  en  trois  jours,  se  raser  tout 
le  corps,  de  peur  que  pendant  le  service  de  leurs 
dieux  aucune  vermine  ne  vint  à  s'engendrer. 
Or  que  la  barbe  ne  soit  tant  séante  pour 
piaffer  à  propos,  comme  elle  sert  à  des  usages 
plus  vils  et  abjects,  je  vous  prie  escouter  ce  que 
nous  apprend  lehuitain  du  bon  père  le  Seigneur 
Ronsard,  qu'il  a  traduit  d'Ammian  : 


Tu  penses  estre  veu  plus  sage 
Pour  porter  grand'barbe  au  visage 
Et  pource,  alentour  de  ta  bouche, 
Tu  nourris  un  grand  chassemouche. 
Si  tu  m'en  crois,  jette  la  bas  : 
La  grand'barbe  n'engendre  pas 
Les  sciences  plus  excellentes, 
Mais  des  morpions  et  des  lentes. 


268  DES     BARBES. 

Tertio^  si  on  se  veut  garentir  de  cestepoûillerie 
et  suite  barbesque,  faudra  la  demesler,  la  décro- 
ter,  la  secouer,  la  tirer,  la  tordre,  la  virer,  la 
resserrer,  l'espardre,  la  passefîllonner,  la  mousta- 
cher,  l'élever,  l'abaisser,  la  patiner,  la  manier,  la 
regarder,   l'applanir,    la  testonner,   la  peigner; 
bref,  luy  donner  plus  de  façons  qu'à  la  vigne, 
encores  qu'elle  soit  sans  rapport,  disoit  le  capi- 
taine Janicot,  3.  De  Barbatilibus  cum  gl,  Malla- 
reti,etihiKiffîarduSjCol.  2.,  adverb.  Moustachiam 
turcicam.  Cela  est  contre  l'usage  des  barbes,  que 
je  viens  de  représenter  à  la  laconique.   Pour  cinq 
sols,  je  feray  abbattre  la  plus  forte  barbe  qui  soit 
en  France;  continuez  cela  pour  un  an  :  huit  fois, 
ce  sont  quarante  sols;  voila  que  vous  coustera 
vostre  barbe;  c'est  bien  loin  des   cent  et  deux 
cens  escus,  outre  la  perte  du  temps  que  nos  bar- 
bets prennent  à  barbetter  leurs  barbes. 

Quarto,  il  y  a  du  mes-us  estrange  et  qui  meri- 
teroit  punition  exemplaire  :  il  y  en  a  qui,  quand 
ils  ont  à  faire  quelque  bon  coup,  ils  se  laissent 
croistre  la  barbe  longue  et  espesse;  puis,  après 
avoir  fait  leur  main,  ils  se  font  raser  :  les  vous 
voila  par  ce  moyen  incognus. 

Quinto,  les  façons  des  barbes  doivent  favoriser 
à  l'interdit  d'icelles  ;  de  mesmes  que  nous  voyons 
les  edits  de  nos  roys  françois  pour  la  façon  de 
nos  habits,  parce  que  les  François  n'ont  que  le 


DES     BARBES.  269 

drap  et  le  ciseau,  tant  ils  sont  variables  en  leurs 
vestemens.  De  ma  part,  je" vois  tant  de  sortes  de 
barbes  que  maintesfois  je  suis  bien  empêché  à  me 
résoudre  sur  une  si  diverse  multiplicité  :  j'en  vois 
de  fortes,  de  déliées,  de  jaunes  comme  saffran  et 
poil  de  vache,  de  la  longueur  d'une  aulne,  de 
mouchetées,  de  grises,  blanches  comme  cotton 
de  Malthe,  de  blondes,  de  meslées,  de  cordelées 
à  la  moustache,  de  blanches,  de  fleuries,  de 
fourchues,  de  bouquines  à  pointe  de  diamant,  de 
noires,  de  morées,  de  rousses,  de  dorées,  de 
rondes,  d'escrevisse,  de  six  poils,  de  chat,  de 
savetiers,  qui  ne  tiennent  que  par  rivets,  etc. 

SextOy  je  vois  que  les  dames  ne  se  plaisent 
point  à  ces  grands  barbans,  parce  que  leur  bar- 
basse les  ennuyé,  les  matagrabolise  et  incornifîs- 
tibule  leurs  baisers. 

—  Pour  ce  dernier  chef,  Demonax,  mon  mar- 
paut,  mon  petit  mistoudin,  vous  estes  fort  mal 
fondé,  va  dire  Messer  Constantin  :  je  cognois  un 
vieil  barban  qui  remédie  bien  à  ceste  incommo- 
dité. Vous  noterez  qu'il  est  jeune  de  quelques 
quatre  vingts  ans,  et  si  pour  cela  il  tend  à  la 
jonction.  Pour  ne  perdre  son  crédit  lors  qu'il  est 
question  et  que  l'envie  luy  prend  d'avoir  la  vui- 
dange  qu'il  pourchasse,  il  vous  fardera  sa  barbe, 
de  sorte  que,  au  lieu  qu'il  est  blanc  par  le  menton 
comme  un  cigne,  il  s'est  si  bien  ancré  qu'on  le 


270  DES     BARBES. 

prendroit  à  sa  barbe  pour  un  corbeau.  Et  pour 
prévenir  les  desplaisirs  que  reçoivent  les  dames 
d'estre  enchevestrées  parmy  ces  grandes  bar- 
basses, il  vous  serre  gentiment  et  beau  sa  bar- 
basse entre  cuir  et  chemise.  Sa  moustache  est 
abatue,  pource  qu'il  est  de  la  qualité  de  ceux  qui 
ne  l'osent  porter  longue,  quia  inter  calicem  supve- 
maque  labra,  etc. 

—  Non,  non,  Messer  Constantin,  répliqua  le 
S*"  Camille,  je  n'ay  que  faire  de  vos  gausseries; 
j'ay  dequoy  respondre  aux  allégations  de  Demo- 
nax.  Et  puis  que  vous  avez  commancé  par  le 
dernier  article,  je  suis  bien  contant  de  vous 
suivre.  Je  ne  suis  point  de  ceux  qui  voudroient 
attacher  les  hommes  aux  timons  inhumains  de 
l'Athénien  Tymon;  je  sçay  bien  qu'il  fait  bon 
estre  aimé  d'un  chascun;  je  suis  bien  aise  quand 
on  rit,  quand  on  prend  du  passetemps,  et  qu'on 
s'esgaillardit,  le  tout  avec  honesteté  :  je  pratique 
cela,  et  si  pour  cela  je  ne  laisse  à  porter  belle  et 
longue  barbe.  Ma  maistresse  netreuve  point  que 
je  luy  desagrée,  je  n'en  sens  aucun  vent  :  elle 
n'arresteroit  point  si  long  temps  à  me  descouvrir 
son  mescontentement.  Et,  à  dire  ce  qui  en  est,  je 
treuve  que  les  femmes  ont  plus  de  plaisir  avec 
ceux  qui  ont  la  barbe  longue  qu'avec  les  rasez  et 
esbarbez,  parce  que  la  barbe  fraischement  émou- 
lue et  rasée  poind,  devinez  si  le  baiser  plaist. 


DES     BARBES.  27I 

Quant  aux  autres  moyens,  je  n'y  trouve  aucun 
nés  pour  en  faire  si  grand  quanquam  que  vous  en 
faites,  mon  fiston  de  Demonax.  Vous  dites 
qu'elle  nous  enchagrine,  aumoins  qu'elle  nous 
fait  porter  la  mine  morne,  couverte  et  pesante. 
Dire,  ce  n'est  pas  tout;  mais  peut  estre  estimez 
vous  un  homme  fasché  et  courroucé,  lequel  ne 
rira  à  toutes  heures  ?  Ce  sont  traits  de  la  maladie 
de  S.  Mathurin  ;  c'est  bouffonner  et  faire  du 
matassin  que  vous  trouvez  à  dire  aux  barbus, 
lesquels  vous  tenez  songears  et  rechignez,  parce 
qu'ils  sont  graves. 

Vous  reprochez  que  la  barbe  ne  sert  que  d'es- 
table  ou  sellier  à  la  vermine  et  autres  infections, 
et  neantmoins  ne  voulez  qu'on  se  nettoyé  :  qui 
n'estrilleroit  un  cheval,  je  vous  laisse  à  penser 
que  ce  seroit  de  luy.  N'y  a  il  point  de  remèdes 
pour  se  la  tenir  nette  ?  Allez  aux  apoticaires,  ils 
vous  donneront  des  drogues  assez.  J'ai  leu  que  le 
jus  de  nasturce  alenoys,  appliqué  avec  graisse 
d'oye,  guérit  les  eschaques  et  roignes  qui  sont 
par  la  barbe.  Si  vous  craignez  de  l'avoir  trop 
roide,  touffue  et  espesse,  dés  vostre  enfance 
frottez  vos  joues  d'œufs  de  formis  ou  de  sang  qui 
sort  des  genitoires  des  béliers  qu'on  chastre. 

Le  reste  de  ce  que  proposez  contre  les  barbes 
ne  mérite  pas  la  peine  de  nous  y  amuser.  Encores 
qu'ainsi  seroit  (que  non  toutesfois)  qu'il  y  eut  du 


272  DES     BARBES. 

mes-us,  pourtant  vous  n'oserez  conclurre  au  ra- 
sement  des  barbes  :  gardez  l'amende.  Dites  moy, 
parce  qu'il  y  a  des  anetons  en  des  taillis,  ou  des 
brigands,  loups  et  bestes  ravissantes  en  des  forests, 
direz  vous  qu'il  faille  abatre  les  bois?  Avancez 
vous  de  le  publier  et  me  le  signez,  je  payeray 
bussart  d'eau  de  Canathe  à  vos  despens.  Parce 
qu'il  y  en  a  plusieurs  qui  escrivent  diverses  lettres, 
vous  direz  qu'il  faudra  interdire  l'escriture.  Pauvre 
pécore!  vous  voulez  nous  priver  d'un  si  précieux 
joyau  qu'est  la  barbe,  parce  qu'il  y  a  des  guenaux 
qui  prennent  leur  repaire  es  forests  barbesques  1 
A  d'autres! 

—  N'estiez  vous  point  à  Thoulouse,  petit 
rustre,  magister  Demonax,  quant  on  fit  ce  véné- 
rable arrest?  (va  dire  Constantin).  Je  despite 
Mahon,  ou  je  me  donne,  si  vous  eussiez  esté  en 
vie,  si  je  ne  croiois  que  ce  seriez  vous  qui  dres- 
sâtes les  mémoires  qui  induisirent  la  cour  à 
lascher  cest  arrest  debarbatif.  De  fait,  je  l'ay  leu 
cum  commento  :  le  glossateur,  en  l'avant-propos, 
fait  mention  d'un  mot  de  Démon.  Pourroit-ce 
bien  estre  vous  ou  quelqu'un  de  vos  parens  qui 
donna  ceste  verte? 

—  Rien,  rien,  respondit  Alphonse,  vous  vous 
abusez,  monsieur  Constantin,  car  la  cour  de 
Thoulouse,  entendant  que  les  forests  et  montai- 
gnes  Pyrénées  leur  produisoient  tant  de  billots, 


DES     BARBES.  278 

brigands,  voleurs  et  bandouliers,  de  fine  belle 
peur  qu'ils  eurent  à  cause  de  la  prédiction  que 
leur  en  avoit  fait  frère  Robert,  le  roy  Calabrois, 
que  d'autres  brigandeaux  et  bandouillereaux  ne 
fourmillassent  dans  les  barbes  de  ceux  du  pays, 
tendirent  à  ce  deguerpissement  des  barbes.  C'est 
l'opinion  du  docteur  Raphaël  de  Briguenarilles 
sur  la  rubrique  De  eo  quod  met,  ca.  et  ibi  gl. 
commentatoris  Foro  juUensis. 

—  Messieurs,  vous  voyez,  va  dire  le  S^  Ca- 
mille, que  j'ay  rangé  à  jubé  Demonax,  et  qu'il 
,pisse  vinaigre  fort  comme  tous  les   diables:  je 
n'ay  plus  qu'un  mot  que  j'avoie  oublié  pour  vous 
dire  la  raison  pour  laquelle  les  hommes  ont  de  la 
barbe ,  et  non  pas  les  femmes  :  car  il  faut  que 
vous  sçachiez  que,  comme  nature  est  bonne  et 
sage  mère,  elle  ne  nous  a  point  voulu  appeller  à 
aucunes  charges  qu'elle  ne  nous  ait  fourny  des 
moyens  propres  pour  nous  en  acquiter  et  nous 
deffendre  contre  tous  encombriers.  Pui3  donques 
que  l'homme  devoit  sortir  hors  de  la  maison  pour 
trafiquer,  marchander  et  amasser  tout  ce  qui  fait 
besoin  pour  la  provision  de  la  maison,  aussi  estoit 
il  besoin  qu'elle  l'armast  de  cheveux  au  menton 
pour  se  garentir  des  incommoditez  du  ciel  qui 
eussent  peu  l'offenser.  Or,  que  la  barbe  soit  fort 
propre  pour  nous  tenir  nos  joues  à  couvert,  cela 
ne  doit  estre  preuve,  l'espreuve  en  est  ordinaire. 


35 


274  DES    BARBES. 

—  Pour  vostre  honneur,  Seigneur  Camille,  va 
dire  Alphonse,  vous  ne  deviez  adjouster  ce  der- 
nier article,  car  qui  voudroit  on  le  vous  revire- 
roit  bien  rude  contre  vous.  De  fait,  quand  il  fait 
bien  froid,  qu'il  gelé  en  roide  bosse  et  à  pierre 
fendant,  vous  me  verrez  ces  grandes  barbes  et 
moustaches  toutes  gelées,  et  y  pendre  de  gros 
glaçons;  les  femmes  ou  ceux  qui  ne  sontembar- 
bez  ne  portent  point  de  telles  chandeles.  Mer- 
veilles, que  vous  avez  oublié  à  ramentevoir  que 
les  longues  barbes  servent  de  baverettes,  de  peur 
qu'on  ne  sallisse  sa  chemise  ou  ses  habits  en  hu- 
mant le  potage,  brouant  des  pois  au  lard  cum 
commento,  mangeant  des  œufs  ou  autrement. 
Prenez  moy  ces  grands  barbans  à  l'issue  de  leur 
repas,  vous  trouverez  leur  barbasse  chargée  de 
graisse  autant  qu'il  en  faudroit  pour  graisser 
quinze  douzaines  de  charrettes.  Les  plus  honestes 
les  torchent  etessuyent,  mais  je  me  recommande 
aux  serviettes  ;  et  haye  garson  ! 

—  Sera  ce  jamais  fait?  vay  je  dire.  Laissez  moy 
ces  barbes,  car  aussi  bien  n'estes  vous  pas  bons 
barbiers.  Il  est  bon  et  bien  séant  de  les  porter, 
et  aussi  en  temps  et  lieu,  selon  la  qualité  des  per- 
sonnes, de  les  abbatre.  Ce  n'est  point  donc  bien 
arguer  de  dire,  parce  qu'il  y  a  du  mes-us,  qu'il 
faille  les  raser  ou  user  de  dépilatoire,  ny  aussi  de 
nous  vouloir  forcer  à  les  nourrir  et  attifier.  Un 


DES     BARBES.  275 

chascun  a  la  bride  sur  le  col,  moyennant  qu'il  ne 
vienne  à  ce  mesprendre  :  il  fait  bon  sortir  du  lo- 
gis pieds  ferrez  et  barbe  rase.  C'est  aussi  une 
chose  fort  honorable  qu'une  belle  et  longue 
barbe.  Qu'ainsi  soit,  le  pape  Pie  II,  au  quatriesme 
livre  des  mémoires  des  exploits  du  roy  Alphonse, 
nous  apprend  que  Vitold,  duc  de  Lituanie,  quel- 
quesfois  vouloit  porter  la  barbe  longue,  et  que 
d'autres  fois  il  l'abbatoit ,  à  celle  fin  que  par  ce 
moyen  il  peut  estre  discerné  d'avec  ses  sujets. 
Joint  qu'il  fait  bon  se  garentirdes  curieuses  scru- 
pulositez  de  ceux  qui  ont  disputé  à  quel  jour  il 
se  falloit  la  faire  raser,  ou  au  jeudy  ou  au  mardy, 
desquels  vous  aurez  le  plaisir  sur  la  fin  des  oeuvres 
d'Ausone,  poète  bourdelois.  » 


i 


APRESDISNÉE   VII. 


DES  VIEILLARDS  ET  DES  JEUNES  ENFANS. 


S'ils  peuvent  engendrer. 


E  seigneur  Pandolphe  eut  grand  mar- 

^Ç:^ché  de  ceste  après -disnée,  pour  la 

survenue  de  quelques  estrangers  qui 

nous  empescherent  prés  de  trois  heu- 


res :  de  sorte  que  il  s'en  fallut  bien  peu  que  la 
partie  ne  fut  remise  au  lendemain.  Toutesfois  la 
compagnie  advisa  qu'il  valloit  mieux  avoir  peu 
que  rien  ;  si  fut  prié  Pandolphe  de  trancher  court, 
eu  esgard  au  peu  de  temps  qui  restoit.  Ce  qu'il 
fit  et  commença  la  dispute,  prenant  son  thème 
sur  l'impuissance  qu'on  dit  qu'il  y  a  aux  vieillards 
et  aux  jeunes  de  pouvoir  engendrer,  laquelle  il 
maintenoit  fort  à  cors  et  à  cry  :  se  fondoit  sur  ce 
que  les  uns,  pour  estre  recrus,  las  et  alouvis,  les 
autres,  pour  estre  trop  foibles  et  n'avoir  encores 


278  DES    VIEILLARDS 

la  force,  estoient  retenus  de  pouvoir  engendrer. 
Le  bon  homme  de  Megadore  voulut  tenir  le 
party  contraire,  et  monstra  bien  qu'il  en  avoit  plus 
laissé  courir  que  Pandolphe  n'en  prendroit  de  dix 
ans.  «  Pian  piano  (va  il  dire),  ne  vous  eschauffez 
point  si  fort  en  vostre  harnois,  ne  vous  sçauroit 
on  abbatre  un  peu  vostre  eau  ?  Parlons  première- 
ment des  vieillards;  après  nous  pourmenerons  les 
enfans.  Vous  ditas  que  nous  autres  bonnes  gens 
avons  nos  outils  tous  cassez,  flaques  et  brisez. 
Corps  non  bieu  de  bois,  je  ne  sçay  ce  que  les 
autres  ont;  vous  me  voyez  tout  gris,  si  ne  suis  je 
point  si  abbattu  que  vous  pourriez  bien  penser  : 
je  suis  de  la  nature  des  poireaux,  j'ay  la  teste 
blanche  et  la  queue  verte.  Que  s'il  estoit  besoin 
de  faire  une  chevauchée,  jô  ne  me  feindroie  point 
de  deux,  trois,  ny  quatre  secousses.  Il  n'y  a  chasse 
que  de  vieux  chiens.  Vous  estes  encores  au  prin- 
temps de  vostre  aage,  mais,  tout  vieillard  que  je 
suis,  si  je  vous  avoie  monté  sur  le  colet,  je  vous 
feroie  trembler  l'ame  au  corps. 

—  S'il  ne  tient  qu'à  dire,  mon  bon  père,  res~ 
pond  Pandolphe,  je  vous  donne  gaigné  (par  la 
virginité  de  ma  braguette).  A  l'effet  gardez  qu'il 
n'y  eut  du  mesconte. 

—  Seigneur  Pandolphe,  va  dire  le  S'*  Horace, 
je  ne  veux  pas  faire  bon  pour  le  S""  Megadore  ;  je 
ne  sçay  de  quel  bois  il  se  chauffe  et  quel  cavalca- 


ET     DES     JEUNES      ENFANS.  279 

dour  il  est;  il  a  bien  la  mine  de  ne  vouloir  pas 
encores  poser  les  armes  bas  ;  si  sçay  je  qu'il  y  en  a 
d'aussi  vieux  queluy  qui  vous  saccadent  en  bour- 
riquet  et  ne  s'espargnent  non  plus  que  fait  un 
Limousin  à  manger  des  raves.  Vous  cognoissez 
ce  vieil  peteur  de  Constantin  :  s'il  ne  secoûoit  le 
pochet  sa  couple  de  fois,  il  s'en  confesseroit.  Je 
l'en  ay  autresfois  voulu  reprendre,  et  prier  qu'il 
me  chassa  ceste  gaupe  de  Geneviefve.  «  Que 
ferez-vous?  dit  il,  aussi  bien  m'en  faut  il  une  ;  les 
médecins  m'ont  ordonné  d'en  avoir  une  pour  une 
descharge  de  reins.  »  Ce  n'est  point  chose  nou- 
velle que  les  vieillards  ayment  à  fringuer,  vous  en 
avez  un  texte  exprés  en  la  glosse  in  C.  nuptiarum, 
in  verbo  in  quibusdam  27,  q.  i,  et  en  la  glosse 
in  C.  2,  ex.  de  frigid.  et  malef. 

N'avez  vous  point  ouy  parler  de  Masinissa,  roy 
de  Numidie,  qui,  estant  chargé  de  quatre  vingts 
six  ans,  se  treuva  père  ;  de  Caton,  qui,  ayant  sur 
sa  teste  quatre  vingts  ans  passez,  fut  père  de  ce 
Caton  qui  fut  ayeul  de  celuy  d'Utique;  et  de 
Vladislas,  roy  de  Pologne,  qui,  à  quatre  vingts 
dix  ans,  eut  deux  fils,  asçavoir,  Vladislas  et  Ca- 
simir? 

—  Mais  tous  ne  sont  pas  ou  Masinissa,  Caton 
et  Vladislas,  répliqua  Pandolphe,  ou  n'ont  le  feu 
en  leurs  chausses,  ainsi  qu'a  le  seigneur  Mega- 
dore.   Ce  sont  accidens  extraordinaires  et  qui 


28o  DES    VIEILLARDS 

n'adviennent  pas  tous  les  jours;  d'ordinaire  Tes- 
guillette  est  nouée,  on  ne  peut  plus  bander  lors 
qu'on  est  affaissé  de  vieillesse.  Quand  la  neige 
est  sur  le  mont,  on  ne  peut  attendre  que  le  froid 
aux  vallées  :  les  cordes  de  l'arc  sont  si  molles 
qu'on  ne  le  peut  bander  :  il  n'y  a  plus  d'ancre  au 
cornet;  que  s'il  y  en  a,  c'est  si  peu  que  la  besoi- 
gne  est  affamée;  et,  qui  pis  est,  la  liqueur  est  du 
tout  mal  propre  aux  impressions  generatives.  Ce 
ne  sont  que  eaux  pures  et  claires,  qui  n'ont  aucune 
solidité,  parce  que  l'humeur  des  vieillards  ne  peut 
estre  bien  cuite  et  espessie.  C'est  la  raison  que 
donnent  ce  fidèle  secrétaire  de  Nature,  Aristote, 
U.  I  de  générât,  animal.,  cap.  17,  et  Galen,  au 
commancement  du  second  livre  des  Moyens  d'en- 
tretenir sa  santé;  Albert  le  Grand,  lib.  de  animal. 
5,  tra.  2,  ca.  i,  et  lib.  10,  tract.  2,  c.  i.  Pource, 
la  vieillesse  est  appellée  par  Virgile  effœta. 

—  Ce  sont  bayes,  va  dire  le  S^  Horace  ;  l'ex- 
périence nous  confirme  la  vérité  du  proverbe 
commun,  que  tant  qu'un  homme  peut  faire  perdre 
terre  à  un  boisseau  de  bled,  qu'il  peut  engendrer. 
J'ajousteray  que  tant  qu'un  homme  peut  faire  ses 
dévotions  à  saint  Guigne-fort,  se  remuer  et  s^em- 
bruer,  qu'il  peut  engendrer.  Vous  en  avez  l'es- 
preuve  toute  apparente  au  bon  homme  qui  de- 
moure  en  vostre  ville  de  Bourges,  devant  le  Bœuf 
couronné:  il  n'a  point  seulement  les  forces  abattues 


ET     DES     JEUNES     ENFANS.  281 

et  exténuées  par  l'aage,  mais  tellement  percluses 
par  je  ne  sçay  quelles  maladies  que,  quant  il  auroit 
le  feu  sous  la  queue,  lors  qu'il  est  assis,  il  brusle- 
roit  plustost  que  pouvoir  se  remuer;  je  Tay  veu 
maintesfois  et  en  ay  eu  le  plaisir.  Neantmoins 
vous  sçavez  que,  tout  vieillard  et  paralitique  qu'il 
est,  il  a  eu  trois  beaux  enfans  de  sa  Breloque,  qui 
est  une  jeune  femme,  laide  au  reste  comme  tous 
les  diables,  qui  luy  a  esté  donnée  pour  lui  sub- 
venir à  toutes  ses  nécessitez,  le  lever^  le  coucher, 
l'habiller  et  le  couvrir  lors  qu'il  est  dans  le  lit, 
faut  que  ce  soit  sur  les  reins  tousjours,  et  toutesfois 
il  engendre  :  qu'est  cela  ? 

—  La  response  n'est  pas  si  mal  aisée  qu'il  vous 
pourroit  bien  sembler,  respond  Pandolphe  :  que 
ceste  drolesse  de  Breloque  peut  se  faire  piquer 
par  quelques  jeunes  et  roides  cavalcadours,  puis 
faire  acroire  le  tout  à  ce  bon  père.  Car,  quoy  qu'il 
die  et  qu'il  advoue  luy  avoir  frotté  son  lard,  je  ne 
me  sçauroye  persuader  qu'il  ait  de  la  vigueur 
assez  pour  procréer. 

—  Si  vous  continuez.  Seigneur  Horace,  je  n'au- 
ray  pas  beaucoup  d'affaires  ceste  apres-disnée,  va 
dire  le  S^  Megadore;  voila  la  moitié  de  nostre 
discours  que  vous  avez  bien  examiné,  et  monstre 
à  Pandolphe  que  les  vieillards  sont  encores  bons 
courtaux,  ou  au  besoin  chevaux  de  service,  qu'ils 
ne   sont  point  si  recrus  qu'on  les  imagine.  Je 

36 


282  DES    VIEILLARDS 

VOUS  en  ay  une  obligation  et  vous  en  remercie. 
Maintenant  je  m'en  vay  voir  nos  petits  enfans. 
S'ils  dorment,  il  faut  que  je  les  resveille  pour  les 
faire  voir  au  S^  Pandolphe,  qui  leur  veut  faire 
entendre  qu'ils  sont  de  mesmes  ineptes  à  la  gé- 
nération. Ça  donques,  Pandolphe  mon  amy,puis 
que  les  vieillards  ont  eu  leur  venue  assez  pour 
ceste  secousse,  tenez,  on  vous  présente  les  jeunes 
enfans,  lesquels  je  maintiens  pouvoir  engendrer. 
L'expérience  nous  en  fera  sages,  qui  nous  est  tes- 
moignéepar  des  gens  d'honneur  et  dignes  defoy. 
Alberic  de  la  Rose  en  sa  Table,  au  mot  ma- 
trimonium,  rapporte  qu'une  fille  a  enfanté  à  neuf 
ans,  et  Grégoire  le  Grand  a  escrit  en  son  Dialo- 
gue qu'un  enfant  de  neuf  ans  avoit  engrossé  sa 
mère  nourrice,  comme  remarque  la  glose  in  summa 
2X)yquœst.  i,  etihiArchid.  Hostren.,  et  Jean  André, 
in  cap.  fin.  de  eo  qui  cog.  consan.  ux.  Panorm., 
et  d'autres,  in  cap.  i  de  delict.  puero.;  Alex,  et 
Jason,  m  /.  pupillari  ff.  de  vulgari;  Bart.,  in  tract, 
differ.  juris  canonici  et  civilis ;  Angel.,  cons.  253, 
visis  statutis  ante  finem;  Petr.  Auch.,  in  c.  si pater, 
col.  7  ver.,  in  matrimoniis  détesta.;  lih.  6,  Domi, 
cons.  24,  quia  difficile,  col.  3. 

Mais  parce  que  toutes  ces  cottations  sont  un  peu 
mal-aisées  à  vérifier  pour  le  présent,  je  vay  vous 
faire  parler  à  S.  Hierosme,  qui  en  sa  missive  à 
Vitalis  vous  apprendra  qu'une  nourrice  enchargea 


ET    DES    JEUNES     ENFANS.  283 

de  l'accointance  qu'elle  eut  avec  son  nourriçon 
aagé  de  dix  ans.  «  Le  Seigneur  (dit-il)  me  soit  à 
tesmoin  si  je  mens.  Une  certaine  femme  nourris- 
soit  un  pauvre  enfant  trouvé,  le  traittoit,  entrete- 
noit,  et  luy  faisoit  devoir  de  nourrisse.  Ce  petit 
garçonnet  couchoit  avec  elle,  lequel  avoit  desjà 
attaint  sa  dixiesme  année  :  advint  qu'elle  prit  du 
vin  plus  que  son  honesteté  ne  luy  permettoit,  et 
qu'estant  eschauffée  de  paillarder  par  des  remue- 
mens  sales  et  deshonestes,  elle  provoqua  cest 
enfant  au  coit.  Les  autres  nuits,  comme  elle  con- 
tinua à  s'enyvrer,  aussi  elle  prit  son  accointance 
comme  à  la  première;  deux  mois  ne  passèrent 
point  que  le  ventre  commença  à  luy  enfler.  » 

Il  y  a  plus,  que  le  mesmes  docteur  en  ceste  epistre 
monstre  oculairement,  par  le  calcul  et  la  suppu- 
tation des  années,  que  Salomon  à  l'aage  de  dix  ou 
onze  ans  eut  son  fils  Roboam,  tout  ainsi  qu'à 
mesmes  aage  Achas  eut  le  roy  Ezechias.  Ce  qui 
est  pareillement  remarqué  par  le  docteur  Jean 
Andred.  ca.  ult.  de  eo  qui  rog.  cons.,  où  Host. 
escrit  le  mesmes  estre  advenu  à  un  jeune  enfant 
au  chasteau  de  S.  Michel,  qui  est  au  diocèse  de 
Siscare.Celafait  quejenetreuvepoint  estrange  ce 
que  Pline  recite  au  septième  livre,  chap.  2,  au 
rapport  de  Clitarque  et  Megasthenes,  qu'auprès 
des  Macrobiens  les  femmes  des  Mandres,  qui  ne 
vivent  que  de  sauterelles,  ne  portent  qu'une  fois 


284  DES    VIEILLARDS 

leur  vie  lignée,  et  ce  à  sept  ans  précisément,  et 
que  les  femmes  entre  les  Calinges,  peuples  d'In- 
die,  conçoivent  à  cinq  ans  :  qui  est  bien  avancer 
le  temps,  et  presser  les  vingt  et  un  ans  qui  sont 
requis  à  vostre  aage  de  perfection, selon  Aristote. 
—  Ce  sont  cas  extraordinaires,  répliqua  Pan- 
dolphe,  et  desquels,  comme  j'ay  dit  ci  dessus,  on 
ne  doit  faire  estât  pour  en  establir  une  reigle.  Au 
contraire,  ce  grand  naturaliste  Aristote  nous  en- 
seigne, au  cinquiesme  livre  de  la  Nature  des  ani- 
maux, chap.  quatorziesme,  que  l'homme  ne  com- 
mence à  porter  semence  que  sur  les  quatorze  ans, 
et  si  encores  il  n'est  pas  propre  pour  engendrer, 
d'autant  que  la  semence  n'est  du  premier  coup 
disposée  à  la  génération,  il  faut  encores  attendre 
sept  ans,  qui  est  autant  à  dire  qu'il  faut  avoir  vingt 
et  un  an  sur  sa  teste  pour  pouvoir  estre  père. 

Or  ce  qui  retarde  l'enfant  si  long  temps  est  fort 
aisé  à  descouvrir  par  les  principes  de  la  philoso- 
phie naturelle,  qui  nous  apprend  que  trois  con- 
ditions sont  requises  aux  animaux,  affin  qu'ils 
puissent  engendrer  leur  semblable.  La  première, 
qu'ils  soient  parfaits,  c'est  à  dire  qu'ils  soient 
parvenus  à  la  grandeur,  grosseur  et  qualité  qu'ils 
doivent  avoir.  La  seconde,  qu'ils  ayent  tous  leurs 
membres  sains  et  entiers.  La  troisiesme,  qu'ils  ne 
soient  engendrez  de  pourriture  et  putréfaction. 
Par  la  seconde,  les  chastrez  et  vieillards  sont  tirez 


ET     DES     JEUNES     ENFANS.  285 

hors  le  registre  des  pères.  La  première  regarde 
droit  aux  enfans,  lesquels,  comme  ils  ont  à  crois- 
tre,  ne  peuvent  aussi  engendrer,  parce  que  nature 
employé  la  nourriture  qu'ils  prennent,  tant  en 
leur  nourriture  qu'en  l'accroist  de  leurs  parties 
corporelles.  Et  ainsi  vous  voyez  que  la  génération 
ne  se  fait  que  de  la  nourriture  superflue. 

—  Posez  le  cas  que  ce  que  vous  dites  soit  vray, 
réplique  le  S'"  Megadore,  si  n'estes  vous  pas  où 
vous  pensez.  Car,  si  ainsi  est,  je  vous  demande 
pourquoy  est  ce  que  plusieurs  de  ceux  qui  ont 
passé  les  trente  ans,  et  qui  ont  tout  l'accroisse- 
ment qu'ils  pourroientattendre,  ne  peuvent  engen- 
drer :  ou  il  faudra  que  nature  se  treuve  marâtre 
en  leur  endroit  et  qu'elle  leur  envie  leur  perpé- 
tuité, ou  que  vostre  maxime  soit  fausse,  attendu 
que  cest  aliment  de  surcroist  que  vous  présuppo- 
sez n'est  employé  après  leur  perfection  à  la  géné- 
ration. Je  ne  vous  ay  point  voulu  ramentevoir  ce 
que  desja  nous  avons  débattu  touchant  les  en- 
fans  ,  qui  anticipent  bravement  sur  vostre  aage 
de  perfection,  comme  je  prevoyoie  bien  que  me 
payeriez  de  la  raison  accoustumée,  que  nature  fait 
vertu  en  eux  extraordinairement. 

—  Le  mesmes  vous  peut  estre  repondu.  Sei- 
gneur Megadore,  vay  je  dire,  pour  l'autre  chef  : 
vous  seriez,  ce  croy  je,  de  ceux  qui  voudroient 
nécessiter  la  puissance  divine,  et  l'assujettir  aux 


286    DES     VIEILLARDS    ET    DES    JEUNES    ENFANS. 

proprietez  des  causes  secondes  et  inférieures. 
N'avez  vous  point  appris  du  Psalmiste  royal  Da- 
vid, au  Psalme  J27,  que: 

quand  l'homme  peut  avoir 

Pour  héritier  quelque  enfant  sien, 
C'est  de  Dieu  que  luy  vient  ce  bien  : 
C'est  Dieu  qui  luy  fait  recevoir 
Par  sa  grand'  libéralité, 
Le  guerdon  de  postérité. 

Comme  donc  Dieu  peut  oster  la  force  au  pain, 
vin  et  viandes  de  nous  nourrir,  sustenter  et  ali- 
menter, aussi  n'est  il  messeant  de  croire  qu'il 
puisse  disposer  des  humeurs  de  nostre  corps 
outre  le  naturel  de  celuy  d'un  autre.  Vous  voyez 
que  le  soleil  peut  amollir  la  cire  et  endurcir  la 
boue.  )) 


i 


1 


APRESDISNÉE   VIII. 

DES  PROGNOSTICS  ET  PREDICTIONS 
ASTROLOGIQUES. 


E  rang  du  S^'  Alphonse  du  Plantain 
vint  à  ceste  apres-disnée ,  pour  en- 
tamer la  dispute  et  conférence ,  la- 


^7;^ quelle,  ainsi  que  vous  entendrez,  il 


nous  fit  employer  après  ses  prognostications,  où 
plusieurs  de  la  compaignie  prirent  assez  grand 
plaisir,  sur  tout  le  S^"  Galeas  Gamarin,  qui  regre- 
toit  fort  qu'il  ne  pouvoit  estre  en  la  place  de 
messer  Nicolas  Pastorelli.  Toutesfois,  sans  qu'il 
prit  la  peine  de  s'eschauffer  à  ergoter,  il  trouva 
que  la  question  fut  vuidée  tout  au  contraire  de 
son  advis,  et  que  l'on  luy  leva  bragardement  l'er- 
reur de  ses  prédictions.  Voicy  donc  le  seigneur 
Alphonse  qui,  pour  ne  perdre  la  commodité 
qui  luy  estoit  acquise,  commença  à  célébrer  l'as- 


288  DES    PROGNOSTICS 

trologie  prognostique  ou  judiciaire,  et  remons- 
trer  qu'entre  toutes  les  parties  de  l'astrologie, 
c'estoit  la  plus  digne,  la  plus  excellente,  la  plus 
à  priser,  la  plus  proffitable  et  la  plus  nécessaire. 
Qu'à  ceste  occasion,  ceux  qui  avoient  le  bruit 
d'estre  les  mieux  habillez  d^entendement  entre 
les  plus  sçavans  s'estoient  adonnez  à  une  si  di- 
vine science. 

«  Voila  donc  les  prédictions  Nostradamiques, 
Seigneur  Alphonse,  qui  sont  confirmées  et  au- 
thorisées  par  vostre  consentement,  vous  en  estes 
d'avis;  mais  vous  ne  dites  pas,  va  dire  messer 
Nicolas,  que  je  m'y  oppose,  et  qu'il  y  a  une 
bonne  troupped'honestes  hommes,  lesquels  vous 
n'oseriez  regarder  entre  les  deux  yeux  pour  leur 
jetter  contre  quelque  reproche,  qui  se  ligueront 
à  mon  opposition.  Je  suis  fondé  en  arrests,  en 
ordonnances,  en  statuts,  en  conciles,  et  en  l'au- 
thorité  des  docteurs  chrestiens,  qui  ont  tous  dé- 
testé ces  belles  fadaises  deprognostiquerie.  Vou- 
lez vous  aller  contre?  gardez  le  fagot. 

—  Hé!  Seigneur  Pastorelli,  ne  soyez  point  si 
rude  à  pauvres  gens,  va  dire  le  docteur  Rombe- 
det.  Il  n'est  pas  véritablement  permis  de  contre- 
roler  au  parsus  ce  qui  a  esté  déterminé  par  tant 
de  braves  hommes  que  sont  ceux  qui  ont  donné 
leur  jugement  sur  nos  jugemens  prognostiques; 
mais,  entre  nous,  on  ne  doit  prendre  les  matières 


ET     PREDICTIONS    ASTROLOGIQUES.      289 

si  rie  à  rie.  Laissez  poursuivre  le  S^  Alphonse, 
sans  le  battre  des  arrests  et  conciles  :  vous  rom- 
priez autrement  du  premier  coup  l'anguille  au 
genoil.  Ce  n'est  point  icy  un  article  de  foy,  au- 
moins  contenu,  que  j'estime,  au  symbole  des 
apostres. 

—  Esconduirez  vous,  Seigneur  Pastorelli,  la 
compaignie  d'une  si  équitable  requeste?  va  dire 
le  S''  Alphonse.  Je  vous  tiens  si  honeste  homme 
que  ne  nous  en  ferez  refus,  et  pource  je  passeray 
avant.  Et  parce  que  j'ay  affaire  à  un  homme  le- 
quel, a  ce  que  je  vois^  ne  se  mouche  pas  du  pied, 
je  veux  philosopher  méthodiquement  avec  vous. 
Premièrement,  il  faut  que,  pour  establir  le  fon- 
dement de  nostre  astrologie,  je  vous  monstre  que 
ce  monde  est  reiglé  et  gouverné  par  les  influences 
célestes.  En  après,  que  nos  jugemens  astrolo- 
giques nous  sont  fort  nécessaires,  et  comme  tels 
sont  receus  et  pratiquez  tant  par  les  médecins, 
politiques  que  mariniers. 

Les  philosophes  naturalistes  tiennent  que  le 
Ciel  nous  départit  ses  vertus  et  liberalitez  par  ces 
deux  moyens  :  asçavoir  par  la  lumière  et  par 
l'influence.  Pour  la  lumière  et  chaleur,  j'estime, 
Seigneur  Pastorelli,  que  vous  ne  me  mettrez  en 
peine  de  le  prouver  :  autrement  je  diroie  que,  ou 
vous  n'avez  point  d'yeux,  ou,  si  en  avez,  que  ce 
sont  yeux  d'hibous,  qui  ne  virent  onques  la  clarté 

37 


290  DES    PROGNOSTICS 

qui  nous  est  rayonnée  par  le  soleil,  ou  finalement 
qu'avez  toujours  eu  le  nés  dans  une  bouteille. 
Voire  quand  dés  le  jour  de  vostre  naissance  au- 
riez esté  aveugle,  encores  auriez  vous  senty  quel- 
que chose  des  rayons  solaires  :  ne  vous  estes  vous 
jamais  chauffé  aux  despens  de  Dieu,  sans  bois  et 
sans  feu  ?  Le  pain  et  le  vin  qui  vous  a  esté  donné 
pour  nourriture  ne  croist  pas  dans  le  four  et  dans 
la  cave  :  il  faut  que  le  soleil  ait  passé  par  dessus. 
Je  laisse  pour  le  présent  la  génération  naturelle 
des  plantes  et  des  animaux,  tant  j'ay  envie  de  me 
haster  à  la  fin  de  ce  discours;  et  aussi  que  je  vois 
que  nous  tombons  d'accord  que  la  lumière  et 
chaleur  céleste  vivifie,  nourrit  et  modère  la  plus- 
part  de  ce  qui  est  sous-lunaire.  Ne  me  reste  que 
l'influence,  laquelle  n'est  autre  chose  qu'une  cer- 
taine force  cachée  qui  nous  produit  des  effects 
desquels  nous  jouissons  véritablement,  mais 
nostre  main  est  si  grossière  qu'elle  ne  peut  y  tou- 
cher. Or,  que  ces  effets  merveilleux  dépendent  et 
procèdent  d'autre  que  de  la  lumière,  je  m'en  vay 
vous  le  faire  si  manifeste  que  les  plus  lourds  et 
pesans  pourront  y  mordre.  Premièrement,  on  de- 
meure d'accord  que  la  lumière  ne  peut  estre  re- 
ceue  et  apparoir  que  dans  les  corps  transparens 
et  diaphanes.  L'influence  passe  bien  plus  outre  et 
creuse  plus  profondement  les  entrailles  de  Na- 
ture :  les  corps  ont  beau  estre  opaques,  obscurs 


ET    PREDICTIONS    ASTR  O  LOGIQ^U  ES.     291 

et  espais,  elle  les  vous  transperce.  Direz  vous  que 
la  lumière  procrée  les  métaux,  pierres  et  miné- 
raux que  la  terre  nous  enfante  en  ses  entrailles  ? 
La  lumière  du  soleil  ne  peut  pénétrer  jusques  au 
creux  de  la  terre,  pour  luy  faire  porter  le  marbre, 
la  geyette,  l'ardoise,  le  sel  Oromenois  (duquel 
parle  Pline  au  7  chap.  du  3i  livre  de  son  Histoire 
naturelle)  et  Arragonnois  (remarqué  tant  par  le 
mesmes,  au  trenteseptiesme  livre,  chap.  sept,  que 
par  Lucius  Marineus,  au  premier  livre  des  Singu- 
laritez  d'Espaigne),  l'argent  vif,  le  vermeillon, 
le  cuivre,  l'arsenic,  l'or,  le  plomb,  l'antimoine, 
l'airain,  l'argent,  le  verd  de  terre,  le  fer,  l'estain, 
le  crystal,  l'agathe,  l'amethiste,  le  diamant,  l'o- 
pale, la  cassidoine,  la  sardoine,  l'emeraude ,  le 
topase  et  le  carboucle.  Ne  faudra  il  pas  que  vous 
ayez  recours  à  l'influence  céleste  pour  sauver  la 
vérité  des  vertus  et  proprietez  miraculeuses  de 
l'aymant,  duquel  voicy  que  nous  chante  le  docte 
du  Bartas  au  troisiesme  jour  de  sa  Semaine  : 

Mais  tairaj  je  l'aymant  dont  l'ame  morte-vive 
De  raison  ma  raison  par  ses  merveilles  prive  ? 
L'honneur  magnésien ,  la  pierre  qui,  s'armant 
D'un  attrait  sans  attrait,  d'un  mousse  accrochement 
D'aveugles  hameçons,  de  crochets  insensibles, 
Des  cordeaux  incogneus  et  de  mains  invisibles, 
L'esloigné  fer  attire,  et  ne  peut  appaiser 
Son  convoiteux  désir  qu'il  n'en  ait  un  baiser, 
Ains  un  embrassement,  qui  d'un  fascheux  divorce , 


292  DES     PROGNOSTICS 

Loyal,  ne  sent  jamais  la  despiteuse  force, 

S'il  n'est  par  nous  desjoint  :  tant  et  tant  ardemment 

L'aimant  aime  le  fer,  le  fer  aime  l'aimant; 

Et,  bien  qu'un  entre-deux  leur  serve  de  barrière, 

Ils  n'estaignent  le  feu  de  leur  chaleur  première. 

Ains  vis  à  vis  de  l'un  l'autre  saute  tout  jour, 

Tesmoignant  pour  le  moins  par  signes  son  amour. 

Mais,  bon  Dieu  !  qui  pourroit  comprendre  en  quelle  sorte 

Un  aneau,  emporté  d'un  peu  d'aimant,  emporte 

Un  autre  aneau  de  fer,  et  que  cestuy,  ravj, 

Ravisse  un  tiers,  le  tiers  un  quatriesme,  suivy 

D'un  cinquième  chaînon?  Quelle  vertu  si  grande 

Fait  que  sans  s'accrocher  l'un  de  l'autre  despende? 

Qu'ils  soient  nouez  sans  nœud,  liez  sans  liaison, 

Et  sans  colle  collez,  dementans  la  raison, 

Qui  tient  pour  résolu  que  la  chose  pesante 

Ne  peut,  en  l'air  pendue,  éviter  la  descente? 

—  Pour  un  habile  homme,  respond  messer 
Nicolas,  vous  estes  fort  empesché,  Seigneur 
Alphonse,  et  pensez,  queje  crois,  avoir  desja  des- 
coulé et  alambiqué  vostre  influence  céleste  dans 
la  cervelle  de  tous  ceux  qui  vous  escoutent.  Je 
vous  voudroye  dire  en  un  mot  qu'au  lieu  d'atta- 
cher au  ciel  ces  merveilleuz  secrets  que  vous  avez 
tres-doctement  cotte,  je  vous  conseilleroie  de 
laisser  le  monde  comme  il  est,  et,  puis  que  c'est 
la  terre  qui  nous  desploye  ses  trésors,  que  vous 
ne  soiez  si  ingrat  de  les  vouloir  defouir  pour  les 
attribuer  à  tel  qui,  ny  près  ny  loin,  n'y  prétend  ■ 

rien.  Si  j'avoye  tiré  du  fond  de  mes  coffres  quelque  1 

précieuse  bague,  ne  vous  diroit  on  pas  mesco-  * 


ET    PREDICTIONS    ASTROLOGIQUES.      298 

gnoissant  si  vous  en  alliez  sçavoir  gré  au  Roy, 
lequel,  quoy  qu'il  soit  grand  seigneur,  ne  vous 
auroit  point  honoré  de  tel  présent  ainsi  que  j'au- 
roie  fait  ? 

—  Et  vous  en  estes  encores  là,  Seigneur  Pas- 
torelli,  répliqua  le  S^  Alphonse,  de  nous  vou- 
loir amuser  après  les  tripailles?  Cela  sent  son 
buson  à  pleine  gorge  et  est  lourd  comme  un 
pasté  de  chevilles.  Seriez  vous  bien  si  grue  que 
de  croire  que  la  terre  puisse  engendrer  de  soy 
mesmes  ces  siennes  créatures  que  vous  avez  fort 
bien  particularisé,  puis  que  c'est  tout  si,  avec 
l'aide  du  soleil,  elle  peut  enfanter  les  fruicts  nour- 
rissiers  de  nostre  vie  ?  Le  mesmes  seigneur  du 
Bartas,  au  quatriesme  jour  de  sa  Semaine,  vous 
coupe  la  gorge  :  car,  parlant  des  beaux  effets  du 
soleil  alendroit  de  la  terre,  voicy  qu'il  dit  : 

.   .   .  Ton  ardeur,  qui  pénètre  subtile 
La  solide  espaisseur  de  la  terre  fertile,  # 

Qui  va  dans  ses  roignons  le  mercure  cuisant 
Qui  change  un  pasle  soulphre  en  un  métal  luisant. 

J'avoie  envie  de  tirer  icy  hors  ligne  les  terres 
Scellée,  Melienne,  de  Chio,  l'Erythrienne,  de 
Bloys,  et  plusieurs  autres  miraculeuses  singula- 
ritez,  si  je  ne  craignois  que  me  voulussiez  r'en- 
tomber  dans  la  terre;  je  vous  vay  remener  chez 
vous,  au  ciel  et  en  la  mer.  Vous  sçavez  que  la 


294  ^^S     PROGNOSTICS 

mer  s'enfle  et  se  diminue  par  l'accroist  et  descroist 
de  la  lune,  laquelle  à  ceste  occasion  a  esté  nom- 
mée royne  de  la  mer.  Ah!  vous  vous  garderez 
bien  de  dire  que  ce  flux  et  reflux  obéisse  à  la 
lumière  et  chaleur  du  soleil  ;  l'expérience  contraire 
vous  donneroit  trop  roide  sur  le  nés.  Pourquoy 
est  ce  que  du  temps  du  croissant  de  ceste  nuptiere 
mère  des  mois  la  mouelle  croist  es  os  des  ani- 
maux, le  sang  dans  les  veines,  la  sève  dans  les 
plantes,  et  la  chair  de  nos  huitres  perlées? 

Le  soleil  n'a  pas  moins  de  vertu  et  propriété  se- 
crète sur  nous,  laquelle  toutesfois  nous  ne  reco- 
gnoissons  point  si  aisément  que  celle  de  sa  sœur 
Phœbe,  parce  que  sa  brillante  clarté  nous  esblouit, 
et  que  l'incroyable  infinité  de  ses  liberalitez  fait, 
ou  que  nous  tombons  en  mesconte,  ou  que,  mes- 
cognoissans  et  ingrats,  nous  ne  prisons,  en  la 
grand'  affiuence  qu'il  fait  découler  sur  nous,  ses 
grâces  et  munificences  ;  mais,  dés  qu'il  vient  à  nous 
tourner  le  dos,  se  destourner  de  nostre  veuë,  nous 
priver  de  ses  rayons  et  éclipser  nostre  vie  tant  de  sa 
lumière  que  de  sa  chaleur,  c'est  alors  que  nous  re- 
venons à  nostre  devoir,  que  nous  recognoissons 
les  grands  biens  que  son  influence  nous  eslargit. 
Pour  éviter  prolixité,  je  couleray  la  preuve,  qui  est 
avancéepar  Proclus  et  ramenteuë  par  Pierre  Crinit, 
liv.  2  4  de  VHoneste  Discipline,  tendant  à  ce  qu'il  véri- 
fie l'influence  céleste,  pourautant  que  les  animaux, 


ET     PREDICTIONS    A  S  T  RO  LO  GI  QJU  E  S.     295 

les  pierres  et  plantes  symbolisent  avec  le  soleil  et 
la  lune  :  vous  pourrez  voir  ce  qui  en  est  là  touché. 
Je  pourroie  de  mesmes  icy  mettre  en  liste  les 
quatre  saisons  de  l'année,  ce  qu'il  y  a  à  redire  entre 
le  frilleux  hyver,  et  le  printemps,  et  l'esté,  et 
l'automne,  mais  ce  sont  choses  qui  nous  sont  si 
communes  et  familières  que  nous  ne  daignerions 
nous  y  amuser.  Prenons  les  éclipses  des  deux 
grands  luminaires;  puis  que  l'expérience  a  fait 
confesser  aux  plus  difficiles  à  estre  persuadez 
qu'attendu  que  le  soleil  est  le  chariot  de  la  chaleur 
et  de  la  lumière,  et  qu'il  vivifie  d'une  façon  admi- 
rable toutes  les  créatures  terrestres,  estant  comme 
la  source  et  le  conservateur  de  la  chaleur  vitale, 
et  que  la  lune  a  aussi  un  grand  pouvoir  sur  les 
corps  inférieurs,  ces  lampes  Latoniennes  venans 
à  estre  cachées  à  la  terre,  où  il  y  a  une  révolution 
continuelle  de  génération  et  de  corruption,  ces 
éclipses  ne  sçauroient  advenir  que  la  nature  des 
choses  inférieures  n'en  fut  altérée  et  affoiblie,tant 
es  elemens  qu'es  corps  composez  d'iceux,  dont 
s'ensuivent  les  sécheresses  ou  pluyes  continuelles, 
maladies  contagieuses,  famines,  trahisons,  et  au- 
tres tels  accidens;  et,  pour  la  sympathie  de  l'ame 
avec  le  corps,  que  les  semences  des  guerres,  les 
changemens  d'estats  en  la  mort  des  princes  et 
autres  maux  prennent  vigueur  et  accroissement 
de  l'altération  de  ces  corps  célestes. 


296  DES     PROGNOSTICS 

Cela  n'est  point  fantasier  en  idée;  l'espreuve 
nous  en  fera  sages.  J'en  vay  donner  une  qui  est 
cogneue  par  tous  les  chrestiens  et  avérée  par  in- 
dubitables tesmoignages.  C'est  ceste  éclipse  du 
soleil  qui  advint  le  jour  que  nostre  vray  soleil  de 
justice  défaillit  en  la  vie  présente  pour  nous  ac- 
quérir la  vie  éternelle  :  quelle  longue  queue  de 
mal-heurs  et  misères  traina  elle  après  soy  contre 
les  incrédules!  Aussi  véritablement  estoit  elle  du 
tout  extraordinaire  et  miraculeuse.  Car  le  soleil 
ne  s'éclipse  ordinairement  qu'en  la  nouvelle  lune, 
laquelle  se  rencontre  entre  luy  et  nous;  mais  lors 
que  le  Sauveur  mourut,  il  éclipsa  en  pleine  lune, 
à  midy,  le  vingt  cinquiesme  jours  de  mars,  le  jour 
de  l'equinoxe,  auquel  la  lune  se  rencontra  au  plein 
ceste  année  là,  la  lune  estant  sous  terre  et  à  l'op- 
posite  du  soleil,  lequel  neantmoins  perdit  sa 
lumière  et  fut  obscurci  d'une  estrange  façon  l'es- 
pace de  trois  heures,  sur  tout  l'hemisphere  de 
toute  la  terre.  Ce  qui  advint  lors  contre  le  régu- 
lier mouvement  des  corps  célestes,  au  grand  es- 
tonnement  de  ceux  qui  vivoient  lors.  Et  pource 
nous  lisons  que  Denis  Areopagite,  grand  astro- 
nome, se  trouvant  lors  en  ^Egypte,  et  ne  voyant 
aucune  cause  de  telle  éclipse  en  nature,  s'escria 
que  Dieu  souffroit  ou  se  douloit  des  souffrances 
de  nature.  Je  me  suis  un  peu  estendu  sur  ceste 
éclipse,  Seigneur  Pastorelli,  pour  vous  couper  le 


ET    PREDICTIONS    A  ST  RO  LOG  I  CLU  ES.     297 

chemin  à  la  réplique  que  m'eussiez  peu  faire,  et 
qui  ne  demeurera  pas,  je  m'en  asseure  bien,  à 
m'estre  proposée  tantost  quant  vous  fouldroyerez 
contre  nostre  Astrologie.  Si  ceste  cy  ne  vous 
contante,  j'adjousteray  encores  que  le  jour  précè- 
dent la  prise  de  Perseus,  roy  de  Macedone,  et  de 
la  journée  d'Arbella  en  Chaldée,  qui  emporta  la 
ruine  de  deux  grands  monarques  et  le  changement 
deplusieursEstats,ilapparutdeuxgrandes  éclipses. 
Rodons  encores  un  peu  avec  le  seigneur  du 
Bartas  parmy  le  ciel,  et  nous  y  trouverons  de 
merveilleuses  influences  qui  nous  sont  départies 
par  les  effets  de  certaines  estoiles,  remarquées 
d'ordinaire  en  quelque  mois  de  l'année;  voicy  ce 
qu'il  nous  chante  : 

Je  diray  seulement  que,  puis  que  les  regards  C 

Du  céleste  Avant-chien  lancent  de  toutes  parts  ! 

Miir  invisibles  feux,  qu'ils  sèchent  les  campaignes, 
[Qu'ils  cuisent  les  vallons,  qu'ils  bruslent  les  montagnes,]] 
Et  que  le  plus  souvent  ils  causent  dans  nos  corps 
De  cent  accez  fiévreux  les  panthelans  efforts,  | 

Que  la  Crèche  au  rebours,  les  humides  Pléiades,  | 

Le  brillaat  Orion,  les  pleureuses  Hyades,  ï 

Jamais  presque  sur  nous  n'allument  leurs  flambeaux       j 
Sans  estendre  le  bord  des  escumeuses  eaux;  I 

Bref,  puis  qu'il  est  ainsi  que  sur  le  cler  visage  1 

Du  doré  firmament  on  ne  void  presqu'image  • 

Qui  sur  le  monde  bas  ne  verse  évidemment ,  \ 

Pour  fomenter  ce  Tout,  maint  et  maint  changement ,      { 
On  peut  conjecturer  quelle  vertu  secrète  I 

38 


298  DES     PROGNOSTICS 

Découle  sur  nos  chefs  de  chacune  planète, 
De  chascun  de  ces  feux  que  Dieu  voulut  ficher^ 
Pour  leur  rare  pouvoir,  chascun  en  son  plancher. 

Les  astrologues  passent  bien  plus  outre  que  n'a 
fait  ce  poète.  Allez  en  l'escole  de  Firmicus  :  au 
VIII  livre  de  ses  Astronom.,  ch.  vij ,  il  vous 
apprendra  que  les  Pléiades  se  lèvent  en  la  sixiesme 
partie  du  Taureau,  et  que  ceux  qui  naissent  alors 
seront  naturellemens  popins,  mignards,  et  qui  se 
plairont  à  estre  bragards  et  gentils,  propres  à 
courtiser  et  agréer  aux  dames.  Ptolomée  Alexan- 
drin, au  IV  livre  de  ses  Quadripart.,  ch.  iv, 
vous  racontera  une  chose  estrange,  c'est  que, 
si  la  lune  demeure  en  Tune  des  deux  quartes 
lors  de  la  naissance  d'un  homme,  ou  il  sera 
marié  fort  jeune,  ou,  s'il  attend  tard,  il  aura 
pour  femme  une  jeune  fillette;  que  si  elle  se  cou- 
che en  l'une  des  deux  occidentales,  il  sera  marié 
sur  le  tard,  ou  il  donnera  dans  un  vieil  trou.  Le 
mesmes  Firmicus,  parlant  de  la  puissance  des 
astres  sur  les  mariages  futurs,  remarque,  au  pre- 
mier chapitre  du  cinquième  liv.  de  ses  Astron., 
que,  si  l'horoscope  se  treuve  aux  Poissons  et  le 
coucher  au  Lyon,  qu'il  sera  accouplé  avec  une 
vieille,  ou  aura  une  vefve  ;  voire  qu'il  y  a  des 
femmes  qui  sont  tellement  nécessitées  par  la  force 
des  astres  qu'elles  aimeront  mieux  avoir  pour  ca- 
valcadour  un  vieil  recuit  qu'un  jeune  et  roideche- 


ET    PREDICTIONS    ASTROLOGIQUES.    299 

valier.  Selon  cest  astrologue,  au  chap.  xxvij  du 
VlIIlivredesesAsfron.jSiladixiémepartieduChe- 
vreul  est  trouvée  en  la  présence  de  Mars,  le  mary 
adultérera  et  sera  party  de  mesmes  d'une  femme 
qui  vous  luy  plantera  les  cornes  grandes  comme 
à  un  bouc.  Ou  bien,  ainsi  qu'il  a  luymesme  escrit 
au  vj  chapitre  du  VIII  livre  de  ses  Astronom.,  si 
les  Pléiades  se  rencontrent  au  coucher,  et  ainsi 
les  bonnes  estoiles  avec  les  mauvaises  regardent 
de  mesmes  rayon  le  lieu  où  deux  joueront  à  la 
fossette,  tous  deux  mourront  en  l'exploit  véné- 
rien, mais  ce  sera  joyeusement  :  Laus  in  amore 
mori.  La  jalousie  mesmes  nous  est  annoncée  et 
déterminée  par  les  astres,  comme  remarque  le 
mesmes  autheur.  De  fait,  si  l'horoscope  est  trouvé 
es  limites  de  Venus,  et  que  l'engendrement  ait 
esté  de  nuit,  et  que  Mars  ait  esté  trouvé  en  ces 
parties,  c'est  asseurance  au  mary  qu'il  aura  une 
femme  tresriche,  mais  qui  au  reste  luy  donnera 
bien  rudement  martel  en  teste.  Comme  aussi  si  la 
lune  se  treuve  en  ces  quartiers  là,  et  que  l'engen- 
drement soit  de  nuit,  la  jalousie  est  caractérisée, 
scellée  et  imprimée,  tout  de  mesmes  que  si  la 
seconde  partie  des  Poissons  se  treuve  en  l'horos- 
cope. Voila,  ce  crois  je,  assez  d'exemples  pour 
vous  faire  advouer  l'empire  reiglé  toutesfois  des 
astres  sur  ces  basses  marches. 

Sera  il  besoin  de  recourir  au  mélodieux  accord 


3oO  DES     PROGNOSTICS 

des  planètes,  qui,  ainsi  que  plusieurs  philosophes 
ont  tressagement  observé,  est  la  vraye  reigle,  le 
tableau,  le  niveau  de  nostre  vie  humaine?  Je  ne 
veux  point  icy  pythagoriser  dans  les  tons  et  nom- 
bres superstitieux  :  c^est  beaucoup  meilleur  de 
composer  nostre  vie  selon  la  disposition  des  lieux. 
Nostre  premier  aage  se  doit,  et  véritablement 
ainsi  se  peut  il  rapporter  à  la  puissance  lunaire, 
d'autant  qu'alors  nous  sommes  soustenus,  nourris 
et  entretenus  par  les  forces  de  la  faculté  nourris- 
sante et  végétante.  Nostre  seconde  course  tend  à 
Mercure,  d'autant  qu'alors  nous  nous  exerçons  à 
l'estude,  à  la  lucte,  à  jouer  des  instrumens,  et 
semblons  aucunement  vouloir  desrober  les  secrets 
du   caducée.    Nostre   troisiesme  carrière  tire  à 
Venus  :  c'est  lors  que  les  semences  bouillonnent 
dans  nostre  corps,  et  que  nous  sommes  plus  fort 
resveillez  à  la  procréation.  Nous  allignons  nostre 
vigoureuse  virilité  à  l'estage  du  soleil,  d'autant 
que,  comme  c'est  l'un  des  plus  parfaits,  aussi  cest 
aage  là  nous  rend  plus  accomplis,  plus  forts  et 
plus  roides.  A  Mars  nous  attribuons  les  menées, 
pratiques  et  efforts  que  nous  dressons  pour  con- 
quérir les  empires,   royaumes,   principautez  et 
seigneuries,  pour  nous  enrichir  et  faire  parler  de 
nous.  Jupiter  tient  la  sixiesme  bande,  laquelle  il 
reigle  et  modère  par  sa  prudence  :  de  fait,  lors 
que  nous  commençons  à  tomber  sur  l'aage,  nos 


ET    PREDICTIONS    ASTROLOGIQ^UES.    3oi 

actions  ne  sont  point  si  esventées,  nos  advis  sont 
plus  meurs,  nous  avons  plus  de  plomb  à  la  teste. 
A  la  queue  on  met  le  bon  Saturne,  pensif,  froi- 
dement sec,  ridé,  chauve,  grison,  frilleux,  de 
mesmes  que  les  vieillards,  pour  avoir  leurs  testes 
negées  ne  pensent  plus  qu'aux  tisons,  à  rechigner 
et  tout  doucement  faire  le  sault  naturel. 

Comptons  par  escot,  je  vous  prie.  Seigneur 
Pastorelli.  Dites  moy  pourquoy  c'est  que  les  peu- 
ples septentrionaux  sont  si  mal  accordans  en  com- 
plexion,  nature,  habitude,  figure,  et  autres  qua- 
litez,  avec  les  méridionaux,  voire  de  ceux  qui 
sont  moyens  entre  le  Midy  et  le  Nord.  Si  vous 
ne  regardez  au  ciel,  vous  et  tous  ceux  qui  vou- 
dront en  discourir,  n'y  ferez  que  l'eau   claire. 
Mais  qui  prendra  garde  à  la  nature  des  planètes, 
on  trouvera,  ce  me  semble,  que  la  division  d'icelles 
s'accommode  à  ces  trois  régions   suivant  Tordre 
naturel  d'icelles;  et,  donnant  la  plus  haute  planète 
qui  est  Saturne,  à  la  région  meridionele,  Jupiter 
à  la  moyenne,  et  Mars  à  la  partie  septentrionele, 
le  Soleil  demeurant,  comme  la  source  de  lumière, 
commun  à  toutes  également  ;  après  lequel  nous 
camperons   Venus,  propre    au  peuple  du  Sud, 
Mercure  au  peuple  moyen,  et  la  dernière,  qui  est 
la  Lune,  au  peuple  du  Nord  :  qui  monstre  l'in- 
clination naturelle  du  peuple  de  Septentrion  à  la 
guerre  et  à  la  chasse,  propre  à  Mars  et  à  Diane; 


302  DES     PROGNOSTICS 

au  peuple  méridional  la  contemplation  et  en 
outre  l'inclination  vénérienne;  et  aux  peuples  du 
milieu  la  qualité  de  Jupiter  et  de  Mercure,  pro- 
pres aux  gouvernements  politiques. 

—  Demeurez  icy,  Seigneur  Alphonse;  vous 
avez  plus  parlé,  va  dire  le  S^'  Pastorelli,  qu'il  ne 
vous  estoit  requis.  Je  vous  vay  prendre  par  le  bec, 
encores  que  ne  l'ayez  si  grand  que  le  Tocan  de 
Thevet.  Vous  bastissez  la  diversité  des  mœurs  des 
peuples  sur  la  différence  qui  est  entre  les  constel- 
lations des  astres  qui  leur  prédominent.  Je  vous 
vay  monstrer  des  pays  et  contrées  qui  sont  en 
mesmes  climat,  en  pareille  latitude,  voire  en 
mesmes  degré,  qui  pour  cela  ne  laissent  à  diffe- 
renterpar  ensemble.  Cela  se  cognoist  à  veue  d'œil 
es  montaignes  qui  s'estendent  d'Occident  en 
Orient,  comme  l'Apennin  qui  divise  presque  toute 
l'Italie  en  deux,  le  mont  Saint  Adrien  en  Espagne, 
les  monts  d'Auvergne  en  France,  les  Pyrénées 
entre  la  France  et  l'Espagne,  le  mont  Taureau 
en  Asie,  le  mont  Atlas  en  Afrique,  qui  con- 
tinue depuis  la  mer  Atlantique  jusques  aux  fron- 
tières d'Egypte  plus  de  six  cens  lieues  ;  le  mont 
Imaus,  qui  sépare  la  Tartarie  de  l'Asie  Meri- 
dionele;  les  Alpes,  qui  commencent  en  France  et 
continuent  jusques  en  Thrace,  et  le  mont  Car- 
phat,  qui  divise  la  Poloigne  d'Hongrie.  Qui  fait 
que  ceux  qui  sont  en  Toscane  sont  d'humeur 


ET    PREDICTIONS    ASTR  O  LO  GI  QJJ  ES.    3o3 

contraire  à  ceux  de  Lombardie  et  beaucoup  plus 
ingénieux,  comme  aussi  on  voit  ceux  d'Arragon, 
de  Valence  et  autres  peuples  delà  les  Pyrénées  du 
tout  differens  à  ceux  de  Gascoigne  et  du  Langue- 
doc. Les  peuples  deçà  le  mont  Atlas  sont  beau- 
coup moins  ingénieux  que  les  Numides  et  autres 
nations  delà  le  mont  Atlas  :  aussi  les  uns  sont 
presque  blancs,  les  autres  du  tout  noirs;  les  uns 
sujets  à  plusieurs  maladies,  les  autres  sains,  ale- 
gres  et  de  fort  longue  vie. 

—   Seigneur    Pastorelli ,   répliqua    le  S^  Al- 
phonse, j'ay  en  main  deux  moyens  de  response, 
encores  qu'à  dire  levray,vous  n'en  méritiez  point. 
Le  premier,  que  je  vous  accorde  ce  que  vous 
dites,  et  n'y  trouve  rien  à  redire  que  vostre  con- 
clusion.  Je  ne  vous  ay  pas  dit  que  ceux  qui 
sont  sous  un  mesmes  degré  ne  puissent  avoir 
ensemble  quelque  diversité.  Il  y  a  plus  de  seize 
minutes  et  plus  de  trente  trois  secondes  en  un 
degré;  de  sorte  que,  bien  que  les  peuples  sis  sous 
mesmes  degré  soit  diversifiez,  cela  ne  fait  pas 
contre  moy.  Encores  que  les  larrons  qui  pour- 
ront estre  en  Turquie  n'ayent  rien  de  commun 
avec  les  gens  de  bien  et  d'honneur  qui  sont  en  ce 
pays,  sera  ce  à  dire  que  les  larrons  de  ce  pays  vous 
ressemblent,  à  moy  ou  à  autre  de  ceste  notable 
compaignie? 

11  y  a  plus,  que,  sans  y  penser,  vous  avez  plaidé 


3o4 


DES     PROGNOSTICS 


pour  moy.  Car  si  ainsi  est  que  les  peuples  habi- 
tans  une  mesmemontaignesont  neantmoins  diffe- 
rens,  il  s'ensuit  que  ce  n'est  la  terre  qui  unit  leurs 
complexions  montaignardes,  ains  que  c'est  une 
cause  supérieure  qui  subtilise  les  uns  et  appesantit 
les  autres.  Encores  qu'il  y  ait  des  veines  de  soul- 
phre,  d'or,  d'argent  et  d'autres  métaux  en  une 
montaigne,  il  ne  sera  pas  question  de  publier  que 
ceste  montaigne  soit  toute  d'or,  d'argent  ou  de 
soulphre.  Ce  ne  sont  que  certains  petits  cartiers  qui 
en  ruisselent.  De  mesmes  en  ces  montaignes  que 
nous  venez  de  spécifier,  certainement  il  y  a  des 
e^sprits  gaillards  et  gentils,  d'autres  lourds  et  fa- 
quins. Attribuerez  vous  telle  diversité  à  la  mon- 
taigne? Ce  seroit  bien  rencontré.  La  montaigne 
les  rend  montaignards,  et  l'influence  céleste  les 
diversifie. 

En  voulez  vous  une  preuve  palpable?  Ceux  qui 
vont  de  Bouloigne  la  grasse  à  Florence,  ou  de 
Carcassonne  à  Valence,  trouvent  un  merveilleux 
changement  du  froid  au  chaud  en  mesmes  degré 
de  latitude,  pour  la  diversité  du  val  tourné  au 
Midy  et  l'autre  au  Septentrion.  Pareille  diversité 
trouveront  ils  aux  esprits.  C'est  pourquoy  Platon 
rendoit  grâces  à  Dieu  qu'il  estoit  Grec  et  non 
pas  Barbare,  Athénien  et  non  pas  Thebain,  com- 
bien qu'entre  Thebes  et  Athènes  il  n'y  ait  pas 
vingt  lieues;  mais  l'assiette  d'Athènes e.stoit  tour- 


ET    PREDICTIONS    A  ST  R  O  LO  GI  Q^U  E  S.     3o5 

née  au  Midy,  baissant  vers  le  Pyrée,  ayant  une 
petite  montaigne  à  dos,  et  la  rivière  d'Asopus 
entre  les  deux  villes.  Aussi  les  uns  estoient  du 
tout  addonnez  aux  lettres  et  aux  sciences,  les 
autres  aux  armes;  et,  combien  qu'ils  eussent 
mesme  gouvernement  populaire,  si  est  ce  qu'il  n'y 
avoit  point  de  séditions  à  Thebes,  et  les  Athé- 
niens avoient  bien  fort  souvent  quereles  et  dissen- 
sions pour  l'Estat. 

Je  renouëray  donc  mon  propos,  lequel  vous 
m'avez  interrompu.  Seigneur  Pastorelli,  et  vous 
monstreray  que  les  mœurs,  affections  et  habitudes 
des  peuples  se  reiglent  à  la  cadence  du  change- 
ment et  constitution  du  ciel.  Vous  avez  le  juge- 
ment de  Pierre  d'Ailly,  chancelier  de  Paris  et 
depuis  cardinal,  qui  a  rapporté  les  naissances, 
changemens  et  ruines  des  republiques  et  des 
religions  aux  conjonctions  des  autres  planètes; 
mais  vous  n'estes  de  ceux  (que  j'estime)  lesquels 
croyent  à  crédit  et  [ut  vulgo  dicitur)  in  fide  pa- 
rentum  (ce  n'est  pas  que  je  vueille  dire  que  vous 
soyez  fils  de  cardinal),  il  faut  que  je  vous  four- 
nisse d'exemples.  Pource  je  vay  vous  monstrer 
que  les  proprietez  des  régions  sont  changées  au 
changement,  cours  et  mouvement  successif  et 
divers  du  ciel.  Nous  voyons  les  Gaulois,  Ger- 
mains, Escossois,  Anglois,  qui  anciennement  ont 
esté  tenus  pour  barbares  et  sauvages,  estre  au- 

39 


3o6  DES     PROGNOSTICS 

jourd'huy  de  meilleure  façon,  plus  courtois,  doux, 
amiables,  et  user  de  plus  d'humanité  que  toutes 
les  autres  nations.  Je  m'en  rapporte  au  François 
qui  ne  peut  estre  qu'il  ne  soit  courtois.  La  bonté 
des  Germains  est  toute  notoire.  Anciennement, 
en  Alemaigne  et  en  la  Gaule  Belgique  ne  se  par- 
loit  point  de  ladres;  cest  article  touchoit  plus 
l'Afîrique.  La  Palestine,jadis  tant  fertile  qu'Isaac, 
fils  d'Abraham,  en  retira  cent  mesures  pour  une 
de  semence,  est  aujourd'huy  seiche  et  peu  fruc- 
tueuse. L'Alemaigne,  au  temps  des  premiers  em- 
pereurs romains,  estoit  infertile  d'or  et  d'argent, 
et  les  monts  Pyrénées  abondans  en  telles  miniè- 
res. De  nostre  temps,  nous  voyons  le  contraire, 
c'est  à  sçavoir  les  mines  d'or  et  d'argent  en  Ale- 
maigne, et  les  monts  Pyrénées  privez  de  ceste 
richesse.  Sansema,  autheur  de  VAgriculture  fort 
ancien,  tesmoigne  qu'il  y  a  des  régions  qui  n'ont 
peu  porter  vignes  ny  oliviers  pour  la  violence  de 
l'hyver;  lesquelles  depuis,  comme  le  ciel  s'est 
changé,  rendant  un  froid  plus  modéré,  ont  porté 
huiles  et  vins  à  grand'foison.  Il  y  a  donc  change- 
ment aux  régions,  comme  le  ciel  change  et  envoie 
autres  constellations  et  aspects. 

—  Ce  seroit  une  fort  bonne  et  pertinente  illa- 
tion,  Seigneur  Alphonse,  répliqua  messer  Nicolas 
Pastorelli,  si  je  n'avoie  dequoy  vous  payer.  Je 
tiens  avec  Copernic  que  les  changemens  dont 


ET     PREDICTIONS     ASTRO  LOG  I  QJJ  E  S.     Boy 

faites  pyvot  sont  causes  du  mouvement  de  l'ex- 
centrique de  la  terre;  tellement  que  vous  pourrez 
bien,  s'il  vous  plaist,  recacher  au  ciel  vos  spé- 
cieuses constellations  ;  autrement  je  ne  craindroie 
pas  une  éclipse,  mais  que  leur  fissiez  donner  du 
nez  en  terre. 

—  Je  suis  fasché,  Seigneur  Pastorelli,  que 
vous  estes  venu  aheurter  tresmal  à  propos  à  une 
si  lourde  niaiserie,  va  dire  le  seigneur  Alphonse. 
Car,  encores  que  je  soye  des  vostres,  et  que  je  ne 
croye  à  ce  qu'on  dit  si  on  ne  me  monstre  dequoy, 
je  ne  veux  point  icy  traiter  Copernic  à  l'escar- 
mouche; je  sçay  que  son  intention  ne  symbolisa 
onques  avec  vostre  excentrique  terreité. 

Il  ne  veut  pas  qu'on  tienne  ses  hypothèses 
pour  véritables,  combien  qu'il  en  ait  fait  les 
démonstrations.  Ayant  trouvé  l'impossibilité  et 
faulseté  des  autres  théories,  qui  nous  ont  rendu 
un  calcul  faux  et  mal  asseuré,  il  s'est  mis  en  devoir 
de  faire  mieux  par  hypothèses  faulses  qui  nous 
puissent  représenter  le  vray  calcul.  Car,  des  pro- 
positions faulses,  nous  est  loisible  de  tirer  des 
conclusions  vrayes,  comme  Aristote  nous  a  en- 
seigné. 

De  fait,  Copernic,  au  commancement  de  son 
œuvre,  proteste  qu'il  n'est  besoin  que  telles 
choses  soient  véritables  ou  vray-semblables,  mais 
qu'il  suffit  qu'elles   nous    rapportent   un  calcul 


3o8  DES     PROGNOSTICS 

respondant  aux  observations  bien  faites.  Pource, 
quand  il  parle  des  changemens  d'estat  procedans 
de  l'excentrique  de  la  terre,  il  entend  cela  de 
quelque  autre  cause  occulte  qui  peut  respondre 
et  se  rapporter  à  l'hypothèse  de  cest  excen- 
trique. 

Voire  quant  Copernic  auroit  esté  si  sot  (con 
vostra  reverenza)  que  de  tenir  à  bon  escient  une  si 
fatte    proposition  touchant    l'eccentrique   de  la 
terre,  je  luy  monstreroie,  et  à  tous  ceux  qui  vou- 
droient  bransler  la  pique  pour  luy,  qu'ils  sont  du 
pays   de   Libourne,  bastis  sur  le  lourd,  et  que, 
s'ils  ne  se  font  escorcher  bien  tost,  on  les  trou- 
vera couverts  et  emmitoufflez  de  leur  peau  natu- 
relle de  veau.  Car,encores  que  je  ne  vous  veuille 
battre  par  le  ny  qu'a   fait  Averrois,  qu'il  y  eut 
aucuns  cercles  eccentriques  au  ciel,  si  n'estes  vous 
encores   eschapé,   attendu   qu'il  faut   que   vous 
sçachiez  que  jamais  corps  simple  ne  peut  avoir 
qu'un  mouvement  qui  luy  soit  propre,  ainsi  que 
le  petit  mignon  et  subtil  secrétaire  de  Nature, 
Aristote,  l'a  tresbien  remarqué  en   son  premier 
livre  de  Cœlo.  Puis  donques  que  la  terre  est  l'un 
des  corps  simples,  comme  est  le  ciel  et  les  autres 
elemens,  il  faut  nécessairement  conclurre  qu'elle 
ne  peut  avoir  qu'un  seul  mouvement  qui  luy  soit 
propre ,   et  neantmoins  vostre.  brave  Copernic 
luy  en  assigne  trois  tous  differens,  desquels  il  n'y 


ET     PREDICTIONS     A  ST  RO  L  O  G  1  QJJ  E  S.     Boç 

en  peut  avoir  qu'un  propre;  les  autres  seroient 
violens,  chose  impossible,  et,  par  mesmes  suite, 
impossible  que  les  changemens  des  republiques 
viennent  du  mouvement  de  l'eccentrique  de  la 
terre. 

Les  Arabes  nous  descouvriront  plus  particuliè- 
rement quelle  force  ont  les   planètes,  voire  les 
douze  signes  du  zodiaque,  sur  nos  corps,  quant 
ils  nous  apprennent  que  la  vie  des  hommes  nous 
est  signifiée  par  le  soleil,  auquel  ils  attribuoient 
pour  cest  effet  la  guide,  reigle  et  conduite  tant 
du  cerveau  que  du   cœur.  A  Mercure  ils  don- 
noient  à  gouverner  la  langue   et  la   bouche;  à 
Saturne  la  ratte;  à  Jupiter  le  foye;  à   Mars  le 
sang;  à  Venus  les  reins  et  la  semence  génitale,  et 
à  la  lunel'estomach.  Et  quant  au  Baudrier  porte- 
enseigne,  il  n'a  esté  chamarré  d'aucun  signe  qui 
n'ait  esté  bouclé  à  quelque  partie  de  nostre  corps. 
Le  Bélier  a  eu  nostre  chef;  nostre    col    a  esté 
attaché  au   Taureau;  nos  bras  et    espaules  aux 
Bessons;  nostre  cœur  à  l'Escrevisse;  nostre  poi- 
trine et  estomach  au   Lyon;  nostre  ventre  à  la 
Pucelle;  nos  reins  et  fesses  à    la  Balance;  nos 
parties  naturelles  (qui  ne  seront  d'avantage  des- 
couvertes parce  que  nos  damoiselles   sont    trop 
jeunes  et    pourroient   en   avoir   peur,  ou  autre 
chose)  au  Scorpion  ;  nos  cuisses  à  l'Archer  ;  nos 
genouils  au  Chevreul;  nos  jambes  au  Vers'eau,  et 


3io 


DES     PROGNOSTICS 


nos  pieds  aux  Poissons.  Ce  qui  a  esté  fort  bien 
remarqué  par  le  poëte  Mallius  en  ces  vers  : 

Signa  hxc  prxcipuas  in  toto  corpore  vires 
Exercent  :  Aries  caput  est  ante  omnia  princeps; 
Sortitur  quoque  sensus  et  pulcherrima  colla 
Taurus;  et  in  Geminis  œquali  brachia  sorte 
Scribuntur  convexa  humerisj  pectusque  locatum 
Sub  Cancro  est;  laterum  regnum  scapulxque  Leonis; 
Virglnis  in  propriam  descendant  ilia  sortem  ; 
Libra  régit  dunes ,  et  Scorpius  inguine  gaadet  ; 
Centauro  femora  accédant;  Capricornus  utrisque 
In^perat  in  genibus  ;  crurum  fundentis  Aquari 
Arbitriain  est,  Piscesqae  peduin  sibi  jara  reposcunt. 

Nos  aages  mesmes  sont  reiglez  par  l'ordre  des 
sept  planètes,  d'autant  que  (selon  les  Arabes)  la 
lune  a  la  charge  de  nous  jusques  au  cinquiesme 
an  ;  Mercure  dix  ans  après  ;  Venus  des  huict  années 
ensuivans;  le  soleil  de  vingt  et  un  an;  Mars  de 
quinze;  Jupiter  de  douze,  et  Saturne  du  reste  du 
cours  de  la  vie.  Ou  bien,  selon  le  département 
qui  en  est  fait  par  les  nostres  beaucoup  plus  ayse- 
ment  et  familièrement,  la  lune  aura  la  garde  et 
conduite  de  l'enfance;  Mercure,  de  la  pueritie  (il 
faut  escorcher  non  le  regnard,  mais  le  latin, 
parce  que  nous  n'avons  mot  propre  pour  expri- 
mer cest  aage  qu'en  periphrasant);  Venus,  de 
l'adolescence  ;  Mars,  de  la  virilité;  Juppiter,  de  la 
vieillesse,  et  Saturne,  de  la  vieillonge  et  aage 
décrépit. 


ET    PREDICTIONS    AST  RO  LO  G  I  CLU  E  S.    3ll 

Jusques  icy,  Messieurs,  j'estime  avoir  si  suffi- 
samment prouvé  la  nécessité  des  influences  ce- 
lestes,  que  vous,  Seigneur  Pastorelli,  ne  devez 
me  la  refuser,  mesmes  lors  que  vous  voyez  que 
naturellement  je  la  vous  représente.  Pensez  vous 
estre  trompé?  Vous  faites  si  grand  cas  de  vostre 
Platon,  escoutez  la  leçon  qu'il  vous  donne,  c'est 
que  les  yeux  avoient  esté  donnez  à  l'homme  pour 
l'amour  de  l'astronomie  :  parce  il  nous  apprend 
qu'entre  tous  les  corps  créez  il  n'y  en  a  point  de 
si  beaux,  gentils  et  excellens  que  sont  ces  flam- 
beaux célestes,  et  qu'à  ceste  occasion  les  hommes 
estoient  ravis  sur  tout,  pour  jouir  de  la  veuë 
d'une  si  précieuse  beauté.  De  moy,  il  me  semble 
que  les  yeux  ont  une  merveilleuse  accointance,  et 
qui  les  rend  dignes  d^estre  rapportez  avec  les 
astres;  attendu  que,  comme  dit  l'Angevin  Bre- 
tonnayau  en  sa  Fabrique  de  Vœil  : 

Ainsi  que  l'œil  mondain  enflamme  et  illumine 
Du  tresgrand  animal  la  tresgrande  machine^ 
Le  seul  œil  est  du  corps  comme  un  petit  soleil. 
La  couronne  des  cieux  se  courbe  peinte  en  l'œil, 
Dont  l'esclat  tout  perçant  toutes  choses  pénètre  : 
Plustost  que  le  penser  il  est  où  il  pense  estre. 

Il  passe  bien  plus  outre,  car  il  soustient  que   , 
l'œil  est  un  troisiesme  monde,  fourny  et  equippé 
de  toutes  ses  parties,  ainsi  que  le  grand. 

D'un,  de  trois  et  de  sept  (dit-il),  à  Dieu  nombre  agréable, 


:>I2  DES     PROGNOSTICS 

Fut  composé  de  l'œil  la  machine  admirable; 

Le  nerf  et  le  cristal,  l'eau  et  le  verre  pers, 

Sont  les  quatre  elemens  du  minime  univers. 

Les  sept  guimples  luisans  qui  son  rondeau  contournent. 

Ce  sont  les  sept  errans  qui  au  grand  monde  tournent, 

Car  le  blanc  qui  recouvre  et  raffermit  les  yeux, 

Nous  figure  Saturne  entre  ces  petits  creux; 

La  tunique  d'après,  etc. 

Et  nostre  Aristote  sera  il  point  de  la  partie, 
mesmement  lors  qu'il  dit  que  ce  monde  d'enbas 
est  gouverné  par  celuy  d'enhaut,  et  que  les 
choses  supérieures  donnoient  bransle,  mouve- 
ment et  cadence  aux  inférieures?  Ouy  da,  il  le 
mérite  fort  bien,  sur  tout  pour  la  raison  sur  la- 
quelle il  fonde  son  dire,  laquelle  je  treuve,  Sei- 
gneur Pastorelli  mon  amy,  de  fort  bonne  grâce. 
Si  le  commencement  du  mouvement  est  du  ciel, 
il  s'ensuit  que  le  mouvement  céleste  doit  estre  la 
cause  qui  fait  mouvoir  toutes  les  autres  choses 
qui  sont  au  dessous.  Or,  que  la  conséquence  soit 
tres-necessaire,  si  vous  aviez  de  bons  yeux,  vous 
l'appercevriez  aisément.  Je  vous  veux  donner  des 
lunettes,  et  pour  de  tant  plus  soulager  vostre 
veuë,  rapprocher  ma  preuve  de  si  prés  que,  si 
voulez,  la  pourrez  tenir  tout  contre  vos  yeux. 

Considérez,  je  vous  prie,  si  en  la  constitution 
de  nos  corps  le  cœur  n'est  pas  l'aisné  de  nature, 
si  ce  n'est  pas  luy  qui  le  premier  se  meut,  et  qui, 
par  ses  vifs  babatemens,  esmeut  tous  nos  mouve- 


ET     PREDICTIONS    A  ST  R  O  L  O  G  I  Q^U  ES.    3l3 

mens  :  voire  que,  dés  lors  qu'il  perd  souffle,  tout 
le  reste  de   nostre  corps  demeure   resigné  aux 
griffes  de  la  mort.  Et  c'est  ce  que  l'on  a  coustume 
de  dire,  que  le  cœur  est  le  premier  vivant  et  le 
dernier  mourant.  Vous  ne  ferez  point  de  diffi- 
culté de  passer  cest  article  pour  le  microcosme, 
et  vous  oserez  desreigler  tels  mouvemens  pour 
raison  du  grand  monde  :  faut  que  doutiez  du  rap- 
port qui  est  du  cœur  humain  au  soleil;  comme 
si  vous  ne  sçaviez  que  tout  ainsi  que  le  soleil, 
par  sa  féconde  vertu,  anime  de  ses  rais  le  corps  de 
tout  le  monde,  de  mesmes  lecœur  n'est  pointchaud 
seulement  à  cause  de  luy,  mais  aussi  en  faveur  de 
tout  le  corps,  auquel  il  doit  fournir  de  la  chaleur 
sans  intermission.  Ce  qu'il  fait  aussi,  distribuant 
un  esprit  et  un  sang  fort  chaud  et  délié,  en  toutes 
les  parties  du  corps,  par  les  artères  qui  luy  servent 
de  canaux.  Ignorez  vous  que  le  dessaisonnement 
du  soleil  ne  trouble  le  cours  de  la  cadence  et  le 
bransle  des  célestes  flambeaux?  Estes  vous  à  ap- 
prendre, si  le  cœur  ne  babatoit  sans  cesse,  que 
tout  aussi  tost  chasque  membre  du  corps  vien- 
droit  à  s'anéantir?  Si  donques  l'indisposition  du 
cœur  amortit  nos  forces  et  facultez  corporelles, 
parce  que  le  cœur  est  son  premier  moteur,  qu'il 
luy  donne  et  entretient  son  bransle,  sa  santé  et 
sa  vie,  ne  pourray  je  pas  légitimement  conclurre 

que  le  cœur  du  grand  monde  ou  que  l'influence 

40 


3l4  DES     PROGNOSTICS 

céleste  avive,  reigle  et  gouverne  le  mouvement  de 
toutes  les  parties  du  corps  mondain  et  orbicu- 
laire  ?  Cela  est  plus  clair  que  le  jour,  et,  si  voulez 
persévérer  à  le  mettre  en  ny,  en  bon  billot  je 
vous  diray  :  Escoutaz,  que  le  maulubecvous,  etc. 

—  Tout  beau,  Messieurs,  vay  je  dire  :  hé! 
vous  estes  en  si  beau  chemin,  voudriez  vous  bien 
icy  faire  quelque  folie  ?  Seigneur  Alphonse,  mon 
gentilhomme,  mon  grand  petit  amy,  courage; 
monstrez  vous  sage.  Vous  ne  pensez  pas  au 
grand  honneur  que  vous  apportera  ce  discours, 
si  l'enfoncez  comme  il  appartient.  Je  ne  sçay  pas 
ce  qu'on  dit  de  moy,  mais  bien  ce  qu'on  dit 
d'autruy.  Poussez,  de  grâce,  il  semble  que  vous 
soyez  eschauffé;  voulez  vous  ce  linge  pour  vous 
essuier?  Contre  fortune  bon  cœur;  si  pouvez 
deconfire  Messer  Nicolas,  je  m'asseure  qu'avec 
le  temps  serez  contant  :  vivez  enceste  espérance.  » 

Il  n'y  eut  pas  un  de  la  compaignie  qui  ne  me 
seconda,  et  se  mit  en  devoir  de  faire  reprendre 
les  armes  à  ces  deux  braves  champions.  A  la  fin, 
d'honte  ou  d'honnesteté,  le  seigneur  Alphonse, 
après  s'estre  assés  proprement  évacué,  et  par 
enhaut  et  par  enbas,  comme  s'il  eut  esté  des- 
chargé d'un  grand  fais  qu'il  portoit  dans  le  moule 
de  son  brodequin,  il  rentra  en  conférence,  frais, 
leste^  gaillard  et  dispos  plus  qu'auparavant. 

—  Bien,  Messieurs,  va  il  dire  en  se  riant  à  la 


ET    PREDICTIONS     ASTROLOGIQUES.    3l5 

gorgiase,  il  faut  que  je  quitte  ma  propre  volonté 
pour  me  ranger  à  la  vostre.  Or  ça,  Seigneur  Pas- 
torelli,  je  vous  ay  desja  donné  de  si  rudes  coups; 
vostre  bresche,  voire  toute  la  muraille  anticelo- 
tique  est  toute  astrologisée;  les  moyens  que  j'ay 
emploie  sont  si  pregnans  que  je  crois  (astra  Id 
fatls  annuentibus  prœsagiunt)  si  vous  vivez  usque 
ad  consiimmationem  seadi^  et  si  je  vous  puis 
revoir,  vous  me  le  sçaurez  à  dire  :  que  par  cy 
après,  au  propre  jour  de  ce  mois,  d'icy  à  fort 
long  temps,  on  sentira  une  particulière  influence 
céleste  qui  astrologiquement  découlera,  pour  tes- 
moigner  l'astrologique  affection  que  j'ay  eu  à 
miaintenir  les  influences  astrologiques  alencontre 
de  l'antiastrologisme.  Pour  cela  je  cognois  à 
vostre  minois  que  n'estes  délibéré  de  quitter  le 
champ;  et  pource,  je  vay  boucher  ma  défense 
astrologique  par  les  authoritez  sainctes  et  divines 
qui  favorisent  aux  influences  célestes. 

Prenez  moy  ce  qui  est  dit  au  commencement 
du  Genèse  :  Dieu  dit  :  qu'il  y  ait  luminaires  en 
restendue  du  ciel,  pour  séparer  la  nuict  du  jour  y  et 
soient  en  signes,  en  saisons,  en  jours  et  en  ans. 
Voila  donc  que  porte  l'ordonnance  du  Tout- 
Puissant  :  c'est  que  les  estoiles,  qui  sur  tout  sont 
douces  de  lumière  et  clarté,  distinguent,  varient 
et  reiglent,  par  les  qualitez  propres  à  la  nature 
des  mixtes,  les  bornes  des  jours,  des  mois  et  des 


3l6  DES    PROGNOSTICS 

ans.  Qu'elles  soient  en  signes,  qu'est  ce  autre 
chose,  sinon  qu'auparavant  estans  regardées,  con- 
templées et  considérées,  elles  nous  advertissent 
de  bonne  heure  des  commencemens,  suites  et 
bouts  des  saisons,  comme  aussi  des  divers  chan- 
gements qui  surviennent  et  sont  moiennez  par  la 
force  des  estoiles  mesmes?  Comme  de  fait,  il  n'est 
pas  croyable  qu'une  si  grande  troupe  de  corps 
brillonnans  ayent  esté  posez  et  plaquez  au  ciel 
pour  servir  de  monstre  et  parade  seulement,  ce 
seroit  attacher  à  la  main  laborieuse  du  grand  ou- 
vrier de  l'univers  une  nonchallante  oisiveté,  con- 
tre l'expérience  manifeste  que  cy  dessus  nous 
avons  touché,  et  de  laquelle  le  seigneur  Peucer, 
en  son  Astrologie,  couche  de  fort  beaux  et  segna- 
lez  exemples. 

His  accedit,  que  l'usage,  qui  est  religieusement 
gardé  par  toute  la  chrestienté,  à  nommer  les 
jours  de  la  semaine  par  le  nom  des  planètes, 
monstre  tres-evidemment  que  l'influence  céleste 
n^abhorre  de  la  pieté  chrestienne.  Autrement 
j'attacheroie  de  paganisme  tous  ceux  qui,  parlans 
du  lundi,  mardi,  mercredi,  jeudi  et  vendredi,  ne 
nous  font  estât  que  de  la  lune,  de  Mars,  de  Mer- 
cure, de  Juppiter  et  de  Venus. 

—  Seigneur  Alphonse,  respondle  seigneur  Pas- 
torelli,  nous  ne  sommes  théologiens;  à  un  chas- 
cun  son  godet;  c'est  assez,  je  vous  prie,  ne  vous 


ET    PREDICTIONS    A  ST  RO  LOG  I  Q^U  ES.    3lJ 

ruez  si  fort  sur  la  Sainte  Escriture,  ce  n'est  pas 
vostre  gibier  ny  le  mien  aussi  :  vous  pourriez 
retirer  vostre  pain  cornu,  pour  ne  l'avoir  bien 
enfourné.  Avant  que  je  me  mette  à  canonner  con- 
tre vostre  judiciaire  astrologie,  deschargez  vous, 
non  pas  comme  avez  fait  tantost,  autrement  il  me 
faudroit  du  musq;  je  ne  sçay  quel  diable  vous 
avez  mangé,  vostre  fecalité  sent  bien  autre  saulce 
que  la  civette.  Deschargez  vous  donc  des  preuves 
lesquelles  vous  vous  vantez  avoir,  pour  monstrer 
que  vostre  astromanie  (non,  la  langue  me  brayette  : 
pour  éviter  querelles,  prenez  que  je  vueille  dire 
astronomie)  nous  est  fort  nécessaire  et  proffitable. 
—  On  me  presse  fort,  mes  maistres,  à  ce  que  je 
voy,  va  dire  le  S^  Alphonse;  soit,  je  ne  veux 
vous  rendre  en  ce  mal  contans.  Je  m'en  vay  à  la 
mer  :  voulez  vous  dire  que  l'astrologie  n'y  soit 
nécessaire;  que  les  astres  ne  guident  pas  le  navire; 
qu'on  puisse  singler  sur  ce  vaisseau  humide  et 
plein  d'inconstance  sans  la  cognoissance  des  es- 
toiles?  Vous  n'estes  pas,  ce  croy  je,  si  veau  :  je 
suis  Gascon  ;  pardonnez  moy^  je  vouloie  dire  beau 
contrediseur.  Or,  pour  vous  lever  d'erreur,  et 
tous  ceux  qui  pourroient  avoir  choppé  contre 
une  si  lourde,  ridicule  et  palpable  absurdité  de 
mescroyans,  je  vous  veux  icy  coucher  une  liste 
de  quelques  prognostics  des  tempestes  et  orages 
qui  se  monstrent,  tant  par  le  soleil  que  par  la  lune. 


3l8  DES     PROGNOSTICS 

Pline^  au  i8  livre  de  son  Histoire  Naturelle, 
chap.  45,  escrit  que  le  soleil,  s'il  est  beau  et  net 
sans  estre  fervent  lors  qu'il  se  levé,  signifie  un 
jour  beau  et  serain;  s'il  se  monstre  jaune,  il  pro- 
met pluie  et  gresle.  S'il  semble  estre  creux  quand 
il  se  levé,  il  amené  la  pluie  et  vents  ;  comme  aussi, 
si  à  son  lever  on  voit  devant  luy  quelques  nuées 
vermeilles,  et  qu'aucunes  d'icelles  se  perdent  vers 
le  nord  ou  vers  le  sud,  c'est  asseurance  de  vents 
et  grandes  pluies.  S'il  semble  que  le  soleil  cueille 
ses  rais  quand  il  se  levé  ou  se  couche,  il  signifie 
la  pluye.  Si  on  voit  quelques  nues  rondes  par  des- 
sus le  soleil  avant  qu'il  se  levé,  c'est  prédiction 
de  grand  froid  ;  cela  s'entend  quand  elles  se  reti- 
rent vers  le  midy,  après  que  le  soleil  est  sorty; 
mais  si  elles  se  retirent  devers  l'oiiest,  c'est  pré- 
sage de  beau  temps.  Si  quelques  nuées  environ- 
nent le  soleil,  d'autant  qu'elles  luy  lairront  moins 
de  lumière  et  clarté,  c'est  asseurance  de  grande 
tempeste,  laquelle  sera  plus  forte  si  sa  rondeur 
semble  estre  double.  Si  on  voit  des  nuées  ver- 
meilles couchées  sur  le  soleil  quand  il  se  levé, 
c'est  une  menace  que  le  vent  soufflera  de  l'endroit 
où  elles  sont  couchées  ;  mais  si  le  vent  tient  de 
midy,  on  n'attend  que  la  pluye.  Si,  lors  qu'il  se 
levé,  il  est  environné  de  nuées,  croyez  qu'il  ven- 
tera du  costé  où  la  rondeur  sera  descouverte,  et 
s'il  se  descouvre  du  tout  également,  ce  sera  signe 


ET    PREDICTIONS    ASTROLOGIQUES.    BiQ 

de  beau  temps.  S'il  jette  ses  rayons  bien  loin 
parmy  l'air  et  traverse  les  nuées  quand  il  se  levé, 
et  il  semble  avoir  quelque  peu  de  vuide  au  milieu 
du  soleil,  on  aura  de  la  pluye.  Si  avant  qu'il  sorte, 
les  rais  se  monstrent,  on  aura  des  vents  et  de 
l'eau.  Si,  au  coucher  du  soleil,  son  cerne  se 
monstre  blanc,  c'est  présage  de  tempeste  pour  la 
nuit,  et  de  vents  s'il  fait  bien  chaud.  Si  la  ron- 
deur du  soleil  apparoit  noire  ou  trouble  quand  il 
se  couche,  il  fera  grand  vent  du  costé  où  il  se 
descouvrira  le  plus. 

Et  quant  à  la  lune,  ceux  d'Egypte  observent,  le 
quatriesme  jour  de  la  lune,  que,  si  elle  se  trouve 
resplendissante  avec  une  belle  clarté,  ils  ne  font 
estât  que  du  beau  temps;  de  vents,  si  elle  est 
rouge  ;  de  pluye,  si  elle  est  noire.  Si  le  cinquiesme 
jour  les  cornes  de  la  lune  ne  sont  aiguës  et  dé- 
liées, mais  grosses,  mousses  ou  rebouchées,  cela 
signifie  pluye.  Si  la  lune  est  droite  et  renversée 
contremont,  elle  signifie  grands  vents,  tant  plus 
s'il  advient  au  quatriesme  jour.  Si  le  quatriesme 
jour  la  lune  se  tient  droite,  elle  signifie  tempestes, 
sauf  si  elle  a  autour  d'elle  un  cercle  bien  net.  Si, 
en  son  plein,  elle  se  trouve  nette  au  milieu,  c'est 
présage  de  beau  temps,  ou  si  lors  elle  a  un  cercle 
autour  d'elle,  on  aura  du  vent  du  costé  où  elle 
sera  plus  resplendissante.  Quand  elle  est  nou- 
velle, si  elle  se  levé  ayant  sa   corne    de    dessus 


320  DES     PROGNOSTICS 

comme  noire  alentour,  il  pleuvra  au  dernier 
quartier;  et  si  la  corne  d'embas  est  aussi  noire 
alentour,  il  pleuvra  avant  la  pleine  lune.  Si  la 
lune  monstre  ses  cornes  grosses  à  sa  naissance, 
elle  signifie  tempeste,  et  sera  tant  plus  grande, 
si  le  vent  d'ouest  ne  souffle  devant  le  quatriesme 
jour.  Si  le  sixiesme  jour  elle  a  grande  couleur 
de  flamme,  elle  signifie  tempeste. 

Bref,  si  les  feux  Latoniens  n'avoient  authorité 
et  commandement  sur  la  marine,  les  pilotes  se 
peineroient  ils  si  fort  à  rechercher  les  hauteurs, 
les  longitudes,  latitudes,  le  méridien,  les  décli- 
naisons solaires,  l'estoile  du  Nord  et  ses  sept 
gardes,  et  les  marées,  par  le  moyen  des  jours  de 
la  lune  et  de  la  conjonction? 

—  Vous  estes  comme  coigne-festu,  Seigneur 
Alphonse,  respond  le  S'"  Pastorelli;  vous  vous 
estes  estendu  bien  au  long,  présumant  faire  un 
bon  coup,  et  n'avez  rien  fait  pour  vous.  C'est 
encores  à  recommencer.  Tout  ce  long  discours 
qu'avez  fait  des  prognostics  tant  du  soleil  que  de 
la  lune  ne  tend  qu'à  monstrer  que  ces  deux  lumi- 
naires sont  esté  plantez  au  ciel  à  celle  fin  qu'ils 
fussent  en  signes  de  sérénité  et  de  tempeste  ;  mais 
de  surbastir  les  signes  adventuriers  de  Testât  de 
nos  vies,  cela  est  par  trop  hardiment  jouer  au 
deviner.  Si  vous  n'avez  autres  moyens,  je  pré- 
vois et  ne  feray  point  de  conscience  de  prédire 


ET    PREDICTIONS    AST  RO  LO  GI  QJU  E  S.    321 

que  j'emporteray  gain  de  cause,  avec  despens, 
dommages  et  interests. 

Par  ma  foy,  vous  me  faites  souvenir  du  S''  Gau- 
lard,  lequel,  ayant  entendu  que  le  coq  d'un  clo- 
cher qu'il  voyoit,  estant  tourné  du  costé  de  la 
bise,  tesmoignoit  qu'il  feroit  beau,  croyoit  fer- 
mement que  la  beauté  et  sereneté  du  temps  des- 
pendit de  ce  coq;  et  pource,  il  le  fit  clouer  et 
attacher,  ayant  la  queue  tournée  au  Nord.  Enquis 
à  quelle  occasion,  respondit  que  ce  n'estoit  que 
pour  cinq  ou  six  jours,  afin  qu'il  eut  beau  temps 
durant  son  voyage.  Vous  estes  aussi  fins  l'un  que 
l'autre. 

Or,  afin  que  je  vous  couse  le  bec  du  premier 
coup,  je  vous  demande  si,  parce  que  par  le 
calendrier  des  bergers  et  bonnes  gens,  nous 
trouvons  plusieurs  prédictions  du  beau  et  mau- 
vais temps  par  les  bestes  brutes,  vous  serez 
si  hardi  qu'il  y  ait  quelque  influence  brutale  qui 
esclaircisse  le  temps  ou  qui  embrouille  le  ciel  de 
nuées? 

Quant  les  puces  vous  mordent  plus  fort  que  de 
coustume,  aussi  tost  vous  venez  à  présager  la 
pluie  :  est-ce  que  la  saignée  que  vous  donnent  ces 
petites  bestioles  alambique  la  pluie  du  ciel.?  Et 
neantmoins,  parce  que  le  soleil  et  la  lune  nous 
advertissent  des  temps,  vous  voulez  inférer  que 
les  astres  découlent  leur  vertu  sur  nous.  Si  tost 

41 


322  DES     PROGNOSTICS 

que  vous  m'aurez  passé  l'article  des  puces,  je 
demeureray  d'accord  avec  vous. 

—  Ne  débridez  pas  si  viste,  Seigneur  Pasto- 
reili,  va  dire  ieS^  Alphonse,  je  vous  vay  renvoier 
chez  vos  parens.  Ah!  que- vous  faites  du  difficile, 
comme  si  on  ne  voyoit  pas  que  vous  pesle-meslez 
le  ciel  avec  l'eau,  et  qu'il  n'y  a  aucun  rapport  de 
la  puce  à  Taspect  de  nos  astres.  Toutesfois,  parce 
que  je  sens  que  quelques  uns  de  la  compaignie 
s'ennuyent  de  ce  que  ceste  aprésdisnée  les  rend 
trop  long  temps  sédentaires,  que  les  fesses  leur 
démangent,  je  ne  sçay  s'ils  ont  quelque  puce  qui 
les  festoie,  ou  autre  vermine.  Je  suis  trescontent 
d'estaler  icy  le  reste  de  mes  preuves.  Irons  nous 
aux  escoles  de  médecine,  et  vous  en  forbannirez 
l'astrologie  ?  Vous  ferez  ce  que  je  n'ose  dire  :  je 
payeray  trois  bussars  de  vin  normand,  soit  peré 
ou  citre,  tant  plus  que  du  moins,  s'il  vous  plaist 
en  dresser  des  thèses  et  les  soustenir  en  l'escole 
de  médecine  :  Ohl  qu'on  vous  veineroit  en  fils 
de  bonne  maison.  Ne  pensez  vous  point  qu'il 
faille  à  la  saignée  prendre  garde  aux  astres?  En 
temps  chaud  on  a  accoustumé  de  prendre  méde- 
cine :   que   diriez  vous    des  jours  caniculaires.? 
Lors  qu'il  fait  fort  froid,  les  purgations  et  phle- 
botomies,  si  elles  ne  sont  contraintes,  ne  sont 
elles  pas  interdictes? 

—  Quoy,  Seigneur  Alphonse,  va  dire  mçsser 


ET    PREDICTIONS    ASTROLOGICLUES.    323 

Nicolas,  il  n'y  aura  pas  la  médecine  qui  ne  vous 
serve  pour  surbastir  vos  astromanies  :  j'ay  bien 
dequoy  vous  payer,  vous  verrez  que  me  devrez 
de  reste.  Je  ne  suis  de  ces  niais  superstitieux  qui 
font  difficulté  de  la  saignée  d'un  .patient  lors  que 
la  lune  est  en  Gemini,  sous  lequel  signe  ils  po- 
sent le  bras,  ou  pendant  qu'elle  est  en  autre  signe, 
aiant  sous  sa  domination  autre  membre  du  corps 
humain.  Premièrement,  quel  démon  est  entré 
dans  leur  sermonniere  pour  leur  manifester  ces 
phantastiques  regards  qu'ils  attribuent  aux  pla- 
nètes? Si  l'un  le  veut  blanc,  l'autre  le  veut  noir; 
si  faudra  il  que  le  sang  soit  rouge.  Hippocrate, 
Galen,  Avicenne,  Oribase,  iEginete,  et  autres 
excellens  médecins  nous  ont  ils  astraints  à  tel 
régime.?  Leurs  livres  ne  nous  en  conseillent  un 
seul  mot.  Et  la  pratique  contraire  nous  fait  dépar- 
tir de  ces  superstitieuses  reserves,  mesmement 
puis  que  nous  voyons  que  ceux  qui  n'ont  tenu 
les  derniers  rangs  entre  les  plus  habiles  médecins, 
sans  s'arrester  à  ces  signes  ou  aux  conjonctions 
du  soleil  et  de  la  lune,  ont  fait  saigner  les  malades 
et  bailler  medeccine  lors  que  la  nécessité  le  reque- 
roit.  Par  ce  moyen,  ils  en  ont  plus  veu  guérir 
que  de  ceux  qui,  beans  après  les  bonnes  heures, 
perdoient  cependant  les  occasions  d'obvier  à  la 
force  et  violence  des  maladies. 

—  11  faut  donc,  Seigneur  Pastorelli,  répliqua 


324  ^^^     PROGNOSTICS 

le  S^  Alphonse,  que  vous  desmentiez  Pierre  d'Ap- 
pon,  qui  nous  rapporte  qu'un  certain  person- 
nage, pour  avoir  esté  saigné  au  bras,  la  lune  es- 
tant aux  Bessons,  tomba  en  inconvénient  de 
mort. 

—  Croiriez  vous.  Seigneur  Alphonse,  repon- 
dit messer  Pastorelli,  que  je  soie  si  mal-advisé 
que  de  lascher  un  desmenti  si  mal  à  propos  con- 
tre un  si  honneste  homme  qu'estoit  celuy  duquel 
vous  me  parlez?  Je  ne  décrois  point  le  fait  qu'il 
recite,  j'admets  la  circonstance  du  temps;  mais, 
au  lieu  qu'il  impute  l'accident  survenu  à  l'indis- 
position de  la  lune  sous  cest  aspect,  je  le  veux 
rejetter  ou  sur  l'inhabilité  du  chirurgien,  qui 
n'estoit  pas  bien  adroit  en  sa  charge,  et  qui  par 
malice  auroit  peu  blesser  le  malade,  ou  au  malade 
mesmes,  qui  auroit  fait  le  sot,  branslé  ou  remué 
le  bras;  ou  finalement  à  la  lancette  qui  n'auroit 
esté  nette  et  bien  parée.  Mais  que  la  lune  en  fut 
cause,  ce  n'est  non  plus  véritable  que  si  on  vou- 
loit  dire  que,  si  on  vous  avoit  donné  un  coup 
d'espée  au  travers  du  corps,  j'en  seroie  esté  cause 
parce  que  j'auroie  passé  alors  par  là.  Je  ne  vous 
suis  point  ennemy. 

Vous  faites  un  grand  quanquam  de  ce  qu'Hip- 
pocrate  en  ses  Aphorîsmes  dit  que  les  purgations 
sont  ennuyeuses  et  nuisibles  au  temps  des  jours 
caniculaires.  Comme  si  ce  médecin  entendoit  que 


ET    PREDICTIONS    ASTROLOGIQUES.    325 

le  signe  du  Petit-Chien  soit  contraire  aux  purga- 
tions.  Il  n'y  pensa  onques,  non  plus  que  moy,  à 
telle  intention  que  vous  mettez  en  avant;  ains 
parce  que  les  corps,  estans  lors  desseichez  et  en- 
flambez,  ne  soustiennent  la  force  des  médecines 
purgatives,  lesquelles  sont  grandement  chaudes 
et  sèches^  et  mesmement  celles  dont  on  usoit 
en  ce  temps  là  :  si  bien  qu'au  lieu  de  faire  quel- 
que bien  aux  corps,  alors  elles  les  eussent  préparé  et 
disposé  à  la  fièvre,  attendu  qu'en  temps  de  grand' 
chaleur  la  vertu  des  corps  se  resoult  et  débilite. 

Galen  nous  en  donne  une  autre  raison,  qui  est 
que  la  médecine  attire  des  parties  extérieures 
aux  intérieures,  et  la  chaleur  de  l'air  en  la  matière 
de  la  chaleur  du  bain,  attire  des  parties  intérieures 
aux  extérieures,  et  par  ce  moyen  la  médecine  est 
empeschée  en  son  opération.  Or  ce  n'est  point 
l'excès  du  chaud  qui  rebousche  l'effet  de  la  méde- 
cine, ains  aussi  le  trop  grand  froid,  pourautant 
que,  quant  le  temps  est  beaucoup  esloigné  de  la 
tempeture  et  tire  le  plus  à  la  froidure,  les  hu- 
meurs sont  généralement  coagulez  et  endurcis  ;  au 
moyen  dequoy  on  fait  alors  grande  difficulté  de 
purger  et  esmouvoir.  De  fait,  si  on  vouloit  pur- 
ger à  bon  escient  en  tel  temps  avecques  méde- 
cine laxative,  l'inconvénient  de  l'excoriation  des 
intestins  seroit  grandement  à  craindre,  pource  que 
la  froidure  de  l'air  comprime  et   repousse  les 


326  DES     PROGNOSTICS 

humeurs  à  restomac  et  aux  intestins,  la  dysenterie 
s'en  pourroit  ensuivre  par  la  violence  faite  par 
la  médecine  laxative,  d'autant  que  nature  auroit 
esté  lente  et  paresseuse  à  l'évacuation  des  humeurs 
colezou  attachez  aux  membres. 

—  Vertu  bille,  quels  grands  médecins  vous 
estes,  se  met  à  dire  le  seigneur  Galeas;  on  diroit 
que  de  vostre  vie  ne  fîstes  autre  chose  que  doser, 
medeciner  et  syringuer  des  clisteres  dans  les  grot- 
tesques  ventriculieres.  Per  fidem,  le  cœur  me  faut; 
et  si  vous  continuez  à  remuer  ces  fecalitez  purga- 
tives, j'en  rendray  aussy,  id  est,  en  bon  françois, 
afin  qu'un  chascun  l'entende  et  n'en  prétende 
cause  d'ignorance,  vous  me  ferez  escorcher  le 
regnard,  devant  lequel  vous  fuirez,  comme  font 
les  poules  à  la  présence  de  la  queue  vulpine. 
Quitez  moy  toutes  ces  selles  culieres,  et  les  cou- 
pez court.  Je  crois,  Seigneur  Alphonse,  que  n'au- 
rez d'aujourd'huy  fait  pro  affirmativa.  Si  messer 
Nicolas  estend  aussi  loin  le  chevrotin  pro  negativa, 
je  vous  prédis  in  terminis  hab'dibus  et  secundum 
quid,  cela  s'entend  sans  estre  astrologue,  que, 
quoy  que  j'aye  bonne  envie  de  sçavoir  qui  sera 
victuSy  je  seray  bien  homme,  aussi  bien  qu'autre 
de  ma  parroisse,  pour  rompre  demy  jeusne,  hoc 
est,  que  je  pourray  prendre  une  volte  de  ressiner. 

—  Puis  donc  qu'il  ne  m'est  loisible,  va  dire  le 
S'"  Alphonse,  de  plus  me  mesler  de  la  médecine, 


ET    PREDICTIONS    ASTROLOGIQUES.    827 

je  m'en  vay  vous  meteorologiser  et  vous  ramen- 
tevoir  que  la  pluspart  des  météores  nous  mena- 
cent et  ce  monde  élémentaire  de  quelque  sinistre 
malheur.  Pour  éviter  prolixité,  je  ne  donneray 
mire  qu'à  la  comète,  laquelle  nous  sçavons  n'avoir 
empenné  de  feu  le  ciel,  qu'à  sa  queue  elle  n'ait 
traîné  de  grans  vents,  des  sécheresses  estranges, 
la  famine  la  peste,  la  guerre,  les  inimitiez  et 
morts  des  princes  et  grans  seigneurs;  d'où  vient 
que  le  poète  Claudien  a  tresbien  dit  que  jamais 
on  ne  vit  comète  sans  un  triste  événement.  Quant 
aux  prognostics  des  vents,  stérilité,  faim  et  peste, 
vous  n'en  voudrez  pas  paraventure  faire  grand 
compte,  parce  que  naturellement  vous  en  descou- 
vrez ceste  raison,  qui  est  que  puis  que  la  comète 
est  composée  d'une  exhalaison  seiche  et  chaude, 
il  faut  bien  que  l'air  qui  en  est  embeu  soit  aussi 
corrompu  :  les  vers  du  poète  Aratus  vous  l'ap- 
prennent. Mais  dés  qu'il  faut  prognostiquer  ce 
qui  dépend  de  la  volonté  des  hommes,  je  m'as- 
seure,  Seigneur  PastoreUi,  que  vous  vous  en  tai- 
rez et  que  vous  confesserez  que  ces  impressions 
de  l'air  mesmes  ont  vertu  sur  nostre  vie  et  sur 
nos  deportemens.  Je  passeray  bien  plus  outre,  et 
par  la  raison  vous  monstreray  que  ce  prognostic 
outre-naturel  nous  est  naturel. 

Prenez  donc  qu'il  y  a  une  si  estrange  exha- 
laison de  laquelle  est  engendrée  ceste  chevelue 


328  DES     PROGNOSTICS 

impression,  qu'elle  ne  seiche  et  eschaufîe  pas  seu- 
lement l'air,  mais  aussi  nos  corps,  dans  lesquels, 
estans  bien  eschauffez,  s'empraint  une  forte  et 
roide  colère,  le  propre  de  laquelle  est  de  nous 
pousser  à  la  guerre,  inimitiez,  violences  et  excès, 
qui  en  entraînent  beaucoup.  D^ailleurs,  ceste  ex- 
traordinaire ardeur  et  sécheresse  jointe,  et  sur- 
adjoustée  aux  bons,  friands  et  délicieux  morceaux, 
desquels  les  grarxds  seigneurs  ont  accoustumé  se 
repaistre,  leur  embrase  et  ternit  toute  leur  vigueur 
vitale. 

Je  ne  vous  dresseray  point  icy  la  liste  des  co- 
mètes veuës  anciennement  et  de  nostre  temps; 
j'ay  peur  de  tenir  trop  long  temps  ceste  apres- 
disnée  :  la  Météorologie  de  Garceus  suppléera  ce 
que  pourriez  icy  souhaiter. 

—  N'ay  je  pas  beau  moyen.  Seigneur  Alphonse, 
va  dire  messer  Nicolas,  si  je  vouloie,  de  vous  ga- 
1er?  Estimez  vous  que  les  raisons  qu'avez  icy 
proposé  soient  nécessaires  et  concluantes?  Vous 
imputez  la  mort  des  princes  et  grands  seigneurs 
aux  morceaux  exquis  de  leur  repas,  aux  espice- 
ries  des  Molucques  et  autres  viandes  chaudes, 
aux  vins  candiot,  espaignol  et  autres  chauds  ap- 
pâts de  gueule.  Afin  que  vostre  argument  ne  per- 
dit la  face  de  raison,  faudroit  que  tous  ceux  qui 
sont  plus  excessifs,  qui  ne  se  pavent  les  gosiers 
que  d'aiguillons  à  Venus,  et  qui  ne  remplissent 


ET    PREDICTIONS    A  ST  R  O  LO  G  I  QJU  E  S.    829 

leur  panse  que  des  tisons  outre-marins,  passassent 
le  pas.  Je  passe  par  là  dessus  comme  si  vous  n'en 
aviez  ouvert  la  bouche,  afin  que,  si  vous  pouvez, 
vous  veniez  à  toucher  au  profit  qui  nous  pourroit 
estre  causé  par  vostre  astromanie. 

—  Je  n'ay.  Seigneur  Pastorelli,  respond  le  sei- 
gneur Alphonse,  plus  que  un  mot  à  vous  dire; 
c'est  que,  quoy  qu'on  ait  voulu  gasouiller  de  nos 
prognostics,  que  la  fin  nous  est  fort  profitable;  par 
les  fruits  vous  cognoistrez  que  je  n'avance  rien 
contre  la  vérité. 

Ptolomée,  en  son  livre  de  l'Utilité  des  preno- 
tions,  les  vous  représente.  «  Celuy  (dit  il)  qui  a 
ceste  cognoissance  des  astres  peut  destourner 
plusieurs  effets  des  estoiles,  se  préparer,  munir 
et  défendre  avant  que  l'exécution  en  advienne.  » 
Joint  que  le  prévoir  accoustume  et  règle  nostre 
esprit  par  la  méditation,  tant  des  choses  qui  sont 
absentes  que  de  celles  qui  sont  présentes,  et  l'ap- 
preste  à  recevoir  ce  qui  est  à  venir  avec  tranquil- 
lité et  constance,  juxta  illud  :  Tela  prœvisa  minus 
nocent.  Pour  exemple,  voila  le  ciel  qui  est  caracté- 
risé d'une  comète;  tous  les  princes  et  grands  sei- 
gneurs, s'ils  sont  tels  que  je  les  désire,  doivent 
alors  penser  à  leur  conscience,  et  croire  que  c'est 
le  présage  de  leur  mort,  à  chascun  particulière- 
ment. C'est  un  resveil  qu'on  leur  donne,  de  peur 

que  le  larron  ne  les    surprenne  dormans.  S'ils 

42 


33o  DES     PROGNOSTICS 

meurent,  les  voila  advertis;  ils  ont  eu  le  loisir  de 
donner  ordre  à  leurs  affaires  et  de  prendre  leurs 
habits  nuptiaux  pour  aller  à  la  feste.  S'ils  sont 
gratifiez  d'un  delay,  qu'y  perdent  ils?  Ont  ils 
occasion  de  se  mescontanter?  Tout  autant  que 
celuy  qui  auroit  esté  en  Turquie,  et  là  auroit  des- 
couvert que  l'Infidèle  armoit  contre  quelque 
prince  chrestien  ;  si,  passant  par  toutes  les  villes 
chrestiennes,  il  les  advertit  de  telle  entreprise,  le 
Vénitien,  le  Pape,  le  François,  l'Anglois  et  l'Es- 
paignol  ne  seroient  ils  taxez,  s'ils  se  formali- 
soient  alencontre  de  ce  fidèle  espion,  parce  que 
le  prince  mahemetan  se  rueroit  sur  la  Bohême  ou 
Hongrie  seulement? 

Au  reste,  vous  vous  abuseriez  de  beaucoup, 
Seigneur  Pastorelli,  si  vous  estimiez  que  nostre 
astrologie  bridast  les  actions,  deportemens  et 
exécutions  des  hommes;  que  nos  prédictions 
soient  arrests  qui  emportent  avec  eux  leur  exécu- 
tion parée;  qu'on  ne  puisse  eschaper  ce  dont 
les  astres  nous  menacent,  et  finalement  que  le 
bureau  des  astrologues  soit  un  second  siège  de 
la  Divinité,  où  on  détermine  et  conclud  des  af- 
faires humaines.  Ce  n'est  point  tout  cela  :  la  vo- 
lonté nous  demeure  libre  pour  régir  et  maistriser 
nos  actions;  si  quelquesfois  d'appréhension  elle 
est  tenue  en  relais,  poussée  ou  retenue  pour 
l'accomplissement  de  ces  prédictions,  si  ne  luy 


ET    PREDICTIONS     A  ST  RO  LO  G  I  QJJ  E  S.    33l 

tient  on  la  bride  si  roide  qu'elle  ne  puisse  à  son 
aise  se  tourner  et  plier  là  où  il  luy  plaist,  ou  se 
roidir  contre  l'effect  menacé  par  les  astres,  voire 
mesmes  se  départir  du  train  où  les  prognostics 
célestes  l'auroient  chassé.  Quant  aux  evenemens 
qui  ne  ressortissent  pas  immédiatement  de  la  libre 
volonté  de  l'homme,  mais  nous  sont  dénoncez, 
rapportez  et  signifiez  par  quelque  aspect  céleste, 
la  nature  n'est  point  si  flaque  et  faillie  de  pou- 
voir qu'elle  ne  les  puisse  contre-barrer,  rompre  et 
dissiper  :  d'ailleurs  nous  pouvons  les  empescher, 
adoucir  et  retarder  par  nostre  soin  et  diligence, 
par  l'accoustumance  et  par  l'invocation  du  divin 
secours. 

—  Vous  nous  gardiez  donccecy.  Seigneur  Al- 
phonse, va  dire  messer  Nicolas  Pastorelli,  pour 
l'arriere-mets,  présumant  que  me  fermerez  la 
bouche  contre  vostre  astromanie  :  si  est  ce  que 
n'est  pas  eschappé  qui  entraine  son  lien.  Pour 
contremire  de  l'utilité  qu'avez  attaché  au  pied  de 
vos  prognostics  celotiqs,  sans  entrer  en  colère, 
parce  qu'elle  me  pourroit  estre  nuisible,  je  vous 
renvoieray  à  ce  qui  a  esté  déduit  en  la  matinée 
qui  est  dédiée  aux  vieillards,  afin  que  par  redite 
je  ne  vienne  à  vous  ennuyer.  Avec  quelle  cour- 
toisie Laerce  nous  apprend  il  que  Diogenes  pati- 
noit  messieurs  vos  astrologues?  Ils  veulent, 
disoit  il,  prendre  le  soleil  et  la  lune  aux  dents,  et 


332  DES     PROGNOSTICS 

ne  peuvent  appercevoir  ce  qui  est  à  leurs  pieds. 
Stobée  rapporte  que  le  sage  Bias  se  moquoit  de 
vos  astrologues,  parce  (dit-il)  qu'ils  ne  sçauroient 
veoir  les  poissons  nouer  dans  l'eau  qui  n'est  pas 
à  demy  toise  de  leur  veuë,  et  toutesfois,  ils  se 
font  entendre  qu'ils  prendront  à  la  truble  ceux 
qu'ils  campent  au  ciel.  D'aussi  bonne  grâce  est 
le  traict  que  donne  le  cynique  Diogene  à  ce 
maistre  astrologue,  lequel,  pour  se  faire  estimer 
quelque  chose,  avoit  tracé  en  un  tableau  quel- 
ques estoiles,  et  disoit  que  celles  là  qu'il  mons- 
troit  estoient  errantes.  «  Helas,  mon  amy,  dit 
Diogenes,  ne  mentez  point,  je  vous  prie  :  ce  ne 
sont  point  les  estoiles  qui'  errent,  mais  ceux  qui 
sont  icy  avec  toy.  » 

Les  loix  mesmes  se  sont  armées  contre  ces  en- 
joUeurs.  Les  Athéniens  monstrerent  bien  à 
Anaxagoras  que  son  astrologie  ne  leur  estoit  à 
gré,  lors  qu'ils  le  condamnèrent  à  mort,  de  la- 
quelle à  peine  son  disciple  Pericles  le  peut  sau- 
ver :  si  fallut  il  aller  en  exil.  Agrippa,  pendant 
qu'il  estoit  aedildu  temps  de  l'empereur  Auguste, 
dechassa  de  Rome  tous  les  astrologues  et  magi- 
ciens. L'empereur  Tibère  les  chastia  par  mort. 
L'empereur  Vitelle,  après  la  déconfiture  qu'il 
eut  d'Otthon,  dechassa  de  Rome  tout  tant  d'as- 
trologues qui  y  estoient. 

De  fraische  mémoire  nous  avons  Alphonse,  roy 


ET     PREDICTIONS    ASTROLOGIQ^UES.    333 

d'Arragon,  lequel  est  prisé,  entre  autres  siennes 
vertus,  pour  avoir  esté  tresliberal  envers  les  gens 
de  lettres;  mais  quant  à  vos  astromanthes,  il  n'en 
voulut  tenir  aucun  conte,  dont  plusieurs  s'esba- 
hissoient,  attendu  que  c'est  la  coustume  des 
grands  de  se  servir  plustost  de  ceste  racaille  et  les 
avoir  à  leur  suite  que  d'autres  qui  serviroient  de 
beaucoup  au  public.  Un  jour,  il  y  eut  quelqu'un 
qui  voulut  en  sçavoir  la  raison,  auquel  on  fît 
response  :  Sydera  stultos  regunt,  sapientes  astris 
imperant,  c'est  à  dire  :  les  estoiles  gouvernent  les 
fols,  et  les  sages  commandent  aux  astres;  comme 
si  on  eust  voulu  faire  entendre  que  ce  sage  prince 
avoit  bonne  envie  de  si  bien  dispenser  ses  finan- 
ces qu'elles  ne  tombassent  qu'en  mains  qui  le 
méritassent;  et  quant  aux  astrologues,  qu'ils  es- 
toient  indignes,  attendu  qu'ils  s'amusoient  à  une 
profession  qui  affoloit  les  fols  et  estoit  de  fort 
peu  d'édification.  Je  passeray  plus  outre,  et  diray 
que  ce  sage  prince  faisoit  conscience  d'entretenir 
et  soudoyer  ceux  lesquels  il  sçavoit  ne  tendre 
qu'à  la  piperie  et  séduction  des  hommes.  S'il  les 
eut  porté,  qu'il  les  eut  entretenu  et  qu'il  leur  eut 
soulevé  le  menton,  on  le  vous  eut  tenu  pour  un 
maquignon  d'imposteurs. 

Voila  comment,  quelque  haillon  que  vous  jet- 
tiez  sur  le  misérable  corps  de  vos  astromantes  et 


33 


DES     PROGNOSTICS 


cœlicoles,  tousjours  on  descouvre  qu'il  y  a  de 
l'ordure  en  leur  fluste. 

—  Faut  que  soiez  bien  enverré  contre  les  as- 
trologues, Seigneur  Pastorelli,  répliqua  le  sei- 
gneur Alphonse,  qu'il  ne  tient  à  vous  que  ne 
les  rendiez  justiciables  au  fagot  comme  héréti- 
ques, sans  regarder  si  la  qualité  de  cœlicoles  leur 
appartient.  Contre  les  cœlicoles  vous  trouverez 
que  les  ordonnances  des  empereurs  ont  esté  au- 
tant et  plus  rigoureuses  que  contre  les  hérétiques, 
voire  contre  les  juifs.  La  loy  Cœlicolarum,  qui  est 
tant  au  Code  Theodosien  qu'en  celuy  de  Justi- 
nien,  de  Judxis  et  Cœlicolis,  vous  fera  toucher  au 
doigt  la  différence  qu'il  y  a  entre  nos  astrologues 
et  ces  cœlicoles.  Je  sçay  bien  que  le  mot  latin  de 
Cœlicola  vous  a  esberlué  vostre  imagination,  et 
que  présumez  que  les  cœlicoles  estoient  ainsi 
nommez,  quia  colerent  cœlum,  parce  qu'ils  ado- 
roient  le  ciel;  mais  cela  est  mal  entendre  les  escri- 
tures,  Seigneur  Pastorelli,  et  virer  la  charrue 
avant  les  bœufs.  Car,  quant  mesmes  vous  ne 
vous  mesprendriez  en  la  signification  du  nom  de 
cœlicole,  si  est  ce  que  vous  seriez  à  harauder  de 
ce  que  vous  voulez  que  nos  astrologues  adorent 
le  ciel.  N'estoit  la  compaignie  et  le  respect  que 
je  vous  ay,  si  un  autre  me  venoit  viedaser  le  nez 
de  telles  niaiseries,  il  n'y  a  point  tant  de  cheveux 


ET     PREDICTIONS    A  ST  ROLO  G  I  CLU  E  S.    335 

et  poil  sur  le  corps  d'un  sauvage  tout  velu  que  je 
luy  donneroie  de  milliers  de  démentis,  potestate^ 
non  actu,  pour  ne  tomber  en  altère.  Mais  reve- 
nons à  nos  moutons;  vous  confondez  nos  astro- 
logues avec  les  cœlicoles.  Lisez  ladite  loy  Cœlico- 
larum,  distingue  tempora^  et  conciliabis  scripturas. 
En  icelle  vous  trouverez  que  les  empereurs  Hono- 
rius  et  Theodose  remarquent  expressément  que 
c'estoit  une  nouvelle  secte  qui  s'estoit  eslevée  en 
leur  temps.  Or  on  sçait  que  les  prophètes,  et 
entre  autres  Sophonias,  ont  dés  long  temps 
dressé  leurs  plaintes  de  ce  qu'ils  adoroient  la 
gendarmerie  du  ciel.  Geste  superstition  n'estoit 
pas  donques  nouvelle,  mais  très-ancienne,  ou  il 
faudra  que  vous  mainteniez  que  ces  empereurs 
ayent  fait  un  pas  de  clerc.  Le  principal  sera  de  le 
vérifier.  Mais  voulez  vous  sçavoir  qui  estoient 
ces  vénérables  cœlicoles?  Rien  autre  que  des 
membres,  branches  et  rejettons  du  Donatisme, 
lesquels  se  qualifîoient  cœlicoles,  comme  s'ils 
eussent  esté  habitans  du  ciel,  ainsi  que  vous 
voyez  que  les  regnicoles  sont  ceux  qui  habitent  le 
royaume,  et  les  incoles  les  habitans.  Or,  que  ces 
cœlicoles  ayent  esté  esclos  par  les  Donatistes,  je 
n'en  veus  autre  preuve  que  ce  que  nous  lisons 
que  les  Donatistes  se  donnoient  le  nom  de  Bien- 
heureux (et  où  logez  vous  les  bienheureux  qu'au 
ciel?),  encores  qu'ils  rampassent  en  ce  monde. 


336  DES     PROGNOSTICS 

—  Seigneur  Pastorelli,  je  sçay  bon  gré  au 
S^"  Alphonse  d'avoir  bon  cœur,  va  dire  messer  Ga- 
leas  Gamarin;  je  crois  qu'il  ne  se  rendra  qu'à  fine 
force.  Advisez  à  bien  ergotter  :  par  le  sang  goy, 
il  est  savant  jusques  aux  dents,  et  est  subtil  en 
diable,  quod  dicitur  valde.  Or  ça,  qu'on  vous  en- 
tende un  peu  canonner  contre  les  astres,  sur  tout 
gardez  la  lune  des  loups  :  jusques  icy,  le  seigneur 
Alphonse  a  la  meilleure  cause  de  France  ;  que  si 
ne  luy  faites  perdre  terre,  il  vous  en  donnera  du 
long  et  du  large. 

—  A  bon  chat  bon  rat,  respondit  le  seigneur 
Pastorelli;  si  faut-il  que  je  vous  en  donne  le 
passe-temps.  Que  direz  vous,  Seigneur  Alphonse, 
à  ce  que,  par  l'authorité  de  la  parole  sacrée,  il 
nous  est  expressément  interdit  de  fureter  aux 
cieux,  sur  tout  de  nous  amuser  à  vos  présages 
astromaniques?  Isaye  le  prophète,  au  chap.  xlvij, 
voicy  comme  il  parle  à  la  cité  de  Babylone,  qui 
avoit  idolâtré  après  vos  astrolatries  :  Maintenant 
que  les  espieurs  du  ciel  viennent  en  avant ,  et  ceux 
qui  contemplent  les  estoiles,  devinans  selon  les  lunes, 
et  te  sauvent  des  choses  qui  sont  à  advenir  sur  toy. 
Voicy  :  ils  sont  faits  comme  Festeule,  le  feu  les  a 
consumés.  Et  au  chapitre  xliv,  en  la  personne  de 
Dieu  le  créateur  :  Je  suis  (dit-il)  le  Seigneur  qui 
fais  toutes  choses,  qui  ay  espandu  le  ciel  et  affermy 
la  terre  sans  autruy,  qui  enfreins  les  signes  ausquels 


ET    PREDICTIONS    A  ST  R  O  LO  G  I  C)_U  E  S.    337 

s'arrestent  les  devins,  et  tourne  les  magiciens  en  fu- 
reur, destournant  les  sages  au  rebours,  et  faisant 
leur  science  estre  folie.  Le  prophète  Hieremie,  au 
lo  chapitre,  s'exprime  assez  ouvertement  contre 
vos  prognostics,  parlant  à  ceux  de  la  maison 
d'Israël  :  N'apprenez  point  (dit-il)  les  voyes  des 
Gentils,  et  ne  craignez  point  les  signes  du  ciel,  ainsi 
que  les  Gentils  les  craignent. 

Sur  ce  passage,  S.  Hierosme  remarque  que  le 
prophète  parle  des  peuples  et  personnes  qui  pen- 
sent que  le  monde  soit  regy  par  les  astres,  et  que 
toutes  choses  terriennes  ont  leur  naissance  des 
causes  célestes,  lesquelles  toutesfois  ne  peuvent 
faire  ny  bien  ny  mal.  Et  par  les  signes  il  n'entend 
que  le  soleil,  la  lune  et  autres  estoiles  mises  par 
la  puissance  divine  au  ciel  pour  distinguer  les 
ans,  mois,  jours  et  saisons.  Pourtant  ne  faut  les 
craindre,  parce  qu'en  ces  astres  n'y  a  aucune  di- 
vinité :  ces  estoiles  ne  sont  dieux,  ainsi  que  les 
Gentils  ont  estimé,  ayans  quelque  pouvoir,  ains 
créatures  de  Dieu  qui  les  a  colloque  au  ciel  pour 
signes. 

De  mesmes  les  docteurs  de  l'Eglise  ont  fou- 
droyé contre  ce  levain  d'impiété,  pour  garentir 
les  compaignies  chrestiennes  du  reproche  et  vice 
d'Egypte  :  ainsi  est  qualifiée  vostre  cœlofolie  au 
canon  sed  et  ïllud  en  la  cause  2  3,  question 
deuxiesme.  Sainct  Augustin,  au  chap.  5  du  5  li- 

4-" 


338  DES    PROGNOSTICS 

vre  de  la  Cité  de  Dieu  n'y  oublie  aucune  chose, 
non  plus  que  S.  Ambroise  en  son  Hexameron.  Je 
vous  tiendroie  trop  long  temps  si  je  vouloie  icy 
reciter  tout  ce  que  ces  personnages  ont  tressainc- 
tement  escrit  touchant  vostre  astromanie  :  si  faut 
il  que  je  vous  cotte  un  passage  de  S.  Basile,  le- 
quel à  cors  et  à  cry  soustient  que  les  astres  ne 
nous  peuvent  donner  quelque  force  ou  puissance, 
tant  pour  la  constitution  de  nostre  estre  et  tem- 
pérature, que  pour  reigler  nos  d^portemens  et 
actions;  d'autant  que  si  ainsi  estoit,  ce  seroit  à 
dire  que  nous  ferions  Dieu  autheur  du  péché, 
parce  qu'il  nous  y  contraindroit,  pousseroit  et 
forceroit  par  ses  vertus  célestes.  Cela  n'est  ce 
pas  atheiser  et  se  despouiller  de  l'habit  chres- 
tien?  Pource,  S.  Paul  se  faschoit  aux  Galates  de 
ce  qu'aucuns  d'eux,  s'adonnans  à  vos  devinations, 
contoient  par  forme  d'importance  les  jours,  les 
temps  et  les  mois  :  «  J'ay  crainte,  dit  il,  que  ce 
que  je  vous  ay  enseigné  ne  face  aucun  fruict  en 
vous.  )>  Voulant  par  ce  inférer  que  malaisément 
la  parole  de  Dieu  peut  avoir  efficace  en  ceux  qui 
s'amusent  à  telles  superstitieuses  observations. 

—  Ceste  charge.  Seigneur  Pastorelli,  vous 
semble  bien  roide,  répliqua  le  seigneur  Alphonse, 
vous  verrez  que  je  la  faulseray  sans  beaucoup 
m'y  eschaufîer  :  un  seul  petit  mot  vous  couperoit 
la  broche  à  vos  illations  cornues,  c'est  que  toutes 


ET    PREDICTIONS    ASTROLOG  I  Q^U  ES.    SSç 

VOS  allégations  ne  tendent  que  contre  ceux  qui 
veulent  gentiliser  et  nécessiter  les  hommes  selon 
le  règlement  des  astres.  Vous  sçavez,  Seigneur 
Nicolas  mon  amy,  que  telle  opinion  et  absurdité 
ne  me  vindrent  onques  en  fantasie.  Seulement  je 
soustiens  (je  crois  que  j'auray  Origene  de  mon 
party)  que  les  astres  nous  sont  signes,  marques 
et  tesmoignages  des  choses  passées  et  à  venir  : 
voire  que  tout  ne  plus  ne  moins  que  dans  un  li- 
vre qui  auroit  esté  dressé  des  prophéties  qui  de- 
vroient  advenir,  nous  pourrions  lire  les  choses 
futures,  ainsi  dans  les  astres  Dieu  de  son  doigt 
a  engravé  ce  dont  nous  sommes  menacez  et  qui 
nous  est  promis.  C'est  comme  un  registre,  cayer 
et  protocolle,  où  sont  couchées  les  liberalitez  et 
tresjustes  vengeances  lesquelles  Dieu  doit  des- 
ployer sur  nous.  Si  par  nostre  mescognoissance  et 
impieté  nous  nous  rendons  indignes  de  ses  mu- 
nificences, ou  si  par  nostre  repentance  et  aman- 
dement  nous  prévenons  l'ire  divine,  les  astres 
pour  ce  ne  sont  illusoires.  Les  astres  sont  lettres 
hiéroglyphiques  où  sont  caractérisées  les  pro- 
messes et  menaces  célestes  :  pource  dira  on  que 
l'astrologie  soit  frustratoire,  parce  qu'à  point 
nommé  et  à  tous  coups  l'effet  et  exécution  ne 
s'en  ensuit,  ou  que  nous  attachions  la  toute- 
puissance  de  l'Eternel  aux  estoiles?  Ce  seroit 
avec  autant  d'apparence  que  si  on  disoit  que  le 


340  DES    PROGNOSTICS 

papier  du  secrétaire  d'Estat,  qui  contient  les  dons 
d'un  prince  faits  aux  particuliers,  porte  exécution 
parée  alencontred'un  prince.  Il  n'y  a  que  sa  libé- 
ralité qui  l'astraigne.  L'ingratitude  du  donataire 
peut  faire  retirer  le  don;  mesmes  le  don  pourra 
estre  tel,  qu'il  le  faudra  vérifier  en  la  chambre 
des  comptes.  Je  ne  veux  donner  des  contreroleurs 
à  la  volonté  de  Dieu;  je  sçay  qu'elle  porte  son 
exécution;  mais  puis  qu'il  luy  plaist  de  nous  gra- 
tifier de  tant,  que  nos  deportemens,  quoy  qu'ils 
ne  vaillent  rien,  soient  neantmoins  comme  cou- 
chez et  allouez,  acceptilationis  jure,  pour  jouir  du 
fruit  de  la  munificence  supernelle,  pourquoy 
n'aurons  nous  recours  à  ce  riche  et  précieux 
cayer?  Pourquoy  ne  le  fueilleterons  nous  pour 
sçavoir  si  nous  sommes  couchez  ou  en  Testât  des 
favoris,  afin  de  nous  insinuer  de  tant  plus  aux 
bonnes  grâces  de  nostre  prince,  ou,  si  nous  som- 
mes menacez  de  quelque  malheur,  pour  tascher 
de  l'éviter? 

Or  encores  qu'ainsi  soit,  si  faut  il  que  particu- 
lièrement j'examine  chascun  de  vos  moyens,  par 
lesquels  vous  efforcez  d'astromaniser  l'astrologie. 
Le  texte  cotté  d'Isaie  ne  condamne  pas  l'astrolo- 
gie, ains  les  abus  qui  s'y  commettent.  Croiriez 
vous  bien  que  je  veuille  partiser  pour  le  mes-us? 
Je  ne  veux  point  prendre  la  parole,  soit  pour 
ceux  qui,  esclairez  par  quelque  chetif  et  illegi- 


ET    PREDICTIONS    ASTROLOGIQUES.    841 

time  gain,  exaltent  rastrologie  reprouvée  par 
dessus  le  reste  de  toutes  les  sciences,  soit  pour  la 
témérité  des  autres,  qui  veulent  garrotter  la  toute- 
puissante  main  de  l'Eternel  aux  liens  et  conjonc- 
tions des  astres.  A  ceux  là,  je  suis  l'un  des  pre- 
miers qui  m'employeroie  de  bien  bon  cœur  pour 
livrer  la  guerre.  Je  ne  suis  point  si  mal  advisé, 
par  la  grâce  de  Dieu.  J'assujettis  les  astres  au  pre- 
mier moteur  de  tout  l'univers. 

Il  semble  que  vous  nous  vouliez  gentiliser, 
comme  si  nous  adorions  les  estoiles.  Vous  sçavez 
bien  le  contraire  :  nous  avons  l'ame  caractérisée 
du  sceau  de  la  chrestienté  aussi  bien  que  vous.  Que 
si  nous  observons  le  cours,  la  conjonction  et  les 
significations  des  astres,  ce  n'est  pas  à  dire  que 
nous  adorions  les  créatures  de  celuy  qui,  estant 
le  Créateur  de  toutes  choses,  ne  peut  endurer 
que  nous  transportions  ou  communiquions  à  au- 
truy  l'honneur  d'adoration  qu'il  tient  exclusive- 
ment incommunicable  à  autre.  Seriez  vous  bien  là 
logé  que  nous  faire  craindre  les  signes?  Nous  ne 
sommes  Gentils,  Egyptiens  ny  Chaldeens;  nous 
sçavons  tresbien  que  Dieu  est  tout-puissant  pour 
reboucher  la  force  et  exécution  des  signes;  et 
comment  le  pourrions  nous  mettre  en  ny?  Cest 
axiome  est  tout  commun  en  la  bouche  d'un 
chascun,  que  sapiens  dominabitur  astris. 

Cy  dessus  nous  avons  remarqué  que  l'astrolo- 


342  DES     PROGNOSTICS 

gie  nous  apportoit,  entre  autres  comoditez,  celle 
cy  :  qu'estans  advertis  d'un  inconvénient  qui  de- 
voit  donner    sur   nous,  par  nostre    prévoyance 
nous  pouvons  le  rabattre.  Mesmes  je  treuve  que 
le    cardinal    René    de    Birague,    chancelier    de 
France,  tenoit  ceste  maxime  que,  pour  venir  à 
chef  de  quelque  haute  entreprise,  il  n'y  avoit 
que  le  prévoir  qui  mit  un  personnage  en  estime. 
Le  passage  tiré  de  S.  Basile  a  donné  de  la  peine 
à  plusieurs,  par  faute  d'avoir  bien  sceu  distinguer 
l'estre  de  l'homme,  après  qu'il  a  péché,  d'avec 
l'intégrité  de  sa  nature  incorrompue.  Avant  que 
nos  premiers  pères  eussent  preste  l'aureille  à  Sa- 
than,  il  y  avoit  une  sympathie  et  accord  louable 
de  l'homme  avec  les  elemens  et  les  choses  célestes  ; 
mais  dés  que  l'infection  du  péché  vint  à  tacher  le 
pauvre  Adam,  la  terre  refusa  son  devoir;  les  as- 
tres se  bandèrent  contre  celuy  qui,  criminel  de 
felonnie  alencontre  du   Seigneur  commun,    les 
armoit  contre  sa  mescognoissance.   Toutesfois, 
comme  Dieu  est  plus  enclin  à  pitié  et  miséricorde 
qu'à  courroux,  pour  donner  moyen  de  respirer  à 
son  ingrat  Adam,  il  voulut,  par  manière  de  dire, 
imprimer  au  front  de  chasque  astre  une  marque 
du  malheur  qui  estoit  prêt  de  tomber  sur  les 
humains,  afin  que,  s'ils  sont  sages,  ils  y  pren- 
nent garde.  Est-ce  donc  la  raison  de  condamner 
l'astrologie  parce  que  les  astris  nous  menacent 


ET    PREDICTIONS    ASTROLOGIQUES.     843 

du  mauvais  naturel  qui  doit  prédominer  sur 
Néron,  Caligule  et  autres  monstres  d'impiété? 
Qui  en  eut  esté  adverty,  pensez  vous  que  l'em- 
pire romain  eut  esté  deshonoré  par  le  gouverne- 
ment de  tels  garnemens?  L'illation  est  par  trop 
cornue  (gardez  qu'elle  ne  vous  donne  sur  le  nez, 
peut  estre  elle  vous  pocheroit  les  deux  yeux  au 
beurre  noir)  de  dire  que  Dieu  seroit  cause  de  nos 
maux.  La  solution  dépend  du  thème  de  la  prédes- 
tination, dont  je  ne  veux  pas  icy  parler,  parce  que 
la  response  est  aisée,  et  qu'aussi  je  pourroie  m'en- 
gager  en  des  incidens  qui  me  feroient  esgarer  de 
mon  sujet,  ou  me  feroient  reputer  pour  autre  que 
je  ne  suis.  Il  y  a  plus,  que  c'est  une  matière  théo- 
logale à  laquelle  je  m'en  garderay  bien  de  tou- 
cher :  je  ne  suis  ny  en  Testât,  ny  en  l'habit. 

Mais  je  pense  et  repense  à  la  force  de  vos  argu- 
mens;  il  semble  que  vous  voudriez  avec  S.  Basile 
qu'on  raclast  toute  notre  céleste  astrologie,  parce 
que  les  Gentils  en  ont  mal  usé.  Là  dessus  je  vous 
respons  que  vostre  conclusion  n'est  pas  néces- 
saire, quare?  quia,  pource  que,  d'autant  que, 
pourautant  que  nous  ne  la  pervertissons  à  mal, 
ains  nous  en  sentons  comme  il  appartient.  Je 
vous  voudroie  demander  si  quand  vous  avez  esté 
parmy  la  ville  à  pied,  à  cheval,  sur  mule,  sur 
mulet,  sur  asne,  ou  sur  autre  monture  portative 
(je  dis  cela  à  cause  des  chameaux  et  des  croche- 


344  ^^^    TROGNOSTICS 

teurs,  par  lesquels  vous  pourriez  vous  estre  fait 
porter),  aut  aliter^  vous  n'avez  jamais  apperceu 
que,  lors  qu'on  couvre  une  maison,  on  a  accous- 
tumé  de  tendre  une  perche  au  bout  d'une  corde, 
cela,  à  vostre  advis,  n'est  ce  pas  pour  vous  ad- 
vertir,  et  tous  les  passans,  de  se  donner  garde? 
Maintesfois  cela  m'a  sauvé  de  recevoir  maints 
plâtras  et  plusieurs  coups  de  tuiles.  Vous  ne  direz 
pas  que,  ou  ceux  qui  mettent  là  cette  perche 
soient  cause  de  la  mort  que  recevra  celuy  sur  qui 
on  jettera  quelque  mortier,  ou  que  tous  ceux  qui 
regardent  ce  signal,  et  à  cause  de  luy,  se  retirent 
gentiment,  de  peur  de  recevoir  talemouse.  Que 
si  quelcun  estoit  si  estourdy  que  de  se  venir 
donner  par  le  nez  de  ceste  perche,  ou  qu'il 
oublia  que  ce  signal  le  preservoit  de  quelque 
mal,  quant  mesmes  on  le  vous  assommeroit  de 
pierres,  laives  et  ardoises,  seriez  vous  d'advis.  Sei- 
gneur Pastorelli,  qu'on  fît  une  ordonnance  ou 
statut  par  lequel  on  defendroit  aux  couvreurs  de 
plus  mettre  telles  perches  ?  Vous  retrancheriez 
l'usage  pour  l'abus.  Donques,  tout  ainsi  que  ce 
signal  vous  advertit  que  si  vous  passez  là  dessous 
où  il  est,  vous  serez  en  danger  de  recevoir  quel- 
que coup,  aussi  les  astres  nous  monstrent  et  signi- 
fient le  péril  eminent  qui  nous  menace  en  leur  con- 
jonction ou  autrement  :  à  celle  fin  que  nous  nous 
escartions  des  coups,  et  qu'avant  de  passer,  tout 


ET    PREDICTIONS    ASTR  O  LOGI  dU  ES.     845 

ainsi  que  l'on  crie  au  couvreur  qu'il  arreste  de 
peur  de  nous  blesser  (prenez  cecy  comparate,  et 
vous  souvenez  que  toutes  comparaisons  clochent), 
nous  supplions  le  grand  ouvrier  du  monde  qu'il 
luy  plaise  retenir  le  plâtras  de  son  ire,  au  moins 
qu'il  ne  nous  en  écrase  nos  testes. 

—  Par  mon  foye,  Seigneur  Alphonse,  répliqua 
messer  Nicolas,  cela  est  trop  braver,  je  trouve  de 
vous  ce  que  m'en  a  dit  le  S''  Galeas  Gamarin  : 
si  n'est-il  pas  question  de  demourer  en  si  beau 
chemin,  on  diroit,  par  man-dea,  que  je  seroie 
un  fat,  que  je  me  lairroie  tondre  la  laine  sur  le 
dos,  et  que,  par  faute  d'avoir  bien  débattu  ma 
cause,  je  l'auroie  perdue.  A  ceste  heure,  je  vous 
veux  battre  de  la  contrariété  qui  est  entre  vos 
astromanthes;  mesmes  ils  ne  se  peuvent  accorder 
pour  les  principes  et  reigles  qu'il  convient  suivre 
pour  deviner.  Car  les  Chaldées,  en  la  division  du 
Zodiac,  y  mettent  non  pas  les  douze  signes 
comme  les  autres,  mais  onze  images  de  diverse 
longueur  et  largeur,  et  si  ne  distribuent  point  les 
planètes  par  mansions,  mais  regardent  seulement 
aux  hauteurs.  Les  autres,  combien  qu'ils  s'accor- 
dent en  la  division  des  signes  et  degrez,  toutes- 
fois  se  contredisent  au  département  des  miansions, 
de  sorte  que  l'on  est  bien  empesché  de  sçavoir 
ausquels  plustost  croire.  Ainsi,  il  advient  que  la 
planète  qui,  selon  les  uns,  est  en  la  première  man- 

44 


846  DES     PROGNOSTICS 

sion,  est  colloquée,  selon  les  autres,  en  la  seconde 
ou  douziesme;  cela  fait  que  les  regards,  domina- 
tions et  forces  d'icelles  sont  grandement  con- 
traires, au  moins  la  diversité  y  est  du  tout  pal- 
pable, parce  qu'une,  estant  forte  en  la  première 
ou  quatriesme  ou  au  coin,  n'aura  aucune  force  ny 
vigueur  en  la  douziesme  maison. 

Et,  à  dire  le  vray,  il  est  fort  estrange  qu'une 
estoile  estant  en  la  quatriesme  mansion  sous  la 
terre,  ait  plus  d'efficace  et  influence  sur  la  créa- 
ture venant  au  monde,  que  celle  qui  sera  en  l'on- 
ziesme  ou  douziesme,  en  l'orizon,  et  dessus  la 
terre,  lors  d'icelle  nativité.  A  ceste  occasion,  aucuns 
ont  esté  contraints  contredire  à  la  commune  opi- 
nion, soustenans  que  les  estoiles  estansen  l'orizon 
et  sur  la  terre  lors  de  la  nativité  sont  plus  fortes 
et  de  plus  grande  opération  que  celles  qui  lors 
sont  cachées  et  ne  sont  en  évidence.  Leur  con- 
trariété vient  de  là,  quant  à  la  force  et  vertu  des 
mansions.  Ptolomee  mesmes  quelquesfois  prépose 
l'onziesme  en  force  à  la  première,  quelquesfois 
est  d'opinion  diverse;  d'avantage  il  donne  la 
vertu  principale  au  milieu  du  ciel,  Abrazar  à 
l'orient. 

Quant  à  la  distribution  des  regards  et  à  la 
nature  des  planètes,  ils  se  contrarient  aussi  mer- 
veilleusement; car  Abarangel  et  Alcabite  ont 
estimé  que  la  lune  estoit  froide;  et  toutesfois. 


ET    PREDICTIONS    ASTROLO  G  I  QJU  ES.      847 

Abrazaret  Ptolomée  Font  réputée  estre  chaude. 
Le  pareil  est  de  la  bonté  ou  malice  d'icelles,  en 
quoy  ils  ne  s'accordent  non  plus  qu'au  reste.  Ave- 
nazra  attribue  les  testicules  (je  suis  contraint  de 
nommer  ainsi  ces  deux  petits  tesmoins  virils  et 
latiniser,  de  peur  de  faire  venir  l'eau  à  la  bouche 
à  nos  Damoiselles)  à  l'Archer;  Abrazar  au  Scor- 
pion. Quant  au  diaphragme  qui  sépare  les  mem- 
bres spirituels  des  membres  servans  à  la  nourri- 
ture, Alcabite  le  range  sous  la  Pucelle;  Porphire 
sous  le  Lyon,  auquel  il  resigne  le  ventre,  encores 
que  les  Arabes  le  mettent  audessous  de  la  Pu- 
celle. Aucuns  supposent  les, genoux  à  l'Archer, 
mais  les  Arabes  et  Latins  le  livrent  au  Chevreul. 
Heliazar  Hebrieu  assigne  à  l'Ecrevisse  les  mains 
et  les  pieds;  les  autres  donnent  les  mains  aux 
Bessons,  et  les  pieds  aux  Poissons.  Aucuns  font 
présent  des  parties  qui  ne  sont  à  nommer  (parce 
que  nature  les  rend  honteuses  et  ne  veut  qu'elles 
soient  esventées,  surtout  devant  une  aussi  notable 
compaignie  qu'est  ceste-cy)  au  Scorpion  :  les 
autres  veulent  qu'elles  soient  sous  l'Archer.  Voila 
de  terribles  confusions  et  incertitudes,  desquelles 
je  ne  fais  que  me  jouer,  et  ne  daigneroie  m'en 
estonner,  puis  que  je  sçay  quêtant  d'astrologues, 
qui  se  meslent  de  juger,  ne  font  que  voltiger 
parmy  l'air  et,  se  repaissans  d'air,  ne  nous  peu- 
vent donner  rien  autre  que  du  vent. 


348  DES     PROGNOSTICS 

—  J'ay,  Seigneur  Pastorelli,  respondit  le  sei- 
gneur Alphonse,  double  moyen  en  main  pour 
vous  rabattre  les  doux  de  vos  contrarietez.   Le 
premier  est  fondé  sur  ce  que  nos  astrologues, 
pour  avoir  eu  diverses  considérations,  ont  peu 
aussi  avoir  diverses  opinions  et  divers  jugemens. 
Si  vous  pensiez  que  toutes  choses  fussent  en  un 
chosier,  vous  vous  tromperiez  bien.  Je  ne  vous 
veux  donner  qu'un  exemple  pour  vous  esclaircir 
le  poinct  que  je  poursuis,  mais  ce  sera  sans  sortir 
de  nostre  carrière.  Vous  avez  opposé  Heliazar 
Hebrieu  contre  les  autres  astrologues  ;  je  veux 
faire  d'avantage  ;  je  le  vay  faire  contrarier  à  soy- 
mesmes  :  vous  avez  dit  qu'il  assignoit  les  mains 
et  les  pieds  à  l'Escrevisse;  je  trouve  qu'il  a  attri- 
bué à  la  Livre  les  grèves  et  les  pieds,  et  si  pour 
cela  n'a  point  laissé  d'en  faire  part  à  l'Escrevisse. 
Le  voila,  direz-vous,  qu'il  se  dément  et  contredit 
luy  mesmes  :  mais  escoutez  la  raison  d'une  telle 
diversité.  Il  donne  les  pieds  et  grèves  à  l'Escre- 
visse, parce  qu'ils  servent  pour  marcher,  et  à  la 
Livre,  pourautant   qu'en   allant  on  les  levé  et 
abbaisse,  qui  est  une  ressemblance  qu'ils  ont  avec 
la  Balance  ou  la  Livre. 

Le  second  moyen  est  que  la  contrariété  des  as- 
trologues ne  peut  faire  tort  à  l'astrologie  :  c'est 
une  maladie  de  laquelle  je  treuve  que  tous  les  arts 
et  sciences  ont  receu  coup.  Me  nierez  vous  que 


ET    PREDICTIONS    A  ST  RO  LOGI  Q^U  E  S.     ^49 

la  Théologie  soit  parsemée  de  lignes  contraires 
et  diverses?  Je  ne  parle  point  des  hérétiques  et 
schismatiques,  ils  ne  méritent  point  le  nom  de 
théologiens.  Ce  ne  sont  point  les  Scholastiques 
lesquels  je  pretens  icy  faire  entrechoquer  :  les 
partis  de  Paul  et  d'Apollon  y  sont  trop  manifestes. 
Visitons  ceux  qui  sunt  in  gradu  positivo.  Aucuns 
d'eux  ont  tenu  qu'il  estoit  loisible  se  meffaire., 
lors  que  la  chasteté  estoit  en  danger  d'estre 
volée:  je  m'en  rapporte  à  ce  qui  est  couché  au 
Can.  non  est  nostram,  23.  caus.,  quest.  5.  S.  Au- 
gustin tient  formellement  le  contraire  en  sa  Cité 
de  Dieu,  attendu  que,  s'il  ne  faut  faire  mal  afin 
qu'il  advienne  bien,  can.  quod  ait,  distinct,  c.  4, 
pourquoy  se  violentera  on  pour  éviter  l'effort? 

En  la  physique  combien  trouvons-nous  de 
mesaccord  entre  les  naturalistes?  A  tous  bouts  de 
champs,  ils  sont  aux  cousteaux  tirer  pour  les  prin- 
cipes, pour  les  causes,  pour  les  éléments,  pour 
l'ame,  pour  le  flux  et  reflux  de  la  mer,  et  pour  les 
principaux  points  de  la  naturalité.  La  médecine  et 
jurisprudence  sont  embarrassées  de  tant  de  diffe- 
rens,  qu'avant  qu'on  ait  bien  entendu  le  secret  et 
le  mot  du  guet  de  celuy  sous  l'enseigne  duquel  on 
veut  trotter,  courir  et  s'achallander,  on  a  la  teste 
negeuse.  Pour  toutes  ces  contrarietez,  pour  la 
diversité  des  opinions^  pour  l'incertitude  des 
sciences,  je  n'estime  pas  que  vous  soyez  si  teme- 


35o 


DES    PROGNOSTICS 


raire  que  de  vouloir  conclure  au  retranchement 
des  disciplines;  autrement  on  diroit  qu'Agrippa 
vous  auroit  grippé  par  ses  griffes,  et  par  consé- 
quent que  ne  vaudriez  pas  un  parapharagaramus ; 
mais  ce  que  j'ay  trouvé  aujourd'huy,  je  ne  dis, 
rien. 

—  Vos  syllogismes,  Seigneur  Alphonse,  va  dire 
le  seigneur  Pastorelli,  sont  ils  en  harroco,  bara- 
liptum,  non;  je  tiens  qu'ils  sont  en  celarent.  On 
voit  bien  qu'il  y  a  de  la  fourbe  que  cachez  au  des- 
sous du  reply  :  si  n'estes  vous  pas  encores  hors 
de  mes  mains.  Venez  ça,  que  voulez  vous  dire 
aux  edits  et  ordonnances  qui  courent  contre  vos 
gentils  astrologues?  Vous  n'y  trouverez  pas  que 
la  recherche  soit  ainsi  rigoureuse  contre  ces  parti- 
sans adversaires  qu'avez  trouvé  aux  autres  pro- 
fessions :  comment  ont  ils  esté  traitez  par  les  Athé- 
niens, par  Agrippa,  Tibère  et  Vitelle?  Vous  avez 
un  titre  tout  exprès,  au  neufiesme  livre  du  Code, 
destiné  de  guet  à  pend  contre  vostre  astromanie  : 
vos  devinations  y  sont  défendues;  les  maistres 
n'y  sont  point  seulement  punis,  mais  aussi  les 
apprentifs  :  quelle  grâce  pourrez  vous  espérer, 
vous  qui  taschez  de  faire  revivre  parmy  nous 
la  peste  de  nos  consciences,  ceste  rage  qui 
tend  à  dethroner  du  siège  le  souverain?  N'est  ce 
rien  d'attacher  aux  estoiles  ce  qui  appartient  à 
l'Eternel?  de  donner  le  gouvernement  de  l'uni- 


ET    PREDICTIONS    ASTROLOGI  CLU  ES.     35l 

vers  à  des  créatures  ?  Je  tiens  tant  de  vous,  que 
vous  ne  nous  rafraischirez  la  sotte  et  tres-imper- 
tinente  réponse  de  Lucius  Bellancius,  lequel,  se 
voyant  pris  aux  filez  par  ces  ordonnances  et  que 
sans  doute  l'astromanie  alloit  faire  le  soubre- 
saut, s'est  avancé  de  dire  que  les  empereurs  au- 
theurs  de  ces  saintes  loix  ne  sçavoient  ce  qu'ils 
faisoient.  Vous  sçavez  que  c'est  crime  de  sacri- 
lège et  impieté.  Et  n'en  seriez  sauvé  pour  faire 
comme  le  seigneur  Gaulard,  lequel  eut  un  jour 
un  procez  contre  un  marchand  qui  avoit  haussé  le 
gantelet  et  allongé  les  SS  de  son  livre  de  Raison. 
Quand  il  vid  que  l'advocat  de  son  marchand  disoit 
que  les  livres  de  raison  dévoient  faire  foy,  allé- 
guant à  ce  propos  Barthole  et  Jason,  in  l.  admo- 
nendi,  ff,  de  jureju.;  Guido  Pape,  quœst.  441,  il 
n'eut  pas  la  patience  que  son  advocat  respondit  à 
cela,  mais  luy  mesmes  dit  :  «  Monsieur  le  juge, 
croyez  que  Barthole,  Jason  et  Guido  Pape  sont 
de  faux  tesmoins,  s'ils  en  ont  déposé  ;  car  je  suis 
asseuré  qu'ils  n'y  estoient  pas,  et  s'ils  y  eussent 
esté,  ils  ne  diroient  pas  que  j'en  eusse  pris  d'avan- 
tage que  j'ay  confessé.  » 

—  Je  n'en  viendray  pas  là.  Seigneur  Pastorelli, 
respondit  le  seigneur  Alphonse,  n'en  ayez  pas 
peur.  Je  ne  suis  que  fasché  de  ce  que  vous  dites 
que  nostre  astrologie  tend  à  démettre  Dieu  de 
son  throne  :  onques  telle  impieté  ne  me  vint  en 


352  DES     PROGNOSTICS 

la  cervelle;  mais  je  pense  faire  d'autant  plus  hon- 
neur à  Dieu  que  je  monstre  que  ses  créatures  sont 
excellentes.  Ah!  que  vous  estes  abusé  de  penser 
que  la  recerche  des  Astres  et  de  leur  vertu 
secrettedeminue  quelque  chose  de  la  grandeur  et 
puissance  de  Dieu.  Sa  majesté  en  est  beaucoup 
plus  illustre  et  plus  belle  de  faire  si  grandes 
choses  par  ses  créatures,  que  s'il  les  faisoit  par 
soy  mesme,  et  sans  aucun  moyen.  Encores  qu'un 
roy  soit  seigneur  souverain,  direz  vous  que  sa 
puissance  est  retranchée,  parce  qu'il  remet  le  gou- 
vernement de  son  Estât  entre  les  mains  de  quel- 
ques siens  sujets  et  serviteurs,  en  la  preudhom- 
mie,  suffisance  et  intégrité  desquels  il  luy  plaira 
se  fier?  La  comparaison  chancelle,  je  le  confesse, 
si  est  ce  qu'estant  prise  m  terminis  h abilibus^  elle 
pourra  estre  appropriée  à  nostre  propos. 

La  sévérité  des  peines  qu'avez  ramenteu  ne 
nous  esbranle  aucunement,  parce  qu'encores 
qu'ainsi  soit,  nostre  astrologie  ne  laisse  de 
florir  es  cours  des  plus  grands  princes  chrestiens 
de  la  terre.  En  France,  Alemaigne  et  Italie,  nos 
prédictions  ne  sont  rejettées.  Ce  n'est  contre 
nostre  astrologie  qu'on  les  a  proposé,  ains  contre 
celle  qui  est  reprouvée:  nous  ne  sommes  point 
Chaldées. 

Nostre  profession  apprend  les  vertus  des 
estoiles  ainsi  qu'elles  sont  cogneues  par  une  con- 


ET     PREDICTIONS     ASTROLOGIQUES.      353 

tinuelle  expérience,  leurs  qualitez,  reglemens, 
inclinations  et  dispositions  sur  les  elemens  et 
corps  humains,  qui  prennent  leur  source  de  la 
lumière  et  du  mouvement  des  estoiles:  à  ces  qua- 
litez, reiglemens  et  inclinations,  se  rapportent 
aussi  leurs  actions,  si  elles  ne  sont  empeschées 
par  le  doigt  de  Dieu  ou  par  autres  causes. 

Vous  trouvez  que  le  bon  homme  de  Bellancius 
a  fait  tort  aux  empereurs;  je  ne  veux  pas  icy 
entrer  en  conteste  pour  le  purger  de  crime  ;  si  est 
ce  qu'il  avoit  quelque  raison  de  leur  reprocher 
leur  ignorance  et  tenir  peu  de  compte  de  leurs 
ordonnances.  Il  voyoit  que  ceux  mesmes  qui 
avoient  si  fort  maltraité  nos  astrologues,  ont  per- 
mis de  se  servir  de  mauvais  et  illégitimes  moyens 
pour  garder  les  fruits  de  la  terre  qu'ils  ne  fussent 
greslez,  gastez  et  oragez.  Cela  n'est  ce  pas  paga- 
niser.?  Et  cependant  l'ordonnance  y  est  expresse 
en  la  loy  :  Eorum  4  c.  de  maleflc'ds,  mathematicis 
et  cseteris  similibus.  Si  en  ce  chef  des  empereurs 
ont  esté  deceus,  pourquoy  ne  dirons  nous  qu'en 
d'autres  ils  auront  eu  la  berlue  ? 

—  Messer  Nicolas,  je  m'estonne  bien  fort,  va 
dire  le  seigneur  Panthaleon,  de  ce  qu'avez  pris  si 
grand  peine  pour  canonner  contre  les  astres;  mon 
amy,  il  ne  falloit  que  prendre  le  cartel  aux  judi- 
ciaires et  astrologues,  composé  par  un  nommé 
Jaques  Moland,  soy  disant  docteur  es  droicts  et 


354  ^^^     PROGNOSTICS 

advocat  au  bailliage  de  Masconnois.  Je  despite 
Mahom  si,  sans  vous  peiner,  vous  n'eussiez  inca- 
gué  toute  la  manthique  compagnie  des  astrolo- 
gues encuirassez,  encavalez,  encoutelacez,embou- 
belinez,  entintimbraillez,  etc. 

—  Soit,  Seigneur  Panthaleon,  respond  messer 
Nicolas,  si  vous  voulez,  j'en  suis  contant  :  nous 
l'emploierons  pour  renfort  et  refrein  de  la  balade. 
Tenez,  Seigneur  Alphonse,  lisez  icy  le  procès 
fait  et  parfait  à  vos  Astromanthes,  et,  si  me  croyez, 
ne  nous  venez  plus  matagraboliser  voscabaliques 
et  ouranographiques  Anestiolalies.  Je  suis  fasché 
que  plus  tost  il  n'est  tombé  en  mes  mains:  j'en 
eusse  donné  du  plaisir  à  la  compaignie.  Emparal- 
lellez  vos  thalmuthisteries  demonanthropiques 
aux  Elenchaires  de  cest  héroïque  astromiriarche. 

—  En  si  peu  de  temps.  Seigneur  Pastorelli,  va 
dire  le  seigneur  Alphonse,  vous  voila,  ce  crois 
je,  molanisé.  Si  vous  vous  laissez  mouler  guère 
long  temps  au  moule  de  Moland,  nous  ne  chom- 
merons  pas  gueres  de  farine,  moyennant  que  les 
asnes,  mulets,  jumens,  basteaux,  les  vents  et  l'eau 

V  ne  nous  manquent.  O  les  belles  meules  molen- 
dinées  par  Moland  pour  mouldre  in  molendino, 
galL  au  moulin.  Je  ne  sçay  qui  est  ce  docteur  es 
Courbes,  c'est,  par  ma  conscience!  un  des  gros 
sots  de  sa  parroisse.  J'ay  desja  jette  l'œil  sur 
ces  niaiseries;    si  me  croyez,  n'y  jettez  la  veue 


ET    PREDICTIONS    ASTROLOGIQJUES.     355 

qu'une  fois  le  mois;  il  vous  pourra  servir  de  pro- 
vocatif à  égosiller  et  rendre  gorge;  il  faudroit 
aussi  bien  que  vous  vous  enjYrass'iez^  jaxta  illud: 
Bonum  est  in  mense  semel  inebriari.  Je  pense  avoir 
leu  autant  qu'homme  de  mon  temps,  mais  onques 
livre  ne  tomba  entre  mes  mains  si  gofîe  et  ridi- 
cule que  cet  inepte  cartel.  Vous  y  avez  le  langage 
le  plus  fat  et  le  plus  bigerre  que  Cerberus  chia  de 
sa  vie.  Molandmesmes  l'a  bien  recogneu  :  car,  sur 
la  fin  de  son  cartel,  il  nous  a  donné  un  vocabu- 
laire pour  nous  expliquer  quelques  mots  obscurs. 
Il  devoit  commencer  dés  la  première  ligne  jus- 
ques  à  la  dernière,  finissant  ainsi  soit  il  dresser  un 
commentaire  de  ses  mots  saugreneux,  de  ses  syno- 
nimes  cornus  et  de  ses  sentences,  s'entretenans 
comme  crotte  de  chèvre.  Le  pauvre  homme  eut 
beaucoup  mieux  fait  de  s'entretenir  en  sa  pré- 
bende monachale  à  l'instruction  des  novices  de 
S.  Hugues;  il  n'eut  perdu  sa  terre  et  seigneurie 
de  la  Cra  (vray  repaire  des  philosophes  et  hu- 
meurs phantasques);  il  n'eut  esté  en  mauvais 
mesnage  avec  un  qui  est  maintenant  juge  royal; 
finalement,  il  ne  se  fust  exposé  en  risée  à  tout  le 
monde.  Je  ne  regrette  que  la  louange  que  quatre 
ou  cinq  braves  champions  des  muses  luy  ont 
donné,  ils  l'ont  fait  ad  cautelam,  c'estoit  ou  pour 
s'entretenir  de  luy,  depeur  qu'il  ne  se  mit  à  mes- 
parler  d'eux,  ou  pour  manifester  la  goffe  lour- 


356  DES     PROGNOSTICS 

derie  de  la  meule  molandine,  opposée  à  la  subtile 
et  diserte  faconde  de  ces  enfançons  d'Helicon. 

—  Tousjours  vous  trouvez  à  redire,  Seigneur 
Alphonse,  répliqua  le  seigneur  Pastorelli,  à  ce 
que  je  vous  mets  en  avant  :  si  faut  il  que  vous 
veniez  au  point  et  me  quittiez  ces  devinations  ; 
autrement  il  vous  en  prendra  mal.  Zoroastre  fut 
jadis  estimé  l'un  des  plus  sçavans  astrologues  de 
son  temps,  et  pource  il  devoit  cognoistre  et  pré- 
voir pour  s'en  garder,  les  inconveniens  qui  luy 
pourroient  advenir,  et  toutesfois,  il  fut  vaincu  en 
guerre  et  occis  par  Ninus,  roy  des  Assyriens. 
Pompée  se  servoit  de  toutes  sortes  de  devins  et 
leur  ajoustoit  grand'foy  :  au  contraire,  Caesar 
n'en  faisoit  aucun  compte.  En  fin  toutesfois. 
Pompée  fut  deffait  par  Caesar.  L'empereur  Justi- 
nien,  ennemy  de  vostre  astromanie,  comme  il  ap- 
pert par  ses  ordonnances,  n'a  pas  laissé  d'estre 
victorieux  et  faire  plusieurs  belles  conquestes.  Au 
contraire,  Julien  l'Apostat,  tres-curieux  de  toutes 
superstitions  et  devinations,  perdit  misérablement 
et  vie  et  empire.  Ayez  donc  recours  à  vos  astro- 
logues. 

—  C'est  bien  dit,  Seigneur  Pastorelli,  respond 
le  seigneur  Alphonse;  la  faute  vient  peut  estre  de 
ce  qu'ils  n'ont  esté  bien  advisez  en  leurs  affaires, 
et  n'ont  bien  pris  les  conseils  des  astrologues. 
Voire  mesmes  quant  les   prédictions  n'auroient 


ET    PREDICTIONS    ASTROLOGIQUES.    BSy 

tousjours  bien  réussi,  ce  ne  seroit  à  dire  qu'on 
deut  condamner  l'astrologie  ;  autrement  faudroit 
fouler  aux  pieds  la  médecine,  parce  que  le  malade, 
quoyque  bien  pensé,  ne  relevé  tousjours  du  lit, 
ou  le  recours  qu'on  a  au  Tout-Puissant,  parce 
que  nos  requestes  ne  sont  tousjours  exaucées. 

Mais  qu'est  ce  que  vous  voulez  dire  de  Zo~ 
roastre  ?  Par  sainte  Maraude,  je  crois  que  vous 
estes  forgé  au  coin  de  l'empereur  Domitien,  qui 
se  pensoit  si  habile  homme  qu'encores  que  sa' 
inevitahile  fatum ,  ce  neantmoins,  il  voulut  le 
rendre  menteur  pour  l'effect  en  la  personne  d'As- 
cletarion,  lequel  fut  accusé  parce  qu'il  avoit  pré- 
dit la  mort  de  cest  empereur.  Interrogué  si  cela 
estoit  vray,  ne  voulut  le  mettre  en  ny.  «  Et  bien, 
dit  Domitien,  qu'est  ce  que  tu  nous  diras  de  la 
tienne  ?  ))  Il  respondit  que  les  chiens  le  deschire- 
roient  bien  tost.  «  Je  te  tromperay,  »  dit  Domi- 
tien, et  sur  le  champ  le  fit  tuer,  puis  entcmber  en 
une  fosse  fort  creuse,  laquelle  il  fit  couvrir  de  beau- 
coup de  terre.  Par  ce  moyen  cest  empereur  esti- 
moit  que  la  prédiction  d'Ascletarion  seroit  faulsée, 
et  on  trouva  le  contraire,  car  il  pleut  si  fort  que  le 
corps  de  cest  astrologue  prit  aucunement  air  :  les 
chiens  l'ayans  esventé,  ne  cessèrent  jusques  à  ce 
qu'ils  l'eurent  déterré.  Ce  que  Domitien  ayant 
apperceu,  fut  persécuté  d'une  estrange  appréhen- 
sion qu'il  eut  que  le  présage  d'Ascletarion  s'effec- 


358  DES    PROGNOSTICS 

tua  sur  son  corps.  Voila  ce  que  nous  en  tesmoigne 
Fulgose,  au  8  livre,  ch.  ii.  D'autres  toutesfois 
aiment  mieux  croire  que  Domitien  le  fît  brusler 
tout  vif,  pour  prévenir  la  dentée  des  chiens,  mais 
que,  lors  que  ce  supplice  s'executoit,  survint  une 
grande  ondée  depluye,que  le  feu  fut  amortyet  de- 
meura le  corps  d'Ascletarion  à  demy  rosty,  sur  le- 
quel les  chiens  se  ruèrent,  en  guise  de  carbonnades. 

Escoutez,  vous  qui  rabaissez  si  fort  nostre  as- 
trologie, ce  que  Yalere  le  Grand  nous  apprend 
au  huitiesme  livre,  chapitre  onziesme,  touchant 
Sulpice  Gaulois,  et  Periclés.  Là  vous  verrez  que 
Sulpice,  estant  lieutenant  de  L.  Paul  en  la  guerre 
contre  le  roy  persan  et  la  nuyt  devant  que  la 
bataille  se  deut  donner,  lors  que  le  temps  estoyt 
tout  coy  et  serain,  mesmes  la  lune  luisoit,  toutes- 
fois,  soudain  se  va  éclipser  :  ce  qui  espouvanta 
grandement  toute  l'armée  romaine,  comme  si 
c'eut  esté  quelque  signe  monstrueux  ou  mauvais 
présage,  de  sorte  qu'elle  perdit  cœur  et  désir  de 
guerroier  contre  ses  ennemis,  qui  avoient  la  vic- 
toire en  main  sans  coup  fraper,  si  Sulpice,  leur 
discourant  de  la  forme  du  ciel  et  nature  des  astres, 
ne  leur  eut  prouvé  que  naturellement  se  faisoit 
Teclipse,  tant  du  soleil  que  de  la  lune,  et  par  ce 
moyen  remis  le  cœur  au  ventre  des  Romains. 

Cette  histoire  me  fait  souvenir  d'une  autre,  la- 
quelle est  recitée  par  ceux  qui  nous  ont  descrit 


ET    PREDICTIONS    ASTROLOGI QJU  ES.    BSç 

les  descouvertes  faites  par   les   Espaignols  aux 
Indes,  laquelle  je  suis  bien  content  d'adjouster, 
pour  de  tant  plus  justifier   que  l'astrologie   est 
tres-necessaire.  Vous  entendrez  donc  que  Cris- 
tophle  Colomb,  capitaine  génois,  se  trouva  si  à 
Testroit  parmy  ces  Indiens,  que  les  vivres  lui  de- 
failloient,  et  si  luy  estoit  impossible  d'en  recou- 
vrer par  eschange,  ny  prières  ou  amitié,  non  plus 
que  par  force.  Comme  nécessité  ouvre  la  porte  a 
toutes  inventions,  Colomb,  lequel  avoit  preveu 
que  bien  tost  il  y  auroit  éclipse,  mande  quérir 
quelques  uns  du  village  voisin,  ausquels  il  donna  à 
entendre,  s'ils  ne  luy  fournissoient  dequoy  vivre  , 
qu'en  bref  Dieu  envoieroit  un  tel  fléau  du  ciel 
qu'ils  mourroient  tous  de  maie  mort  :  en  tesmoi- 
gnage  de  ce,  qu'ils  s'asseurassent  de  voir  la  lune 
toute  pleine  de  sang,  s'ils  y  vouloient  prendre 
garde.  Quand  ces  pauvres  pécores  virent  la  lune 
ensanglantée  par  l'eclipse,  ainsi  qu'avoit  prognos- 
tiqué  cest  admirai,  luy  allèrent  quérir  des  vivres  et 
luy  en  fournirent  autant  comme  il  en  eut  besoin 
tout  le  temps  qu'il  demeura  en  ce  quartier  là, 
avec  treshumble  requeste  au  bout  de  leur  vouloir 
pardonner  et  n'estre  plus  courroucé  contre  eux. 
Maintenant  je  vous  demande  si  l'astrologie  ne 
nous  est  pas  fort  nécessaire,  quand  ce  ne  seroit 
que  pour  empescher  qu'on  nous  deniaisast. 

Je  reviens  à  l'Athénien  Periclés,  lequel  remit 


36o  DES     PROGNOSTICS 

en  vie  ses  concitoyens  par  la  cognoissance  qu'il 
eut  de  l'astrologie.  De  fait,  comme  les  Athéniens 
fussent  en  grand  esmoy,  pensans  que  la  mort  leur 
fut  signifiée  du  ciel,  voyans  que  le  soleil  avoit  si 
soudain  perdu  sa  lumière,  ce  qui  ne  leur  estoit 
accoustumé,  Pericles  adonc  se  va  jetter  parmy 
eux  et  leur  déclara  ce  qu'il  avoit  appris  de  son 
maistre  Anaxagoras  touchant  le  cours  du  soleil  et 
de  la  lune  ;  si  bien  les  prescha  qu'il  leur  fit  cra- 
cher toute  la  crainte  qui  leur  frissonnoit  leur  ame. 
—  Seigneur  Pastorelli,  j'ay  esté  autresfois  sur 
les  termes,  va  dire  le  seigneur  Gamarin,  de  me 
bander  ainsi  que  vous  faites  contre  l'astrologie, 
mais  le  seigneur  du  Plantain  nous  paye  de  si  belles 
et  pregnantes  raisons,  que  je  suis  contraint  baisser 
les  aisles  et  faire  la  poule.  Quand  tout  est  dit,  je 
treuve  que  les  astrologues  prédisent  des  choses 
qui    adviennent  infailliblement ,    dont   je   veux 
vous  donner  icy  des  exemples,  à  celle  fin  que  vous 
cognoissiez  que  c'est  à  tresjuste  occasion  que  je 
tiens  le  party  en  partie  des  partisans  de  l'astrolo- 
gie. Dion,  en  la  vie  d'Auguste,  et  Fulgose,  livre 
huitiesme,  chapitre  onziesme,   remarquent  que 
Tibère  fut  dechassé  par  son  beaupere  Auguste  et 
relégué  à.  Rhodes,  où  sa  vie  estoit  fort  hazardée. 
Thrasylle,  le  vo3^ant  jouer  au  desespoir,  voulut  le 
consoler  et  l'asseurer  que  les  affaires  pourroient 
se  bien  porter.   Mais  le  pauvre  Tibère  estoit  si 


ET    PREDICTIONS    ASTROLOGIQUES.    36l 

bien  surpris,  qu'il  commanda  qu'on  jettast  dans  la 
mer  son  précepteur  Thrasylle,  pource  qu'il  avoit 
envie  de  l'amuser  par  ses  balivernes.  Thrasylle  ne 
le  voulut  abandonner,  ains,  regardant  attentive- 
ment du  costé  de  la  mer,  descouvrit  un  vaisseau 
qui  venoit  vers  Rhodes,  lequel  il  présagea  appor- 
ter bonnes  et  heureuses  nouvelles  à  son  disciple, 
lequel  ne  laissoit  à  faire  du  renchery  pour  le 
croire.  Toutesfois,  après  que  le  navire  eut  pris 
port,  il  trouva  que  la  prédiction  de  Thrasylle  es- 
toit  véritable,  car  il  receut  lettres  de  l'empereur 
et  de  sa  femme  Livia,qui  le  rappelloient  à  Rome. 

Une  autrefois,  Tibère,  pendant  son  exil  de 
Rhodes,  délibéra  de  faire  jetter  du  haut  d'une  mu- 
raille cet  astrologue,  de  dépit  qu'il  avoit  qu'il 
estoit  celuy  qui  seul  descouvroit  ses  secrets.  A 
peine  en  eut  il  fait  le  dessein,  qu'il  apperceut  que 
Thrasylle  estoit  chagrin  et  melancholique.  Enquis 
pourquoy,  respondit  qu'il  soupçonnoit  qu'on  luy 
devoit  jouer  un  meschant  et  lasche  tour.  Ce  qui 
fut  cause  que  Tibère  ne  voulut  passer  outre. 

Cuspinian,  en  ses  Caesars,  raconte  d'un  astro- 
logue de  la  cour  de  l'empereur  Frideric,  deu- 
xiesme  du  nom,  qu'il  faisoit  tout  plein  d'honneur 
à  Rodolphe,  compte  de  Harspurg,  et,  quoy 
qu'il  ne  fut  des  plus  avancez  en  dignitez  et 
moyens,  si  luy  portoit  il  plus  de  respect  qu'à  au- 
cun des  autres.  L'empereur  voulut  un  jour  en  sça- 

46 


362  DES    PROGNOSTICS 

voir  la  raison  de  luy,  laquelle  il  luy  dit  estre, 
parce  qu'il  voyoit  bien  qu'au  defîaut  de  la  lignée 
de  Frideric,  Rodolphe  seroit  guindé  à  l'empire, 
et,  de  bas  qu'il  estoit,  serait  eslevé  pardessus  tous 
les  autres.  Le  présage  fut  effectué,  car  l'an  1278, 
le  premier  jour  d'octobre,  lors  que  Rodolphe  te- 
noit  le  siège  devant  Basle,  les  princes  d'Ale- 
maigne  l'esleverent  à  Franc-fort  roy  des  Romains. 
—  Vous  en  estes  donc  là  logé.  Seigneur  Gama- 
rin,  répliqua  le  seigneur  Pastorelli,  que  vous  voila 
gentiment  ennassé  en  la  fondrière  du  seigneur 
Alphonse.  Je  suis  d'advis  que  vous  vous  décla- 
riez ouvertement.  Hé!  que  vous  estes  aisé  à  gai- 
gner.  Pensez  vous  que  je  face  conte,  mise,  ny 
recepte  de  tout  ce  que  vous  me  venez  de  reciter, 
ou  que  pource  je  daigne  attacher  quelque  néces- 
sité aux  prédictions  astrologiques?  Pour  vous 
monstrer  l'honnesteté  qui  est  en  moy,  par  la- 
quelle j'ay  envie  traiter  avec  vous  ,  je  veux 
qu'en  vos  comptes  ces  routes  vous  soient  tirez 
hors  ligne,  et  de  grâce  passez  et  advouez  :  de  là 
vous  ne  pourrez  pas  tirer  vostre  illation  pour 
l'astrologie  ;  soit  que  Thrasylle  ait  preveu  beau- 
coup de  choses,  ou  que  l'Allemand  ait  véritable- 
ment prédit  la  dignité  impériale  qui  branloit  sur 
l'empereur  Rodolphe,  quid  inde?  Je  vous  nie  que 
ce  soit  l'astrologie  qu'ils  ont  pris  pour  guide. 
Comme  ils  estoient  mondains  et  sages  politics. 


ET    PREDICTIONS    ASTROLOGIQUES.    36!^ 

ils  ont  peu  juger  de  Tadvenir  ainsi  qu'ils  ont  fait. 
Voulez  vous  que  je  vous  die  à  qui  vous  semblez  ? 
A  ceux  qui,  dés  qu'ils  voyent  un  personnage  le- 
quel fait  bien  ses  affaires,  luy  jettent  aussi  tost  le 
chat  aux  jambes  de  sorcelerie,  ou  qu'il  est  poussé 
et  duit  par  l'art  diabolique  :  voire  mesmes,  quand 
je  vous  passeroie  qu'en  qualité  d'astrologues  ils 
aient  peu  prédire,  cela  ne  feroit  pas  pour  la  né- 
cessité devostre  conclusion.  Le  menteur  ne  peut 
qu'entre  un  millier  de  menteries,  il  ne  s'eschappe 
de  dire  quelque  fois  la  vérité. 

Mais  afin  que  je  vous  touche  droit  à  la  gan- 
grené de  vostre  astrologie,  je  vous  vay  monstrer 
que,  quand  on  vous  passeroit  la  possibilité  des 
prédictions  astrologiques,  soit  par  les  influences, 
soit  par  les  significations  (que  non  toutesfois),  si 
est  ce  que  vos  prognostiqueurs  donneroient  du 
nés  en  terre.  Or  voicy  le  moyen  que  j'ay  :  c'est 
que  la  cognoissance  que  nous  avons  des  choses 
vient  de  l'observation  que  nous  en  avons  fait,  non 
point  tant  en  gênerai  que  sur  tout  en  particulier. 
Donques,  pour  sçavoir  en  gênerai  si  Saturne  et 
Mars,  estans  avec  Jupiter  et  Venus,  se  trouvant 
en  la  cinquiesme  maison  qui  est  maison  de  mal- 
heur, causeront  tousjours  en  celuy  qui  naistra  en 
un  tel  poinct  et  sous  le  mesmes  horoscope,  em- 
peschement  aux  mains  et  aux  pieds,  il  est  besoin 
qu'un  tel  effect  ait  premièrement  et  plusieurs  fois 


364  DES     PROGNOSTICS 

esté  sceu  par  le  sens,  afin  que  par  les  expériences 
et  puis  par  la  mémoire  on  vienne  à  la  cognois- 
sance  de  cest  effect.  On  sçait  que  l'aage  d'un 
homme,  à  peine  de  quinze  Nestors,  suffiroit  pour 
voir  une  seule  fois  un  semblable  aspect. 

—  Approchez  vous  de  la  fraischeurCastalique, 
Seigneur  Pastorelli,  va  dire  le  seigneur  Gamarin  ; 
vous  vous  eschaufferez  :  ah  !  vous  touchez  sur  la 
grosse  corste,  cela  est  coup  de  maistre.  Voicy 
charge  de  second  :  c'est  que  les  sciences  n'ont  pas 
esté  basties  d'un  seul  jour,  non  plus  que  le  temple 
de  S.  Pierre  de  Rome  :  chascun  y  a  apporté  ce 
qu'il  a  peu.  En  l'astrologie,  je  recognoistray  que 
la  perfection  n'y  a  pas  esté  apportée  la  première 
année  ;  mais  la  continuité  du  temps  a  fait  meurir 
les  choses.  Ainsi  les  astrologues  qui  nous  ont  de- 
vancé ont  laissé  par  escrit  les   effets  qu'ils  ont 
veu,  afin  que  ceux  qui  dévoient  venir  après  eux, 
tenans  tels  effets  pour  véritables,  les  accompai- 
gnassent  d'autres  semblables  qu'ils  auroient  veu 
eux  mesmes.  Par  ceste  suite  d'observations  conti- 
nuelles a  esté  esclose,  formée  et  parachevée  l'as- 
trologie. 

—  Vous  avez  bien  de  la  peine  à  couvrir  les 
imperfections  de  vostre  astromanie ,  Seigneur 
Gamarin ,  respond  le  seigneur  Pastorelli.  Ça 
qu'on  vous  passe,  par  manière  d'acquit,  ce  que 
venez  de  mettre  en  fait  :  quoy  qu'on  sçache  que 


ET     PREDICTIONS     ASTRO  LOGI  Q^U  E  S.     365 

les  observations  sont  fort  diversifiées  pour  la  di- 
versité d'observateurs  divers.  Pour  vous  traiter 
plus  que  par  raison,  on  vous  pose  le  cas  que  telle 
succession  peut  estre  sans  erreur  ;  mais  s'il  faut 
venir  au  point,  au  calcul  et  au  compte,  vous  voila 
fauché.  Du  plus  loin  que  vous  pourrez  prendre  le 
commancement   de  l'astrologie^    c'est  trois  ou 
quatre  mil  ans  :  je  dis  que  telle  espace  de  temps 
ne  suffit  pour  donner  cognoissance  de  plusieurs 
conclusions  générales  que  les  astrologues  mettent 
pour  véritables,  pourautant  qu'elles  ont  besoin 
de  sens  en  maints  effets,  car  non  pas  en  quatre 
mil  ans  mais  encor'  en  trente,  voire  quarante  mil, 
cela  n'advient  une  seule  fois,  parce  que  trente  six 
mil  ans   et  (selon  plusieurs)  quarante  neuf  mil 
s'escoulent  devant  qu'une  mesme   constellation 
de  tous  les  corps  célestes  lumineux  apparoisse  de- 
rechef. Voila  pourquoy  les  astrologues  parlent  de 
plusieurs  constellations  et  aspects  qui,  e.n  quatre, 
six,  huit  et  dix  mil  ans,  adviennent  une  seule 
fois,  de  manière  qu'il  est  force  de  dire  que,  pour 
n'avoir  peu  précéder  la  cognoissance  sensitive  en 
tels  effets  qui  naissent  d'icelle,  ils  ne  peuvent  pa- 
reillement en  avoir  la  cognoissance  intellective. 
Adjoustez  à  tout  cecy  l'imperfection  des  instru- 
mens  sur  lesquels  est  fondé  le  commancement  de 
l'astrologie  judiciaire,  ainsi  que  Ptolomée  le  nous 
apprend  :  estant  malaisé  que  tels  instrumens  ne 


366 


DES     PROGNOSTICS,    ETC. 


soient  imparfaits  en  quelque  chose  ;  si  que  de  la 
moindre  faute  qu'on  trouve  en  eux  s'en  ensuit 
une  très-grande  en  la  cognoissance  du  cours  du 
ciel,  sans  que  les  diverses  diaphanitez  et  transpa- 
rences de  divers  moyens  qui  sont  entremy  nostre 
veue  et  les  corps  célestes  puissent,  par  la  fraction 
des  rayons  visifs  de  nostre  veuë,  se  tromper  et 
décevoir  grandement.  » 


I 


APRESDISNÉE   IX 


DES  LUNATIQUES 


peine  fut  hier  appaisée  la  dispute  des 
astrologues,  que  la  lune  commença  à 
rentrer  en  son  quartier,  et  à  qui  char- 
geroit  des  lunettes  pour  lunetter  les 
lunes  de  nos  lunatiques.  Le  S^  Theophanes,  afin 
de  couvrir  l'indiscrétion  de  Tun  de  la  compaignie 
qui  avoit  trop  mal  à  propos  fait  voye  à  la  lune, 
pressa  si  fort  le  S^  Bertachin  qu'il  fut  contraint 
se  tenir  coiffé  d'une  belle  lune  tout  le  long  de 
l'apresdinée.  Deslors,  il  commença  à  charger  le 
casquet  à  la  Mahemetane  et  de  se  déclarer  pro- 
tecteur plus  que  jamais  de  la  lune  alencontre  des 
loups.  En  fin  finale,  la  compaignie,  d'un  commun 
advis,  trouva  bon  que  l'on  passast  l'apresdisnée 
après  les  lunatiques.  Le  S^  Bertachin  en  faisoit 


368  DES    LUNATIQUES. 

en  partie  du  scrupule,  crainte  de  moquerie,  de  la- 
quelle il  prevoyoit  bien  qu'il  ne  se  pouvoit 
secouer,  parce  que,  sur  le  myjour,  la  lune  n'a 
accoustumédefestoier nostre  hémisphère:  toutes- 
fois,  par  honte  ou  autrement,  quoy  que  despit, 
il  fallut  qu'il  mit  en  jeu  sa  lune,  de  laquelle  il  eut 
bien  voulu  pour  grande  chose  n'estre  saisi.  La 
plainte  fut  formée  par  le  S^  Bertachin,  en  la  pré- 
sence de  toute  l'Académie,  tout  de  mesmes  que 
si  on  eut  esté  en  un  aréopage  ou  un  parquet. 
Celuy  qui  estoit  chargé  d'avoir  luné  le  complai- 
gnant,  pour  ceste  apresdisnée  ne  comparut,  ains 
pour  parlier,  il  eut  le  S^  Theophanes  qui  se  leva  en 
point  et,  après  avoir  fait  les  honneurs,  révérences 
et  bonnetades  en  tel  cas  requises  et  nécessaires, 
plaida  fort  doctement  pour  la  descharge  de  son 
amy  absent,  requit  bien  humblement  l'Académie 
qu'il  luy  pleut  absoudre  le  defîendeur  des  fins  et 
conclusions  en  cas  d'injure,  convices  etcontumelies 
prises  par  le  demandeur.  L'assistance  fit  retirer  en 
un  recoin,  tant  le  S^  Theophanes  que  Bertachin, 
pour  délibérer  sur  ce  qui  seroit  à  faire.  En  fin, 
après  que  le  tour  des  opinions  fut  fait,  on  trouva 
bon  que  le  S^  Bertachin  se  departiroit  de  sa  pour- 
suite criminelle  en  action  d'injures,  et  que,  pour 
le  contanter,  la  matière  seroit  mise  sur  le  bureau, 
à  ce  que  le  S*"  Theophanes  justifia  ce  que  il  avoit 
mis  en  avant:  asçavoirque  le  S^ Bertachin  n'avoit 


1 


I 


DES     LUNATIQUES.  SÔç 

occasion  de  se  topiquer  de  la  façon,  puis  que  le 
mot  lasché  par  l'absent  n'emportoit  injure  :  et  au 
cas  que  les  preuves  du  S^Theophanes  ne  seroient 
trouvées  pertinentes,  que  l'absent  seroit  rappelle 
pour  se  dédire  de  la  contumelie  mal  à  propos 
prononcée  contre  le  S''  Bertachin  et  faire  toute 
telle  réparation  que  de  raison. 

Cette  détermination  académique,  estant  venue 
aux  oreilles  du  S^  Theophanes,  luy  fit  faire  une 
capreole  en  l'air  la  mieux  entrecoupée  que  je  vis 
onques.  Après  avoir  un  peu  repris  ses  esprits  et 
mis  sa  joye  à  recoy,  il  remercia  bien  humblement 
la  compaignie  de  la  courtoisie  dont  elle  le  grati- 
fioit,  loua  leur  délibération,  et  à  belles  pierres 
(comme  l'on  dit)  commença  la  deffense  de  son 
amy  absent. 

—  Seigneur  Bertachin,  va  il  dire,  j'ay  mainte- 
nant à  plaider  avec  vous  devant  ceste  honneste 
compaignie  :  du  fait,  nous  en  demeurons  d'accord. 
Je  sçay  que  le  S^  Camille  (ainsi  avoit  nom  partie 
adverse)  vous  a  dit  que  vous  estes  un  lunatique  : 
je  ne  veux  point  fonder  son  innocence  sur  ce  que 
vous  pourriez  luy  avoir  donné  occasion  de  vous 
tenir  tel  langage,  mais,  sur  mon  honneur  (c'est 
beaucoup),  je  soustiens  que  vous  ne  devez  estre 
intéressé  de  ce  petit  mot.  Or,  voicy  mes  moyens  : 
Le  premier  est  qu'il  ne  vous  a  appelle  que  ce  que 
vous  estes.  Vous  estes  lunatique,  il  vous  a  appelle 

47 


3/0  DES    LUNATIQUES. 

lunatique;  vous  a  il  fait  tort?  Le  second  qu'il 
vous  a  fait  un  grand  honneur  de  vous  enrooler  et 
coucher  en  Testât  des  serviteurs  de  la  plus  grande 
princesse  de  l'univers. 

—  Ce  n'est  pas,  Seigneur  Theophanes,  res- 
pondit  le  S^  Bertachin,  le  tout  que  de  dire,  il  le 
faut  vérifier.  Vous  dites  que  je  suis  lunatique,  je 
dis  que  non;  au  contraire,  je  maintiens  que  tous 
ceux  qui  voudront  soustenir  cette  injure  contre 
moy  en  ont  menti  [con  vostra  reverenzà),  Mes- 
sieurs, que  ce  sont  poltrons,  bisongnes  et  vie- 
dases.  S'ils  se  sentent  piquez  de  cecy,  je  leur  en 
feray  la  raison  toutes  et  quantesfois  qu'ils  vou- 
dront. Et  quant  à  l'honneur  que  vous  voulez 
m'estre  fait,  je  vous  prie  croire  que  j'ay  le  cœur 
trop  bon  pour  me  laisser  beffler  et  nazarder  de  la 
façon;  je  suis  un  masle  :  ergo  non  lunaticus,  sed 
solaris.  Vous  pensez  que  je  soie  ladre  et  que  je 
sente  pas  quant  on  me  pique.  Si  on  avoit  envie 
de  me  porter  l'honneur  et  le  respect  que  vous 
preschez,  il  falloit  me  ranger  au  soleil.  Suis-je 
hermaphrodite,  tiens  je  de  la  lune  et  du  soleil? 
Par  le  droit,  vous  sçavez  que  le  changement  du 
nom  est  punissable,  et  que  sexum  mentirinon  licet. 
Qui  vous  lairroit  faire,  vous  m'en  presteriez  de 
belles,  avec  messer  Camille,  auquel  je  mande 
qu'il  est  un  forfant,  un  becco  cornuto  et  un  sot,  en 
contreschange  de  son  lunatique  de  merde.  Qu'à 


DES     LUNATIQUES.  Sjl 

tous  les  diantres  soit  le  coyon  :  que  le  feu  S. 
Antoine  luy  ensoulphre  son  hernie  ;  le  mau  de 
terre  le  vire;  le  mau  fin  feu  de  ricque  racque, 
aussi  menu  que  poil  de  vache  renforcé  de  vif-ar- 
gent, luy  puisse  entrer  au  fondement. 

—  Si  vous  ne  vous  commandez  autrement,  Sei- 
gneur Bertachin,  répliqua  le  seigneur  Theo- 
phanes,  vous  ferez  un  mal  et  un  bien.  Pour  moy, 
le  mal  sera  que  vous  me  mettrez  en  peine  de  vous 
faire  tenir  à  quatre,  ad  exemplar  de  ces  sires  qui, 
quoy  qu'ils  craignent  d'en  taster,  se  font  accoster 
tout  exprès  par  compères,  commères  et  frares 
Piarres.  Vous  menacez  le  seigneur  Camille  :  il  est 
bien  homme  pour  vous  ;  il  en  sçait  à  vous  et  à  vos 
grands  chevaux.  Le  bien  que  vous  me  ferez  sera 
que  me  relèverez  de  la  peine  que  j'auroie  après 
ma  preuve.  Avisez  à  vous.  Il  y  a  plus,  que  vous 
vous  mettrez  en  danger  de  recevoir  cargue,  par 
qui?  par  ego.  Vous  me  faites  voye  à  la  récrimi- 
nation. Si  je  vous  monte  sur  le  collet,  par  mon 
espée  vierge,  vous  me  monterez  autant  qu'un 
estron  dans  vostre  gorge,  ou  qu'un  grain  de 
millet  en  la  gueulé  d'un  asne,  ou  que  les  Pygmées 
contre  Hercules.  Si  vous  faites  du  fol,  jamais 
le  messier  ne  fut  si  tost  troussé  et  conduit  par 
les  escoliers  au  glorieux  S.  Mathurin,  que  je 
vous  feray  enlever,  pour  vous  y  faire  graisser 
les   espaules  durant  vostre   neuvaine  lunatique. 


^J2 


DES    LUNATIQUES. 


Cela  soit  dit  afin  de  vous  abbattre  un  peu  vostre 


eau. 


Maintenant,  je  vay  vous  justifier  tout  ce  que  je 
vous  ay  proposé,  puis  je  resoudray  les  difficultez 
que  vous  faites.  Je  vous  ay  dit  que  vous  estes  lu- 
natique, vous  le  niez.  Au  contraire,  je  soustiens 
que  c'est  une  qualité  qui  vous  est  propre  propriis- 
sime  et  in  quarto  modo.  Ou  vous  estes  homme,  ou 
vous  ne  Testes  pas.  A  vous  voir,  je  vois  bien  que 
vostre  teste  n'est  pas  cuite  et  que  n'estes  une  pierre. 
Vous  estes  animal,  ergo  gluc,  c'est  à  dire,  ou 
homme  ou  beste.  Qui  que  vous  soyez  des  deux, 
la  lune  ne  laisse  de  loger  en  vostre  cartier.  A  vos- 
tre face,  je  vois  bien  que  vous  estes  homme;  si 
estes  homme,  vous  estes  lunatique  :  ergo  j'ay  bien 
dit  que  vous  estiez  lunatique. 

Un  homme  lunatique,  c'est  un  auquel  la  lune 
commande,  prlmarie  aut  secundariè,  soit  par  un 
moyen  qui  soit  proche,  soit  par  un  autre  qui  soit 
esloigné  :  vous  sçavez  que  la  lune  n'abandonne 
point  cest  univers;  ses  maisons  ne  sont  illusoires 
et  ineffectueuses.  L'expérience  nous  apprend  que 
la  lune  anime  nostre  vitalité  ;*je  m'en  rapporte 
aux  os  qui  sont  plus  pleins  en  pleine  lune  que  lors 
qu'elle  est  en  son  decours.  L'esclanche  d'hier  au 
soir  nous  le  monstra.  En  un  mot,  je  sçay  que  vous 
partisez  pour  l'influence  céleste.  Vous  estes  au 
bas  univers  :  ergo  regy  par  la  lune.  Donnez  une 


DES     LUNATIQUES.  SjS 

exception  pour  vous  en  sauver,  et  je  restraindray 
ma  généralité. 

Nous  ne  sommes  pas  prés  d'en  venir  là,  car  si 
jamais  homme  a  esté  lunatique,  vous  Testes.  Mes- 
mes  si  on  dressoit  confrairie  des  lunatiques,  par 
prérogative  spéciale,  vous  devriez  en  estre  le  mais- 
tre  et  faire  la  loy  et  portion  congrue  aux  autres, 
lesquels  ne  sont  pas,  je  le  sens  bien,  si  desgoutez 
que  vous  :  car,  s'ils  sçavoient  le  langage  que  je 
tiens  de  vostre  seigneurie,  je  m'asseure  qu'aussi 
tostils  me  feroient  appeller  en  cas  de  trouble  et  de 
nouvelleté.  Pour  prévenir  leur  crierie,  je  m'en  vay 
icy  vistement  proposer  six  articles  sur  lesquels 
vous  pourrez  fonder  et  appuier  vostre  préémi- 
nence lunatisée  alencontre  des  lunatiques. 

Au  premier,  je  remonstre  que  vous  estes  amou- 
reux, et  tellement  animé  de  cest  humeur  amoureux, 
que,  tout  vieillard  que  vous  estes,  ne  pouvez  vous 
tenir  que  ne  juchiez  sur  quelques  jeunes  et  affri- 
quées  amourettes.  Or,  que  l'amour  soit  vassal  de 
la  lune,  cela  est  plus  clair  que  le  jour:  les  che- 
vauchées ne  se  font  principalement  que  lors  que 
la  lune  a  fait  faire  retraite  à  son  Phœbus.  Les  lar- 
cins d'amour  doivent  estre  lunez,  hoc  est  cachez. 
De  sorte  qu'estant  amoureux,  vous  estes  sous- 
vassal  de  la  lune.  Si  le  seigneur  dominant  com- 
mande à  son  vassal,  doutez  vous  si  le  sujet  du 
vassal  ne  doit  pas  honneur,  devoir  et  obéissance 


374  I^ES     LUNATIQUES. 

au  seigneur  du  fief  dominant  ?  Ce  qui  vous  rend 
d'avantage  lunatique  en  ceste  qualité  amoureuse, 
est  que  vous  estes  esclave  des  femmes,  qui  par 
vostre  propre  confession  sont  lunatiques,  et 
quand  voudriez  le  nier,  Plutarquelevous  appren- 
droit,  elles  mesmes  le  vous  feroient  descouvrir,  si 
elles  vouloient  vous  faire  voir  les  attiquettes  em- 
pourprées qui  leur  sont  imprimées  à  leur  porte 
lunatique  chasque  mois.  Et  ainsi  vous  estes  es- 
clave des  sous-vassalles  de  la  lune  :  partant  luna- 
tique. De  gré,  vous  vous  fourrez  à  la  besoigne 
de  la  lune  :  sans  y  estre  semons  et  appelle,  vous 
vous  jettez  dedans,  et  après  vous  voudrez  nier  que 
ne  soyez  lunatique.  C'est  bien  rencontré,  n'est  ce 
pas? 

Vous  estes  marié,  ergo  par  double  moyen  lu- 
natique. Le  premier  parce  que  foulez  l'herbe,  le 
champ  et  le  terroir  de  la  lune  :  vous  estes  le  la- 
boureur de  la  lune,  tellement  sujet  à  ses  loix, 
statuts  et  ordonnances,  que  vous  n'oseriez  outre- 
passer ses  lunatiques  commandemens.  Lors 
qu'elle  a  paragraphe  de  ses  rubriches  le  trou 
Madame,  seriez  vous  bien  si  osé  ny  si  hardy  de 
vouloir  besoigner;  c'est  une  feste  chommable  et 
commandée,  sur  peine  de  ne  rapporter  ses  outils 
autres  que  sales,  vilains  et  debifîez;  ne  pouvoir 
ramener  vostre  povre  courtaut  de  Tarée  qu'il  ne 
soit  emplastré  des  pustules  des  rougets;  quelque- 


DES     LUNATIQUES.  ByS 

fois  d'encourir  Tindignation  lunatique,  tomber 
en  grosse,  lourde  et  dangereuse  maladie.  La  se- 
mence que  vous  aurez  lasché  durant  l'interdiction 
lunaire,  demeurera  pour  la  plus  part  infructueuse, 
ou  si  elle  prend  pied  au  fons,  c'est  en  despit  de  la 
lune,  qui  s'en  sçait  bien  vanger,  et  ne  seront  qu'a- 
vortons et  fruits  contre-naturez,  peprez  des  mal- 
heurs lunatiques.  Estant  donc  mary,  vous  voila 
le  laboureur  lunatique  :  le  pis  que  j'y  vois  est 
qu'il  faut  que  ce  soit  à  vos  despens  que  tout  le  la- 
beur se  face. 

Le  second  lunatisme  du  mariage  vous  devroit 
estre  agréable,  parce  que  la  lune  vous  fait  cest 
honneur  de  vous  tenir  pour  l'un  de  ses  confrères, 
ce  qui  advient  lors  que  vostre  femme  se  fait  limer 
sa  serrure  par  un  autre  lunatique  :  alors  vous 
portez  les  cornes  lunatiques  le  plus  gentiment  de 
France.  Avez  vous  jamais  veu  ces  garsons  de  vil- 
lage allans  à  la  feste  de  leur  parroisse  ?  Vous  leur 
verrez  porter  de  gros  bouchons  de  bouquets  sur 
leur  chapeau,  à  faute  de  targes,  pour  prendre  party 
à  la  corvée  lunatique.  De  mesmes  vous  autres. 
Messieurs  les  mariez,  portez  bragardement  les 
cornes  en  guise  de  bouquet,  comme  ceux  qui, 
ayans  par  un  long  temps  travaillé  au  service  de  la 
lune,  estes  de  tant  favorisez  par  elle  que  vostre 
corvée  lunatique  vous  est  faite  par  d'autres  lu- 
natiques. Or,  que  ces  cornes  lunatiques  vous  ac- 


376  DES    LUNATIQUES. 

quierent  une  prééminence  sur  le  reste  de  vos  lu- 
natiques, cela  ne  doit  estre  trouvé  estrange^  attendu 
que  le  Bélier  est  mis  premier  entre  les  douze  signes 
du  Zodiaque ,  parce  que  de  sa  corne  il  heurte  et 
choque  la  borne  de  Fan  nouveau. 

Le  quatriesme  article  prend  fondement  sur  ce 
que  vous  estes  changeant  au  possible,  inconstant 
tout  ce  qui  se  peut,  en  quoy  vous  ressemblez  à  la 
lune,  laquelle  ne  peut  durer  en  un  estre.  Ne  pen- 
sez pas  qu'à  crédit  je  vous  donne  ceste  instabilité, 
elle  vous  est  deuë  entant  qu'estes  homme  et  mor- 
tel; vous  l'apprendrez  (s'il  vous  plaist)  du  docte 
de  Salluste,  lequel,  au  quatrième  jour  de  sa  Se- 
maine, après  avoir  discouru  des  changemens  de 
vostre  maistresse,  de  sa  rondeur  et  clarté,  de  son 
cours  et  decours,  voicy  comme  il  conclud  : 

Ainsi  tu  te  refais,  puis  tu  te  renouvelles, 
Aimant  tousjours  le  change,  et  les  choses  mortelles, 
Comme  vivans  sous  toy,  sentent  pareillement 
L'insensible  vertu  d'un  secret  changement. 

Je  ne  vous  deduiroie  pas  icy  le  cinquiesme  ar- 
ticle, n'est  que  je  vous  vois  refroigner  contre  ce 
titre  de  lunatique ,  bien  qu'il  ne  vous  puisse  es- 
chaper  :  Amicus  Plato,  amicior  veritas,  il  faut  que 
je  vienne  à  mon  honneur  de  ma  défense.  Vous 
n'estes  seul  qui  estes  sujet  à  la  gonorrhée;  il  y  en 
a  de  plus  grands  seigneurs  que  vous  ne  serez  de 


DES     LUNATIQUES.  877 

vostre  vie  qui  en  voudroient  bien  estre  guéris. 
Vous  sçavez  que  tous  les  mois,  vous  ne  faillez  à 
payer  le  tribut  à  la  lune,  et  après  vous  ferez  du 
mauvais  garson  quand  on  vous  appellera  luna- 
tique. 

Voicy  le  sixiesme  article  qui  vous  représente 
encores  mieux  que  les  autres  en  lunatique,  c'est 
que  vous  estes  vieillard,  et  par  conséquent  grison, 
pituiteux,  crache-enruelle,  qui  ne  pouvez  voir  que 
par  lunettes  et  finalement  patronné  aux  humeurs 
lunatiques  de  la  lune.  Elle  est  morfondante,  vous 
estes  morfondu  :  elle  est  froide,  vous  estes  froid. 
Si  donques  ainsi  est,  seigneur  Bertachin,  que  vous 
soyez  esclave  des  vassaux  et  sous-vassaux  d'amour, 
son  laboureur,  cavalcadour,  masson,  chauderon- 
nier,  etc.,  son  esclave  et  sujet,  son  tresdigne 
cornu  confrère,  inconstant  et  muable,  que  les 
coulans  de  vos  naturalitez  se  reiglent  par  le  cours 
lunaire,  denique  vieillard,  je  soustiens  envers  et 
contre  tous  que  vous  devez  tenir  le  haut  de  la 
table  entre  les  lunatiques,  quels  qu'ils  puissent 
estre. 

Il  y  a  une  difficulté  magistrale  en  ceste  affaire, 
et  qui  n'est  pas  trop  aisée  à  deschiffrer,  sur  laquelle 
il  faut  que  je  donne  tant  de  coups  de  marteaux  que 
vostre  qualité  de  lunatique  vous  demeure  saine, 
sauve  et  entière.  Il  faut  donc  que  vous  sçachiez 
que  vos  confrères  et  qui  pourront  estre  avec  le 

48 


378 


DES     LUNATIQUES. 


temps,  auroient  moyen  de  vous  battre,  de  ce  que 
Vergile  nous  apprend  que  la  lune  est  muette, 
qu'elle  ne  fait  aucun  bruit.  On  sçait  que  de  vostre 
naturel,  l'aage  vous  y  pousse,  vous  causez  comme 
une  pie  borgne,  vostre  aage  vous  y  semond.  Tel- 
lement que  vous  rompriez  la  teste  à  la  lune,  et 
ainsi  il  faudroit  qu'elle  vous  quittast  le  quartier 
ou  que  changeassiez  de  façon  de  vivre  ;  ce  qui  ne 
se  peut  faire,  vostre  camelot  a  pris  son  ply.  Au- 
tresfois  je  me  suis  esbattu  à  fureter  les  livres  et, 
entre  autres,  Servius  qui  a  glosé  Vergile  et  Ma- 
crobe,  qui  barbouillent  prou  de  papier  pour  faire 
jaser  la  lune.  De  ma  part  je  consens  que  la  lune 
ait  le  bec  cousu,  qu'elle  ne  sonne  mot,  pourtant 
vous  ne  devez  estre  dechassé  de  sa  compagnie. 
Vous  parlerez  pour  tous  deux  et  elle  se  taira  pour 
tous  deux,  et  ainsi  vous  ferez  les  uns  pour  les  au- 
tres. C'est  ainsi  qu'il  faut  vivre  entre  amis. 

Au  reste,  l'honneur  que  je  vous  fais  n'est  pas 
petit.  Seigneur  Bertachin,  je  vous  mets  à  la  suite 
et  l'un  des  premiers  officiers  du  second  honneur 
des  célestes  chandeles  de  la  princesse  de  la  mer. 
Vous  ne  sçavez  pas  que  c'est  que  je  vous  confère, 
je  vous  donne  place  au  ciel,  et  si  vous  fais  admi- 
rai et  vis-roy  de  toute  la  mer.  N'estimez  vous  rien 
cela?  Je  vous  fais  pair  et  compaignon  de  la  lune, 
je  vous  enroole  en  sa  confrairie,  vous  estes  adopté 
en  sa  famille,  vous  voila  à  cheval ,  tenez  vous  bien, 


DES     LUNATIQJUES.  379 

mon  amy,  et  par  cy  après,  ne  soyez  si  mal  advisé 
que  de  crier  avant  que  l'on  vous  escorche. 

A  ceste  heure  il  faut  que  je  vous  rabatte  les  doux 
de  vostre  mescontantement.  Pauvre  enfant  de  Ze- 
bedée,  vous  ne  sçavez  que  c'est  que  vous  deman- 
dez !  je  vous  fais  du  bien  et  ne  le  pouvez  cognoistre. 
Vous  dites  que  vous  estes  masle,  et,  partant,  que 
devez  avoir  empraint  le  soleil  en  vostre  devise,  et 
non  pas  la  lune. 

La  raison  sur  laquelle  vous  vous  fondez  est  que 
la  lune  est  femelle,  et,  en  ceste  qualité,  adorée 
sous  le  sexe  de  déesse  ;  quant  à  vous,  vous  estes 
masle,  ennemy  de  la  gynecocratie ,  ergo,  dites 
vous,  qu'estes  mal  attaché  du  regard  lunatique. 
Mais  que  direz  vous,  Seigneur  Bertachin,  à  la 
response  que  j^ay  preste  en  main,  et  qui  vous 
fera,  je  m'asseure,  tressaillir  vostre  virilité  ani- 
male. C'est  que  nous  trouvons  qu'il  y  a  eu  un 
dieu  nommé  Lune,  adoré  et  respecté  par  les  an- 
ciens de  telle  façon,  qu'^Elian  Spartian  tesmoigne 
qu'à  Carres  il  y  avoit  un  temple  qui  luy  estoit  dédié 
et  consacré,  où  les  masles  luy  faisoient  leurs  peti- 
tes superstitieuses  dévotions  en  habit  femenin,  et 
les  femmes  en  habit  viril.  Si  bien  que  la  difficulté 
que  vous  faites  de  vous  laisser  enrooler  en  Testât 
de  la  lune,  quia  mulier  sit,  ne  vous  peut  sauver  et 
garentir  du  titre  de  lunatique  :  la  lune  ne  vous 
battra  point,  et  si  aurez  sur  vostre  chef  le  zénith 


38o 


DES    LUNATICLUES. 


lunatique,  qui  vous  donnera  d'un  rayon  masle  à 
plomb  sur  le  cap. 

Mais  quand  ainsi  seroit,  et  que  vous  continuas- 
siez à  faire  du  revesche ,  parce  que  vous  détestez 
les  idolâtries  et  faulses  adorations  des  faux  dieux 
et  déesses,  qui  n'ont  esté  que  trop  pratiquées  an- 
ciennement par  les  payens,  encores  serez  vous 
bien  attenu  à  moy  de  ce  que  je  vous  donneroie 
place  si  honorable  auprès  de  la  lune.  C'est  vostre 
advantage  d'avoir  deux  cordes  tendues  à  vostre 
arc.  Ne  vous  souvient  il  point  du  compte  de  celuy 
qui  disoit  qu'il  aymoit  beaucoup  mieux  estre  le 
coq,  l'aisné  et  le  monsieur  en  son  village,  que  de 
tenir  rang  de  poule ,  de  cadet  et  de  valet  en  une 
ville?  Je  demeure  d'accord  avec  vous  que  le  soleil 
est  bien  plus  excellent  que  la  lune;  qu'il  est  le 
mary,  elle  la  femme.  Mais  si  je  vous  mettoie  en- 
tre les  solaires  (mon  pauvre  Bertachin),  vous  y 
tendriez  la  queue,  et,  au  lieu  que  vous  estes  vis-roy 
de  la  mer,  on  ne  vous  passeroit  que  pour  un  che- 
tif  tournebroche,  ou  un  rinsegodet,  ou  marmiton 
de  la  Gadouarde,  cousine  de  messer  Fifi. 

—  Vous  avez  envie  de  gausser.  Seigneur  Theo- 
phanes,  respondit  le  seigneur  Bertachin,  portant 
une  mine  aussi  peneuse  qu'un  qui ,  pensant  faire 
un  pet  de  navets,  en  a  fait  un  de  maçon  dans  les 
draps,  et  qui,  en  bon  françois,  a  chié  au  lit.  Vous 
tournez  la  truye  aux  choux.  Nous  avons  l'imagi- 


DES     LUNATIQUES.  38l 

noire  pointue.  Vous  pensez  nous  amuser  par  je  ne 
sçay  quel  beaubeau,  et  voulez  faire  croire  que  nous 
sommes  bien  heureux  d'estre  lunatiques.  Je  suis 
contant  que  vous  vous  saisissiez  gentiment  et  beau 
de  ce  tant  glorieux  et  magnifique  titre,  afin  que, 
s'il  vous  plaist,  vous  en  faciez  vostre  proffit.  Je 
prens  à  mal  ce  nom  de  lunatique  ,  et  crois  que 
vous  me  voulez  taxer  de  quelque  manie  ou  folie. 
Le  S^  Camille,  et  vous  aussi,  vous  passeriez  bien 
d'ainsi  m'injurier  :  je  ne  vous  en  apprestay  on- 
ques  les  occasions.  Déportez  vous  donc,  Seigneur 
Theophanes,  entant  que  vous  m'estes  amy,  de 
plus  me  faire  passer  par  devant  le  nez  vos  lunati- 
ques impressions,  et  consentez  à  la  réparation  qui 
me  doit  estre  faite  par  le  S^  Camille. 

—  Et  à  quel  propos,  mon  petit  belaud,  mon 
Bertachin?  répliqua  le  S^  Theophanes;  on  dit  que 
vous  estes  si  bon  homme.  Vostre  femme  le  corne 
par  tout.  Sur  vos  vieux  jours,  voudriez  vous  bien 
faire  du  mauvais  alencontre  de  nostre  amy  com- 
mun ?  Je  feray  tant  envers  luy  qu'il  vous  pardon- 
nera :  aussi  bien  ne  sçavez  vous  que  c'est  que  vous 
faites.  Il  y  a  du  vif-argent  qui  vous  trouble  la  ser- 
monniere  lunatique.  Vous  faites  du  mutin.  Qui 
vous  a  offensé?  C'est,  dites  vous,  le  S^  Camille 
qui  vous  a  appelé  lunatique  :  ergo,  concluez  vous, 
fol  et  maniaque.  La  conclusion,  je  la  vous  nie. 
Elle  pèche  en  la  forme.  Quand  bien  elle  vaudroit. 


382  DES     LUNATIQUES. 

si  est  ce  que  vous  n'auriez  occasion  de  crier  alarme 
de  la  façon  que  vous  faites.  II  faut  que  vous  pré- 
sumiez que  vous  soyez  autre  qu'homme;  autre- 
ment, si  l'eussiez  creu,  vous  eussiez  apperceu  qu'il 
y  a  tousjours  de  l'humeur  ou  brusque  et  gay,  ou 
biserrement  folastre,  ou  verveux,  resveur,  fan- 
tasque, sec,  noir,  etc.  Pour  ce  le  médecin  Bre- 
tonnaiau  commance  son  Melancholique  par  ces 
vers  : 

En  fut  il  onq'  un  seul?  en  est  il  ?  qui  sera-ce, 

Voire  fut  il  issu  de  la  céleste  race, 

Sur  terre  cheminant,  portant  visage  humain, 

Qui  n'ait  le  cerveau  creux,  et  trop  léger  d'un  grain, 

Ou  de  deux,  ou  de  trois? 

Cela  il  le  preuve  par  tres-vives  et  pregnantes 
raisons;  après  voicy  comme  il  conclud  : 

Voila  comme  le  monde  est  des  fois  une  cage 
Ou  bien  un  eschaufaut,  où  un  monde  de  fouis 
S'entre-jouent  l'un  l'autre  et  se  moquent  de  tous, 
Ou  bien  une  grand'nef  de  fols  passagers  pleine, 
Voguant  sur  la  grand'mer  de  ceste  vie  humaine,  etc. 

Vous  estes  homme  mondain  et  au  monde,  il 
s'ensuit  donc  que,  vous  appellant  fol,  on  ne  vous 
fait  tort. 

Tout  homme  se  sent  de  la  folie,  mais  non  point 
tous  d'une  façon  :  il  y  a  différence  entre  le  fol 
marqué  et  celuy  qu'on  repute  sage  :  l'un  tient  sa 


DES     LUNATIQUES.  383 

marotte  en  sa  main,  l'autre  la  fourre  finement  dans 
son  sein;  toutesfois,  ce  n'est  point  si  accortement 
qu'en  sa  vie  le  plus  souvent  on  ne  voye  eschapper 
quelque  trait  de  folie.  On  vous  a  fait  le  plus  de 
grâce  qu'on  a  peu,  et  vous  criez  qu'on  vous  es- 
corche.  Il  y  a  plusieurs  sortes  de  fols  :  vous  ne 
pouviez  éviter  que  ne  fussiez  de  la  partie;  on  vous 
a  mis  entre  les  moins  mauvais  :  vous  n'en  sçavez 
gré,  que  dira  on  de  vous  ?  Vous  vouliez  estre  du 
costé  du  soleil  et  partant  en  ardeur,  voila  donc 
une  folie  chaude  qui  emphrenesira  vostre  enten- 
dement. On  veut  attremper  vostre  chaleur  par  la 
moyteur  de  la  lune,  pource  on  vous  fait  lunati- 
que, et  vous  tordrez  le  nez,  vous  en  rechignerez  .^^ 
Cela  est  une  estrange  mescognoissance.  Me  vou- 
lez vous  croire  ?  Au  partir  de  ceste  apresdisnée, 
allez  vous  en  de  ce  pas  trouver  le  seigneur  Camille  : 
mon  homme  vous  apprendra  où  il  est  ;  remerciez  le 
humblement  de  la  grâce,  du  bien,  de  l'honneur  et 
faveur  qu'il  luy  a  pieu  vous  faire;  requérez  luy 
pardon  de  la  téméraire  poursuite  qu'avez  inju- 
rieusement  fait  contre  luy,  et,  quant  au  reste, 
laissez  moy  faire,  j'en  viendray  bien  à  bout. 

—  Ce  me  sera  le  plus  expédient,  mon  cherTheo- 
phanes  :  oh  !  que  vous  avez  ce  jourd'huy  fait  un 
grand  coup,  et  pour  vous,  et  pour  le  seigneur 
Camille,  et  pour  moy.  Pour  vous,  de  ce  que  vous 
avez  acquis  en  mon  endroit  une  obligation  telle 


384 


DES    LUNATIQUES. 


que,  n'estoit  que  je  craindroie  qu'eussiez  fait 
quelque  parafîe  secrète  dans  vostre  culier,  je  vous 
baiseroie  tres-volontiers  le  moule  du  derrière  de 
vostre  haut  de  chausses.  Pour  le  seigneur  Camille, 
de  ce  que  j'avoie  bien  envie  de  le  grater;  à  ceste 
heure  il  m'est  amy,  il  pourra  disposer  de  moy 
comme  de  celuy  qui,  n'estoit  la  honte  ou  de  peur 
qu'on  ne  dit  que  je  seroie  idolâtre,  baiseroit  le  pas 
où  il  poseroit  la  semelle  de  ses  souliers.  Pour  moy, 
de  ce  que  m'avez  relevé  d'une  grande  peine  où  je 
m'alloie  enhydrer,  et  aussi  que  m'avez  fait  co- 
gnoistre  Testât  qui  m'estoit  acquis  successoire- 
ment  en  l'admirauté  de  la  mer. 

L'Académie,  ayant  ouy  discourir  si  bravement 
le  seigneur  Theophanes,  en  fut  trescontante,  mais 
encores  plus  de  ce  qu'il  avoit  appaisé  le  seigneur 
Bertachin.  Partant,  attendu  le  consentement  et 
accord  des  parties  reconciliées,  elle  les  renvoya 
hors  de  court  et  de  procès,  sans  despens.  Et  ce 
pour  plusieurs  causes  qui  seront  quelque  jour  pu- 
bliées, si  je  ne  me  trompe  ou  que  vous  ne  vous 
abusiez. 


FIN, 


NOTES 


DES   APRÈS-DINÉES 


Page  4,  ligne  24.  —  Faire  un  trou  à  la  nue,  ou  à  la 
nuit,  est  l'analogue  de  notre  expression  :  faire  un  trou 
à  la  lune. 

—  26.  —  Galocher  en  martinet,  traîner  la  galoche, 
se  promener  à  l'aventure,  faire  l'école  buissonnière.  On 
donnait  alors  le  nom  de  martinet  aux  écoliers  qui  ne 
demeuraient  pas  dans  un  collège,  qui  le  fuyaient  chaque 
jour,  comme  des  martinets. 

P.  5,  1.  26.  —  M.  Gaulard,  c'est  Jean  Tabourot, 
qui  a  recueilli  les  Contes  et  \esApophthegmes  du  seigneur 
Gaulard,  qu'on  trouve  imprimés  à  la  suite  de  ses  Biga- 
rures  et  de  ses  Touches.  On  peut  croire  que  ce  seigneur 
Gaulard  était  un  Bourguignon  salé,  comme  on  disait, 
grand  conteur  de  choses  grasses,  lequel  a  réellement 
existé,  mais  dont  Tabourot  a  gaillardement  ravivé  la 
joviale  figure. 

P.  8,  1.  8.  —  Distinguo  par  gluc.  Dans  la  dialectique 
de  l'école,  le  distinguo  était  un  terme  de  scolastique 
indiquant  qu'une  proposition  pouvait  avoir  deux  sens  dif- 
férents. On  disait  donc  plaisamment.  «  Distinguo  par 
glic  et  par  gluc  »,  en  manière  d'onomatopée,  glic  et  gluc 

49 


386 


N  OTES 


remplaçant  par  ci  et  par  là  et  formant  deux  sons  gut- 
turaux dans  lesquels  on  avait  peine  à  découvrir  deux 
mots  significatifs.  Cependant  glic  était  le  nom  d'un  jeu 
de  hasard,  qui  se  jouait  avec  des  cartes  ou  des  dés,  en 
répétant  à  l'occasion  le  mot  glic  pour  annoncer  un  coup 
ou  une  chance. 

P.  9,  1.  8.  — Cent  mil  escus  autres  que  ceux  de  Thou^ 
louse  ou  de  Saint-Marcel.  C'étaient  sans  doute  des  écus 
sans  valeur,  de  mauvais  aloi,  en  plomb  ou  en  argent 
fourré_,  mais  nous  n'avons  rencontré  nulle  part  l'expli- 
cation de  ce  terme  proverbial  qui  met  en  cause  la  ville 
de  Toulouse  et  un  des  bourgs  portant  le  nom  de  Saint- 
Marcel. 

P.  10,  1.  28.  —  Kien  n'y  manquait  que  Vespoussette^ 
c'est-à-dire  :  il  ne  manquait  qu'un  coup  de  brosse  pour 
les  faire  briller,  Vespousselte  ou  vergette  étant  une  brosse 
de  crin  qui  servait  à  nettoyer  les  habits. 

P.  18,  1.  9.  — Est  de  bien  haute  liste,  c'est-à-dire  com- 
plexe et  de  grande  étendue. 

P.  21,1.  20.  —  Abstemii,  abstèmes,  qui  ne  boivent 
pas  de  vin.  On  appelait  ainsi,  parmi  les  premiers  chré- 
tiens, ceux  qui,  dans  le  sacrement  de  Teucharistie,  ne 
voulaient  pas  prendre  de  vin  et  ne  communiaient  que 
sous  la  seule  espèce  du  pain  symbolique. 

P.  27,  l.  21.  —  La  maistresse  de  VŒU  d'avis.  Il  faut 
chercher,  dans  l'anagramme  de  VŒU  d'avis,  le  nom  d'une 
femme  que  Cholières  paraît  avoir  aimée  (voy.  la  Notice 
biographique).  Plus  loin  (p.  io3),  une  phrase  de 
Cholières  indique  que  la  demoiselle  «  à  laquelle  quelcun 
de  ceste  troupe  a,  fort  à  mon  gré,  donné  pour  ana- 
gramme VŒU  d'avis,  w  était  «  de  la  partie  »  ,  c'est-à- 
dire  de  la  société  des  Matinées  et  des  Après-Dînées. 

P.  28,  1.  18.  —  Partis  amoureux.  C'est  le  titre  d'un 
ouvrage  inédit  et  inconnu  de  Cholières,  lequel  ne  semble 
pas  avoir  été  imprimé.  (Voy.  la  Notice  biographique.) 


DES     APRES-DINÉES.  887 

P.  3o,  1.  II.  —  Escorcher  le  regnard,  rendre  par  la 
bouche  ce  que  l'on  a  pris.  Nous  disons  aujourd'hui 
piquer  un  renard.  Nous  trouvons  aussi,  dans  ChoUères, 
tirer  au  regnard,  avoir  envie  de  vomir.  Ce  sont  des 
métaphores  rabelaisiennes. 

P.  38,  l.  II.  —  Temple  de  VAme.  Voici  le  titre  com- 
plet de  ce  poème  de  Bretonnayau  :  La  Génération  de 
Vhomme  et  le  Temple  de  Vame,  avec  autres  œuvres  poé- 
tiques extraittes  de  VEsculape  de  René  Bretonnayau 
(Paris,  Abel  l'Angelier,  i583,  in-4°). 

P.  43,  l.  8.  — //  n'y  a  qu'un  mot  qui  serve,  et  puis 
la  fin,  expression  proverbiale  équivalant  à  cette  phrase  : 
Ce  que  je  vous  dis  est  mon  dernier  mot. 

P.  43,  1.  28.  —  Afin  que  je  ne  vous  soye  double, 
comme  un  asne  rouge.  Cette  expression  nous  paraît  faire 
allusion  à  l'âne  d'or  d'Apulée,  lequel  avait  double  nature, 
celle  de  l'homme  et  celle  de  l'âne. 

P.  44,  1.  18.  — =  Servir  de  graisse  aux  fosses  Saint- 
Innocent,  aller  engraisser  la  terre  du  cimetière  de  Saint- 
Innocent,  à  Paris. 

P.  45,  l.  6.  —  Baye,  contes,  bourdes  que  tout  cela. 

P.  45,  1.  35.  —  N'en  eut  pas  voulu  tenir  deux  œufs  à 
Pasques  rouges,  c'est-à-dire  :  n'eût  pas  voulu  qu^on  lui 
donnât  à  Pâques  deux  œufs  rouges,  pour  l'empêcher  de 
parler. 

P.  52,  1.  I.  —  Hazard  sur  les  balais.  On  disait  pro- 
verbialement pisser  sur  les  fagots,  dans  le  sens  de  cacher 
son  jeu,  mener  les  choses  à  l'aventure,  perdre  son  temps 
et  sa  peine. 

P.  56,  1.  19.  —  //  ne  sera  pas  besoin  de  despouiller 
nostre  semlante.  Nous  ne  comprenons  pas  cette  expres- 
sion proverbiale,  à  moins  que  semlante  ne  soit  là  pour 
semellante,  dans  le  sens  de  semelle;  ce  qui  voudrait  dire 
alors  :  il  ne  sera  pas  besoin  d'ôter  nos  souliers,  c'est-à- 
dire  de  nous  reposer. 


388  NOTES 

p.  58,  1.  17.  —  Une  caprice  mulesque,  une  fantaisie 
étrange,  digne  d'une  mule  entêtée  et  capricieuse.  Nous 
ne  connaissons  pas  d'autre  exemple  de  caprice  au  féminin. 

P.  60,  1.  4.  —  Ce  dit  ly  contes.  C'est  une  expression 
très  usitée  dans  les  fabliaux  et  les  contes  antérieurs  au 
XV*"  siècle,  employée  ici  par  Cholières  à  titre  de  cita- 
tion; elle  signifie  :  «  comme  le  dit  le  conte  ». 

P.  60,  1.  14.  —  Vous  ne  vous  deparceleriez  de  toute 
cette  relevée,  vous  ne  vous  sépareriez  pas  de  toute  cette 
après-midi.  Le  sens  de  relevée  vient  de  ce  qu'on  se  cou- 
chait à  midi  pour  faire  la  sieste,  et  qu'on  avait  ainsi 
à  se  relever  du  lit  pour  finir  sa  journée. 

P.  64,  1.  23.  —  Ce  n^est  marché  de  chevaux,  c'est-à- 
dire  qu'on  ne  peut,  comme  lorsqu'on  a  acheté  un  cheval 
vicieux,  rendre  sa  femme  pour  vices  rédhibitoires. 

P.  67,  1,  19.  — Vaureille  prime,  la  teste  verte  et  Vceil 
au  hois  :  ce  sont  les  conditions  d'un  bon  chasseur  qui 
guette  le  gibier  à  l'entrée  d'un  bois. 

P.  82,  1.  24.  —  //  maquignonneroit  pour  les  enfants 
de  la  matihe.  On  appelait  enfants  de  la  mathe  ou  de  la 
mate  les  gueux^  les  voleurs  et  les  filous  des  cours  de  Mi-- 
racles. 

P.  88,  1.  21.  —  Ce  pauvre  Agamemnon  de  la  Cru 
est  sans  doute  un  mari  esclave  de  sa  femme.  Quant  à  la 
Cru,  nous  n'en  avons  pas  deviné  le  sens,  à  moins  que 
Cholières  n'ait  donné  le  genre  féminin  à  un  mot  de  chasse, 
essentiellement  masculin,  le  cru,  qui  caractérisait  le  buis- 
son où  la  perdrix  se  cachait  pour  échapper  au  chasseur.  — 
La  crou  est  une  terre  sablonneuse  et  peu  fertile. 

P.  91,  1.  i5.  — Madona  Francisquina.  Nous  croyons 
que  cette  expression  proverbiale  fait  allusion  à  la  Mac/ona 
dont  saint  François  d'Assise  était  amoureux.  Voy.  l'ou- 
vrage satirique  de  J.  B.  Renoult  :  Aventures  de  la 
Madona  et  de  François  d'Assise  (Amsterdam,  1701, 
in-8). 


DES     APRES-DINEES  889 

P.  97,  1.  i5.  — Jean  de  Boissières,  né  à  Montferrand 
en  Auvergne,  avait  publié  un  poème  imité  de  l'Arioste, 
la  Croisade,  ou  le  Voyage  des  chresiiens  en  la  Terre  sainte 
(Lyon,  i58o,  in-8),  et  trois  volumes  de  poésies  fran- 
çaises, imprimées  à  Paris  en  iSyg. 

P.  99,  1.  8.  —  C'est  du  camelot,  expression  prover- 
biale qui  signifie  qu'il  n'y  a  plus  à  y  revenir,  parce  que 
le  camelot,  étoffe  de  poil  et  de  laine,  garde  toujours  le 
pli  qu'il  a  pris. 

P.  102,  1.  i5,  —  Paroissien  de  Saint-Pierre  aux  Bœufs, 
cornard,  à  cause  des  cornes  des  bœufs. 

P.  io3,  1.  8.  — UŒil  d^advis.  Voy.  ci-dessus,  p.  27, 
1.  21,  la  maistresse  de  l'Œil  d'avis,  qui  est  appelée  VŒU 
d'Aris  dans  les  poésies  de  Cholières. 

P.  io3,  1.  26.  —  Un  médecin  angevin.  C'est  René 
Bretonnayau,  dont  Cholières  a  déjà  parlé  avec  éloge  en 
plusieurs  endroits  de  ses  Mafmees.  (Voy.  ci-dessus,  p.  38, 
et  la  note  correspondante.) 

P.  104,  1.  27.  —  Vostre  belle  solitude  des  neiges.  Le 
sieur  Pantaléon  répond  ici  à  cette  phrase  de  messer 
Alexandre  :  Qui  a  il  de  plus  misérable  quun  homme 
seul  ?  Vx  homini  soli.  C'est  là  ce  qu'il  appelle  la  solitude 
de  neiges. 

P.  io5,  1.  22.  —  Les  Ténèbres  du  Mariage.  Voici  le 
titre  rimé  de  cette  pièce  de  poésie,  divisée  en  neuf  leçons 
pour  être  chantée  aux  Ténèbres  dans  la  semaine  sainte  : 

Cy  ensuivent  en  bref  langaige 
Les  Ténèbres  de  mariaige, 
Lesquelles  furent,  sans  mentir, 
Composées  par  ung  vray  martir, 
Lequel  fut  dix  ans  en  servaige 
Comme  appartient  au  mariaige. 

Il  existe  cinq  ou  six  éditions  gothiques  de  cette  pièce 
satirique  contre  les  tourments  du  mariage. 

P.    106,  1.   6.  —    Y.  K.,  poète   saintongeois.    Yves 


SçO  NOTES 

Rousseau,  né  en  Saintonge,  était  théologien  avant  de 
se  faire  poète.  Il  avait  fait  paraître  à  Alençon,  en  i565, 
le  Traité  de  la  préparation  de  la  Cène  et  plusieurs  dia- 
logues, avant  de  publier  à  Paris  différentes  pièces  de 
poésie,  entre  autres  les  Louanges  de  la  vigne  et  du  vin. 
«  Il  florit  cette  année  1584  »,  dit  La  Croix  du  Maine. 

P.  117,1.  i3.  — La  Kose  des  Nymphes  illustres  est 
un  ouvrage  de  Cholières,  appelé  ici  Monsieur  de  Céans, 
ouvrage  que  nous  ne  connaissons  pas  et  que  les  biblio- 
graphes n'ont  pas  cité. 

—  20.  —  Que  cette  belle  Kose  aura  roulé  sur  Vestampe, 
c'est-à-dire  :  aura  passé  sous  presse  (ital.  stampa, 
presse). 

P.  118,  1.  17.  —  Tartarin  de  Belleperche.  Nous 
croyons  entrevoir  quelque  analogie  entre  ce  Parquet  ou 
plutôt  Pacquet  de  mariage,  adressé  à  M"°  des  Basses 
Marches,  et  le  petit  livre  de  Jean  de  la  Roche,  baron  de 
Flavigny  :  la  Vie  et  actes  triomphans  d'une  tresillustre 
et  renommée  damoiselle  nommée  Catharine  des  Bas  Sou- 
haits (dite  la  Courtisane  bordelaise);  imprimé  sur  la 
copie  de  maistre  Nicolas  Paris,  imprimeur  à  Troyes, 
sans  date  (vers  i595),  in-8.  Cette  Catherine  des  Bas 
Souhaits  n'était  autre  que  la  femme  d'un  conseiller  au 
Parlement  de  Bordeaux  nommé  Jean  de  la  Borne. 

P.  120,  1.  20.  —  La  croix  de  saint  André  était  la 
croix  de  Bourgogne,  que  portaient  comme  enseigne  les 
Bourguignons  du  temps  de  Charles  VI,  dans  leurs  que- 
relles avec  les  Armagnacs. 

P.  129,  1.  4.  —  Par  le  sang  goy,  variante  de  Par  le 
sang  hieu,  par  le  sang  de  Dieu  :  juron. 

—  1.  8.  —  Héberger  le  courtaut,  donner  l'hospitalité 
à  la  partie  de  l'individu  qui  peut  passer  pour  courte, 
mais  qui  l'est  plus  ou  moins,  suivant  les  circonstances. 

P.  i3o,  1.  20.  —  Le  48.  Pariy  amoureux.  Cette  cita- 
tion   prouve    que    l'ouvrage,    inconnu   de    Cholières, 


DES     APRÈS-DINÉES.  Bçi 

intitulé    les    Partys'  amoureux,   était  divisé   en  plus  de 
48  chapitres. 

P.  i34,  l.  4-9.  —  On  ne  nous  jettoit point  des  pommes 
cupidiques,  etc.,  c'est-à-dire  qu'en  parlant  de  l'arbre  de 
vie,  on  ne  songeait  pas  à  faire  des  allusions  licencieuses 
ou  relatives  à  l'amour. 

P.  146,  l.  7.  —  Vase  doit  être  ici  pour  base,  par 
suite  de  la  confusion  du  v  avec  le  b,  produite,  dans  les 
langues  du  Midi,  par  la  mauvaise  prononciation  des  in- 
digènes. 

P,  i58,  1.  21.  —  Ah!  que  ne  suis-je  pas  seul  en 
Beausse  !  expression  proverbiale  signifiant  :  «  Plût  à 
Dieu  que  je  fusse  seul  maître  du  terrain  et  de  la 
place  !   » 

P.  173,  1.  12.  —  Festes  est  ici  pour  faites,  hauteurs. 

P.  177,  1.  16.  —  Suppost,  terme  de  philosophie  : 
ce  qui  est  la  base  de  l'homme,  ce  qui  constitue  l'homme. 

P.  189,  1.  2  5.  —  Avaleur  de  lampvillons.  Les  lam- 
prions  sont  de  petites  lamproies.  Cette  expression  nous 
paraît  synonyme  de  celle-ci,  qui  est  encore  en  usage  : 
avaleur  de  couleuvres. 

P.  194,1.  28.  —  Charge  et  serre  le  casquet  qui  voudra. 
Cette  expression  proverbiale,  équivalant  à  celle-ci  : 
Nargue  des  précautions  à  prendre,  nous  paraît  faire  allu- 
sion à  la  blessure  mortelle  de  Henri  II  dans  un  tournoi, 
quand  Montgommery  fit  sauter  d'un  coup  de  lance  le 
ventail  ou  la  visière  du  casque  de  ce  prince,  le  casque 
n'étant  pas  assez  soigneusement  serré  et  fermé. 

P.  196,  1.  2.  —  Dechevekr  signifie  tirer  par  les  che- 
veux; mais  ce  verbe  n'aurait-il  pas  ici  le  sens  de  faire 
descendre  de  cheval,  désarçonner? 

P.  198,  1.  9.  —  On  ne  connaît  pas  l'auteur  de  ce 
petit  livre  de  poésie  descriptive  intitulée  :  les  Blasons 
anatomiques  du  corps  féminin,  ensemble  les  Contre-blasons, 
avec  les  figures,  le  tout  mis  par  ordre;  composé  par  plu- 


392  NOTES 

sieurs   poètes   contemporains    (Paris,    Ch.    L'Angelier, 
I  55o,  in-i6,  fig.). 

P.  200,  1.  5.  —  Usqtie  ad  viiulos,  jusqu'au  bout.  Allu- 
sion à  un  psaume  qui  commence  par  Miserere  et  finit 
par  vitulos.  (Voir  dans  les  Contes  d'Eutrapel,  chap.  vu, 
p.  236,  1.  i3,  de  l'édition  publiée  dans  nos  Conteurs 
français  :  «  un  autre  qui  le  feroit  danser  depuis  Miserere 
jusqu'à  vitulos.  ») 

P.  200,  1.  10.  —  Le  docteur  à  la  bouche  d'or^  saint 
Jean  Chrysos^tome. 

P.  201,  1.  7.  —  Se  laisser  emporter  au  bris,  c'est-à- 
dire  à  des  actes  de  violence, 

P.  204,  1.  27.  —  HumilimeSj  très  humbles,  du  latin 
humilissimus  ou  humillimus . 

P.  210,  1.  19.  —  Après  bon  vin,  bon  roussin  :  après 
avoir  bien  bu,  on  est  plus  dispos  à  faire  l'amour.  Koussin 
veut  dire  cheval  entier. 

P.  219.  —  On  peut  voir,  dans  Boccace,  ce  même 
conte,  que  La  Fontaine  a  imité  sous  le  titre  de  la  Jument 
du  compère  Pierre. 

P.  221,  1.  17.  —  Je  vous  sens  venir  :  vous  portez  des 
bots  et  sabots;  expression  proverbiale  qui  signifie  :  On 
vous  entend  de  loin,  comme  les  gens  qui  ont  les  pieds 
bots  ou  qui  portent  des  sabots. 

P.  282,  1.  6.  —  Je  vous  vay  renvoyer  en  Barbarie,  jeu 
de  mots,  par  rapprochement  de  barberie  à  Barbarie. 

P.  286,  1.  4. — Formulaire  dressé  par  les  harangieres, 
en  Vannée  de  la  reforniation.  Le  formulaire  des  haran- 
gieres est  ce  qu'on  a  nommé  depuis  le  Catéchisme  poissard. 
Quant  à  Vannée  de  la  reformation,  cela  doit  s'entendre 
des  changements  qu'on  avait  faits  ou  voulu  faire  au  style 
des  femmes  de  la  Halle. 

P.  287,  1.  16.  —  A  propos  de  truelle,  c'est  mal  à 
propos,  sans  suite  ni  raison.  On  dit  maintenant  :  à 
propos  de  bottes. 


DES     APRÈS-DINÉES.  SçS 

P.  287,  1.  22.  —  Le  bon  Apomasar.  C'est  sous  ce 
nom  que  J.  Leunclavius  traduisit  en  latin  VOneirocritica 
d'Achmet.  Cholières  semble  faire  allusion  à  l'ouvrage 
suivant  :  Apomazar,  des  Significations  et  evenemens  des 
songes,  tourné  du  grec  en  latin  par  Leunclavius  et  mis 
en  françois  (par  Denys  Duval)  {Paris,  Duval,  i58i, 
in-80). 

P.  241,  l.  14.  — D/fes  vo);  est  ici  pour  «  dites  voire  »  : 
dites-moi  vraiment,  dites-moi  un  peu. 

P.  242,  1.  24.  —  Passe  menu  moins  pour  ce  que  pourra 
valoir  le  compte,  expression  proverbiale  de  commerce, 
signifiant  :  il  faut  accepter  ce  compte  pour  ce  qu'il  vaut. 

P.  243,  1.  17.  —  Un  lifrelofre,  c^est-à-dire  un 
suisse  ou  un  ivrogne;  expression  rabelaisienne. 

P,  2  5o,  1.  20.  —  Tesmoins  de  Bressure.  Nous  ne  sa- 
vons s'il  faut  voir  Bressuire  ou  la  Bresse  dans  ce  mot 
Bressure,  qui  paraît  être  un  nom  de  lieu.  Dans  tous  les 
cas,  ces  témoins  de  Bressure  étaient  de  faux  témoins  ou 
des  témoins  suspects.  On  sait  que  les  paysans  faisaient 
trafic  de  leur  témoignage  eh  justice. 

P.  25 1,  1.  II.  —  Je  me  donne  à,  sous-entendu  :  à 
Satan  ou  à  Belzébuth. 

P.  267,  l.  26.  —  Histoire prosopographique.  Allusion 
à  l'ouvrage  suivant  :  la  Prosographie  (Prosopographie), 
ou  Description  des  personnes  insignes  qui  ont  esté  depuis  le 
commencement  du  monde,  avec  leurs  effigies  (Lyon,  Ant. 
Gryphius,  i573,  in-4).  L'auteur  est  Antoine  du Verdier, 
seigneur  de  Vauprivas, 

P.  258,  l.  3.  —  Jean  Clopinar,  dit  de  Meux. 
Cholières  travestit  à  dessein  le  nom  de  Jean  Clopinel , 
dit  de  Meung,  continuateur  du  Koman  de  la  Rose  et 
poète  royal  de  Charles  VII. 

P.  2  58,  1.  7.  —  Vous  revirez  la  truye  au  foin,  expres- 
sion proverbiale,  signifiant  :  vous  contrariez  le  goût  des 
gens. 

5o 


394  NOTES 

p.  2  58,  1.  22,  —  Le  pèlerinage  de  Saint-Michel  au 
péril  de  la  mer  était  un  des  plus  fréquentés  au  moyen 
âge.  —  Portez  vos  coquilles  à  d'autres  qu'à  nous^  signi- 
fiait proverbialement  :  faites  en  accroire  à  d'autres  que 
nous. 

P.  260 5  1.  3.  —  Le  Caloier  des  philosophes  doit  être 
Rabelais,  qui  s'intitulait  Caloyer  des  Iles  d'Hières,  en  tête 
de  son  roman  de  Pantagruel. 

P.  261,  1.  17.  —  Dire  la patenostre  de  singe,  gronder, 
murmurer  entre  ses  dents;  expression  proverbiale  qui 
se  trouve  un  peu  difîirente  dans  Rabelais,  liv.  I,  ch.  11  : 
Dire  la  patenostre  du  singe. 

P.  269,  1.  18.  —  Marpaudj  mistoudin,  sont  des 
termes  d'argot  qui  étaient  devenus  des  noms  de  cama- 
raderie. Le  sens  de  marpaut  nous  échappe,  quoique  le 
mot  se  trouve  dans  la  farce  de  la  Pipée.  Mistoudin  (racine 
miste)  nous  paraît  être  l'analogue  de  mistouflet,  mon  mi- 
gnon, mon  joli  garçon. 

P.  271,  1.  9.  —  La  maladie  de  saint  Mathurin,  la 
folie,  que  ce  saint  avait  la  réputation  de  guérir. 

P.  271,  1,  7.  —  Bussart  d'eau  de  Canathe.  Cholières 
fait-il  allusion  à  l'eau  changée  en  vin  par  Jésus  aux  noces 
de  Cana?  Il  y  avait  cependant,  près  de  Nauplie,  en 
Grèce,  une  fontaine  célèbre,  dite  de  Canaihos ,  où 
l'on  disait  que  la  déesse  Junon  venait  se  baigner  une 
fois  tous  les  ans. 

P.  273,  1.  7.  —  Kaphael  de  Briguenarilles,  sobriquet 
d'un  contemporain  de  Cholières,  par  allusion  au  géant 
Bringuenarille,  qui  avalait  des  moulins  à  vent.  Voy.  la 
Navigation  du  Compagnon  à  la  bouteille^  avec  les  prou- 
esses du  merveilleux  géant  Bringuenarille  (Troyes,  veuve 
de  Nicolas  Oudot,  sans  date,  in-i6).  Cette  facétie,  attri- 
buée à  Rabelais,  avait  paru  sous  ce  titre  :  Le  Voyage  et 
navigation  des  isles  et  terres  heureuses,  fortunées  et  incog- 
nues,  par  Bringuenarille ,   cousin  germain  de  Fesse-Pinte, 


DES     APRÈS-DINÉES.  SçS 

contenant   des  choses   merveilleuses  et  difficiles    (Rouen, 
Nicolas  Lescuyer,  iSyS,  in-i6). 

P.  280,  I.  2  5.  —  Saint  Guigne-fort.  Ce  saint-là  n'est 
autre  que  saint  Guignolet,  dont  la  statue  mobile  faisait 
des  enfants  aux  femmes  stériles  dans  diverses  provinces 
de  France. 

P.  288,  1.  21.  —  Gardez  le  fagot.  On  a  dit  depuis  : 
gare  le  fagot!  dans  le  sens  de  :  ce  sont  là  des  pro- 
positions hérétiques  qui  peuvent  nous  mener  au  bû- 
cher. 

P.  289,  1.  3.  — Kompre  l'anguille  au  genoilj  entre- 
prendre une  chose  impossible;  proverbe  rabelaisien. 

P.  291,  1.  6-8.  — •  La  geyette  est  le  jais;  Voromenus 
de  Pline  est  le  sel  gemme;  le  sel  aragonois  est  sans 
doute  l'anthracite  ou  charbon  de  terre. 

P.  293,  1.  22-2 Ji^.  —  Terres  seellce,  Melienne,  de  Chio, 
ErythriennCj  de  Bloys.  Ce  sont  les  différentes  terres  à 
poterie,  qu'on  employait  à  faire  des  vases  depuis  l'anti- 
quité. La  terre  seellée,  c'est  la  terre  sigillée;  la  terre 
meliennCy  c'est  la  terre  de  l'île  de  Milo,  etc. 

P.  294,  1.  27.  — L'Honeste  Discipline.  Pietro  Crinito, 
de  Florence,  né  en  1465,  mort  en  i5o5,  est  l'auteur 
d'un'Jivre  intitulé  :  De  Honesia  Disciplina. 

P.  3o8,  1.  II.  —  Ils  sont  du  pays  de  Libo^irne,  bâtis 
sur  Lourd.  C'est  évidemment  un  proverbe  local,  créé  sur 
un  jeu  de  mots,  par  onomatopée,  ou  analogie  du  nom 
de  Libourne  avec  lourd.  Il  sufRt  de  contracter  Libourne^ 
pour  y  trouver  le  son  de  lourd. 

P.  3o2,  1.  8.  —  Le  tocan  de  Thevet,  le  toucan,  oiseau 
à  gros  bec,  qu'André  Thevet  avait  dessiné  d'après  nature 
et  représenté  dans  sa  Cosmographie  universelle,  publiée  en 
1574,  à  Paris,  au  retour  de  ses  voyages  en  Asie,  en 
Afrique  et  en  Amérique. 

P.  3x1,  1.  17.  —  L'Angevin  Bretonnayau,  nommé 
souvent  dans  les  ouvrages  de  Cholières,   qui  se  plaît  à 


396  NOTES 

citer  des  vers  de  ce  médecin-poète,  son  ami.  Voy.  ci- 
dessus,  p.  38,  1.  I  r,  et  la  note  correspondante. 

P.  3 1 4,  1.5.  —  Escoutaz,  que  le  mauluhec  vous  trousse  ! 
vieille  imprécation  répétée  souvent  dans  Rabelais.  Le 
maulubec  était  le  mal  de  gorge,  l'angine  couenneuse. 

P.  320,  1.  9.  —  Les  feux  latoniens  sont  le  soleil  et 
la  lune,  Phœbus  et  Phœbé,  qui  les  personnifient  dans  la 
mythologie  antique,  étant  enfants  de  Latone. 

P.  322,  1.  20.  —  Le  verbe  veineroit  nous  paraît  ici 
un  jeu  de  mots  pour  vénéreroit.  Veiner  signifiait  ouvrir 
la  veine,  saigner. 

P.  326,  1.  20.  —  Estend  aussi  loin  le  chevrotin. 
On  dit  aujourd'hui/.  Allonge  la  courroie,  au  figuré,  dans 
le  même  sens  :  c'est  tirer  les  choses  en  longueur. 

—  1.  2  5.  —  Le  jeûne  entier,  c'était  s'abstenir  d'ali- 
ments toute  la  journée;  le  demi-jeûne,  c'était  ne  rien 
prendre  le  matin. 

—  1.  26.  —  Le  ressiner  était  le  goûter,  collation  lé- 
gère entre  le  dîner,  qui  avait  lieu  à  midi,  et  le  souper, 
qui  avait  lieu  le  soir  entre  sept  ou  huit  heures. 

P.  336,  1.  8.  —  Garder  la  lune  des  loups,  se  dit  des 
gens  qui  ont  peur  et  qui  font  mine  de  menacer. 

P.  348,  1.  16.  —  La  Livre,  c'est  la  Balance,  du  latin 
libra. 

P.  35i,  1.  11-12.  —  Hausser  le  gantelet,  hausser  le 
coude,  boire  à  grands  traits. 

—  Allonger  les  S,  falsifier  un  compte,  parce  qu'en 
allongeant  les  s,  qui  figuraient  des  sols  à  la  fin  des 
comptes,  on  en  faisait  des  f,  qui  représentaient  des 
francs. 

P.  364,  1.  9.  —  Vous  touchez  sur  la  grosse  corste,  ex- 
pression proverbiale  tirée  de  l'escrime.  Corste  est  peut- 
être  là  pour  coste,  ou  plutôt  pour  croste,  l'aorte,  grosse 
veine  du  cœur. 


DES     APRÈS-DINÉES.  897 

P.  367,  L  7.  —  Faire  voye  à  la  lune  est-il  synonyme 
de  faire  un  trou  à  la  lune  ? 

—  1.  10.  —  Protecteur  de  la  lune  à  l'encontre  des 
loups,  (Voir  la  note  de  la  p.  336.) 

P.  371,  1.  2.  —  Le  mau  fin  feu  de  ricque  racque^  en 
patois  gascon,  est  le  feu  saint  Antoine,  la  fistule  à 
l'anus. 

P.  374,  l    7.  —  Attiquettes  doit  être  \kTpom  étiquettes. 

P.  375,  1.  21.  —  Targe  est  un  bouclier;  mais  il  est 
ici  employé  dans  le  sens  de  cornes,  à  cause  de  l'échan- 
crure  en  croissant  que  portait  la  targe  pour  y  appuyer  la 
lance.  On  peut  croire  aussi  que  ces  gros  bouchons  de 
bouquets  sur  le  chapeau  des  maris,  à  défaut  de  targes 
ou  d'enseignes  dorées,  étaient  l'ornement  des  garçons  de 
village  qui  cherchaient  femme. 

P.  376,  1.  i3.  —  Le  Salluste  ici  nommé  est  Salluste 
du  Bartas,  auteur  des  Semaines,  célèbre  poète  que 
Cholières  avait  en  haute  estime,  et  qu'il  cite  souvent 
dans  ses  ouvrages. 

P.  378,  1.  9.  —  Le  camelot  était  une  étoffe  dont  les 
plis  ne  pouvaient  s'effacer.  (Voy.  ci-dessus,  p.  99,  1.  8, 
et  la  note  y  relative.) 

P.  38o,  l.  21.  — Marmiton  de  la  Gadouarde,  cousine 
de  messer  Fifi.  On  donnait  aux  vidangeurs  le  nom  de 
messer  Fifi.  La  gadouarde  n'est  autre  que  la  plus  fine 
ramassée  par  les  gadouards. 

—  l.  28.  —  Vous  tournez  la  truye  aux  choux.  Ce  pré- 
verbe correspond  à  celui-ci,  qui  est  encore  en  usage  : 
Tourner  la  truie  au  foin,  c'est-à-dire  :  éviter  de  ré- 
pondre, détourner  la  conversation. 


TABLE   DES  APRÈS-DINÉES. 


Pages. 
LES  APRESDISNÉES  du  seigneur  de  Cholières.  Pans,  Jean 

Richer^  iSSy i 

Au    LISEUR 3 

Apresdisnée  PREMIERE.  Du  Veiller  et  du  domir 17 

II.  Du  Mariage 63 

III.  De  la  Puissance  maritale 112 

IV.  De  l'Arbre  de  vie i33 

V.  Du  Babil  et  caquet  des  femmes 191 

VI.  Des  Barbes 229 

VII.  Des  Vieillards  et  des  jeunes  enfants 277 

VIII.  Des  Prognostics  et  prédictions  astrologiques 287 

IX.  Des  Lunatiques 367 

Notes 385 


(0  n  ivers/l^'v,^ 
B/BLIOTHECA    J 
^tta.v  I  e  nsi  ^^^^ 


IMPRIME    PAR    JOUAUST 


POUR 


LES  CONTEURS  FRANÇAIS 


PARIS,    M   DCCC  LXXtX 


I 


'-^'\i  n 


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